Annexe : Ombres d'Aillys

Les Ombres. Elles se dissimulaient dans les recoins les plus obscurs des villages. Mouvantes, ces créatures ne restaient jamais bien longtemps au même endroit. Il était donc aisé de les apercevoir. Surtout au vu de leur nombre. Mais qui en aurait eu envie ? Les yeux vides. La bouche ouverte d'angoisse. Ni bras. Ni jambes. Elles flottaient. Rapides. Fluides. Ces sombres entités fuyaient la lumière, qui brillait par son absence.

Les anciens n'y prêtaient plus attention, tandis que les jeunes les évitaient, tendus en leur présence. Pourtant. Personne ne pouvait les esquiver pour toujours. Toute naissance engendrait la venue d'une Ombre. L'être vivant, condamné à devenir hôte. Les deux. Liés. Pour l'éternité. Elles ne s'éloignaient guère de leur homologue organique, ce qui expliquait leur concentration dans les villages.

Le contact, interdit. De toutes les façons, celles-ci ne se laissaient pas approcher. Elles seules, pouvaient prendre l'initiative. Procéder à l'unité. Lors de la première crise de panique, la créature connexe accourait, disparaissait dans l'hôte. Survenait ensuite une catalepsie. Cette immobilité ne durait que peu de temps, mais rendait vulnérable. Elle s'avérait même fatale selon le contexte. Par mesure préventive, les anciens s'arrangeaient pour la déclencher avant l'émancipation.

Et chacun, redoutait cette unification. Sauf un. Âgé de soixante-quatre lunes et quinze soleils, cet enfant n'éprouvait aucune crainte. La curiosité emportait tout. Il avait, plusieurs fois, essayé de dialoguer avec son ombre. En vain. Elle se cachait. Son expression pouvait changer quelque peu. La bouche plus ou moins ouverte. Les yeux plus ou moins écartés. Mais la différence restait minime.

Malgré le passage du temps. Aucune crise n'était survenue. Vint un moment où les anciens voulurent l'accélérer. Sans succès. L'épreuve d'abandon dans le bois proche : un échec. La même épreuve dans une forêt plus loin : un échec. Un face à face avec une bête sauvage : un échec. La simulation d'une noyade : un échec.

Oui. Cette expérience avait été tentée. Le désespoir rend fou. Bien sûr, une fois que le jeune ne bougeait plus et que l'ombre n'agissait pas, ils s'étaient hâtés de le ranimer. Après cet essai raté, tout le monde abandonna. Restait l'espoir que ce garçon demeure en sureté quand l'heure fatidique surviendrait.

Le cobaye n'en voulait pas à son homologue spectral. Sa colère était tournée vers les anciens. Incompréhensifs. Impatients. Sa déception, vers les jeunes. Passifs. Craintifs. Sa décision, vers la fugue. Il ne pouvait vivre plus longtemps avec de telles valeurs. Un baluchon sur l'épaule, une journée de marche suffit pour atteindre la forêt.

En tant que nomade, trouver des abris et de la nourriture s'avérait difficile. Résister à la nuit froide, décourageant. Mais le pire fut sa rencontre avec une meute de loups. Cette fois, personne pour le secourir. La mort l'attendait peut-être. La crise arriva. Tachycardie. Oppression respiratoire. Tremblements. Catalepsie. Vertige. Trou noir.

Il se réveilla dans une cavité. Aucun souvenir de sa venue : juste les bêtes. Puis plus rien. Son regard traversa l'endroit, aucune trace de son Ombre, jusqu'à s'arrêter sur une écorce auprès de lui. Dessus, il pouvait lire :

Désolé

Pas sortir

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