XXI
Bishop était toujours sous le coup de l'émotion. Il s'avait que le temps n'était pas à ça, mais il ne pouvait pas se sortir l'imagine de son frère de la tête.
S'il avait été amené à le revoir, Bishop l'avait toujours imaginé froid, décidé, à l'image du frère qu'il avait quitté, il y a plus d'un an de ça.
Mais là, il semblait être tout le contraire. Il avait cru déceler dans le regard de Marshall, de la surprise, de la tristesse, un soulagement peut-être, mais aussi, et surtout, de la culpabilité.
Cependant, Bishop rejeta cette idée au fond de lui. D'une part, parce qu'il avait du mal à y croire lui-même, d'autre part parce qu'il avait d'autres soucis en ce moment.
Il courait avec les Auxilium vers les murailles de la ville de Muster. Il leur fallait trouver une faille, un endroit où passer. Mais la tâche semblait totalement impossible.
Aniel, aidée par Daniel, portait le blessé en tentant de ne pas les retarder. Ils n'avaient pas pu se résoudre à laisser Jeliel seul dans le semi-tank, et son état semblait s'être légèrement stabilisé.
- Attendez ! cria-t-elle. Qu'est-ce que c'est là-bas ?
Bishop et Uriel s'arrêtèrent pour scruter l'endroit qu'elle leur indiquait. Au loin, ils voyaient des véhicules foncer tout droit sur eux.
- Des Black Steam ? demanda Uriel.
- Sûrement, rétorqua Bishop. Mais des modèles très anciens dans ce cas...
Une fois qu'ils furent au pied des murailles, le convoi s'arrêta. Des individus armés sortirent des véhicules, et un énorme canon à proton fut déployé.
Là, Bishop reconnut une femme aux bras nus et musclés, tatoués d'encre noire, portant les cheveux rasés si ce n'est une crête de couleur rouge.
- Bellona ! cria-t-il.
L'intéressée leva les yeux vers lui et sembla surprise l'espace d'un instant. Puis, elle hurla des ordres à ses hommes et s'avança vers eux.
- Vous, ici... dit-elle. Qu'est-ce que vous faites là ?
Bishop jeta un regard en direction d'Uriel pour s'assurer qu'il avait son consentement.
- La même chose que vous, je présume, nous allons tenter d'empêcher les agissements de Vollk Ommen.
Bellona les scruta de son regard sombre. Elle semblait les juger du regard.
- Alors ce n'était peut-être pas si stupide de vous avoir laissé vous enfuir...
Puis, elle tourna les talons et leur fit un signe pour qu'ils s'avancent vers le convoi des Rebelles.
A l'aide du canon à proton, ils allaient tenter d'ouvrir une brèche dans la muraille. D'après leurs informations, le mur comportait une légère faille à cet endroit.
- Et s'ils activent la bombe à la moindre attaque ? demanda Aniel, inquiète.
Bellona se tourna vers elle, le regard sévère.
- Est-ce que tu vois une autre solution ?
Aniel ne répondit rien. S'ils avaient eu une autre possibilité, cela ferait bien longtemps qu'ils seraient à l'intérieur des murailles. Pour l'instant, ils n'avaient fait que tourner autour, en tentant d'éviter les Black Steam du côté des portes principales.
- Comment avez-vous appris pour la bombe ? demanda Uriel.
- Nous avons toujours des contacts dans différentes factions. Pristine, la femme qui vous a soigné, une ancienne Parangon, connait quelques purs hauts placés, répondit Bellona.
Bishop reporta son attention sur le canon à proton qui allait très vite être activé. Aniel avait sans doute raison de s'inquiéter. La détonation et l'éventuel trou dans le mur ne passeront pas inaperçus et il fallait s'attendre à la mise en exécution des menaces de Vollk Ommen.
A la droite de Bellona, apparut une femme, grande et élancée. Sa beauté était à couper le souffle, à l'image de celle d'Uriel, délicate et saisissante. Sa peau était d'ébène, et ses yeux noirs étaient taillés en amande. Ses joues étaient creusées, mais son air était doux. Son élégance était indéniable, bien qu'elle portait des vêtements de Rebelles.
