X


Il les écoutait à peine, tous ces hommes et leurs voix qui se voulaient doucereuses, mais ils savaient qu'il était à présent relégué au rang de simple civile. Marshall ne ressentait plus que de la colère et du dégout. Une fois de plus, il avait atteint les limites de son corps, une fois de plus celui-ci l'avait trahi.

Le colonel Warlock était là, ainsi que le commandant et le capitaine. Ils rôdaient autour du lit de Marshall comme de vieux loups assistant à la mort d'un des leurs. Pourtant, Marshall était vivant, mais il aurait préféré mourir.

- Bien entendu, dans cet état, vous ne pouvez plus remplir les conditions en tant qu'officier de terrain. Nous pourrons vous trouver une place au sein de l'armée qui ne nécessitera pas vos compétences physiques. Que savez-vous faire d'autre ? Avez-vous une certaine aisance avec les chiffres, les lettres peut-être ?

Ils se moquaient de lui, pas directement, de façon insidieuse et fourbe. Ils savaient qu'il était fini, qu'il ne servirait plus à rien.

- Je ne sais rien faire d'autre, répondit sèchement Marshall. Je suis né soldat, je sais seulement me battre.

- Bien, très bien, c'est problématique, mais nous vous trouverons quelque chose.

Lorsqu'ils quittèrent enfin la pièce, Marshall jura à haute voix. Ils n'avaient eu qu'une envie, qu'ils partent, qu'ils le laissent seul entre ces quatre murs blancs, sur son lit d'infirme.

Il tenta de se relever doucement, mais il en était incapable, la douleur était trop forte. Toutefois, il insista, se souciant peu de ses blessures, et s'aida de son bras. Mais il n'y arrivait toujours pas, il ne pouvait se relever à la force d'un seul bras. Alors, il essaya machinalement de s'aider de l'autre, et là, il retomba lourdement contre le matelas à peine plus épais qu'une planche de bois.

A ce moment, le désespoir le gagna. Il venait de perdre son bras gauche, jamais plus il ne pourra se battre, il avait besoin de tous ses membres pour piloter une exoarmure. Ces hommes lui avaient menti, il savait quel destin attendait les infirmes comme lui, incapables de se battre. Malgré les promesses, aucun travail dans l'armée ne lui sera trouvé, et lorsqu'ils se rendront compte qu'il n'est bon à rien, il devra la quitter, une bonne fois pour toutes. Sa chambre, fournie par l'armée, lui sera retirée, l'entrée aux réfectoires lui sera refusée. Il errera dans les rues de Zeaur, comme tous ces démunis qui hantent la ville. Sa vie venait de se terminer avec cette dernière mission, il n'allait plus exister.

Puis, il ne s'en était pas senti capable, mais il s'endormit lourdement, ou perdit connaissance à cause de la douleur, il ne savait pas trop.

Mais son sommeil était léger, et il se réveilla en entendant des bruits de pas. Il ouvrit difficilement les yeux et vit son mécanicien, Anvil, avancer vers sa couche.

- Alors toi aussi tu es venu te moquer de moi ? demanda Marshall avec un rire cynique.

Le mécanicien ne répondit pas tout de suite. Il s'arrêta devant le lit de Marshall et son regard glissa vers son bras manquant.

- Tu m'as rendu l'armure dans un piteux état. J'aurais du mal à retrouver certaines pièces pour la réparer, mais je pense que j'arriverai à la remettre en état.

Un nouveau rire sans joie sorti des lèvres de Marshall.

- L'armure... je vois. Eh bien, j'espère que tu te trouveras vite un pilote capable de s'en servir.

- Qu'est-ce que tu racontes ?

- Au cas où tu ne l'aurais pas déjà remarqué, il me manque un bras. Il m'est impossible de piloter une exoarmure sans ce bras.

A ce moment, les lèvres d'Anvil se fendirent en un sourire énigmatique qui fit frissonner Marshall.

- En fin d'après-midi, tu seras transféré dans mon atelier. Quelqu'un viendra te chercher, j'espère que tu seras prêt.

Puis, il prit appui sur le lit et s'approcha du visage de Marshall, si prêt que ses mèches de cheveux blanches venaient lui frôler la joue.

