[14]


Les couloirs de l'école de sorcellerie se ressemblaient tous une fois la nuit tombée. Des murs en pierre grisâtre, décorés de multiples tableaux, se terminaient et dévoilaient de nouveaux murs identiques aux précédents. Poudlard se transformait en un immense labyrinthe lorsque la Lune retrouvait son trône dans le ciel nocturne et son Minotaure prenait les traits inquiétants de Rusard. Si les années ne l'avaient pas habituée à l'apparence de l'école lorsque l'obscurité y régnait, Hermione s'imaginait sans difficulté se perdre dans le dédale de couloir. L'amitié qu'elle entretenait avec Harry et Ron l'avait plusieurs fois menés au bord de l'exclusion, mais elle avait mémorisé chaque couloir de Poudlard. Elle se sentait comme chez elle entre ses murs. Elle savait même pressentir les apparitions de Peeves et devinait ses farces. Hermione se servait de ses connaissances pour les rondes. Elle savait où observer et quoi chercher. Il ne lui était pas rare de raccompagner des premières années à leur salle commune et de discuter avec eux pour calmer leurs angoisses. La plupart la quittaient avec le sourire et il ne lui en fallait pas plus.


Hermione se retrouva seule à faire sa ronde cette nuit-là. Malefoy n'avait pas daigné se présenter pour la troisième fois consécutive et la simple idée de parcourir une majeure partie de l'école seule la fatigua. Elle ignorait pourquoi il refusait de partager les tâches. Cette situation jouait sur ses nerfs et elle se retrouvait plus fatiguée que jamais. Puis son esprit ne lui permettait aucun répit. A chaque fois que sa mâchoire se décrochait dans un bâillement sonore, son cerveau se focalisait sur l'étrange proximité construite entre Malefoy et elle. Ils ne s'appréciaient pas, mais ils ne se détestaient pas non plus. Ils travaillaient bien ensemble et ils se toléraient sans se hurler des insanités. Drago Malefoy était une bien étrange personne. Il oscillait entre le garçon froid et hautain à ce jeune adulte intellectuel qui n'hésitait pas à réviser avec elle dans la quiétude de la salle commune. Elle ne comptait plus le nombre de fois où ses doigts avaient frôlé les siens ou que son souffle avait caressé sa peau. Il s'amusait de son embarras et il riait des rougissements de ses pommettes. Il la mettait dans tous ses états.


Mais cela ne changeait rien à ses absences répétées. Elle se retrouvait encore une fois à arpenter les couloirs de l'immense labyrinthe sans aucune aide. A cet instant précis, elle espéra qu'il se plante une écharde dans le pied ou que Peeves ne vienne lui jouer une mauvaise farce. Son énervement se démultiplia à mesure que la fatigue grandissait.


Ses pas finirent par la mener à la porte de la salle commune des préfets. Hermione jeta un regard aux escaliers animés et analysa en quelques secondes la distance qui la séparait de son lit dans la salle commune de Gryffondor. Elle n'avait plus la force de marcher plusieurs dizaines de minutes ou de gravir des centaines de marches. Ses jambes l'abandonneraient avant qu'elle n'atteigne le tableau de la Grosse Dame. Ses lèvres articulèrent le mot de passe et elle pénétra dans la salle commune des préfets. Elle s'en fichait pas mal de dormir dans un lit dans lequel Malefoy avait déjà passé quelques nuits. Elle voulait juste dormir.


Dans cette obscurité que les rayons lunaires ne dérangeaient pas, les meubles se transformèrent en ombres inquiétantes entre lesquelles elle dut slalomer pour atteindre la chambre. Seuls quelques mètres la séparaient de son but, mais elle s'imagina se prendre les pieds dans le tapis ou dans les pieds de la table. Ce genre de situation lui arrivait tout le temps. Un geignement anxieux interrompit les pensées de la jeune femme. A peine perceptible et étouffé comme s'il était enfermé dans une bouteille. Mais elle ne pouvait pas ignorer son existence. Ce genre de bruit ravivait ses souvenirs de la guerre et ranimait ses réflexes acquis par la recherche des horcruxes. Elle extirpa sa baguette de sa poche, la brandit devant elle et articula la formule qui éclaira l'extrémité du morceau de bois magique qu'elle serrait entre ses doigts. Les contours des meubles se dessinèrent un à un, ses yeux marron examinèrent la pièce à la recherche d'un possible danger. Tout lui parut normal. Les livres, les tasses et les bibelots se trouvaient à leur place habituelle. Cela n'empêcha pas les geignements de se faire entendre de l'autre côté de la porte.


Une inspiration pour se donner du courage.

Un pas pour se créer un élan.