- Vollk Ommen ne les fera pas exploser maintenant, dit-elle de sa voix agréable. Elle veut être vue, elle ne laisse rien au hasard. Elle a toujours été très théâtrale, elle a besoin d'une foule, de spectateurs. C'est d'autant plus vrai pour son grand final.
Bishop supposa que cette femme n'était autre que Pristine, l'ancienne Parangon dont lui avait parlé Bellona.
- Dans ce cas, rétorqua Bellona, feu !
Aussitôt, l'activation du canon à proton se fit entendre, puis la détonation, sourde et aigüe.
Sous eux, la terre trembla. Lorsque la fumée fut dissipée, Bishop vit que le mur avait été ébranlé, mais un trou n'avait pas encore été formé.
- Chargez à nouveau le canon, hurla Bellona.
Ses hommes s'exécutèrent et l'arme fit à nouveau un bruit de chargement. Lorsque Bellona en donna à nouveau l'ordre, une nouvelle détonation se fit entendre. Cette fois-ci, il y a eu beaucoup plus de fumée. De nombreux Rebelles n'avaient pas de masques et toussaient, pris dans le nuage de poussière.
Et lorsque le faible vent eut enfin balayé la fumée, ils purent voir un trou béant dans la muraille, assez grand pour laisser passer plusieurs hommes en même temps.
Bellona ne tarda pas à hurler à ses hommes de donner la charge et ils s'engouffrèrent dans l'interstice.
Mais Pristine, toujours à côté d'eux, ne bougea pas. Elle observa Jeliel qui gémissait faiblement de temps à autre.
- Il est gravement blessé, dit-elle. Croyez-vous qu'il soit bien sage de l'amener avec vous ?
Uriel se tourna vers elle, il semblait méfiant. Puis, il observa Jeliel qui peinait grandement à tenir debout.
- Que proposez-vous ? demanda-t-il.
Pristine leva sa fine main en direction de Jeliel et lui caressa doucement le visage. Ses doigts étaient longs, son geste délicat.
- Je prendrai soin de lui. Je me bats rarement. Une vieille habitude des Parangons, je suppose.
Uriel grimaça, mais il savait que c'était le mieux à faire pour Jeliel. Il fit un geste d'acquiescement de la tête et se rapprocha du blessé.
- Je te promets de revenir très vite, lui dit-il.
Jeliel sourit faiblement. Il n'avait plus la force de parler.
Après quoi, ils empruntèrent eux aussi le trou formé par le canon. Une fois à l'intérieur des murailles, ils s'aperçurent qu'ils avaient percé l'enceinte de la ville pour atterrir dans un endroit désert et reculé.
- Par ici, cria Uriel.
Il semblait connaître le chemin et Bishop s'en étonna. Ils le suivirent dans les rues de Muster, de grandes avenues dont le sol était recouvert de verre. La ville était belle et impressionnante. De nombreuses bâtisses de verre se dressaient dans un dessin régulier et parfaitement symétrique, des statues représentant une femme ornaient chaque carrefour. Mais le plus étonnant, c'était que la ville était totalement déserte. Personne n'arpentait les boulevards de la ville de Muster.
- Où sont-ils tous ? demanda Daniel.
- Ils assistent au spectacle, répondit Uriel.
Il les amena devant une immense tour de verre qui arrivait presque au niveau des murailles. Le bâtiment surplombait la ville et était drapé de tissus blancs sur lesquels étaient représentées des fleurs de lis bleus, le symbole des Parangons.
- C'est le Sénat, informa Uriel. C'est d'ici que Vollk Ommen fait ses annonces. Les habitants de la ville sont certainement de l'autre côté, sur la place publique.
Mais alors qu'ils s'apprêtaient à s'approcher du bâtiment, plusieurs filets s'abattirent sur eux. Bishop n'eut pas le temps de réagir, il était entravé par les rets dont les poids étaient bien trop lourds pour qu'il les soulève. Il eut à peine le temps de voir plusieurs hommes s'approcher de lui avant que sa vision ne lui soit ôtée par un masque sur ses yeux.
