Chapitre 21 : Les Flammes du Désespoir

Je tourne les clefs et le grondement du moteur bourdonne à mes oreilles. Mes yeux se ferment d'eux-mêmes et trahissent ma fatigue, après cette longue journée.

Si l'inspiration a été à son comble au cours des quelques heures précédentes, l'inquiétude qui m'a guetté sur tout leur long a été plus fort encore. Ma discussion de la veille avec Mélissa a réussi à me faire à nouveau ronger mes ongles.

Je me redresse violement lorsqu'un klaxon déchire mes tympans ; mes yeux s'écarquillent et je me replace vivement au milieu de la voie routière. Ne manquerait plus que cela ; un accident de voiture. Comme si je n'ai pas suffisamment de soucis ces temps-ci.

Je prends la sortie de l'autoroute qui donne sur mon quartier, les yeux gardés bien ouverts pour prévenir du moindre relâchement de ma part. Je circule entre les pavillons, les mains ancrées sur le volant.

Mais soudain, je fronce les sourcils ; quelle est cette fumée noire qui pointe à l'horizon ?! Horrifiée, toute ma fatigue s'envole subitement et j'appuie sur le champignon. La vitesse soudaine me plaque sur le dossier, mais je n'y prête aucune attention. Mon esprit se fait soudain vide de toute pensée ; je reste uniquement fixée sur ce panache de fumée âcre qui colore le ciel sournoisement. J'accélère davantage, puis pousse brutalement un hurlement en débarquant face à mon logis.

Je dérape sur la voie, ignorant le crissement aigu des roues sur le béton, et bondis hors du véhicule.

Impossible.

Non, ça ne peut pas être vrai.

Je me suis endormie au volant, je suis plongée dans un coma artificiel à l'hôpital. Je pousse un gémissement, vite remplacé par une toux violente à cause de la fumée.

Face à moi, les restes de ma maison précédemment dévorés par les flammes écarlates. J'imagine sans mal l'incendie, et je tombe à genoux tant la douleur me comprime la poitrine. Ne reste que les cendres des meubles, les murs effrités, déchirés et hurlants. Si le feu à cessé, la fumée demeure bien. Les larmes roulent sur mes joues, et mes doigts griffent le sol de cette haine, de cette souffrance intérieure qui me dévore. Les incendies étaient plus que rares à Wattpad, alors c'était impossible ! Les seuls jamais enregistrés étaient les incendies provoqués volontairement...

Mon coeur manque un battement, et mon sang se glace.

Bien sûr.

Les incendies provoqués volontairement. Pourquoi suis je soudain certaine que Mélissa a un rapport avec tout ça ?

Je pousse un hurlement, et les sanglots me prennent soudainement. Pourquoi ?! Pourquoi moi ?!

Je saute soudain sur mes pieds : Flocon !

-Non, non non... je sanglote, recroquevillée sur moi-même et m'avançant à grande peine entre les débris, à la recherche de mon félin. Pitié, pas lui, pas Flocon, s'il vous plaît...

Je lève une main sur mon nez, les poumons dévorés par une puissante brûlure intérieure. Je peine à respirer et à avancer ; les poutres gémissent au dessus de ma tête, tandis que les débris de l'incendie déboulent de part et d'autre. Je balaye des yeux les lieux, peinant à reconnaître l'endroit dans lequel j'ai vécu toute cette année durant. Déjà 1 ans d'écoulé : quoi de mieux que de voir sa vie détruite à cet évènement ?!

J'aperçois soudain une boule de poil étendue derrière un mur écroulé : tous dangers oubliés, je me précipite dans sa direction et attrape l'animal sans réfléchir. Je détale hors des ruines et m'écroule aux côtés de ma voiture, le souffle haché. Je dépose délicatement le félin sur le sol, tremblante, et sanglote de voir son corps ainsi meurtri de brûlure, son poil arraché et noirci. Je le caresse tendrement, me refusant à croire ce que je voie. Il ne peut pas être mort. Non. Pas lui, pas lui, pas lui...

Il tressaute soudain, et mon coeur repart avec lui : le pauvre Flocon lâche une toux rauque et se redresse tant bien que mal. Je pousse un long soupire de soulagement et explose en de lourds sanglots amères. Je tombe assise au sol et m'adosse à la portière de mon véhicule, attrapant mon chat pour l'installer sur mes genoux. Il s'y blottit, tout aussi tremblant que moi.

J'observe mon chez moi, ainsi dévasté. Les larmes roules sur mes joues et gouttent sur mes mains noircies de suie. Je ne pense même pas à ce qu'il va advenir, à présent. Il ne faut pas. Je ne dois pas penser au fait que je n'ai plus rien. Qu'il ne me reste que ma bagnole, mon chat. Mon travail ? Et encore. Si la plupart grimpent aux étages supérieurs, j'ai comme l'impression que je resterai à jamais au dessous de la centaine.

Je sens soudain une vibration et tire mon portable de ma poche avec difficulté. Je ferme les yeux, la mâchoire crispée. J'ai un mauvais pressentiment. Je sais ce que je vais y lire, mais je ne veux pas.

