XIX


Bishop dévalait les couloirs à toute allure. Il savait que des soldats de Shura avaient été envoyés à sa poursuite.

Il retrouva les alcôves et hurla aux Auxilium de sortir immédiatement. Uriel sortit le premier, surpris. Mais devant l'expression de Bishop, il comprit aussitôt que l'heure était grave.

Lorsque les trois autres furent également sortis, Bishop n'eut pas le temps de leur fournir des explications. Il fallait qu'ils trouvent un moyen de sortir de là au plus vite.

Ils couraient à présent dans l'artère principale, mais celle-ci fut très vite bouchée par des gardes qui venaient en contresens. Il leur fallait trouver une autre issue.

Cela faisait très peu de temps qu'ils avaient rejoint le peuple de l'est, et par moment, ils n'avaient pas la moindre idée d'où ils étaient. Ils se contentaient de courir et espéraient déboucher ainsi sur une sortie.

Mais leur combat était perdu d'avance. Le peuple de l'est connaissait les souterrains à la perfection et arrivait toujours à les devancer.

Au détour d'un carrefour, ils s'arrêtèrent quelques instants pour reprendre brièvement leur souffle.

- On est fichus, ils finissent toujours pas nous retrouver, s'alarma Jeliel.

- Qu'est-ce qu'il se passe, Bishop ? demanda Aniel, la voix haletante.

Bishop observa leurs visages exténués sous l'effort. Uriel tentait de rester serein pour ne pas alarmer les autres davantage. Aniel avait une expression dure sur son visage, Jeliel était dans la stupéfaction la plus totale. A la faible lueur des torches, les marques blanches sur le visage sombre de Daniel semblaient plus claires encore. Il était livide.

- Ils avaient une bombe. Semblable au Deliverer Plague. Shura l'a donnée aux Parangons pour qu'ils détruisent le monde une fois que les Black Steam marcheront sur leur capitale. Les Parangons et le peuple de l'est veulent détruire une bonne fois pour toutes toute forme d'humanité sur terre.

Bishop condensa ce que lui avait avoué Shura. Là, il vit le visage des Auxilium se décomposer.

- Mais cela n'est pas près d'arriver, n'est-ce pas ? s'inquiéta Jeliel. Les Black Steam ne sont pas aux portes de Muster ?

Bishop grinça des dents et contracta les muscles de sa mâchoire. Jeliel n'était pas bien âgé, il devait avoir seize ans toute au plus. Il n'appréciait pas le fait d'avouer à un adolescent qu'il allait très certainement mourir prochainement s'ils ne faisaient rien.

- Shura m'a parlé de quelques jours.

Soudain, il sentit la main d'Uriel se refermer sur son bras.

- Alors, sortons d'ici au plus vite, dit-il le visage décidé.

Mais malgré le ralliement des Auxilium à la cause, cela ne changeait rien au fait qu'ils étaient pris au piège. Bishop entendait déjà les bruits des pas pressés des gardes.

- Nous devons partir d'ici, dit-il.

Et alors qu'il fit volteface, il sentit que quelque chose venait de lui agripper la jambe. Surpris, il baissa les yeux et tomba nez à nez avec une femme dont la taille était minuscule. Le sommet de sa tête arrivait à hauteur de son genou, mais son visage était bel et bien celui d'une femme adulte.

- Suivez-moi, dit-elle.

Bishop échangea un regard avec Uriel et les autres Auxilium. Ils se demandèrent en silence s'ils devaient lui faire confiance.

Mais au bout de l'un des couloirs du carrefour, les bruits de pas devenaient de plus en plus bruyants, signe que les gardes se rapprochaient à grande vitesse.

- Dépêchez-vous ! s'impatienta la femme.

Sans perdre plus de temps, Uriel prit une décision et suivit la femme, invitant les autres à faire de même. Bishop obtempéra, ils n'avaient aucune autre option.

La femme les conduisit d'abord vers un pan de mur qui était en fait un orifice dérobé. Le trou était très étroit, mais ils parvinrent à s'y glisser. A l'intérieur, il faisait très sombre et ils n'étaient guidés qu'au son de la voix de la femme.

