Troisième

Le texte de... FlammesdAurore !

Du bout des doigts

Cher Adrian,
Pour toi, ce ne doit être qu’une lettre parmi les autres, parmi tes innombrables admiratrices. Pour moi, c’est tout simplement unique.
Ça va faire presque exactement deux ans que je t’observe. Non, pas quand tu joues au football, mais plutôt lorsque tu ris avec tes amis, lorsque tu lèves la main pour poser une question, lorsque tu fronces les sourcils quand tu ne comprends pas quelque chose… Bref, tout ça.
A chaque fois que je t’observe, je me dis que je dois vraiment être pathétique. Peut-être que tu n’es qu’une passe, pour moi ? Je ne sais pas. En tout cas, je suis sûre d’une chose : tu me plais beaucoup. Je n’en viendrai pas à dire que je suis tombée amoureuse de toi, au point de t’envoyer des cartons avec pleins de petits cœurs dessus à la St-Valentin, ou de glousser stupidement quand tu me souris.
Je préfère rester anonyme. Pas pour du mystère, non. Pour que, si cette lettre tombe entre de mauvaises mains, je ne sois pas la risée du lycée, s’il te plaît.
Bref. A la prochaine !
~               ~               ~
-Alors, tu la trouves comment ?
Aimée me dévisage, et semble sur le point d’éclater de rire.
-Surtout, ne te retiens pas, je grogne. Vas-y, moque-toi de moi !
Mon amie respire un bon coup, et affiche un air sérieux. Même si je distingue toujours une étincelle d’amusement dans son regard.
-Qui serai-je, si je me moquais de toi ? Pas une amie, c’est sûr. C’est juste…
-Quoi ?
Elle hésite, se pinçant les lèvres.
-La fin. Tu finis pas « A la prochaine ». Sérieusement ?
C’est à mon tour de la dévisager.
-Bah oui ! Il risque de ne jamais découvrir mon identité, alors…
-Pour une lettre comme ça, le « A la prochaine » est trop…léger, si tu vois ce que je veux dire.
Je baisse le regard vers ma lettre, toute froissée entre mes mains. En vérité, si j’ai écrit « A la prochaine », c’est parce que je n’avais plus d’inspiration. Mais ça, je ne l’avouerai pour rien au monde.
-Qu’est-ce-que tu me conseilles, alors ?
Aimée me fait un clin d’œil raté. Même si elle croit qu’elle l’a bien fait.
-Tu signes par un pseudo.
-Un pseudo ?
Elle tressaute face à mon ton ébahi.
-Ne me crie pas dessus ! chuchote-t-elle, furieuse. Tu sais ce qu’est un pseudo, j’espère ?
Je lève les yeux au ciel.
-Evidemment, je rétorque. Je suis juste surprise, c’est tout…
Un ange passe, durant lequel Aimée semble plongée dans ses pensées.
Comme je sais qu’elle est capable de rester comme ça pendant des heures, j’écrase une mouche inexistante entre mes mains devant elle. Elle sursaute, et me regarde comme si je venais de me métamorphoser en caillou.
-Ne sois pas insolente avec moi, gronde-t-elle. Aux dernières nouvelles, j’essaye de t’aider, moi !
Je hausse un sourcil. Ou en tout cas, j’essaye. Et j’échoue lamentablement. Alors, je lève les deux sourcils pour ne pas qu’Aimée ne se doute de quoi que ce soit. Ma fierté en aurait pris un coup, surtout avec elle.
Heureusement pour moi, elle ne semble pas le remarquer.
-J’ai une idée, pour le pseudo.
-Vas-y, je soupire.
-E.
Dépitée, je commence à déchirer la lettre. Aimée me l’arrache des mains et recule de deux pas pour m’empêcher de la rattraper. Je maudis au plus profond de moi ma petite taille, et croise  les bras pour lui faire part de ma colère.
-Hors de question, dis-je fermement.
-Pourquoi ?!
-Je ne sais pas ! Ça fait trop…
-Solennel ? termine Aimée avec un petit sourire.
