Chapitre X

Je n'avais pas réussi à fermer l'œil de la nuit.
J'étais pourtant dans un grand lit, et je disposais d'un vrai matelas, il ne s'agissait même pas d'un futon, mais j'étais au palais, et cela suffisait pour me filer des insomnies.
J'avais déjà mieux dormi dans la forêt sur un tas de feuilles mortes.

Des coups résonnèrent contre le battant de ma porte peu après le lever du soleil, marquant la fin de mon insomnie.
Ils étaient assez forts pour réveiller une personne endormie, mais ils n'avaient rien de pressant ou d'impérieux. J'envoyai valser les couvertures qui m'avaient été parfaitement inutiles et sortis de mon lit pour me diriger vers la porte.

Une fois le loquet retiré, je l'entrouvris pour découvrir un visage inconnu. Méfiant, je n'écartai pas plus le panneau de bois, de peur de me retrouver face à un ami de mon frère.

- Qui êtes vous... ?

- Je travaille pour son altesse la Princesse Hyorin, elle m'envoie vous dire que vos chevaux ont été récupérés et ramenés aux écuries du palais, et que deux de ses gardes personnels resteront devant la porte de votre chambre à partir de la nuit prochaine.

Le problème des chevaux avait été discuté hier, avant que notre petit trio atypique ne se sépare. Hyorin avait promis de récupérer Cheval et l'étalon blanc, et j'étais heureux de voir qu'elle avait tenu sa parole aussi rapidement.

Quant aux gardes, ma foi, ils me permettraient peut être de fermer l'œil la nuit prochaine.

- Merci, déclarai-je en ouvrant un peu mieux la porte, de peur de paraitre grossier. C'est tout ?

- Non, elle vous demande de la rejoindre dans une heure dans le petit jardin avec votre ami. Je ne sais pas de quel endroit il s'agit, mais elle a dit que vous sauriez.

- Oui, je connais.

Le soldat s'inclina légèrement avant de s'excuser et il s'élança dans le couloir. En le suivant du regard, je vis un autre homme s'éloigner de la porte de Jaehyun et le rejoindre pour quitter les lieux.

Je les regardai marcher un instant avant de refermer le battant et de me diriger vers mon baquet d'eau. Puisque nous avions une heure, autant se rendre un peu plus présentable que la première fois. Hyorin était peut-être embarquée dans la même galère que nous, et je n'étais pas particulièrement friand d'étiquette, mais elle restait une princesse, et une femme digne de respect, alors autant ne pas puer le bouc pour aller la retrouver.

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Une heure plus tard, Jaehyun et moi étions dans le petit jardin où nous avions rencontré mon frère et sa fiancée. Nous attendions cette dernière assis sur un banc sur le côté et mon vieux compagnon regardait le ciel.

Il était resté silencieux jusqu'à présent, mais un léger soupir attira mon attention et il croisa mon regard intrigué.

- Ce palais est tellement grand... expliqua-t-il. Le repas qu'on nous a servi hier soir dans nos chambres aurait pu nourrir la moitié du village, alors qu'ils nous laissent mourir de faim chez nous.

Je ne répondis rien. Il n'y avait rien à répondre, c'était parfaitement immonde et tellement injuste que c'en devenait grotesque.

- Pourtant, ajouta le chef de village, je ne voudrais pas y vivre pour toute la nourriture du monde.

Je tournai la tête vers lui et il fit de même, m'adressant un sourire sans joie.

- Ici, tout le monde est pourri jusqu'à la moelle, et j'ai l'impression que ceux qui ne le sont pas doivent lutter pour survivre. Regarde les domestiques qui se tuent à la tâche pour ne pas attirer la colère de leur précieux souverain, regarde la princesse, condamnée à épouser un homme qu'elle ne peut même pas respecter et à lui faire de grands sourires et de beaux discours. On dirait qu'elle a constamment peur qu'un serpent lui saute à la gorge et qu'elle cherche des moyens de l'amadouer. Je comprends pourquoi Vieille Nun a voulu partir.

Je fixai à nouveau mes pieds en l'entendant parler de ma vieille nourrice. Elle n'avait pas vraiment choisi de quitter le palais, elle y avait été forcée par la reine Jaehee.
Mais au vu de ce qu'elle me racontait parfois lorsque j'étais enfant, je ne pensais pas qu'elle ait particulièrement aimé cet endroit. Vieille Nun était toujours la première à cracher sur le système et sur mon père le roi lorsqu'il était toujours en vie.