- Il serait dommage de perdre un aussi bel élément, rajouta le mécanicien.

Après quoi, il tourna les talons et laissa Marshall seul avec ses interrogations.

Et comme promis, en fin d'après-midi, alors que Marshall tentait de se rhabiller malgré la douleur, une femme pénétra sa chambre. Devant elle, elle faisait avancer un fauteuil roulant.

Marshall la regarda d'un mauvais œil, mais lorsqu'il tenta de se mettre debout et de marcher, il comprit qu'il aurait grand besoin de cette chaise.

Une fois installé, ils sortirent du bâtiment aménagé pour les blessés et empruntèrent un long couloir souterrain qui communiquait directement avec les garages. Mais une fois dans les ateliers des mécaniciens, la femme qui le conduisait tourna vers un endroit que Marshall ne connaissait pas.

- L'atelier d'Anvil n'est pas par là, dit-il. Où allons-nous ?

Mais la femme, qui n'avait pas prononcé le moindre mot jusqu'à présent, ne répondit pas. Son visage restait dur et froid et Marshall renonça vite à lui soutirer des informations.

Puis, ils passèrent plusieurs portes dont le niveau de sécurité était élevé, bien trop élevé pour déboucher sur un simple atelier. Marshall ne comprenait toujours pas où est-ce qu'il se rendait.

Lorsque le dernier sas s'ouvrit sur une plus grande salle, Marshall n'en fut que plus perdu. Autour de lui, de nombreux bras mécaniques s'actionnaient dans de grands bruits de circuits automatiques. Des machines semblaient sur le point d'exploser et produisaient des vapeurs noirâtres et des éclats lumineux blancs par intermittence. Une odeur de combustible régnait dans l'air et l'énergie produite par les différents appareils augmentait la pression de la pièce.

Marshall ne l'avait pas vu tout de suite, mais un lit trônait au centre de la pièce, ce qui n'eut pas pour effet de le rassurer.

- Où sommes-nous ? demanda-t-il vainement à la femme.

Mais celle-ci l'abandonna sur sa chaise sans mot dire et repartit comme elle était venue.

Marshall tenta de se lever, mais la douleur le rattrapa très vite et il se résigna à attendre.

Et il ne dut pas patienter bien longtemps avant de reconnaître la voix d'Anvil au loin.

- Pour répondre à ta question, Marshall, nous sommes dans mon atelier. Bien sûr, pas celui que tu connais, mais un autre, qui m'a été gracieusement donné par l'armée pour y pratiquer certaines expériences à l'abri des regards.

Immédiatement, Marshall repensa à la discussion qu'il avait eue avec ses soldats après leur mission de reconnaissance.

Le soldat Longshot lui avait fait part des rumeurs qui couraient à son sujet, comme quoi il tentait de concevoir des humains équipés d'un exosquelette mécanisé, et ce, en se fournissant directement dans la ville, en capturant des êtres dont personne ne se souciait plus. Et au vu de l'atelier dans lequel il se trouvait, il semblait que ces rumeurs soient fondées.

- Alors c'est ici que tu fais toutes ces atrocités ?

Soudain, Anvil apparut de derrière une machine. Son visage était grave et il s'approcha aussitôt de Marshall.

- Ces atrocités ?

- On raconte que tu fais subir de lourdes opérations aux enfants orphelins et aux mendiants dans les rues, que tu tentes de leur implanter des exosquelettes. Je suppose que tu as dû en tuer beaucoup comme ça, non ?

L'expression d'Anvil se rembrunit davantage. Il se tenait à présent debout, face à Marshall.

- Je ne sais pas ce qu'on t'a raconté, mais si je t'ai amené ici c'est pour t'aider, ni plus ni moins. Tu te souviens des bras mécaniques de Madame Istar ? C'est moi qui les ai conçus. Leur conception est très compliquée, je ne peux pas me permettre d'en créer beaucoup. Je dois donc les faire en cachette, pour ne pas que tous les estropiés de la ville en demandent à l'armée. Je pensais simplement que tu méritais d'en avoir toi aussi. Mais bien sûr, je ne te force à rien, Marshall. Si tu n'en veux pas, si je me suis trompé sur ton compte, tu peux t'en aller, je ne te retiens pas.