-Oui. Solennel. Maintenant, rends-moi ma lettre.
Aimée secoue la tête.
-Tu sais, c’est le but, que ce soit solennel. Sinon, il ne te prendra pas au sérieux.
Je la regarde de travers.
-Je laisse tomber, je maronne. De toute façon, il ne me remarquera jamais…
-Si tu ne tentes pas, tu ne sauras jamais. Autant essayer. Allez ! Et puis, je me suis toujours dit que vos prénoms allaient bien ensemble. Adrian et Évaline.
~               ~               ~
Cher Adrian,
Pour toi, ce ne doit être qu’une lettre parmi les autres, innombrables admiratrices. Pour moi, c’est tout simplement unique. Je prends le risque de t’écrire cette lettre parce qu’une amie me répète souvent qu’il vaut mieux essayer, plutôt que de ne rien tenter. D’ailleurs, ma phrase préférée, c’est : « Si tu ne te bats pas pour ce que tu veux, ne pleure pas pour ce que tu as perdu ». Mais bon… tu t’en fiches sûrement. D’ailleurs, tu as peut-être déjà jeté cette lettre…
Bref.
Ça fait exactement deux ans, jour pour jour, que je t’observe. Non, pas quand tu joues au football, mais plutôt lorsque tu lèves la main pour répondre à une question du prof. Lorsque tu ris avec tes amis. Lorsque tu fronces les sourcils quand tu ne comprends pas quelque chose. Lorsque tu passes un message à un ami en cours ; tu ne te fais jamais prendre. Je me demande comment tu fais… Moi, ensuite, je suis tout de suite virée, en histoire-géo.
Bref.
A chaque fois que je t’observe, je me dis que je dois vraiment être pathétique. Et là, tu dois sûrement être d’accord avec moi. Peut-être que tu n’es qu’une passe, pour moi ? Je ne sais pas.
En tout cas, je suis sûre d’une chose : tu me plais beaucoup. Je n’en viendrai pas à dire que je suis tombée amoureuse de toi, au point de t’envoyer des cartons avec pleins de petits cœurs dessinés dessus à la St-Valentin, ou de glousser stupidement quand tu me souris.
Je préfère rester anonyme. Pas pour du mystère, non. Pour que, si cette lettre tombe entre de mauvaises mains, je ne sois pas la risée du lycée, s’il te plaît.
Bref.
                                                                                     ~ E.
~               ~               ~
-E. ?
Caroline écarquille les yeux.
- Ça fait vraiment…
-…solennel ? je suggère en me retenant de rire.
-J’allai dire « sérieux ».
J’observe mon amie, étonnée qu’elle ne se soit pas encore mise à sauter dans tous les sens. Ou alors, le compte  à rebours est lancé, et elle ne va donc pas tarder à exploser.
Caroline semble avoir soudainement du mal à respirer.
- Ça va ? je lui demande, un peu inquiète.
Elle tourne la tête vers moi, et je faillis exploser de rire en voyant ses yeux ronds comme des soucoupes.
-Je… Je…, balbutie-t-elle.
Je me penche en avant, intriguée. J’ai soudain peur de ce qu’elle va dire.
Caroline joint ses mains sur son cœur.
-Tu es amoureuse ! s’exclame-t-elle.
Je me retiens de me cogner la tête contre le mur le plus proche. A la place, je me contente de lui sourire gentiment. Bon, peut-être que mon sourire contient un peu d’hypocrisie…
-Non, je ne suis pas amoureuse. Regarde, je l’ai marqué ici…
Elle éclate de rire, comme si je venais de lui raconter une bonne blague.
-Tu sais que ce n’est pas bien, de mentir ?
-Mais je ne mens pas !
-Quand les poules auront des dents ! dit-elle en continuant de s’esclaffer. Excuse-moi, mais quand tu décris ses habitudes comme ça, et surtout lorsque ça prend un bon paragraphe, ça peut laisser quelques doutes !
Je sens que je vais rougir… Je tourne précipitamment le dos à Caroline, juste à temps, avant qu’un incendie ne se déclare au niveau de mes joues.