Après de longues minutes de marche dans le noir, ils débouchèrent sur une pièce éclairée par un feu dans un âtre. Lorsque Bishop prit la peine de l'observée, il constat qu'il s'agissait sûrement d'une salle de séjour. Entre les tables très basses et les meubles anormalement petits, Bishop vit plusieurs individus de taille similaire à la femme qui les avait aidés à semer les gardes.

Les autres habitants les regardaient avec stupeur, mais la femme ne s'en souciait pas.

- Que nous voulez-vous ? demanda Bishop.

Mais à ce moment, une nouvelle main lui agrippa le bras. Il se tourna et vit un homme adulte à la taille plus petite encore que la femme le regarder avec des yeux suppliants.

- Sauvez-nous, je vous en supplie.

Surpris, Bishop ne sut quoi répondre. Il vit Uriel poser un genou à terre et prendre la main de l'homme dans la sienne.

- Alors, vous avez fait cela pour nous aider ? dit-il. Si c'est vraiment cela, je vous promets de tout mettre en œuvre pour qu'aucune bombe n'explose plus jamais.

Bishop vit une lueur de soulagement traverser le visage de l'homme. Mais devant eux, la femme qui les avait accompagnés semblait perdre patience.

- Nous devons nous dépêcher si vous voulez avoir une chance de sortir d'ici ! Plus nous attendons, et plus les gardes auront le temps de se poster aux différentes sorties. Bien que je doute qu'ils les connaissent toutes.

Sans se faire prier, Bishop et les autres prirent immédiatement congé de la famille chez laquelle ils avaient atterri.

A nouveau, ils suivirent le pas pressé de la femme à travers un dédale de couloirs secrets. Plusieurs fois, elle leur demanda de s'arrêter et de ne faire aucun bruit. Derrière les murs, les soldats de Shura ne cessaient d'affluer.

- Pourquoi nous avoir aidés ? chuchota Aniel.

- C'est pourtant évidemment, n'est-ce pas ? répondit la femme. Nombreux sont ceux qui ne souhaitent pas que le plan de Shura soit accompli. Il nous a fallu beaucoup de temps, mais nous avons finis par nous accepter tels que nous sommes. De toute façon, je ne pense pas qu'une race d'hommes parfaits ait un jour existé. Je pense qu'il s'agit de mythes véhiculés par ces Parangons, cette femme qui est à leur tête. Ce monde n'est peut-être pas parfait, mais c'est le nôtre et je ne pense pas que nous aurons une nouvelle chance. Maintenant, taisez-vous et avancez.

Aniel ne surenchérit pas. La réponse lui avait suffi.

En pressant le pas à nouveau, ils sentirent enfin un mince courant d'air frais se glisser dans les couloirs sombres. Après quelques mètres, ils virent enfin la sortie. Ils étaient au bord d'une falaise abrupte.

- Il existe un passage, mais il est dangereux, faites attention, prévint la femme.

Elle leur montra un endroit où la paroi de la falaise était un peu plus fine, et le semblant de sentier plus épais, leur permettant ainsi d'y marcher. Mais l'espace était à peine suffisant pour y glisser un pied.

- Dépêchez-vous, et sauvez-nous, leur dit la femme en guise d'adieu.

Puis, elle disparut immédiatement par l'orifice par lequel ils étaient sortis.

Bishop jugea le chemin pendant quelques instants avant d'y poser un pied. Là, il vit quelques morceaux de terres s'écrouler et tomber dans le précipice.

Le passage était dangereux, mais là encore, ils n'avaient pas le choix.

Bishop ouvrit la marche, suivi d'Uriel et de Daniel. Jeliel était très hésitant, mais Aniel le tira par le bras pour le forcer à les suivre.

D'un pas incertain et peu stable par moment, ils franchirent le chemin sinueux.

Non sans mal, ils arrivent enfin, au bout de longues minutes, sur une surface plus plane et plus stable. Devant eux s'étendait le désert. Mais en y regardant de plus près, Bishop reconnut le semi-tank à plusieurs mètres devant eux.

- Nous devons regagner le véhicule, dit-il.

Ils se remirent immédiatement en route. Ils couraient le plus vite qu'ils pouvaient, bien qu'ils étaient déjà totalement épuisés.

A quelques mètres de la voiture, ils virent plusieurs soldats de Shura armés de lances et d'arcs à flèches. Plusieurs furent décochées, mais aucun n'atteignit sa cible.