Anvil avait parlé avec froideur. Marshall ne put s'empêcher de regretter ses paroles. En face de lui, il venait à peine de prendre le temps de l'observer. Le mécanicien portait encore la marque de ses coups et il semblait blessé, pas seulement physiquement.

Marshall baissa les yeux, puis remonta vers le moignon entouré de bandages sur lequel devait normalement se trouver son bras gauche. Anvil venait de lui offrir une chance de reprendre sa place dans l'armée en tant que pilote d'exoarmure, et il l'avait insulté au lieu de lui en être reconnaissant.

- Très bien... répondit faiblement Marshall. Je ne savais pas. Oui, j'accepte le bras mécanique.

Toutefois, l'humeur d'Anvil ne changea pas, et il se contenta de tourner le dos à Marshall et de se rendre vers ses machines pour les derniers réglages.

Marshall fit avancer de lui-même son fauteuil roulant et s'approcha du lit au centre de la pièce. Il jeta un nouveau coup d'œil aux appareils dont il ne connaissait pas l'utilité avec une pointe d'appréhension.

- Tu peux déjà prendre place, lui dit le mécanicien. Je n'en ai plus pour très longtemps.

Faisant tout pour ignorer la douleur, Marshall se leva tant bien que mal et se hissa sur la table de métal qui allait lui servir de lit. Une fois couché, il se sentit soudain plus vulnérable et cette impression ne lui plaisait pas du tout.

Puis, il vit le visage toujours aussi dur d'Anvil apparaître au-dessus de lui. Il venait prendre les dernières mesures. Et lorsqu'il s'apprêta à défaire les bandages, Marshall eut un mouvement de recul.

- Reste tranquille, lui dit Anvil. Si tu ne te laisses pas faire, ça n'en sera que plus pénible. Oui, ce sera douloureux. Il faut rétablir la connexion entre ton système nerveux et le bras mécanique, et ça risque de ne pas te faire du bien.

Mais la douleur importait peu à Marshall, il aurait tout donné pour redevenir apte au combat.

- Je ne crains pas la douleur.

- Je sais, c'est pour ça que cela fait de toi un sujet idéal.

Étrangement, ces mots le blessèrent. Il ne savait pas qu'elles étaient les motivations d'Anvil pour lui venir en aide de la sorte, pour créer un appareil aussi coûteux et difficile à concevoir, mais il espérait que sa résistance à la douleur n'était pas la seule des raisons à cela.

- Anvil... pourquoi est-ce que... tu fais tout ça pour moi ?

Soudain, le mécanicien se stoppa net et fixa le bras meurtri de Marshall.

- Je te l'ai dit, tu es un bon soldat, obéissant et assez stupide pour ne pas s'interroger sur la morale de l'armée. Tu pilotes à la perfection la nouvelle exoarmure, et elle a été conçue sur mesure pour toi.

- Je ne pense pas être un si bon soldat que ça. Et encore moins un bon sergent, je ne suis même pas capable de mener des hommes. Ma dernière mission fut un échec, j'ai mis en danger mes soldats et j'en ai tué un autre. De plus, un grand nombre de Rebelles ont réussi à s'échapper.

Les gestes d'Anvil se firent plus rudes, mais Marshall ne broncha pas face à la douleur.

- Et qu'est-ce que tu attends de moi ? demanda Anvil. Que je te réconforte ? Que je te serve à nouveau de défouloir ?

Marshall détourna les yeux. Il n'était pas particulièrement fier de s'être laissé emporter et d'avoir frappé Anvil. Ses paroles avaient été dures et cruelles, mais cela ne justifiait pas son geste. De plus, au fond de lui-même, Marshall savait pertinemment que les paroles du mécanicien ne l'avaient pas atteint à ce point pour rien. Quelque part, il avait sans doute raison. Respecter les règles était tout ce qu'il avait, tout ce qu'il savait faire. C'était sa façon à lui d'exister. Et si jusqu'ici il avait tué, blessé, mutilé, c'était parce qu'il en avait reçu l'ordre.

Mais aujourd'hui, lorsqu'il s'était réveillé avec un bras en moins, il s'était rendu compte à quel point sa place en ce monde était bancale, et dépendante de si peu de choses. Il avait tout perdu, et Anvil était peut-être en mesure de tout lui redonner.