Je finis par rouvrir lentement les paupières, mais à peine les mots s'imposent-ils devant mes yeux que j'éteins vivement l'écran.

Je reste un instant immobile. J'essaie tant bien que mal de chasser l'évidence de mon esprit, mais c'est trop tard. J'ai lu.

Vingt-cinq désabonnés.

Vingt-cinq.

Je lâche un hurlement, long, pitoyable, jusqu'à que l'air me manque. Jusqu'à que mes cordes vocales se brisent, se déchirent. Je sanglote, le cœur brisé, et Flocon se tasse sur mes genoux, impuissant.

-On va rentrer à WhatsApp, je déclare entre deux soubresauts.

Je lâche une toux brusque et répète :

-On va rentrer à WhatsApp, Flocon. Wattpad n'est pas pour nous.

-Alors tu abandonnes, laisse tomber une voix, comme profondément déçue.

Je relève brusquement la tête et écarquille les yeux en apercevant Rivière, qui s'assoit sans bruits à mes côtés.

-Rivière... ?

-Je suis tellement désolée pour ta maison, souffle-t-elle, les larmes aux yeux. Les personnes qui ont fait ça sont cruelles. Mais tu dois...

-Tu ne comprends pas, je la coupe, probablement trop sèche. Wattpad n'est pas pour moi. Il n'est pas pour les gens comme nous, Rivière. J'ai été stupide de croire que la célébrité s'offrirait à moi comme ça, avec un grand sourire. J'ai été tellement idiote ! A quoi ça sert bien de rester ici si il n'y a plus personne pour nous aider ?! J'ai tout perdu, Rivière ! Tout ! Je ne suis même pas capable d'écrire des choses qui plaisent ! Il y a quelques semaines encore Born et moi avions exactement les mêmes chances d'être célèbres, et elle a déjà eu une promotion ! Je suis malheureuse de voir ça, que les gens ne s'intéressent en rien à moi et à mes histoires. Alors oui, j'abandonne, je quitte Wattpad. Mais essaie de me donner une seule bonne raison d'y rester ! Je ne serais jamais célèbre ! Je n'aurais jamais même 100 abonnés, ce qui n'est rien ! RIEN ! Je suis vouée à l'échec !

Ma voix se brise, rauque, et le silence se tasse quelques secondes.

Puis, Rivière se lève, les membres comme lourds, et se détourne. Elle s'en va, sans un regard, et lâche :

-Ok. Comme tu veux. Va-t-en si ça te chante. Je pensai que tu étais différente. Mais apparemment, je me suis trompée.

Ma gorge se serre à ses mots :

-Mais Rivière... ?!

Elle fait brutalement volte-face, les yeux larmoyants, et pointe un doigt accusateur sur moi :

-Je pensai que tu étais différente, Anora ! Et je me suis ENCORE trompée ! Il n'y a donc que ça qui t'intéresse ?! La célébrité ?! Et moi, je n'existe pas ?! Et Brumy ?! Et Plume Noire, et tous les autres qui t'ont aidée, soutenue ?! Ils comptent pour du beurre, c'est ça ?! Tu vois, je pensai que tu étais venue à Wattpad pour trouver des gens qui t'aideraient vraiment ! Qui t'aimeraient à ta juste valeur ! Mais ces gens là, ils ne comptent pas, hein ?!

Je baisse les yeux, rongée par la culpabilité. Rivière dit vrai. A l'origine, c'était bel et bien mes intentions. Qu'en résulte-t-il, à présent ? La quête de richesse et de célébrité m'est montée à la tête. Les larmes roulent sur mes joues et Rivière tombe à nouveau à mes côtés :

-Tu ne seras jamais célèbre, Anora. Pour ça tu as raison. Ni toi ni moi, d'ailleurs. Parce que nous sommes différentes. Parce que quand nous publions des histoires, ça n'est pas pour rechercher une approbation. Nous écrivons, nous posons les mots et laissons les lecteurs venir à nous s'ils en ont envie. Les auteurs célèbres qui ne parlent pas à des milliers de gens sur Wattpad sont rares. Ceux qui écrivent des histoires profondes, tirées de nos expériences, de nos douleurs. Celles qui s'inspirent de nos peines et de nos pensées pour développer des personnages complexes, un sens implicite à l'intrigue. Alors non, nous ne serons jamais célèbres. Mais au moins, nous savons pourquoi nous écrivons. Nous écrivons à l'encre de notre sang, écoulé d'un coeur solidifié d'expériences douloureuses.

Elle plonge un instant son regard dans le mien. Mes sanglots ont cessé.

-Je vais quitter Wattpad, je souffle, coupable.

Elle a un sourire triste et les larmes roulent sur ses joues. La poitrine comprimée de pleurs, elle se penche et m'enserre dans ses bras. Je reste là, blottie dans cette étreinte d'adieux. Wattpad n'est pas pour moi. Et je n'ai pas la force de me battre.

Du moins, pas encore.

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