Ils allaient être plus rapides que les gardes. Ils leur restaient moins de mètres à parcourir pour regagner le véhicule.

Mais Jeliel commençait à montrer de plus en plus de signes de fatigue et ralentissait la course.

- Tiens bon ! On y est presque ! lui hurla Aniel.

Lorsqu'ils regagnèrent enfin le semi-tank, Bishop se hissa à la place du conducteur et alluma le moteur à l'aide des câbles. Il arriva enfin à démarrer le véhicule lorsqu'il entendit Aniel crier :

- Attends ! Jeliel n'est pas encore là !

Le sang de Bishop ne fit qu'un tour. Les soldats étaient bientôt sur eux, ils ne devaient pas perdre de temps. De son parebrise, il voyait Jeliel qui courait avec peine. Il était beaucoup trop loin.

Puis, il le vit tomber à terre. Une flèche venait de lui transpercer la jambe.

Ils devaient partir et l'abandonner. Il entendait déjà les soldats s'attaquer aux chenilles pour tenter de mettre le véhicule hors service.

- Bishop !

Il se tourna et vit Uriel lui tendre une arme. Il comprit aussitôt. Sans perdre plus de temps, il empoigna le fusil et sortit du véhicule, très vite suivi par Uriel.

Là, il se mit à tirer sur les soldats de Shura. Ils ripostaient, mais leurs armes blanches étaient bien faibles par rapport à la technologie des Black Steam.

Plusieurs flèches sifflèrent près de Bishop, mais il se protégeait derrière le semi-tank. Il couvrait Uriel qui courrait vers Jeliel pour l'aider à se relever.

- Uriel ! Dépêche-toi ! Je n'ai presque plus de munitions !

Bishop savait qu'Uriel faisait aussi vite qu'il le pouvait, mais ce n'était pas assez. Le semi-tank était pris d'assaut et les chenilles avaient été endommagées.

Une fois à l'intérieur, Bishop s'écarta et déchargea ses dernières cartouches sur les soldats les plus proches. Son entrainement avec l'armée permettait à tous ses coups d'être mortels.

Lorsqu'il regagna enfin le véhicule, il appuya sur l'accélérateur et pria pour que les chenilles tiennent le coup.

A son plus grand soulagement, le semi-tank démarra en trombe et fonça à toute allure dans le désert, loin des soldats de Shura.

- Comment va le petit ? demanda-t-il.

Uriel inspecta la blessure. Il grimaça. La flèche avait totalement transpercé la chair. Il brisa les extrémités pour que Jeliel puisse poser sa jambe.

- Nous avons laissé presque toutes nos affaires là-bas, répondit-il. Il nous faut trouver des soins.

Jeliel tremblait et regardait Uriel avec des yeux exorbités. Son corps était trempé de sueur et quelques spasmes s'emparaient de lui par intermittence.

Durant tout le trajet, Uriel resta à son chevet. Bishop roulait sans s'arrêter en suivant ses propres traces qu'il avait laissées la veille, soulagé qu'aucune tempête des sables ne soit passée par là.

Au bout d'un jour entier de trajet, ils commençaient enfin à sortir des terres arides de l'est, et la végétation, bien que sèche, refaisait son apparition.

L'état de Jeliel s'était empiré. Ils s'étaient arrêtés près d'un groupement de buissons qu'Uriel avait reconnu comme ayant un effet désinfectant et apaisant.

Uriel, Aniel et Daniel étaient partis cueillir de quoi préparer un remède primaire pour Jeliel.

- Je ne suis pas comme les autres, murmura faiblement Jeliel à l'arrière du véhicule.

Surpris qu'il se soit remis à parler, Bishop se tourna vers lui et observa son visage trempé par la sueur. Sur la commissure de ses lèvres, les cicatrices rosâtres laissées par la marque des Charognards étaient toujours légèrement visibles.

- Daniel lui, il a toujours été très courageux, poursuivit le blessé. Haziel aussi était très brave. Et Aniel, elle est forte et ne se laisse jamais démonter. Haziel s'était trompé. Ce n'était pas lui qui ralentissait le groupe. C'était moi, ça a toujours été moi.

Bishop observa le jeune garçon se tordre de douleur d'un air impuissant. Il avait de la peine pour lui, il avait sans doute vécu d'autres épreuves difficiles avant de le rencontrer.