- Je suis désolé de t'avoir frappé, dit-il faiblement. Je n'aurais pas dû. J'avais peur de perdre la seule chose pour laquelle j'étais bon à cause d'une tentation stupide.

Anvil se figea à nouveau, mais cette fois-ci, il leva les yeux vers Marshall. Son regard avait perdu de sa dureté, il était à présent étrange, presque confus.

- Cette tentation n'a rien de stupide, Marshall. Tu as l'impression d'exister uniquement en tant que soldat, mais ce plaisir que tu as ressenti, cette envie qui a animé ton corps, ça aussi, ça permet de t'assurer que tu es en vie. Et pour la première fois, tu as fait quelque chose parce que tu le voulais vraiment, pas simplement pour respecter un ordre.

Un peu perdu par ce qu'il ressentait, un mélange de gêne et de chaleur, Marshall plongea lui aussi son regard dans celui du mécanicien, sans trop savoir ce qu'il était censé en penser.

- Mais tu l'as dit toi-même, mon obéissance est la seule chose de bien en moi.

Anvil soupira et reprit l'opération du bras.

- Écoute-moi, et tais-toi. Tu n'as pas été assigné à être mon pilote pour rien, c'est moi qui en ai fait la demande. En fait, les rumeurs à mon sujet ne sont pas totalement infondées. L'armée a retrouvé d'anciens documents appartenant à l'Ancien Monde. Il s'agissait de plans pour créer le soldat ultime : des cyborgs, une fusion de l'homme et de la machine. Par le passé, les expériences avaient été un réel succès, et plusieurs de ces nouveaux soldats avaient combattu avec brio. Bien sûr, l'armée a immédiatement voulu faire revivre ces cyborgs, et comme je m'étais fait connaître grâce à mes aptitudes, on m'a confié la mission de faire renaître ces super-soldats. Au début, j'étais très enthousiaste à l'idée et créer quelque chose d'aussi pointu, d'aussi audacieux, c'était un vrai challenge pour moi. Et puis, lorsque les premiers sujets sont arrivés, j'ai compris. En fait, nous n'avons absolument plus la technologie pour ramener à la vie les cyborgs. Tout ce que j'ai réussi à faire, c'est tuer dans d'atroces souffrances. Je voulais tout arrêter, mais l'armée ne voulait rien entendre. Et aujourd'hui, les visages de tous ceux que j'ai tués me hantent encore.

Marshall écoutait, sans trop savoir en quoi cela le concernait. Néanmoins, l'expression interdite et douloureuse d'Anvil le confortait dans l'idée qu'il disait vrai.

- Qu'est-ce que cela a à voir avec moi ? ne put s'empêcher de demander Marshall.

- Je t'ai dit de te taire. Mon pilote de l'époque, un soldat, a finit pas découvrir mes expériences et immédiatement, il m'a jugé, il m'a dit que j'aurais tout simplement dû arrêter tout cela, que j'aurais dû désobéir à l'armée, que j'étais un malade qui voulait jouer avec la vie. Il avait sans doute raison. Toutefois, il n'a pas demandé à changer de mécanicien. Mais à chaque fois que je croisais son regard, je voyais dans ses yeux qu'il me faisait un procès, qu'il n'acceptait pas ce que je faisais. Alors, je ne l'ai plus supporté, je me devais de changer de pilote. Et puis, il y a eu le massacre de Lautern. Beaucoup de soldats ont déserté, beaucoup n'ont pas supporté ce que l'armée leur demandait. Tu t'es trompé lorsque tu as dit que je n'avais jamais vu la guerre. J'étais là, j'ai assisté au massacre. Et je voyais, tous ces soldats qui regrettaient. Puis, j'ai eu vent des exploits d'un jeune soldat qui venait d'être promu sergent. A lui seul, il avait fait plus de victimes que n'importe qui d'autre, et en plus de cela, il avait tiré sur son propre frère, un déserteur. Et lorsque je t'ai vu, lorsque j'ai vu ton expression totalement neutre alors que tu étais recouvert du sang des victimes innocentes, à ce moment, je me suis dit que toi, tu ne risquais pas de me juger pour mes agissements passés.

