Chapitre 9: Jamari
J'ai un peu cherché Jamari du regard dehors. Je ne sais même pas pourquoi je fais ça. Qu'est-ce que j'espère? La prof nous ouvre la porte de la classe plus tôt. Nos profs le font souvent. Ils savent qu'on ne va pas saccager la pièce, comme des sauvages. C'est aussi plus agréable pour attendre. Je préfère ça de loin. C'est mieux d'être assise à fixer la fenêtre, plutôt qu'essayer de ne pas croiser le regard de quelqu'un, dans le couloir blindé de monde. Je sursaute presque, quand la personne passant devant mon bureau, s'arrête d'avancer, pour dire:
-Hey Amina.
Je me tourne vers la voix grave et joyeuse, dont des tons me sont familiers, d'une autre époque. Des tons qui m'avaient manqué. Je ne peux m'empêcher de sourire à Jamari. Je ne vois son visage que rarement, depuis qu'il s'est arrêté de me parler, au collège. Il a toujours son grand regard en amande sympathique, avec ses longs sourcils super épais, que je lui jalousais. Son sourire reste réchauffant. Avec ses belles lèvres, d'un brun clair, un peu différent du marron médian de son teint. Avec tout ça, il a en plus sa mâchoire maintenant définie. Elle est accompagnée, de sa boucle d'oreille noire pendante, avec l'étoile pointue en croix. Les filles en raffolent, des deux. C'est pas étonnant qu'il ai déjà eu cinq copines. Le truc qui me soulait bien, quand j'entendais parler de son succès, c'est que la boucle d'oreille était mon idée, d'il y a des années. Je sors de ma courte stupeur et lui dis:
-Salut, ça fait longtemps.
-Oui dans le genre "Hello darkness my old friend".
Je ris doucement pour ne pas multiplier les regards curieux. On devrait confisquer les yeux, de certaines personnes. J'observe les presque petites tresses noires, qui couronnent la tête de Jamari, et peuvent retomber sur ses pommettes. Elles sont cool. Il me sert à nouveau son sourire distinctif, et je recommence à l'imiter. Maintenant, mes yeux dévient sur son bras, que je ne vois que brièvement d'habitude. C'est malgré moi. Surtout que les gens ne faisaient qu'en parler, pendant des semaines.
C'est devenu un sujet, parce qu'il l'a fait. Jamari a toujours voulu se faire tatouer à 18 ans et de ce que j'ai entendu, quand ses parents l'ont laissé faire, c'était il y a des mois. Seulement des jours après ses 18 ans, qu'il a fêtés bien avant moi. C'est parce qu'il a un an de plus que moi, et a redoublé une classe. Tout ça a aussi bien fait tripper le proviseur, ce qui m'a un peu fait peur pour Jamari. Mais en tant que joueur de basket doué, c'est un élément important du lycée. En plus il ne cause jamais de problèmes. Le proviseur a dû s'en souvenir, vu qu'il lui a foutu la paix. Jamari remarque mon indiscrétion et demande sur un ton trahissant de l'excitation:
-Tu veux voir?
-Ok.
Il approche son bras et je bouge un peu pour regarder un côté, donc il me dit:
-Tu peux juste prendre mon bras et le tourner hein. Ça va pas les effacer en te tâchant.
Je ris et tourne son bras. Son toucher était électrifiant, mais ensuite c'est presque familier. Pourtant, par rapport à la dernière version de son bras que j'avais touché, il y a des années, celui-ci est musclé et tatoué. Les choses changent tellement. Avant, Jamari avait dessiné plein de fois, ce qu'il voulait sur son bras. Je reconnais quelques dessins d'une certaine façon seulement. Car le style plus professionnel du tatoueur les ont changés. Il y en a quand même quelques-uns identiques aux dessins de Jamari. L'ensemble est vraiment beau en tout cas.
