Chapitre 3
POINT DE VUE : ALICE
« Calme-toi Alice, tu es juste fatiguée. » Ces derniers jours, son agressivité a encore augmenté. La faute à ses nerfs qui ont une fâcheuse tendance à être à fleur de peau. Et puis la ville la rend paranoïaque. Ça fait longtemps qu'elle n'est pas allée voir Phil, ce sera l'occasion de méditer. Owanae l'observe bien sagement,avec toute la bienveillance que peut vous porter un chien. Certainement plus que la plupart des humains. Alice s'accroupit pour être à sa hauteur, sous les regards hautains des passants.
-Écoute-moi petite boule de poils. Tu vois, je considère cette stupide laisse comme une entrave à ta belle liberté. Alors je vais te détacher et tu pourras aller où tu veux. D'accord ?
Pour toute réponse, la chienne lui adresse un joyeux jappement. Elle reconnaît le clac métallique de la libération et se met à courir jusqu'à l'angle de la rue où travaille un marchand de bonbons ambulant, avant de revenir à ses pieds, si heureuse de son cadeau. Alice sourit. Ça fait longtemps qu'on ne l'a pas fait autant sourire, au point qu'elle en a mal aux joues. Elle les masse vigoureusement dans l'espoir de faire passer la douleur.Le chauffeur de taxi qui se gare à sa hauteur la regarde bizarrement. Elle lui tire la langue sans arrêter de sourire et se remet à marcher.Direction la maison de Phil ! Enfin... plutôt son refuge. Elle lève les yeux vers le soleil qui fait fondre les tas de neiges qui encombrent le trottoir déjà marqué par les milliers de chewing-gums et les prospectus qui se désagrègent avec l'eau. Il n'y a plus autant de passants depuis que la neige tombe deux fois par jour. Elle en profite pour courir avec Owanae sur quelques centaines de mètres, le cœur un peu moins lourd. C'est comme si cet animal lui donnait cette envie de vivre, de survivre qu'elle avait perdu. Elle en oublierait presque les cicatrices qui strient ses bras et ses cuisses.
* * *
-Al' ! Je te croyais morte dans une poubelle !
Un homme à la barbe sale et aux vêtements abîmés se lève précipitamment de sa chaise pour aller la serrer dans ses bras. Alice rie et parcoure la pièce des yeux. Rien n'a changé. Toujours ces horribles cadres qui servent de cache misère, ces lits superposés défaits pour la plupart, ces tables ordinaires avec ces livres ordinaires. Un refuge pour sans-abris comme les autres. Elle n'a jamais voulu vivre dans ce genre d'endroits car sa solitude lui est trop chère.
-Je ne finirai pas comme ça et sûrement pas déjà, Phil ! Alors, du nouveau dans ta vie monotone ?
-La tienne n'est pas mieux tu sais ! Moi au moins je lis, regarde : on m'a ramené un Hamlet !
Elle l'applaudit avec respect, puis appelle Owanae, restée à l'entrée. Cette dernière arrive fièrement, la queue dressée.
-Ohhh ! Un chien ! Pour une fois, j'admets que tu me bats. Mais ce ne sera pas le cas lors de notre prochaine rencontre, je te préviens.
Elle soupire et ils s'assoient.
-Je suis venue pour que tu m'aides encore une fois à me détendre.
POINT DE VUE : EMILIA
Dans la maison règne un grand remue-ménage. Les deux sœurs multiplient les allés-venus de pièce en pièce pour tout ranger.
-Vite vite ! S'écrie Rose.
Burt ne sait plus où donner de la tête. Mais il sourie en constatant la bonne humeur de celle qui était déprimée la veille. Emilia s'arrête devant lui, le regarde pendant plusieurs secondes, puis l'embrasse sur la joue. Elle rie en voyant l'effet de surprise qu'elle vient de produire chez son garde du corps.
-Mademoiselle... vous ne devriez pas...
C'est plus fort qu'elle. L'envie de le serrer dans ses bras est plus forte que les formalités qu'elle est sensée respecter. Il reste de longues secondes bouche bée, avant de poser une main sur les cheveux de la jeune fille. Il faut avouer qu'il a un peu de mal avec les relations humaines. Il n'a pas connu l'amour, les joies d'une famille unie et aimante ni les aventures de l'adolescence. Emilia lui dit souvent qu'il a vécu sans vraiment vivre.
Rose surprend la scène, mais, au lieu de gronder sa sœur, elle les rejoint en criant :
- Câlin groupé !
- Mesdemoiselles, vous allez me faire pleurer.. !
- Si tu crois que c'est avec ce genre de menace qu'on va arrêter tu te trompes !
Le câlin part en bataille de chatouilles ; même Burt riposte ! Un coup de sonnette les interrompt. Rose court ouvrir. Entre alors une belle femme blonde aux yeux verts et à la longue silhouette vertigineuse, suivie d'un homme s'approchant de la cinquantaine au crâne légèrement dégarni et aux yeux noisettes qui vous offrent une incroyable impression de sécurité.
- Bonsoir tout le monde, s'écrie leur mère, tellement heureuse de retrouver ses filles.
- Comment vont mes deux trésors chéris ? demande le père en posant des bagages.
Tout le monde s'enlace, s'embrasse et commence à parler dans tous les sens. On s'extasie devant les belles photos de la savane, des lions et autres animaux d'Afrique centrale, assis autour de la grande table en merisier -importée d'Europe- du salon.
- Mais le plus dangereux, raconte Mr Baker, ce n'est pas les lions mais les éléphants !
Rose rie. Devant le regard interloqué de son père, Emilia explique :
- Mais tout le monde le sait papa !
- Bon, eh bien je ne dis plus rien alors. Votre mère va prendre le relais, marmonne-t-il, vexé. Elle est bien plus intelligente, tout le monde le sait aussi.
L'intéressée embrasse son mari sur la joue, qui croise les bras sur sa poitrine avec une mine boudeuse.
-Ne le prends pas mal ! Et puis, cette famille serait un peu triste sans notre cher idiot.
-Seulement un peu ?! S'exclame-t-il.
-Bien sûr que non, le rassure Rose, tu nous manquerais beaucoup trop !
Mais cette phrase, si innocente soit-elle, semble porter un mauvais présage.
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