- Évaline ? Ça va ?
Une fois que mes joues ont repris une teinte normale, je me retourne vers elle et lui adresse un petit sourire.
-Donc, tu vas nier le fait que tu es a…
-Chut ! je m’exclame en plaquant ma main sur sa bouche. Arrête de crier !
Caroline enlève mes mains. Son sourire éclatant est toujours là.
-Crois-moi, la sincérité vaut toujours mieux qu’un mensonge.
Je la foudroie du regard.
-Mais je ne mens pas !
Même si mes joues prouvent le contraire.
-Ah bon ?
-Non !
A mon plus grand désarroi, ma voix a flanché. Et Caroline l’a bien remarqué…
-Tu vas vite me rectifier ça ! Tout de suite ! Je veux te voir modifier tes mots.
En grommelant, j’attrape un stylo et raille quelques mots sur ma feuille. Puis, j’attends l’inspiration. Qui ne vient pas.
Je me tourne vers Caroline, qui m’observe d’un œil critique.
-Qu’est-ce-que tu attends ?
Nerveuse, je tourne et retourne plusieurs fois le stylo dans mes mains.
-J’ai besoin d’être seule pour écrire, j’explique. Sinon… Ça deviendra du grand n’importe quoi…
Contrairement à Aimée, Caroline est maîtresse dans l’art de faire des clins d’œil. Celui qu’elle m’adresse est digne des actrices de cinéma.
-Très bien. Mais on en reparlera, dit-elle d’un ton faussement menaçant, qui m’aurait fait éclater de rire dans une autre situation. Tu sais, j’ai toujours pensé que les contraires s’attirent. Adrian est brun aux yeux noirs et toi, Évaline, tu peux rivaliser avec le soleil, avec tes cheveux blonds et tes yeux bleus.
~               ~               ~
-Qu’est-ce-que tu écris ? me demande Pauline en se jetant sur mon lit avec une absence totale de grâce.
Je retourne vivement la feuille sur laquelle j’écrivais et me retourne pour foudroyer ma jumelle du regard. Je suis toujours étonnée par son manque de discrétion.
-Absolument rien, je réplique. Juste un devoir de maths.
Allongée sur mon lit, Pauline lève une jambe, ce qui signifie pour elle qu’elle ne croit pas un mot de ce que je lui dis.
-Tu te fais une omelette ?
-Quand est-ce-que tu arrêteras avec tes omelettes ?
-Quand est-ce-que tu décideras de te confier à moi ? Pourquoi est-ce-que tu es la plus réservée de nous deux ? Moi, je te dis tout !
Je fixe le sol de ma chambre, pesant le pour et le contre. En face de moi, Pauline lève sa deuxième jambe : elle attend une réponse.
-C’est OK, je soupire enfin. Seulement, tu dois me promettre que tu ne répèteras à  personne ce que je vais te dire, compris ?
Ma jumelle s’assoit sur mon lit et se rapproche de moi. Je peux presque imaginer la bave qui coule sur son menton. Une vraie commère.
-Je me suis disputée avec Aimée.
Pauline écarquille les yeux et me dévisage comme si je venais de me métamorphoser en caillou.
-Non… Sérieux ?
Je me pince les lèvres. Ça me coûte de l’avouer.
-Tu veux dire que… Vous vous êtes criées dessus ? Et… et vous vous êtes frappées ? Qui a gagné ? Dis-moi tout !
Je plaque une main sur mon front, dépitée. Je vais finir par faire une dépression, à force.
-Pauline… calme-toi. Si tu me poses tes questions une par une, avec calme, et sans t’agiter dans tous les sens, j’accepte de tout te dire. Sinon, je ne recommencerai plus.
Ma sœur respire un bon coup et s’efforce de se calmer. Elle semble se battre contre sa propre nature…
-Très bien. Je commence : pourquoi vous êtes vous disputées ?
Elle n’aurait pas pu commencer par une autre question ? Pauline semble deviner mes pensées.
