[5]


Reprendre ses marques et trouver un nouveau rythme dans un Poudlard post Voldemort s'avérèrent plus complexes pour Hermione qu'elle ne l'aurait cru. La présence inquiétante du Seigneur des Ténèbres avait changé drastiquement son mode de vie. Harry paraissait perturbé par la disparition de cette lourde épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Pour la toute première fois depuis qu'il avait découvert sa nature de sorcier, personne n'en voulait à sa vie. Il apprenait à exister sans cette adrénaline familière. Hermione remerciait ses missions de préfète pour occuper la partie de son temps libre qu'elle ne passait pas à réviser. Malefoy et elle se croisaient si peu que leur collaboration se résumait à des anecdotes du couloir.


« Tu as entendu ? chuchotaient des voix. Il paraît que Malefoy et Granger doivent travailler ensemble cette année.

Et ils ne se sont pas encore entretués ? s'étonnait toujours l'autre personne. »


Hermione ne comptait plus le nombre de fois où elle avait perçu cette conversation. Elle l'avait plus souvent entendu qu'elle n'avait vu Malefoy en dehors des quelques cours que leurs maisons se partageaient. Elle ne s'en plaignait pas. Moins elle le croisait, mieux elle se portait. Ils discutaient parfois de leurs tâches par le biais de parchemins interposés et cela fonctionnait. La jeune femme savait que cette situation ne s'éterniserait pas et qu'ils devraient échanger de vrais mots. Ils en avaient tous les deux conscience.


« Tu sais ce que prépare Slughorn ? l'interrogea Ron en jetant un regard inquiet au professeur alors qu'ils pénétraient dans la salle de classe. Son sourire me fait un peu peur.

Aucune idée. »


Ronald disait vrai. Debout sur l'estrade qui donnait une vue prenante sur l'entièreté de la salle de classe, Horace Slughorn affichait un sourire malicieux qui n'avait rien de rassurant. La commissure de ses lèvres cherchait presque à rejoindre ses oreilles et son enthousiasme se propageait dans chaque partie de son corps. Il trépignait comme un enfant ravi de la mauvaise blague qu'il venait d'échafauder et cela n'avait rien de rassurant. Hermione s'attendait au pire. Alors que certains élèves cherchaient à retrouver leurs places habituelles, le professeur les arrêta d'un mouvement de main et son rictus s'élargit encore un peu. Cela n'annonçait rien de bon.


« Ne vous asseyez pas tout de suite, les intima-t-il d'une voix guillerette. On va changer les choses aujourd'hui. »


Les sourcils de la sorcière se froncèrent et ses yeux interrogatifs rejoignirent ceux de ses meilleurs amis. Eux aussi sentaient qu'une mauvaise idée avait germé dans l'esprit de leur enseignant. Alors qu'elle cherchait à reporter son regard sur l'enseignant, deux prunelles claires rencontrèrent les siennes. Malefoy l'interrogeait lui aussi du regard comme si elle possédait la réponse à toutes les pensées loufoques des enseignants de l'école de sorcellerie.


« Nous allons mélanger les maisons ! annonça-t-il dont les mains se rencontraient avec joie. Vous allez former des groupes de deux, expliqua-t-il par-dessus le brouhaha de contestation, et travailler sur une potion. »


Sa voix s'éteignit et les contestations s'intensifièrent. S'il y avait bien une chose pour laquelle les lions et les serpents se mettaient d'accord, c'était bien cette animosité qui animait chaque élève à l'égard de leurs camarades de l'autre maison. Comment pourraient-ils former une équipe alors qu'ils parvenaient à peine à passer plus de deux secondes sans s'insulter ? Hermione savait qu'ils partageaient tous cette pensée et elle les comprenait. Les serpentards se montraient si souvent insupportables et ils prenaient plaisir à écraser quiconque se mettait en travers de leur ambition.


« Et si nos deux préfets en chef montraient l'exemple en formant un premier binôme, suggéra l'enseignant par-dessus le bruit ambiant. Vous vous en sentez capable, n'est-ce pas ? »


Tous les regards convergèrent sur eux et la jeune femme sentit sa salive s'évaporer de sa bouche. Elle croassa une réponse positive et risqua une œillade incertaine à son nouveau binôme. Était-elle capable de travailler avec Malefoy ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Il ne paraissait pas enchanté de devoir partager une paillasse avec elle durant plusieurs heures. Ses iris clairs se transformèrent en un orage colérique et la jeune femme ne put s'empêcher de penser que leur professeur avait de la chance que les regards ne puissent pas tuer. Alors qu'elle rejoignait son meilleur ennemi autour d'une table en désordre, elle perçut les murmures de ses camarades. Ils cherchaient la meilleure option ; la personne qu'ils appréciaient le plus au sein de l'autre maison.


