Chapitre 16 : Conflit

Les jours tombent aussi vite que l'éfilochement des gouttes sur la toiture en plein Automne ; comme à mon habitude, j'enchaîne de longues journées de travail pour les finir sur mon canapé, blottie au creux des coussins avec Flocon.

Le journal de Plume ne tarde pas à sortir et je m'empresse de le lire ; si la fierté s'empresse de me gagner, la célébrité attendue met quant à elle plus de temps à se joindre à la fête. Avec sept abonnés, le nombre de lectures sur mes histoires stagne, tout comme le dynamisme qui occupait autrefois mes journées.

Aujourd'hui, voilà six jours que j'attends ma première page de couverture que devait me livrer Serp. Quelque peu acagée qu'il ne me recontacte pas ou qu'il prenne autant de temps, je prend alors la décision de lui rendre visite : peut être revoir mon visage lui rappelerait qu'il a une commande en attente.
Je roule ainsi quelques minutes, les doigts prit dans de légers tic agacés. Pourquoi faut-il toujours que les choses tournent ainsi ? Ne peut-on donc pas commander une première de couverture et la recevoir dans le délais attendu, sans retards ni même brusque absence de vie pendant six jours ?

Je gare mon véhicule sur le parking et claque la portière d'un geste sec. Je dévale les marches et, rassurée de voir que la foule se fait moins présente en cette heure matinale, déboule dans la ruelle au pas de course. Je repère rapidement la boutique de Serp et m'en vais y frapper férocement le poing. La porte vitrée s'ouvre quelques secondes plus tard, laissant apparaître dans l'entrebâillement le visage perplexe du designer.

-Mme Ellhor ? Pourquoi...

-Ça fait six jours que je patiente ! je le coupe, à bout de nerfs. Et je n'ai aucune nouvelle, aucun signe de vie !

Il hausse un sourcil, un étrange air hautain se dessinant sur son visage :

-Tiens, la voilà ta cover.

Il tira un rouleau de papier rigide pour me le tendre ; dubitative, je le déroule et mon visage se décompose. Il y a là trois chatons totalement disproportionnés aux uns des autres, dont la forêt en arrière plan se compose d'arbres flous. Les personnages ne sont pas respectés et je n'aperçois même pas le titre. Six jours pour faire ça ?

-Serp... je souffle, la mine honteuse de refuser ainsi un travail. Tu ne t'es pas trompé de commande, par hasard ?

Il fronce les sourcils :

-Impossible, tu es ma seule commande. Pourquoi, elle ne te plaît pas ?

-C'est à dire que, je n'imaginai pas vraiment ça comme ça...

Il m'arracha le rouleau des mains, le visage soudain cramoisi :

-Dis le tout de suite, si tu n'aimes pas !

-Mais...

-NON ! En plus tu n'as même pas dit le mot de passe ! Tu déboules, comme ça, et tu te moques de mon travail ! Tu n'as qu'à aller te faire voir !

Tétanisée, je le vois claquer la porte, furieux, et je titube vers l'arrière ; que vient-il de se passer ? Je me secoue, reprenant mes esprits ; mais pour qui se prend-t-il ?!

-Un mot de passe ?! je hurle, la rage me montant peu à peu aux joues. Mais tu te prends pour qui, un professionnel ?! Tu te crois suffisement important pour avoir le droit de refuser tout conseil ou critiques ?! Tu veux que je te dise ? Je n'en veux pas, de ta cover de merde !

Terriblement frustrée et offusquée, je tourne les talons, les poings serrés.

***

Le goût salé des pop-corns picote mon palais dans une agréable sensation de satisfaction. Flocon ronronne sur mon ventre et je garde mes yeux fulminants rivés sur l'émission qui passe sur l'écran du téléviseur.

Pourquoi tout doit être si compliqué ? Pourquoi a-t-il fallu que je tombe sur cette boutique ? Il y a des centaines de magasins qui abritent des designers de cover ; mais non, il a fallu que je tombe sur celui-ci. Celui qui abrite Serp, l'impulsif et collant créateur de fausses covers.

J'écrase les pop-corns au creux de ma main, les dents serrés. Flocon me lêche doucement le doigt, conscient de ma rage intérieure, et je caresse sa truffe d'un geste reconnaissant. Il fallait bien que l'utopie soit brisée à un moment ou un autre.

Mon téléphone émet alors une vibration rauque : je le tire de ma poche et, les yeux écarquillés, voit la notification "deux personnes ont cessé de vous suivre" me narguer de ses petites lettres noires. J'éteins l'appareil, et mes yeux s'embuent de larmes. Décidément, ceci n'est définitivement pas mon jour.

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