Il fut balloté et conduit à l'aveugle sur plusieurs mètres. Les Auxilium étaient toujours près de lui, il s'en était assuré. Mais à chaque fois qu'il s'adressait à eux, ils étaient roués de coups pour les dissuader de parler.
Lorsqu'enfin ses yeux furent dégagés, Bishop vit qu'ils étaient dans une salle d'un blanc immaculé, illuminée par des torches qui reposaient sur des socles en verre. L'endroit était immense et vide, à l'exception d'un brasier au centre. Devant lui, il vit un balcon et une silhouette majestueuse se tenant non loin de la rambarde. Là, il comprit que les bruits qu'ils entendaient provenaient de la foule qui devait se trouver juste en dessous d'eux.
Des coups dans son dos l'obligèrent à avancer. Il s'approcha de la silhouette et se rendit compte qu'il s'agissait d'une femme. Elle était particulièrement grande et portait une robe ample dont la traine glissait sur le sol sur plusieurs mètres. Ses manches tout aussi longues ondulaient gracieusement à chacun de ses mouvements. Sa robe blanche semblait danser à chaque coup de brise. Ses cheveux étaient relâchés et d'un blond lumineux, descendant en cascade jusqu'à ses hanches. Ils étaient soigneusement peignés, aucune mèche ne venait troubler sa coupe droite et parfaite.
Lorsqu'elle se tourna légèrement sur le côté pour saluer la foule, Bishop entraperçut son visage. Sa beauté était saisissante, presque irréelle. Elle semblait irradier, elle ne semblait pas humaine.
Bishop ne l'avait jamais vue auparavant, mais il n'eut aucun mal à deviner qu'il s'agissait de Vollk Ommen.
Lorsqu'elle prit la parole, sa voix était puissante, mais aussi incroyablement douce et chantante.
- Mes chers concitoyens, le moment est venu. Nous allons aujourd'hui assister au jour le plus important de notre ère, à une nouvelle genèse. Après nous, viendra le temps où la perfection règnera enfin en maître sur un tout nouveau monde.
Elle fit une pause pour sourire à son public. Aussitôt, la foule l'acclama et scanda son nom d'une seule voix.
Bishop écouta la suite de son discours, presque envouté par le son clair de sa voix. Il s'était toujours demandé pourquoi les Parangons ne suivaient qu'une seule personne sans jamais émettre le moindre désaccord. Il avait d'abord pensé qu'ils étaient tous mus par la peur d'un tyran impitoyable. Mais si cette dernière affirmation était sans doute vraie, il pouvait cependant comprendre à présent que Vollk Ommen avait une aura particulière, quelque chose d'hypnotisant. Chacun de ses mouvements respirait la grâce, et aucun ne semblait superflu. Ses gestes étaient maîtrisés, son regard était d'un bleu froid, mais percutant.
Lorsqu'elle eut fini de haranguer la foule, elle salua ses sujets et des rideaux blancs furent tirés sur le balcon. En bas, les Parangons ne cessaient de l'acclamer.
Elle se tourna vers eux et ne les regarda pas tout de suite. Elle s'avança et s'arrêta à la hauteur de Bishop et d'Uriel. Elle leva légèrement le menton puis son regard se posa enfin sur eux.
Bishop fut parcouru d'un frisson. Ses yeux étaient tranchants, sa beauté froide était soudain devenue glaciale.
- Alors voilà donc ceux qui tentaient de déjouer mes plans.
Sa voix était sévère et incisive, elle avait perdu toute la chaleur qui l'accompagnait lorsqu'elle s'adressait à la foule des Parangons.
- Il y en a d'autres, informa l'un des gardes qui s'étaient emparés d'eux, une équipe a été déployée pour les attraper et cela ne saurait tarder.
- J'espère bien, répondit Vollk Ommen. Rien ne doit venir empêcher notre dessein, pas même le plus petit grain de sable.
Puis, son regard se posa plus longuement sur Uriel. Là, elle fit un pas vers lui et d'un geste élégant, posa sa main sur son menton pour le forcer à lever son visage.