Je connais aussi la plupart des significations. Il y a un papillon qui vole vers le haut de son bras. C'est son évolution en tant que joueur, parce que franchement, il était juste nul au début. Le souvenir me fait rire. Il y a un des derniers dessins que j'ai vus. Un cœur en pièces. Sa première ex date de quand ils étaient un peu jeunes. Malgré ça, elle pourra se vanter d'avoir fini ici, en quelque sorte. C'est sa leçon sur le fait que la vie continue, et va rester "entière". C'est le cas, parce qu'il a d'autres gens là pour lui. C'est ce que je lui avais expliqué en essayant de l'aider, alors que moi-même, je commençais à pourrir de l'intérieur.
J'ai un sourire triste avant de regarder, l'arbre aux branches aussi dispersées que ses racines. Elles sont tatouées d'une façon le rendant presque organique. Ça, c'est parce que sa famille était éparpillée, un peu partout. C'était jusqu'à ce que sa mère et son beau-père le récupèrent, lui et ses sœurs. C'est aussi parce que ce cinglé de Jamari, avait dit qu'un jour qu'il aurait une famille géante. Une équipe. Plus loin sur sa peau, je vois aussi la belle Néfertiti. Il en est amoureux depuis qu'il l'a vu au début de la primaire.
Il y a un bonhomme qui fait un câlin au soleil. C'est le fait d'atteindre son rêve d'intégrer la NBA. Je souris encore. Il avait si mal commencé avec ça qu'il n'osait même pas y penser. Maintenant, il est vraiment bon. Même excellent, de ce que je me suis débrouillée pour voir. Sans trop me mélanger au monde. Je voulais éviter de me faire remarquer, en tant qu'ancienne meilleure amie. L'ancienne pote devenue fan obscure, comme ils auraient pu me cataloguer.
Ce ne serait pas fou à imaginer, avec l'amour que lui donnent les gens. C'est parce qu'en plus d'être aussi sympa qu'un smiley, il leur procure le plaisir, d'être dans le lycée raflant les trophées. J'ai même entendu parler du fait que les recruteurs et évaluateurs, venus voir nos joueurs, l'aient remarqué. Je suppose que le coach, aussi fier qu'une mère paon, n'a pas pu s'empêcher de jacasser. Il est tellement fier de ses joueurs, que je me demande si son moral ne va pas couler, quand il devra prendre sa retraite.
Je finis d'observer les tatouages, puis lâche le bras de Jamari, un peu à contrecœur. Il lève la tête en étirant les lèvres. Avec l'amusement faisant briller ses yeux noirs, il me demande:
-T'as capté pour la majorité d'entre eux non?
Je réponds en souriant un peu:
-Oui.
Il rigole avant de me demander:
-Donc tu vas toujours pas t'en faire un? Même si je te l'offre? Ça tient toujours.
Je ris en expirant doucement et secoue la tête, ce qui l'amuse. Il continue:
-Aller je pourrais convaincre ton père.
-Il t'aimait bien, mais pas à ce point.
Je ris avec lui et il dit:
-Il m'aimera à nouveau, mais encore plus.
On se remet à rigoler quand la prof entre. Il râle si fort que certains élèves pouffent, mais à mon soulagement la prof ne l'a pas remarqué. Il me lance:
-Je t'enverrais un message.
Je hoche la tête.
À la cafeteria, j'observe la sauce trop orange des calamars un peu perplexe. Soudain, mon téléphone vibre, un message. C'est pas Jamari, mais Sebastien, dont je n'avais pas entendu parler depuis hier soir. Il m'a envoyé:
Ça s'est bien passé avec Jamari?
Quand on parle du loup...
Notre joueur de basket star s'assied à ma table vide, avec son plateau. Je prie pour que ses potes ne débarquent pas. Jamari me regarde avec une expression exagérément choquée, me faisant rire. Il me dit en souriant:
-T'as vu ta tête?
-Non, c'est...j'ai eu peur que tes potes arrivent aussi.
-Non, j'ai bien compris que vous...vous matchez pas. Et pour toi, la plupart sont sûrement des connards, parce qu'ils étaient dans ta classe, ta pire année.
-Comment tu sais que c'était la pire?
Après une courte pause qu'il prend pensif, il dit:
-Tu le sens juste.