Marshall écarquilla les yeux, il ne s'était pas du tout attendu à cela. Au fond de lui, il ressentait une douloureuse pointe au cœur. En lui demandant si c'était dans cet atelier qu'il faisait toutes ces atrocités, il avait sûrement prouvé que lui aussi était comme son ancien soldat, bien que ce qu'il avait fait ne lui permettait pas de juger Anvil. Toutefois, il y avait encore un point que Marshall ne comprenait pas.

- Mais pourquoi est-ce que tu m'as amené dans cet endroit, dans cette boutique ? demanda Marshall. Pourquoi est-ce que tu voulais me voir n'être pas un aussi bon soldat que ça ?

Il vit le mécanicien être légèrement surpris par la question. Il ne répondit pas tout de suite, continuant à manipuler la blessure encore ouverte de Marshall.

- Le soldat parfait n'existe pas, je suppose. Même ces cyborgs d'un autre âge, ils restaient conscients, ils restaient humains. Et ce que j'ai fait est mal, n'est-ce pas ? Peu importe si je trouve un pilote qui ne me juge pas, si moi-même je n'arrive pas à accepter ce que j'ai fait. Je voulais sans doute que toi aussi tu me prouves que tu pouvais être humain. Je n'ai peut-être pas besoin de quelqu'un qui soit indifférent, mais plutôt de quelqu'un qui me comprenne.

La douleur dans la poitrine de Marshall s'intensifia. Mais au fond, il ne savait pas s'il s'agissait d'une douleur, ou plutôt d'une sensation plus profonde, plus difficilement identifiable.

A ce moment, il comprit que l'image qu'il avait eue d'Anvil était faussée, et uniquement véhiculée par ce que les autres disaient de lui. Mais ses confessions montraient une facette de sa personnalité que Marshall ne connaissait pas encore, et il savait alors que le mécanicien était plus difficile à cerner que ce qu'il imaginait.

- Désolé, Anvil, mais j'ai bien peur de ne jamais avoir été ce soldat que tu imaginais. Je me souviens qu'après le massacre de Lautern, je me suis rendu dans le désert près de la ville. Je ne sais plus combien de temps est-ce que j'avais marché, mais la nuit était déjà fort avancée lorsque je me suis arrêté. Et là, alors que je me savais seul, je me suis totalement effondré. Aujourd'hui, je donnerai tout pour revoir mon frère vivant, mais je l'ai sans doute conduit à sa mort. Personne ne peut survivre hors des frontières de la ville, seul. Tu sais, je suis un jour tombé par hasard sur des documents concernant l'Ancien Monde. J'y ai lu qu'à l'époque, les gens portaient un nom de famille, qui était commun aux parents, aux sœurs, aux frères. Il n'y a plus rien de similaire de nos jours, mais je pense que c'est contre notre nature que de vouloir s'éloigner de tout ça. Enfin, c'est stupide... Je ne devrais pas te dire tout ça.

Mais à ce moment, Anvil lui sourit. Et pour la première fois, ce sourire n'avait rien d'étrange, rien de dément, il paraissait totalement sincère. Marshall l'observa avec surprise et curiosité, se demandait s'il serait un jour capable de faire de même.

- Bon, maintenant je vais passer aux choses sérieuses, prévint Anvil. C'est là que ça va faire mal.

Et Marshall s'aperçut très vite qu'il n'avait pas menti. L'opération qui suivit fut lourde et douloureuse. Il tint bon jusqu'à ce qu'il sentit le bras mécanique fusionner avec ce qu'il lui restait de chair. Là, il ne put s'empêcher de hurler de douleur, mais il s'efforçait de rester conscient.

Le processus dura plus de deux heures, pendant lesquelles Marshall sentait sa chair, ses muscles, ses os, être chauffés à blanc, limés, taillés pour accueillir le nouveau bras.

Lorsqu'Anvil l'informa enfin que c'était terminé, il s'écroula sur le lit, totalement vidé. Il lui fallut plusieurs longues minutes avant de comprendre à nouveau où il se trouvait, et ce que le mécanicien tentait de lui dire.

- Essaie de bouger tes doigts.