- D'où est-ce que tu viens, Jeliel ? demanda Bishop.

- Du... du N-Nord.

- Ça explique tes cheveux blonds et tes yeux bleus. On dit que la vie est rude par là-bas. Comment est-ce que tu as rencontré Uriel ?

Bishop tentait de faire oublier à Jeliel sa douleur l'espace d'un instant. Il devait se concentrer sur autre chose et ne pas succomber au désespoir engendré par sa blessure.

- Ma... ma famille a été décimée par le Grand Froid. J-je je me suis retrouvé tout seul. Mais les Auxilium avaient eu vent de notre malheur et sont venus nous aider. Je... je n'avais plus personne alors j'ai suivi Uriel.

Bishop voyait son corps se convulser par moment. Il avait réellement besoin de soins d'urgence.

Uriel ne tarda pas à les rejoindre dans le véhicule. Là, il ouvrit le sac qu'il avait réussi à emporter avec lui et en sortit plusieurs fioles. Il y prépara une mixture faite à base de plantes qu'ils avaient récoltées. Après quoi, il déposa les herbes écrasées sur la blessure de Jeliel qui grimaça sous la pression.

- Uriel, je m'en charge, dit Daniel d'une voix grave. Tu n'as pas dormi depuis que nous nous sommes enfouis. Tu as besoin de te reposer. Je vais rester à son chevet.

- Et moi je vais conduire, surenchérit Aniel. Oui, je sais conduire un semi-tank. Ça m'a servi plus d'une fois. Allez-vous reposer à l'arrière tous les deux.

Bishop voulut d'abord refuser, mais il se rendit compte qu'il était exténué. Il jeta un coup d'œil à Uriel qui semblait avoir le même raisonnement que lui. Puis, il acquiesça et laissa la place du conducteur à Aniel.

L'arrière du véhicule était large, assez pour y tenir à plusieurs avec aisance. Uriel y installa sa veste pour s'y coucher. Bishop l'observa faire avant de s'asseoir près de lui.

- Il va s'en sortir, lui dit-il.

Uriel semblait las. Ses yeux étaient gonflés et ses traits étaient tirés.

- Il le faut, répondit Uriel. Il faut que nous nous en sortions tous.

Bishop se rapprocha un peu plus d'Uriel. A présent épaule contre épaule, Bishop leva sa main et lui caressa la sienne avant d'y entremêler ses doigts.

Uriel n'avait pas ses gants, il les avait retirés pour s'occuper de Jeliel et ne les avait pas remis. Bishop sentait sa peau chaude, douce et rêche à certains endroits.

- Uriel, regarde-moi.

Il s'exécuta. Son regard n'était pas éteint comme autrefois, Bishop avait toujours l'impression de s'y perdre. Il avait eu peur qu'Uriel ne cède à nouveau sous le poids des évènements. Mais cette fois-ci, il semblait plus fort. Quelque chose de décidé brillait dans son regard vairon.

Puis, sans crier gare, Uriel s'approcha du visage de Bishop et déposa ses lèvres contre les siennes dans un baiser fugace.

- Je ne pourrais pas si tu ne n'étais pas là.

Un frisson parcourut l'échine de Bishop. Il ne savait pas s'il appréciait ce rôle que lui attribuait Uriel, mais il ne pouvait nier ne plus le détester. Par moment, il s'était mis à croire qu'il pourrait peut-être être cet homme sur qui il pouvait compter.

Mais s'il était là aujourd'hui, à vouloir sauver ce monde qui ne lui avait jamais rien apporté jusqu'il y a peu, il en connaissait la cause.

- Moi non plus, Uriel.

Puis, épuisés, ils trouvèrent tous deux le sommeil sans même s'en apercevoir.

C'est la voix d'Aniel qui réveilla Bishop. Elle venait de crier qu'ils étaient arrivés. Mais il ne comprenait pas pourquoi le véhicule était à l'arrêt.

- Je crois que nous avons un problème, dit-elle.

Bishop se releva aussitôt, parfaitement réveillé à présent. Uriel venait également d'émerger de son sommeil.

Bishop se hissa jusqu'à l'avant pour observer la scène. Ils étaient bel et bien arrivés aux portes de la ville de Muster. Mais ils n'étaient pas les seuls.


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