Dans le noir le plus complet, Marshall était secoué à chaque fois que les roues du véhicule butaient sur un obstacle. Et dans ce désert de métal, les ruines étaient nombreuses. Les mains attachées derrière son dos, il avait du mal à garder l'équilibre. Il n'entendait rien, pas même le bruit du moteur. Il crut que le silence allait le rendre fou.

Mais tout à coup, après des heures de route, le véhicule s'arrêta. Marshall colla son oreille contre l'une des parois, mais il n'entendit que des bribes indéchiffrables de conversation.

Ils étaient sans doute arrivés à Muster. Il devra attendre que le massacre final se termine, que les Black Steam annihilent à nouveau une faction. Puis, viendra son jugement.

Le tribunal de Zeaur était cruel et implacable. La plupart du temps, ils n'avaient pas besoin de preuves pour inculper un accusé, les dires d'un officier de l'armée suffisaient à le condamner à l'exil.

Dans d'autres circonstances, une bagarre n'aurait pas eu de telles conséquences. Mais Marshall savait qu'il était devenu une gêne pour le colonel Warlock. Il voulait se débarrasser de lui depuis que son bras lui avait été arraché.

Sa relation particulière avec Anvil était une faute grave, mais là encore, le colonel ne lui avait pas laissé le bénéfice du doute. Il n'avait plus besoin de Marshall. Peut-être s'était-il rendu compte qu'il était devenu moins obéissant.

Cela faisait maintenant des heures qu'il attendait sans savoir ce qu'il se passait dehors. Il cognait son crâne contre le métal froid. Il ne supportait plus ce noir opaque et oppressant tout autour de lui.

Mais au bout d'un temps qui parut interminable, l'impensable se produisit. Au débat, Marshall pensait que les bruits de grattements contre la porte du fourgon n'étaient qu'une nouvelle hallucination auditive.

Mais lorsque les portières s'ouvrirent et que la lumière lui éblouit les yeux, il sut qu'il ne rêvait pas. Anvil se tenait là, le visage tendu, une arme à la main. A côté de lui, Marshall reconnut Agro et Vidar, deux de ses soldats. Eux aussi étaient lourdement armés de leur exoarmure.

- Dépêche-toi de sortir de là ! lui cria Anvil.

Sans comprendre ce qu'il lui arrivait, Marshall ne se fit pas prier et sortit du fourgon en toute hâte. Là, Anvil lui tendit une arme qu'il saisit, de plus en plus perdu.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi m'avoir libéré ? demanda-t-il, espérant avoir des réponses.

- Nous n'avons pas le temps de t'expliquer, nous devons partir d'ici, répondit laconiquement Anvil.

Maintenant qu'il était dehors, Marshall pouvait mieux se rendre compte de la situation. Tous les véhicules de l'armée des Black Steam étaient arrêtés aux portes de la construction la plus haute que Marshall ait eu l'occasion de voir.

Devant eux se dressait une muraille de plus de dix-huit mètres de haut. Elle était de couleur sable, elle semblait avoir surgi du désert. Les murs étaient lissent, seules quelques meurtrières fendaient la bâtissent à quelques endroits.

Puis, lorsque quelqu'un bouscula Marshall, il baissa les yeux et vit le spectacle au pied de la muraille.

Le chaos régnait. Des ordres étaient hurlés, mais peu d'entre eux étaient respectés. Certains fuyaient dans la direction opposée, désertant l'armée. Ceux qui étaient arrêtés par les soldats étaient abattus sur le champ.

Mais il avait beau regarder tout autour de lui, Marshall ne comprenait pas quelle était la source d'une telle confusion. Il tenta de trouver une réponse dans le regard d'Anvil, mais celui-ci était fermé, crispé et inquiet. Il luit agrippa le bras et le força à courir.

Eux aussi fuyaient la ville de Muster. Par moment, des soldats Black Steam avaient tenté de les arrêter, mais Agro et Vidar avaient riposté. Des tirs fusaient également en leur direction, mais les balles ou les rayons ricochaient sur les exoarmures. Agro et Vidar semblaient le protéger au péril de leur vie, et Marshall n'avait aucune idée de pourquoi.

Ils couraient à en perdre haleine, à travers les véhicules de l'armée, les soldats qui semblaient perdus, les corps des déserteurs qui n'avaient pas eu de chance.