-Vu ton air, ce que tu vas dire va être explosif ! Allez, Évaline ! Je suis ta sœur, tu peux me le dire !
-Eh bien… On avait prévu de se voir, mais j’étais occupée par… mon devoir de maths, et j’ai oublié.
Les yeux de Pauline vont bientôt finir par sortir de leurs orbites.
-Seulement pour ça ?
-Aimée est très…susceptible.
Pauline reste silencieuse pendant plus de dix secondes. Un record, pour elle.
-Mais…, balbutie-t-elle. Tu ne t’es jamais disputée avec aucunes de tes amies !
-Je sais…
-Et donc, ce que tu écris, là, c’est une sorte de…lettre d’excuse ?
-C’est ça.
Pauline en reste bouche bée.
-Fais voir ! s’exclame-t-elle une fois qu’elle a retrouvé sa voix. Je pourrai t’aider ! Après tout, je suis la plus mature de nous deux.
-Même pas vrai !
-Bien sûr que si, petite jumelle. Allez, fais-moi voir.
~               ~               ~
Aimée,
Peut-être que tu vas déchirer cette lettre avant même de la lire. Ce n’est pas grave. Je l’ai en plusieurs exemplaires chez moi, et je t’en enverrai autant qu’il en faudra pour que tu acceptes de me parler de nouveau. Et qui dit parler, dit s’expliquer, donc…se réconcilier.
Je suis sincèrement désolée de ne pas être venue.
J’ai honte. Vraiment très honte. Je suis une horrible amie, parce que je fais passer mes priorités avant les tiennes, et que tes tourments devraient être les miens. Notre amitié compte pour moi.
Heureusement, les gens changent. J’essaierai de changer pour notre amitié. Tu m’as donnée des ailes. Je me suis envolée. Et je me suis écrasée. Mais, pour moi, le principal, c’est que je me sois envolée pour effleurer le soleil du bout des doigts.
Je suis désolée pour ta grand-mère. Tu avais besoin de quelqu’un pour t’écouter, et je ne suis pas venue.
S’il te plaît… je te demande de revenir. Je te demande de me considérer comme une amie. Parce que, pour moi, tu resteras ma meilleure amie.
Évaline.
~               ~               ~
-Tu lui présenteras toutes mes condoléances.
Ma mère me passe l’assiette qu’elle vient de laver. Armée de mon torchon, je l’essuie consciencieusement, puis la range à sa place.
-D’accord. Si elle accepte de me reparler un jour.
-Tu sais, Évaline, il y a des choses plus graves, dans la vie. Vous finirez par vous réconcilier. Les vrais amis se réconcilient toujours.
-Oui…
Je n’en suis pas très convaincue. Tandis que j’essuie un couteau, je m’imagine le planter dans ma poitrine. Est-ce-que la douleur sera aussi grande que celle qu’a ressentie Aimée, lorsqu’elle a perdu sa grand-mère ? Sûrement pas. La douleur morale fait toujours plus mal que la douleur physique. Parce que la douleur physique, elle, on peut la soigner. Mais on n’est jamais sûr que la douleur morale parte un jour.
Je soupire. La vie est tellement compliquée.
~               ~               ~
Cher Adrian,
Pour toi, ce ne doit être qu’une lettre parmi tant d’autres, de tes innombrables admiratrices. Mais dis-toi que j’ai passé tellement de nuits blanches à penser à cette lettre, à chacune de ses phrases, que j’en ai perdu le compte. Je prends le risque de t’écrire cette lettre parce que ma meilleure amie me répète souvent qu’il vaut mieux essayer, et ne jamais laisser tomber. D’ailleurs, ma citation préférée est : « Si tu ne te bats pas pour ce que tu veux, ne pleure pas pour ce que tu as perdu ». Mais bon… Tu t’en fiches sûrement. Tu as peut-être déjà jeté cette lettre.
Bref.