« Quelle plaie, se murmura-t-elle en dispersant ses affaires sur la paillasse.

Le plaisir est partagé, Granger, ironisa-t-il. Je suis ravi d'avoir à partager encore plus de temps avec toi. »


La jeune femme roula des yeux avant de les porter sur la silhouette nonchalante de son binôme de potion. Ils se dévisagèrent en chien de faïence quelques minutes alors que des insultes plus ou moins originales fusaient à travers la pièce. Elle crut même entendre le Professeur Slughorn retirer quelques points aux élèves les plus virulents des deux maisons. Ils mirent beaucoup de temps à se décider sur une personne avec laquelle ils allaient devoir passer les prochaines heures. Jamais Hermione n'avait assisté à un début de cours aussi chaotique. Et elle avait suivi des cours de divination en troisième année ! Leurs camarades de classe finirent par s'installer sur les autres tabourets de la salle et ils partageaient tous cette expression oscillant entre la détresse et la colère. La jeune femme à la crinière indomptable avisa les traits de ses proches pour découvrir les étranges groupes qui s'étaient formés.


Ron zyeutait les annotations à l'intérieur du livre de Nott comme s'il découvrait une langue étrangère. Harry offrait un sourire froid et maladroit à Parkinson. Neville fuyait le regard de Bulstrode comme s'il craignait de se retrouver désintégré par ses yeux assassins. Seamus jonglait avec sa baguette et ignorait la présence de Zabini à sa droite. Dean observait ses ongles comme s'ils cachaient une complexe énigme alors que Greengrass feuilletait son livre de cours.


Tous ces duos s'assortissaient si mal que la jeune femme aurait pu croire à un mauvais rêve si la situation ne s'était pas déjà présentée à elle dès le début de l'année. Le corps enseignant semblait bien décidé à rabibocher les lions et les serpents. Ils ne pensaient pas une seule seconde à leur volonté de se sauter à la gorge pour chaque syllabe maladroite prononcée. Leurs maisons se détestaient depuis si longtemps qu'il paraissait impossible d'enterrer la hache de guerre.


Les mots du Professeur Slughorn vinrent combler le silence glacial qui s'était installé après la formation des groupes. Même les mouches ne volaient plus dans la salle de classe. Il n'y avait que les respirations lourdes et tendues des élèves pour accompagner les paroles de leur enseignant sur la préparation de felix felicis qu'ils allaient devoir confectionner au cours des prochaines heures. Il énonçait avec une précision appréciable des informations qui ne figuraient pas dans le manuel et Hermione s'empressa de les apposer sur un parchemin vierge. La jeune femme sentait parfois les œillades interloquées de son binôme déprécié sur elle. Malefoy ne prenait aucune note et il ne semblait même pas s'inquiéter de la complexité de la potion. Il se contentait d'écouter les explications du maître des potions ou de l'observer alors qu'elle noircissait son parchemin de pattes de mouche.


Puis vint ce moment fatidique où les mots du professeur se fanèrent sur ses lèvres. La partie théorique du cours terminée, ils allaient devoir préparer la potion sous la supervision de Horace Slughorn. Jamais un silence aussi assourdissant n'avait régné dans la salle de classe. Quelques élèves observaient leur professeur comme s'ils cherchaient à découvrir des arrières-pensées qui n'existaient pourtant pas. Il n'y avait pas de plan machiavélique cherchant à détruire la moitié d'une promotion de l'école de sorcellerie. Hermione laissa échapper un long soupir lorsqu'elle sentit plusieurs yeux se diriger vers leur paillasse. Ils attendaient tous un mouvement de leur part. Un grondement fit vibrer les cordes vocales de Malefoy alors qu'il se redressait dans un geste si brusque qu'il manqua de faire chuter son tabouret.


La sorcière observa son binôme fouiller dans les étagères pour trouver les ingrédients dont ils auraient besoin pour concocter la plus parfaite des potions de chance. Elle percevait chacun de ses mouvements, devinait le pincement de ses lèvres et ressentait sa frustration à chaque fois qu'il ne trouvait pas l'ingrédient désiré. Sa silhouette finit par disparaître derrière la foule de jeunes adultes qui se pressèrent pour l'imiter. Elle ne comprit pas la déception qui s'empara d'elle alors qu'elle ne pouvait plus détailler les cheveux blonds de son camarade de promotion. Malefoy l'intriguait. Un homme plus mature et désabusé avait remplacé l'imbécile profond des premières années à Poudlard. Elle ne le comprenait pas et elle ne supportait pas ça. Elle avait besoin de comprendre.