Ce fut sans surprise qu'elle découvrit la silhouette du serpentard dès qu'elle poussa la porte. Son corps s'anima sous la couette et ses lèvres articulèrent des geignements dont elle ne comprit rien. Hermione fronça les sourcils alors qu'elle remarqua la sueur sur ses tempes et l'angoisse des cauchemars les plus violents habitant ses traits. Hermione resta figée sur le seuil quelques secondes, incapable de se décider sur la bonne chose à faire. Devait-elle tourner les talons et l'abandonner à ses démons ou devait-elle se précipiter en direction de Malefoy pour le sortir de ce tourbillon de mauvais rêve ? Un gémissement plus inquiétant que les autres lui suffit à se décider et chassa les derniers résidus de fatigue. Sa baguette s'agitant au rythme de ses foulées, la lionne se précipita vers le matelas.


« Malefoy ! »


Le sorcier ne répondit pas à son appel. Il émit un nouveau hurlement sourd et ses traits se tordirent d'angoisse. Elle crut entendre le nom du Seigneur des Ténèbres dans ses lamentations et elle posa une main incertaine dans l'espoir de le rappeler au monde où le mage noir n'exerçait plus son règne de terreur. Cela ne fonctionna pas. Son esprit, enfoncé trop profondément dans ses cauchemars, ne ressentait pas sa présence. La sorcière prit une inspiration et secoua le corps agité du serpentard. Elle appela son nom durant plusieurs minutes avant qu'il ne manifeste le moindre signe annonçant sa sortie des limbes sombres. Ses gémissements effrayés se turent, ses paupières papillonnèrent et ses lèvres articulèrent des mots incompréhensibles. Puis ses yeux s'ouvrirent et s'accrochèrent à ceux de la sorcière. Hermione sentit sa respiration se couper alors que les iris tourmentés du préfet se noyaient dans les siens.


« Granger ? croassa-t-il. Qu'est-ce que tu fais là ?

Je... hésita-t-elle. Tu faisais un cauchemar et tu n'arrivais pas à te réveiller. »


Son visage penché au-dessus de celui de son camarade de promotion, Hermione eut l'impression de se retrouver devant un détraqueur. Ses yeux aspirèrent son âme à la recherche de positivité et lui intimèrent d'abandonner toute résistance. Elle ne savait même pas contre quoi elle résistait. Un rire gêné s'échappa de ses lèvres alors qu'il chassait une mèche de cheveux bouclés, échouée sur sa peau claire. Ils étaient si proches qu'il dût sentir son souffle contre ses lèvres. Hermione s'empressa de se redresser et ses lèvres s'étirèrent dans un sourire timide.


« Merci. »


Murmure prononcé du bout des lèvres, les remerciements du serpent ne lui parvinrent que parce que tous ses sens se dirigeaient vers la silhouette encore blafarde allongée dans les draps. Son sourire s'élargit alors qu'il abandonnait une place minuscule sur le matelas. Il l'invitait à la rejoindre. Elle s'empressa de s'asseoir dans le moelleux des coussins et de recouvrir ses jambes tremblantes sous la couette. Elle penserait à sa proximité avec le serpentard plus tard. Elle se surprit à ne pas trouver la situation aussi désagréable qu'elle n'aurait pu le croire quelques mois plus tôt. La chaleur de sa peau irradia de son pyjama et la jeune femme observa les poils de ses bras se redresser dans une chair de poule incontrôlable.


« Ça t'arrive souvent ? l'interrogea-t-elle d'une voix hésitante. De faire des cauchemars, précisa-t-elle lorsqu'elle perçut son regard interloqué sur elle.

Environ une fois par semaine. »


Cet aveu glacial décontenança la jeune femme. Elle connaissait sa chance pour avoir surmonté la douleur de la guerre en passant du temps avec ses amis et en cherchant à tout prix à rendre fières les personnes qui n'étaient plus. Elle ignorait si Malefoy profitait de tout ça. Avait-il pleuré sur une épaule attentive des heures durant ? Lui avait-on montré de la gentillesse pour qu'il ne subisse pas le contrecoup de la guerre seul ? Hermione ignorait tout cela. Elle ignorait si le visage de Bellatrix Lestrange serait toujours imprimé derrière ses paupières sans la présence de ses amis. Elle ne parvenait pas à imaginer ce qu'une personne comme Drago Malefoy avait enduré.


« Qu'est-ce que tu vois ? demanda-t-elle d'une voix incertaine. »


A peine cette question intrusive s'échappa-t-elle de ses lèvres que son visage se mut dans une grimace. Malefoy n'avait pas à lui répondre. Elle cherchait toujours à nourrir cette curiosité qui ne se taisait jamais. Le silence s'étendit à travers la pièce et elle abandonna l'idée d'obtenir une réponse de la part du serpent. Il n'articula pas la moindre insulte et ne lui apporta pas la moindre explication. Il se contenta de dévoiler son avant-bras où le souvenir de la marque des ténèbres s'effaçait pour se transformer en un terrifiant fantôme se mouvant sur la peau du blond. Les doigts de la jeune femme vinrent retracer les contours de ce tatouage avant même que son cerveau ne lui hurle de cesser tout mouvement. Elle s'étonna de la douceur du derme de son camarade et du frisson qui parcourut son échine alors que la pulpe de ses doigts glissait sur sa peau fine.