Ça fait un peu plus de deux ans que je t’observe. Non, pas quand tu joues au football, mais plutôt lorsque tu lèves la main pour répondre à une question du prof. Lorsque tu ris avec tes amis. Lorsque tu fronces les sourcils, quand tu ne comprends pas quelque chose. Lorsque tu croises les bras pour défier quelqu’un de te contredire. Lorsque tu passes un message à un ami en cours ; tu ne te fais jamais prendre. Je me demande comment tu fais… Moi, ensuite, je suis toujours virée du cours, en histoire-géo.
Bref.
A chaque fois que je t’observe, je me dis que je dois vraiment être pathétique et désespérée. Tu dois sûrement être d’accord avec moi, n’est-ce-pas ? Peut-être que tu n’es qu’une passe, pour moi ? Je ne sais pas.
En tout cas, je suis sûre d’une chose : tu me plais beaucoup. Peut-être que je suis tombée amoureuse de toi… Ou alors, c’est juste une amie qui veut me convaincre de ça, pour s’amuser un peu.
Bref.
Donc, je disais. Ou écrivais. Peu importe. Je suis peut-être tombée amoureuse de toi. Mais, je te rassure, pas au point de t’envoyer un carton avec pleins de petits cœurs dessinés dessus pour la St-Valentin, ou de glousser stupidement quand tu me souris.
Je préfère rester anonyme. Pas pour du mystère, non. Pour que, si cette lettre tombe entre de mauvaises mains, je ne sois la risée du lycée, s’il te plaît.
Bref.
~ E.
~               ~               ~
La lettre se rallonge de plus en plus. Je le fais remarquer à Eurydice, qui m’adresse un sourire rassurant.
-Mais tu ne penses pas que ça le découragera ? je m’inquiète.
-Mais non ! Ça prouve que tu as des choses à dire, que tu es une fille pleine de ressources, d’intelligence…
-Tu flattes mon ego
-A peine.
Un ange passe, durant lequel Eurydice relit ma lettre, ses sourcils froncés témoignant sa concentration. Je savais qu’elle allait me dire, franchement, ce qui restait à corriger dans ma lettre, avant de la passer à Adrian.
-Donc ? j’insiste, une fois ma patience à bout.
-La première  chose qui me saute aux yeux, c’est le « Cher Adrian ». « Adrian » suffit largement.
-Mais je misais tout là-dessus !
Eurydice secoue la tête.
-Je t’explique : le « cher », ça met trop de poids à la lettre. Il pourrait croire que tu te moques de lui. C’est comme si tu mettais : « mon cher et tendre amour, Adrian ».
Rougissante, je détourne le regard. Au moins, Eurydice reste « professionnelle ». Aimée se serait immédiatement moquée de moi, et je ne veux même pas imaginer la réaction de Caroline…
-D’accord, dis-je. Je changerai ça.
Eurydice me fait un bref sourire satisfait et poursuit son diagnostic.
-Les « Bref ». Au secours ! Tu dois me virer ça, immédiatement ! Surtout celui à la fin. Ça fait trop désintéressé.
-Pour cette fois, je suis d’accord avec toi, je soupire. Je n’avais juste pas osé les retirer.
-Retire aussi « Peut-être que tu n’es qu’une passe, pour moi ? Je ne sais pas. ». Il se dira qu’un jour, tu finiras par te lasser de lui, s’il décide de tenter sa chance avec toi.
- Ça m’étonnerait, je marmonne pour moi en rayant les deux phrases sélectionnées par Eurydice.
-On ne sait jamais, Évaline. On ne sait jamais. Maintenant, va lui passer cette lettre, avant que tu ne te dégonfles. Je te conseille son casier.
~               ~               ~
Eurydice avait raison. Ça fait plusieurs minutes que je suis plantée là, comme une débile, à quelques mètres du casier d’Adrian, la lettre à la main. Mon cœur bat la chamade.
J’ai pris le temps de recopier la lettre avec les modifications d’Eurydice en cours de français. Tant pis pour les notes. De toute façon, j’ai toujours été la meilleure dans cette matière.
J’ai les mains moites, et du mal à déglutir. Je le fais ou pas ? Je le fais ou pas ?