- Tu as vécu ici longtemps ? me demanda Jaehyun.

- Je suis né ici, et j'y suis resté jusqu'à mes huit ans.

Il parut tout à coup sincèrement désolé pour moi et il secoua lentement la tête.

- Je suis heureux que tu aies eu Nun avec toi, au moins tu n'as pas trop été corrompu. Elle m'a raconté des choses qui font froid dans le dos sur cet endroit...

- Comme quoi... ?

Lui avait-elle parlé du meurtre de ma mère, ou en tout cas d'une partie de l'histoire ?

Durant le laps de temps que nous avions passé au village, j'avais cru comprendre que Jaehyun et Vieille Nun étaient assez proches, peut être qu'il en savait plus que ce que je pensais.

Il allait répondre mais ses yeux se perdirent derrière moi et le bruit d'une porte qu'on referme me fit me retourner.

- Princesse, salua Jaehyun.

Je fis de même et la laissai s'approcher de nous et se poster juste devant notre banc, les mains sur les hanches. Elle nous regarda à tour de rôle, n'ayant toujours pas dit un mot, puisque lorsqu'elle estima que notre attention était à son maximum, elle se décida à parler :

- Très bien. Nous avons deux semaines. C'est très court pour réussir à monter un argumentaire en béton que mon cher et tendre ne pourra pas démolir avec ses magouilles. Histoire qu'il ne vous arrive pas d'accident en cours de route, mes soldats garderont votre chambre la nuit et veilleront sur vous de loin le jour, mais ça vous le savez déjà. Je me suis engagée et je compte bien vous garder en vie, alors je vous interdis de mourir sans mon autorisation, compris ?

Nous hochâmes tous les deux vivement la tête, un peu impressionnés par l'aura que dégageait la jeune femme. Elle devait être à peine plus âgée que moi, pourtant sa présence imposait le respect. Pas un respect basé sur la peur, comme celui qu'inspirait Jungwoo, mais qu'elle tirait de son évidente force de caractère.
Ce n'était pas la couronne sur sa tête qui faisait cet effet, pas plus que ses bijoux ou son visage parfaitement maquillé, c'était ce qu'elle semblait avoir dans le ventre, et dans les yeux.

Je me sentis tout à coup remotivé et je me surpris même à éprouver un peu de joie au milieu de ce désastre. Travailler avec la princesse ne pouvait s'avérer qu'intéressant pour Jaehyun et moi.

- Bien, puisque c'est clair, passons à la suite. J'ai obtenu une visite en cellule aujourd'hui. Le mieux placé pour nous parler de ses intentions, c'est le garçon lui-même. S'il peut nous donner la moindre piste pour trouver autre chose à montrer au roi que sa parole, ça sera un bon début. Je vous préviens, ça ne va pas être évident. Prouver des intentions ne rime pas à grand-chose, mais je n'ai rien trouvé d'autre à dire sur le moment. Jungwoo jubile probablement en ce moment en observant notre plan foireux, à nous d'en faire un plan potable à défaut de pouvoir le transformer en bon plan.

Nous acquiesçâmes encore une fois comme deux bons petits élèves et Hyorin fit la moue.

- Vous n'êtes pas bien réactifs, si vous comptez juste secouer la tête dès que je dis quelque chose, autant engager des épouvantails.

Elle n'avait pas tort, mais sa remarque me piqua tout de même légèrement au vif.

- Il faudra demander autant d'aide que possible à différents membres du Conseil, expliquai-je en reprenant mon idée de la veille, ainsi ils seront tous au courant de notre accord avec sa majesté.

- J'ai déjà demandé l'autorisation de visiter Chanyeol à l'un d'entre eux, mais tu as raison, il nous faudra continuer sur cette voie pour réduire la marge de manœuvre de Jungwoo et empêcher qu'il nous roule dans la farine.

- La plus grande preuve que nous pourrons apporter, intervint Jaehyun, est la faim qui sévit dans le village. Si je peux dicter une lettre à quelqu'un, je demanderai aux miens de m'envoyer quelque chose qui satisfera le roi.

Hyorin réfléchit une seconde puis lança un grand sourire au vieil homme.

- Ça me parait bien, nous demanderons à un membre du Conseil d'écrire pour vous pour faire d'une pierre deux coups.

Puis la princesse se tourna vers moi et remarqua mon visage sombre et mes yeux baissés. Elle me fixa jusqu'à ce que je lève les yeux, alerté par son silence, et ne croise les siens.