- Je te reconnais, dit-elle. Tu es 564671, le fils Schöne et Klaarheid. Ils étaient tous les deux d'excellents neurologues. Dommage qu'ils portaient en eux des gênes impures. Sans ton anomalie, tu aurais sans doute été assez beau pour nous accompagner dans le bunker.
Après quoi, elle s'éloigna d'eux, accompagnée des mouvements gracieux de sa longue traine qui semblait n'entraver en rien ses pas.
Uriel jeta un regard à Bishop. Ils étaient tous les deux surpris d'avoir entendu Vollk Ommen prononcer le mot « bunker ». Le plan qu'elle avait confié à Shura semblait lacunaire. Vollk Ommen avait omis de mentionner qu'il y avait un bunker pour protéger une certaine partie de la population de l'explosion.
Lorsqu'ils furent soulevés du sol, Bishop comprit qu'ils allaient certainement être tués. D'un geste rapide, il se dégagea de l'homme qui le retenait et l'assona d'un violent coup de crâne. Désarçonné, le garde s'écroula au sol. L'agitation s'empara aussitôt des gardes Parangons. Bishop s'apprêtait à faire de même avec l'homme qui détenait Uriel, mais au même moment, celui qui retenait Daniel émit un petit rire. Il se tourna vers lui et vit que le garde tenait une lame près du cou de Daniel.
Il mit immédiatement fin à son geste et abandonna toute rébellion. Vaincu, il ne broncha pas lorsque le garde qu'il avait mis à terre se releva pour riposter.
Mais soudain, l'homme qui menaçait Daniel s'écroula au sol.
Bishop ne comprit pas tout de suite ce qui était en train de se produire. Mais lorsqu'il vit l'homme qui le détenait s'écrouler à son tour après avoir entendu une détonation, il n'hésita pas à libérer Uriel.
Une fois les Auxilium hors de danger, il vit enfin Bellona et ses hommes déferler dans la grande salle blanche à présent tâchée de sang.
- Où est Vollk Ommen ? demanda Bellona.
- Elle est déjà partie, répondit Uriel. Elle a parlé d'un bunker, elle compte sûrement s'y enfermer durant l'explosion.
- Nous devons la retrouver et la tuer, cracha la chef des Rebelles.
- Non, notre priorité est de désamorcer la bombe. Nous perdrons trop de temps à vouloir retrouver Vollk Ommen, contredit Bishop.
Bellona se tourna vers lui et le jugea du regard.
- Très bien, finit-elle par dire.
Puis, elle sortit de son sac un plan qu'elle étala devant eux.
- Voici plus ou moins le plan des lieux, d'après ce que nous a dit Pristine. Nous avons plusieurs possibilités, les bombes peuvent se trouver dans ce grand hangar – elle désigna une grande salle sur la carte – ou ici, dans ce réseau de souterrains qui passe sous la ville.
- Je ne pense pas que la bombe soit cachée, intervint Uriel.
Bellona lui lança un regard sévère et interrogateur. Elle semblait contrariée par leur manque d'information.
- Vollk Ommen aime le spectacle, le théâtrale, poursuivit Uriel. Cacher les bombes n'est sûrement pas dans ses plans. Je pense plutôt qu'elle voudra les montrer à un maximum de monde. Après tout, elle a attendu que les Black Steam soient aux portes de la ville pour agir.
- D'accord, mais par où commencer dans ce cas ? s'énerva Bellona.
- Je pense avoir trouvé, répondit faiblement Aniel.
Elle regardait fixement en direction du balcon, et tous se tournèrent vers cet endroit. A travers les rideaux blancs, une énorme silhouette venait d'apparaître. Bishop s'empressa de tirer les draps blancs pour dévoiler la scène.
A l'extérieur, une haute tour de verre mobile venait de s'arrêter en plein milieu de la foule des Parangons, sur la grande place publique de la ville. Elle devait mesurer plus de dix-huit mètres et aucun escalier ne menait à la plateforme qui se déployait sur le sommet, en forme de pétales. Là se trouvait un objet cylindrique parsemé d'un enchevêtrement de câbles. Sur chacune des faces, un grand cadran lumineux affichait : 00 : 29 : 02.
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