Cette question, ce déchirement tourne en boucle dans mon esprit. Je n’arrive pas à prendre une décision.
Pourtant, il faut que je tranche vite. Je sais qu’Adrian prend le temps de dire au revoir à ses amis avant de partir chercher ses affaires dans son casier. Il ne me reste plus beaucoup de temps. J’ai même l’impression d’entendre sa voix grave au fond du couloir
- Évaline ?
Je sursaute violemment, et lâche la lettre. Elle glisse de mes mains moites par le stress et tombe par terre. Je ne la ramasse pas tout de suite. Car celle qui vient de m’interpeler est Aimée.
Elle ramasse la lettre à ma place. Elle l’observe un instant, se tourne vers moi et comprend.
-C’est le grand moment ?
La gorge trop serrée pour parler, je me contente de hocher la tête.
-Alors qu’est-ce-que tu attends ?
-Je…Je ne sais pas, je balbutie.
- Évaline, tu as passé deux mois à perfectionner cette lettre. Qu’est-ce-que tu attends ? Tu veux que je le fasse ?
Aimée fait un pas vers le casier. Je me réveille soudainement et lui agripper le bras.
-C’est à moi de le faire.
Mon amie sourit et se recule pour me laisser le champ libre.
Je crois que mon cœur n’a jamais battu aussi vite… En tremblant, je glisse la lettre dans le casier d’Adrian. Il ne le ferme jamais à clé.
Au moment même où je referme le casier, des pas retentissent dans le couloir. Je m’enfuis en courant, suivie par Aimée.
~               ~               ~
-Il l’a, m’informe Aimée. Il l’a mise dans son sac.
Je déglutis. Mon cœur ne s’est toujours pas calmé. En revanche, je me sentais…libre. Légère. Tout simplement. Et ça fait du bien.
Je me tourne vers mon amie, et lui souris.
-Je l’ai fait.
Elle hoche la tête.
-Tu l’as fait.
Un silence pesant s’installe. Je ne sais pas quoi lui dire. M’excuser ? Lui supplier de me pardonner ?
Finalement, c’est elle qui prend la parole en premier :
- Où va-t-on ?
Je hausse les épaules. Peut importe. Je sais qu’Adrian a la lettre, et qu’Aimée et moi, on va parler. J’aurai aimé faire durer cet instant et ces certitudes pour l’éternité. Car elles repoussent les questions qui commencent déjà à envahir mon esprit, mélangeant amour et amitié.
-Aimée, je suis désolée, je lâche au bout de quelques minutes de silence.
J’ai le regard rivé au sol, mais je sais qu’elle m’observe. Puis, je me rappelle que j’ai dit, dans ma lettre pour elle, que j’allai changer. Et je me rappelle aussi qu’elle n’accepte pas de parler aux personnes qui ne la regardent pas dans les yeux.
Alors, je relève la tête et plante mes yeux bleus dans les siens.
-Je suis désolée, je répète. Pour tout.
Soudain, elle éclate en sanglot et tombe dans mes bras. Je la serre contre moi en répétant : « Je suis désolée… ».
-Elle…me manque, bredouille-t-elle. Je…ne la reverrai jamais. Je ne l’entendrai plus jamais parler, ni rire, ni chanter… Je ne la reverrai jamais… J’ai l’impression de déjà l’oublier ! Pourtant, je veux me souvenir. Toujours.
Aimée recule d’un pas et sèche ses larmes. Puis, sans dire un mot, nous commençons à marcher. Où ? Je ne sais pas.
-Toi aussi, tu es ma meilleure amie, dit Aimée. Et j’aimerai toucher le soleil avec toi.
Elle me sourit. Je lui souris.
~               ~               ~         
Plusieurs jours ont passés depuis ma réconciliation avec Aimée. Et depuis que j’ai déposé la lettre dans le casier d’Adrian.