« Elle est plus claire qu'avant ? s'étonna-t-elle.

Sa mort la fait disparaître, expliqua-t-il. Elle finira par disparaître avant la fin de l'année.

— Et tu as peur de ce que ça implique ? »


Tais-toi. Cette pensée traversa son esprit avant même que sa phrase ne s'achève. Pourquoi ses lèvres refusaient-elles de se clore ? Pourquoi continuait-elle de poser toutes ses indiscrètes questions à Malefoy ? Elle se montrait envahissante.


« Un peu, son rire jaune compressa le cœur de la jeune femme. J'ai toujours connu ça, Granger. Je suis né pour devenir un mangemort et pour servir le Seigneur des Ténèbres. Je ne sais faire rien d'autre. »


Ce constat défaitiste arracha une grimace à la jeune femme et elle jeta un coup d'œil au serpent. Des larmes silencieuses creusèrent des sillons sur ses joues et de discrets sanglots agitèrent ses épaules. Si elle n'avait pas risqué cette œillade dans sa direction, jamais elle n'aurait remarqué la tristesse animant les traits de Malefoy. Son corps lui hurla sa vulnérabilité et lui dévoila son âme brisée.


« Alors deviens la personne que Drago Malefoy a toujours voulu devenir, lui intima-t-elle avec douceur. Deviens la personne que tu as toujours voulu être : celle qui n'était pas dictée par la volonté de ta famille.

Je ne sais pas si elle existe, souffla-t-il.

Alors construis-la. On est encore jeune Malefoy. Tu as encore le temps de choisir la personne que tu veux être. »


Les prunelles céruléennes du sorcier analysèrent ses traits et suffirent à empourprer ses joues. Le cœur de la jeune femme pulsa dans sa poitrine et il l'empêcha de penser convenablement. Elle se sentit incapable d'articuler la moindre idée et elle baragouina quelques mots d'aurevoirs à son camarade. Alors qu'elle s'apprêtait à se redresser pour le laisser à la quiétude de la chambre pour terminer sa nuit sur le canapé, une main s'enroula autour de son poignet pour arrêter son geste. C'était la seconde fois que le serpentard la touchait sans paraître révulsé par le contact de sa peau impure contre la sienne.


« Reste Granger.

Pourquoi ?

S'il te plaît, l'implora-t-il. »


Ce n'était pas une réponse. Elle n'eut cependant pas le courage de le reprendre ou de s'opposer à son envie. Elle le laissa l'entraîner dans le moelleux de matelas et un soupir appréciateur s'échappa des lèvres de la jeune femme lorsque son visage s'enfonça dans un oreiller. Un ricanement amusé s'échappa des lèvres du sorcier et il résonna dans la chambre comme une mélodie agréable. Elle aimait entendre ce son de la part du sorcier. Allongée sur le flanc, ses yeux plongés dans la tempête éternelle de ceux de Malefoy, elle ne put retenir un sourire. Elle porta un bras sous son oreille et remonta la couette sur ses épaules de son autre main.


« Merci. »


Il la remerciait pour la seconde fois. Ce simple mot affola son palpitant. Drago Malefoy possédait un don pour la mettre dans tous ses états et elle détestait ça. Elle détestait ne pas se sentir maîtresse de ses émotions et de son incapacité à calmer les pulsations assourdissantes de l'organe dans sa cage thoracique. Elle revivait ses premiers émois pour Ronald et elle refusait de revivre toutes ces choses. Les déceptions, les regards dérobés, les crises de jalousie ; Hermione les détestait.


« Pourquoi tu me remercies ?

Parce que tu restes là même si tu ne m'apprécies pas, commença-t-il et elle réprima son envie de le reprendre. Parce que tu essaies de me sortir de mes cauchemars alors que mes démons sont responsables de ta torture. Parce que tu es une personne brillante. »


Ses joues chauffèrent si vite que la lionne se demanda si elle ne se transformait pas en cocotte-minute. Une fumée opaque s'échappait-elle de ses oreilles ? Elle chassa son embarras par un sourire qu'elle espérait naturel ; elle réagissait toujours de façon étrange lorsqu'on la complimentait. Elle mourrait d'envie de lui dire que sa présence à ses côtés relevait de la normalité, mais elle n'ignorait pas que cette réflexion n'était qu'un mensonge. Elle ressentit pourtant ce besoin de transformer ce fantasme idiot de proximité en une réalité. Malefoy était une personne intéressante et elle souhaitait découvrir la personne qu'il deviendrait sans la pression de sa famille.




un chapitre un peu plus sérieux pour cette semaine. mais il est un peu mignon non ?

j'espère que vous avez apprécié votre lecture ! on se retrouve dans deux semaines pour le prochain.

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