Puis, soudainement, Marshall se figea. Lorsqu'Anvil s'en rendit compte, il s'arrêta également et lui hurla de ne pas s'arrêter, qu'ils n'avaient pas le temps, que c'était dangereux.

Mais Marshall ne l'entendait pas. Il ne pouvait pas croire ce qu'il venait de voir. Ses yeux devaient à nouveau lui jouer des tours. Et pourtant, tout semblait tellement réel.

A quelques mètres de lui, son frère, Bishop, courait en direction de la ville de Muster, une arme à la main.

Il crut alors qu'il s'agissait de quelqu'un qui lui ressemblait très fort, mais un bruit derrière Marshall attira son attention et il se tourna dans sa direction.

Là, leurs regards se croisèrent. Ça ne pouvait être que lui. Il était bien réel. Il était vivant.

Pendant un long moment, Marshall soutenait le regard de son frère qui semblait tout aussi abasourdi que lui. Autour de lui, les tirs fusaient, mais il n'en avait cure.

Ce fut finalement Anvil qui le tira de sa torpeur. Il lui prit le bras et le força à le regarder. Lorsque Marshall reposa les yeux sur son frère, il continuait sa course vers la ville de Muster sans se retourner.

- Mais qu'est-ce qui te prend, Marshall ? Tu veux nous faire tuer ?!

Anvil semblait vraiment paniqué. Ce qu'il se passait tout autour d'eux devait être réellement grave.

- C'était mon frère...

Surpris, Anvil ouvrit des yeux ronds et observa lui aussi la silhouette à présent lointaine de Bishop qui s'éloignait dans la direction opposée.

- Ton frère ? L'exilé ? s'étonna Anvil. Mais pourquoi court-il vers la ville ? Il ne sait pas ce qui l'attend !

Marshall était revenu à lui. Il prit fermement Anvil par les épaules et planta son regard dans le sien.

- Dis-moi enfin ce qu'il se passe.

Les muscles de la mâchoire d'Anvil se tendirent. Il n'aimait pas rester sur place, ce n'était définitivement pas une bonne idée.

- Très bien, je vais tout t'expliquer, mais pas ici.

Marshall dut s'y résoudre et ils rejoignirent Agro et Vidar. Ils parcoururent encore quelques mètres avant de trouver un abri de fortune derrière un tank abandonné, un peu en retrait de toute la cohue qui régnait.

Agro et Vidar les couvraient tandis qu'Anvil s'agenouilla pour lui parler.

- Nous nous sommes trompés, lourdement trompés, commença-t-il. Assiéger Muster était une très mauvaise idée.

- A cause de la muraille ? demanda Marshall.

Anvil fit un signe de négation de la tête. Puis, il reprit la parole, nerveux.

- Non, la muraille n'aurait été qu'un piètre obstacle. Il y a de ça un peu près une heure, Vollk Ommen est apparue sur un balcon et a parlé. Je n'ai pas tout entendu, mais il était question de bombe. Au début, l'armée a pris cela à la légère. Et là, elle nous a montré. Marshall, elle possède une bombe nucléaire. Comme celle qui a détruit notre monde il y a cinquante ans. J'ai profité de la confusion générale pour te délivrer à l'aide de tes soldats. Marshall, nous devons absolument partir d'ici le plus vite possible...

Les informations arrivèrent douloureusement à Marshall.

- Mais si les Black Steam n'attaquent pas, est-ce que nous avons une raison de craindre la bombe ?

Soudain, le visage d'Anvil sembla triste. Il planta ses yeux dans ceux de Marshall et se pinça les lèvres. Puis, d'un geste lent, il passa sa main contre le visage de Marshall.

- Vollk Ommen veut les faire exploser quoiqu'il arrive. Elle veut tout recommencer à zéro. Elle veut tous nous tuer.

Marshall déglutit avec peine. Il réalisa alors que la nouvelle était terrible non pas pour lui, mais parce qu'il ne voulait pas voir Anvil mourir.

Mais alors, il repensa à son frère. Et là, il comprit enfin.

Il s'avança vers Anvil et l'embrassa. Le baiser était fugace, mais il suffit à surprendre Anvil.

Puis, Marshall reprit son arme et se leva. Il savait ce qu'il avait à faire.

Lorsqu'il commença à s'éloigne d'eux, il entendit Anvil lui hurler de revenir. Il lui demandait également ce qu'il était en train de faire, mais Marshall savait qu'il comprenait.

Il ne répondit rien et continua d'avancer vers la ville de Muster. Il allait devoir se sacrifier.