Là, je suis en cours de français, assise à côté de Caroline. Le prof nous avait demandé de faire une rédaction sur (je cite) « essayer ». Les trois quarts de la classe n’ont pas compris. Je n’en faisais pas parti. Bon, il faut avouer que cette rédaction aurait plus sa place en philosophie…
C’est donc aujourd’hui qu’il nous rend les copies. Mais, comme ce prof est très sadique, à chaque fois qu’il nous rend un devoir noté, il ne peut s’empêcher de faire une remarque dessus, positive ou négative. Inutile de préciser que les trois quarts sont négatives.
- Évaline !
Je me tends. J’essaye de respirer profondément, mais le silence dans la salle n’arrange pas les choses. Ce prof est un vrai phénomène.
-J’ai bien aimé cette phrase « Si on ne se bat pas pour ce que l’on veut, alors il ne faut pas pleurer pour ce qu’on a perdu ». Tu as dix-huit.
Du coin de l’œil, je vois Adrian se redresser brusquement sur sa chaise. Il se tourne vers moi lentement, alors que le prof me rend ma copie.
-Merci, je marmonne, nerveuse.
Une fois que le prof est retourné au tableau, j’échange un regard avec Caroline. Elle me sourit, et sort le plus discrètement possible une feuille de son sac, en surveillant le prof.
Tu t’es fait grillée, je lis. En plus, tu rougis.
Je crois que je vais mourir sous le coup de la honte.
Tu penses que je ne l’ai pas remarqué ? j’écris précipitamment. Je pense que je vais sécher les cours, aujourd’hui.
Lorsqu’elle lit mon message, Caroline fronce les sourcils. Elle se tourne vers moi et secoue lentement la tête négativement. Je lui arrache presque la feuille des mains.
Tu te rends compte ? Il sait  que c’est moi, E. !
Et alors ? C’est génial !
Comment ça, génial ? Je suis sûre qu’il doit être en train de se moquer de moi…
Caroline jette un coup d’œil discret derrière mon épaule.
Non, il te regarde.
Comment il me regarde ?
Elle fait tomber son stylo, puis le ramasse. La bonne vieille méthode.
Avec curiosité.
-Caroline, je peux vous aider ?
Et zut. On s’est fait prendre par le prof.
-Rangez-moi ça immédiatement, ordonne-t-il.
Je déteste me faire remarquer en cours. Surtout lorsque je suis aussi abasourdie que maintenant. Je passe le reste du cours en transe, en n’osant même pas tourner la tête. Caroline prend des notes pour deux. J’ai l’impression d’être en apnée, et à un milliard de kilomètres d’ici.
C’est la sonnerie qui me réveille officiellement. Je range précipitamment mes affaires. J’ai l’impression d’étouffe. Je dois sortir immédiatement d’ici.
- Évaline ?
Oh mon Dieu. Je dois être en train de rêver. Peut-être que je me suis endormie sur la table ? Oh non. Que va dire ma mère ?
Parce que ce n’est pas possible. C’est trop beau (ou horrible ?) pour être vrai. Adrian m’a parlée. A moi ! Il est en face de moi, et attend. Attend quoi ?
Puis, je réalise que je dois répondre. Sinon, Adrian croira que je suis complètement tarée. D’ailleurs, il est peut-être déjà en train de le penser. Il faut que je réponde, et vite.
-Oui ? je réponds donc, avec une voix légèrement plus aigüe.
Oh mon Dieu. Je lui ai parlé. Il m’a interpelée, et je lui ai répondu. Oh mon Dieu. Si je sors vivante de cet endroit, sans partir à l’hôpital pour une crise cardiaque, j’accepterai qu’Aimée porte mes baskets. Même si on ne fait pas la même pointure. Oh mon Dieu. Et je pense que je me convertirai aussi au christianisme.
En face de moi, Adrian m’adresse un petit sourire timide.
Oh mon Dieu. Il m’a sourit ?
Je faillis demander à Caroline, qui rangeait tranquillement ses affaires, d’appeler le SAMU.
-Je me demandais… Est-ce-que tu peux me prêter ta copie, pour ce soir ? Moi, ne je n’ai absolument rien compris, et vu que tu as eu la meilleure note… En plus, j’ai particulièrement aimé la phrase que le prof a citée. Je la trouve très vraie.