« Saleté de tentacules de Murlap, pesta-t-il en revenant les bras chargés. Elles étaient cachées derrière des plantes qui ne servent à rien et des foutues orties. »


Un sourire discret étira les lèvres de la jeune femme alors qu'il continuait de se plaindre. De minuscules boutons rouges commençaient déjà à apparaître sur sa peau claire et il ne se gênerait pas à adresser des propos incendiaires à l'encontre de toutes les plantes urticantes de la planète. Malefoy dut remarquer son amusement car ses prunelles jetèrent des éclairs dans sa direction et elle lui répondit par un haussement d'épaules innocent.


« Tu t'occupes de hacher les tentacules et je m'occupe du bulbe de scille, ordonna-t-il. »


Il n'attendit pas de réponse de sa part. Ses doigts s'afférèrent déjà autour des fleurs violettes et Hermione se retrouva avec des tentacules secs étendus devant elle. Elle s'empara d'un couteau et elle s'appliqua à réduire les appendices répugnants en minuscule morceau. Elle jeta quelques regards fascinés à son coéquipier. Les yeux froids de Malefoy ne quittèrent pas une seule seconde ses mains et les ingrédients qu'elles manipulaient. Ses lèvres pincées de concentration, il laissait parfois ses longs doigts glisser sur les pages jaunies de son livre de potion. Elle oubliait souvent que le Serpentard faisait partie des personnes brillantes. L'art des potions le passionnait et son parrain lui avait transmis une grande partie de son savoir. Elle aurait pu continuer de l'observer durant des heures si la lame du couteau n'avait pas frôlé son doigt.


« Aïe, se plaignit-elle en reposant le hachoir sur la table. »


Une perle carmine glissa le long de son pouce pour se perdre dans la paume de sa main. L'arrêt soudain de ses mouvements attira l'attention de son binôme qui cessa de retirer le bulbe des fleurs pour porter ses yeux sur sa silhouette. Ils se posèrent sur la ligne rougeâtre sur sa peau. Se demandait-il pourquoi son sang ne paraissait pas sale ? Hermione n'en sut jamais rien. Il se contenta de soupirer avant de s'approcher d'elle. Ses joues et ses oreilles chauffèrent un peu plus à chacun de ses pas. Elle imaginait son visage semblable à une tomate trop mûre lorsqu'il s'empara du couteau entre ses mains. Il était proche ; trop proche.


« Tu es vraiment maladroite Granger, remarqua-t-il avec lassitude. Remplace-moi pour les bulbes et commence à mettre l'œuf de serpencendre dans le chaudron. »


Il n'attendit pas la moindre réponse de sa part. Leur coopération fonctionnait étrangement bien et elle ne comptait pas tout gâcher en se prenant la tête avec lui. Aucune raison ne la poussait à devenir vindicative.


Les heures défilèrent et les potions évoluèrent. Chaque groupe obtint une mixture dont la couleur et la texture différaient. Une explosion provoqua la destruction de la potion de Seamus. La jeune femme crut entendre le désespoir du Professeur Slughorn lorsqu'il s'approcha de leur paillasse pour leur expliquer les raisons à l'origine d'un résultat comme celui-ci. Tous savaient pourtant que la seule présence de Seamus augmentait les chances d'explosion. Il ne se passait pas une seule semaine sans qu'il ne finisse le visage recouvert de suie. Hermione remarqua à peine l'agitation autour d'elle. Malefoy, ses mouvements précis et ses conseils, prononcés d'une voix sèche, retinrent toute son attention. La texture de leur potion ressemblait au souvenir qu'elle en avait.


« Felixempra, articula-t-elle alors que sa baguette dessinait des huit au-dessus du chaudron fumant. »


Il fallut seulement quelques secondes pour que le Professeur Slughorn ne les rejoigne pour observer l'apparence de la potion terminée. De discrets sons de satisfaction s'échappèrent de ses lèvres alors qu'il analysait avec une attention toute particulière les propriétés de leur concoction. Hermione sentit un large sourire étirer ses lèvres alors qu'il concluait sur la perfection de la potion. Ses prunelles noisette croisèrent celles de son binôme qui lui rendit son expression heureuse. Ils avaient réussi à travailler ensemble ! Leurs sourires finirent par se faner sur leurs visages. La présence de l'autre n'était qu'un bonus. Ils seraient parvenus au même résultat sans l'aide de l'autre.




ce chapitre était particulier à écrire. je me souviens m'être énormément amusée à taper chaque mot sur mon clavier et j'espère qu'il vous plait. on se retrouve dans deux semaines pour le 6ème chapitre.


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