- Qu'est ce qu'il y a Jungkook ?

- Et bien... L'idée est de prouver que les gens au village meurent de faim et que Chanyeol voulait juste les aider à survivre, mais cela revient tout simplement à critiquer le système politique et les surtaxes de la couronne. Jungwoo ne sera pas notre seul ennemi sur ce coup là, personne ne verra d'un bon œil qu'on remue les choses à ce sujet...

Mes deux compagnons restèrent silencieux une minute, puis Jaehyun reprit la parole, hésitant :

- Nous n'avons pas forcément à prouver que ses intentions étaient bonnes, simplement qu'elles n'étaient pas mauvaises. Si nous prouvons qu'il n'avait aucune arme et qu'il ne comptait pas voler quoi que ce soit, cela serait-il suffisant ?

- Ça pourrait contenter le Conseil, admit Hyorin, et si suffisamment de ces vieux shnocks nous suivent, Jungwoo sera bien obligé de reconnaitre que Chanyeol est innocent.

L'intervention de la veille de Hyorin nous permettait de juger le jeune homme en suivant les lois du royaume de la jeune femme, soit un endroit où la capitale n'était pas interdite d'accès au peuple. C'était ce qui nous permettait d'avoir une chance de l'innocenter, car le seul crime du fils de Jaehyun avait été de franchir les remparts, mais cela risquait de ne pas plaire à tous ces fameux shnocks du Conseil qui étaient tous très attachés à leurs règles et leurs traditions.

Rien ne serait décidément facile dans cette affaire.

- Bon, dépêchons nous d'aller voir Chanyeol avant que le Conseil ne change d'avis.

Jaehyun se leva d'un seul coup, pressé de pouvoir retrouver son fils et la princesse posa sur lui un regard triste, puis elle se retourna vers la porte et la désigna d'un mouvement ample du bras.

- Passez devant, un de mes soldats attend derrière la porte pour nous y mener et je pense qu'il est préférable que vous soyiez le premier visage que verra votre fils.

L'homme s'inclina profondément devant la jeune femme qui le regarda ensuite s'éloigner. Je lui emboîtais tout juste le pas lorsqu'elle posa une main sur mon épaule et me regarda le plus sérieusement du monde.

- Jungwoo vous hait, il veut votre mort à tout prix. Pourquoi ?

J'ignorais ce qu'elle avait vu ou entendu mais elle devait passer pas mal de temps avec son futur mari, et elle semblait assez inquiète pour me laisser penser que Jungwoo n'allait pas me laisser m'échapper sans combattre.

- Quand vous le saurez, votre Altesse, je serais ravi que vous m'en fassiez part.

Elle me lâcha et me laissa suivre Jaehyun, l'air peu convaincue.
Mais c'était la vérité. Je ne savais pas ce qui motivait la haine de mon frère à mon égard. Depuis le jour où j'avais été envoyé à la caserne et qu'il m'avait pratiquement maudit, je l'insupportais, mais je n'avais pourtant pas le souvenir d'avoir fait quelque chose de mal...

Peut-être que le fait que je sois un peu plus grand que lui, que les filles des cuisines me tournent autour comme le faisait Chaeyong, que je sois plus doué au maniement du bâton, que sa nourrice s'occupe de moi,... Peut-être que tout ça avait fini par le rendre jaloux.
Ou peut-être que son ignoble mère avait réussi à le retourner complètement contre moi. C'était l'option que je trouvais la plus logique.

Je fis tourner ces questions dans ma tête pendant tout le trajet jusqu'à la prison du palais. Les cellules étaient vides pour la plupart mais, dans le fond, l'une d'elle contenait plusieurs personnes assises, regardant le sol.
Jaehyun devança le soldat en voyant les prisonniers et il attrapa les barreaux à pleines mains.

- Chanyeol !

Je ne sais pas pourquoi, mais en pensant au fils de Jaehyun, j'avais imaginé un garçon de notre âge, à Tae et à moi.

À cause de l'âge du chef de village, ou peut-être parce qu'il avait entrepris un long voyage tout seul vers la capitale, j'avais cru que Chanyeol était un adulte, je ne m'étais même pas posé la question.

Mais lorsque le garçon que nous étions venu tenter de libérer se précipita vers son père pour le prendre dans ses bras à travers les barreaux, Hyorin et moi échangeâmes un regard qui en disait long.

Il devait avoir treize ans, tout au plus.
Et on l'avait condamné à mort.

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