Marshall se tourna vers lui, totalement hagard. Il trouvait déjà impossible le fait de bouger son propre corps fait de chair, alors il s'imaginait mal le faire avec le bras mécanique.

Mais Anvil s'approcha de lui et insista pour qu'il tente de bouger ses doigts. Marshall vit son visage suppliant, et il n'avait pas envie de le décevoir.

Il rassembla ce qu'il lui restait de forces et se concentra sur son nouveau membre. Il dut bien rester de longues minutes à fixer le bras avant de renoncer. Rien n'y faisait, il n'arrivait à rien. Il n'avait même pas l'impression que ce membre métallique faisait partie de lui.

- Je... je n'y arrive pas...

Il réalisa soudain que c'était un échec. Il sentit sa vue se brouiller et compris que des larmes menaçaient de couler de ses yeux. Alors, malgré le mince espoir qu'il avait eu, il n'allait pas redevenir soldat, et tout ce qu'avait fait Anvil n'aura servi à rien. Il n'avait été qu'une perte de temps qui n'avait pas mérité qu'on s'intéresse à lui de la sorte.

- Si je te demande d'essayer de bouger tes doigts, ce n'est pas pour que tu y arrives du premier coup, mais cela va accélérer le processus de reconnaissance. Tout d'abord, il faut que les connexions neuronales se fassent. Je sais que c'est dur, et que ça ne vient pas tout de suite, mais il faut que tu persistes.

Les paroles d'Anvil ressemblaient bien à des encouragements et un faible espoir raviva le cœur de Marshall. Tout n'était peut-être pas perdu.

Il retenta l'exploit, se concentrant comme il le pouvait sur ce membre étranger. Pas le moindre petit doigt ne bougeait, et il luttait contre le désespoir qui recommençait à le ronger. Il sentait qu'il était lui-même convaincu que cela ne pourrait jamais marcher, malgré ce qu'Anvil lui avait dit.

Il essayait, encore et encore, ne voyait pas la moindre progression. Son corps refusait d'intégrer le bras mécanique.

Puis, sa vue se brouilla à nouveau et il enfouit son visage dans sa main.

- Marshall...

Lorsqu'il sentit la main d'Anvil dans ses cheveux, une rage incontrôlable l'envahit.

- JE N'Y ARRIVE PAS !

Il se releva et repoussa le mécanicien. D'un geste sec, il retira toutes les aiguilles qui s'enfonçaient dans sa peau. Il donna un grand coup dans un appareil qui se trouvait non loin de lui, déçu qu'encore une fois, il n'ait pas été à la hauteur.

- Marshall !

Entendre la voix d'Anvil lui était devenu douloureux. Il aurait préféré être seul, que personne ne le voit dans cet état. Il se sentait perdu, totalement désemparé et faible. Il se sentait bien loin de l'homme qu'il prétendait être.

- Marshall, bon sang, écoute-moi !

Il sentit à nouveau les mains d'Anvil sur son visage qui le força à lui faire face. Honteux et toujours en colère, il essayait de détourner le regard, mais le mécanicien se tenait trop près de lui.

- Imbécile, tu as réussi sans même t'en rendre compte !

Totalement abasourdi, Marshall ne réalisa pas tout de suite. Il n'avait rien senti de particulier, pour lui, rien n'avait vraiment changé, toutefois, il vit que son bras mécanique reposa sur son genou, tout comme celui fait de chair. Et entre ses doigts de métal, se tenait encore le tube rattaché à l'aiguille qui se trouvait dans sa peau avant qu'il ne l'arrache.

Sans même le savoir, son moment de rage l'avait instinctivement fait bouger son nouveau membre.

Il l'observa avec la plus grande des surprises, et bougea ses doigts comme si son véritable bras ne l'avait jamais quitté.

Puis, il se mit à rire, et les larmes dans ses yeux s'intensifièrent. Et lorsque l'une d'elles s'échappa le long de sa joue, il vit plus clairement le visage d'Anvil non loin du sien.

A cet instant, son esprit se brouilla, et il s'avança. Il réalisa à peine lorsque ses lèvres se posèrent sur celles d'Anvil, mais pour lui, ce fut comme si ce geste était inévitable.

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