Hypnotisée, je le regarde prendre ma copie sur ma table.
-Tu permets ?
Sans attendre ma réponse, il la parcourt rapidement des yeux. Une lueur brillait dans son regard.
-Je… Je te la laisse, si tu veux. Mais tu dois me la rendre demain.
-Bien sûr. Merci !
Un dernier sourire, et il s’évapore. Je baisse les yeux, et remarque que ma table est vide.
- Évaline ! Viens, on doit parler.
Caroline a finit de ranger le reste de mes affaires, tandis que j’analyse, réalise, et assimile ce qu’il vient de se passer.
Mon amie a raison. Je suis grillée.
~               ~               ~
-Au fond, je suis d’accord avec Caroline. C’est une bonne chose pour toi, Évaline. Ça veut dire qu’il s’intéresse à toi.
-Mais bien sûr, j’ironise. Et aujourd’hui, il va me demander de sortir avec lui ! Eurydice, sérieusement… Tu sais aussi bien que moi que, maintenant, je vais devenir la risée du lycée. Est-ce-que tu te rends compte ?
J’allai rouvrir la bouche pour me plaindre de nouveau, lorsqu’Adrian passe le portail du lycée. Au lieu de rejoindre ses amis comme il le faisait tous les jours, il fonce directement sur Eurydice et moi.
Ma respiration se bloque dans ma poitrine lorsqu’il me tend ma copie.
-Tiens, comme je te l’ai promis !
Et il s’évapore. Je baisse les yeux vers ma copie. Une autre feuille est agrafée dessus, plus petite.
-Qu’est-ce-que c’est ? demande Eurydice.
Je range ma copie dans mon sac.
-Je ne sais pas.
Je verrai ça plus tard.
~               ~               ~
Le reste de la journée, Adrian ne m’adresse pas un seul regard. En revanche, il passe beaucoup de mots à ses amis, en cours. Plus que d’habitude. Je commence à avoir peur de la feuille agrafée.
Le soir, Aimée vient chez moi. Je lui fais part de mes inquiétudes, et elle émet les mêmes hypothèses qu’Eurydice et Caroline. Mais ça ne me rassure pas ; au contraire.
Lorsque je monte dans chambre en compagnie de mon amie, Pauline est sur mon lit, en train de lire l’un de mes livres.
-Pauline ! je m’exclame, furieuse.
-Petite jumelle. Tu t’es réconciliée avec Aimée ! Je suis fière de toi !
Ma meilleure amie me jette un regard surpris. Moi, je ne quitte pas ma jumelle des yeux. Depuis quand elle s’invite dans ma chambre, comme ça ?
-Sors ! je lui ordonne.
Connaissant bien ma colère, Pauline s’exécute en emportant le livre avec elle. Je le récupèrerai plus tard, tant pis.
-Allez, lis la lettre d’Adrian ! s’exclame Aimée une fois que ma sœur est partie.
Elle sautille sur place. Je la dévisage comme si elle venait de se transformer en caillou.
-On dirait Caroline ! je marmonne. Et puis t’es beaucoup plus excitée que moi !
Aimée brandit ma copie sous mon nez, me suppliant presque de la lire.
-Tu ne veux pas qu’on fasse d’abord nos devoirs ?
-Non !
~               ~               ~
Évaline,
D’abord, ne panique pas, s’il te plaît. Je ne me moque pas de toi. Et je ne veux pas non plus que tu deviennes la risée du lycée.
En fait, je suis très content de découvrir qui est « E. ». Puisque tu as été honnête avec moi, je vais être honnête avec toi :
Tu m’as immédiatement plu. Dans ta façon d’écrire. Hier, je t’ai observée, et je me suis dit que j’aimerai bien te connaître. Tu as l’air intelligente.
Donc, je te demande si nous pouvions peut-être, toi et moi, devenir amis, et même plus… Pour commencer, nous pouvons manger ensemble à la cafétéria, ce midi ?
J’ai hâte de connaître ta réponse.
Adrian.

Fin


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