Il me regarde avec tristesse, avant de continuer:
-Je suis désolé d'avoir été un meilleur pote de merde. Les gens défendent leurs amis. Mais moi, je me suis juste dégonflé, comme une grosse merde.
Je ne peux retenir un rire et l'informe:
-T'aurais pu dire un ballon.
Il rigole puis prend mon jus en disant:
-Je suppose que t'en as pas besoin.
C'est familier. Je tends la main et arrache la bouteille de la sienne. Pendant qu'il rigole, je réponds:
-J'ai besoin de boire aussi.
Imitant ma mère, comme il l'a entendue dire toutes ces années, Jamari me rappelle:
-De l'eau, il y a de l'eau.
On se marre et il ajoute:
-En plus, j'ai besoin de vitamines, moi.
-Ah oui Mr.NBA.
Il rit puis excité comme un enfant, il me dit:
-Tu savais qu'ils sont venus et qu'ils m'ont remarqué? Moi.
Je souris le cœur réchauffé, par son incrédulité, à la fois humble et enfantine. Je lui réponds:
-Oui, il y a plein de gens qui en parlaient.
-Ok, il y avait d'autres joueurs aussi bien sûr. Mais j'ai réussi à faire ça.
-Bien sûr. T'as su évoluer, avec tes débuts...
Je lève les sourcils et on rit. Il me demande:
-Hey euh, c'est sûrement pas mes affaires, mais...Sebastien il te fait chier ou vous...
-Non. On n'a rien.
Avec un regard me renvoyant à ses rares, mais violentes bagarres, Jamari dit:
-Donc ce connard raconte de la merde sur toi.
Un peu paniquée, je réponds:
-Oui, mais il le faisait. Il le fera plus. Il s'est excusé et tout, mais c'est moi qui lui ai dit de pas ramener ça. Avec personne.
Jamari me fixe comme pour chercher un mensonge. Je déteste ça, parce que normalement ça marche. Mais ce n'est pas un mensonge, donc il hoche la tête. Je lui demande:
-Donc s'il te plaît, ne lui dis rien. Fais comme si c'était jamais arrivé.
Il ne répond pas donc j'insiste:
-Jamari.
-Tu veux vraiment que je continue de laisser les gens te faire chier, et s'en sortir? Après des années à rien foutre là-dessus?
-Ça c'est entre toi et toi. Là si tu veux m'aider, laisses les gens oublier ces conneries. Après je pense que ce sera bon. T'es sympa, mais je sais que la plupart des gens sont pas assez bêtes, pour vouloir se prendre la tête avec toi. Donc normalement, ils vont me foutre la paix maintenant. Plus de culpabilité, pouf!
Il ne peut retenir un rire arrondissant ses joues creuses et je l'imite. Il hoche la tête et dit:
-Merci.
Je souris puis il ajoute en sortant son téléphone:
-Je dois te montrer un truc, en fait j'ai des années de trucs à te montrer. Mais on va commencer là.
On a passé presque trop de temps à parler de plein de memes, après qu'il m'ait montré celui d'un "musicien". C'est un gars qui gratte une guitare n'importe comment, puis s'arrête pour crier des: "I love you bitch!", "I ain't never gonna stop loving you...bitch!". C'est tellement insensé, mais on a bien dû le regarder quatre fois, en rigolant comme des malades. Je ne me souciais même plus des regards confus ou curieux autour.
En sortant de la cafeteria, je regarde autour et il me demande:
-Tu cherches le gâteau-démon?
Je rigole en repensant au meme, puis me calme pour dire:
-Non, je cherchais tes amis.
Avec excitation il demande:
-Tu veux rester avec nous?
Peinée et désolée, je secoue la tête. Il dit:
-Oh...
Je lui assure en souriant:
-Mais tu dois retourner les voir. Je vais survivre sans ton aura fantastique.
Il sourit, mais se met ensuite à soupirer, alors je lui propose:
-Tu sais quoi? On peut juste manger ensemble des fois, et tu les rejoins. C'est cool. J'ai plus toujours besoin des gens maintenant.
-Je déteste le fait que tu t'y sois habituée.
-Ça va, des fois c'est utile.
Il hoche la tête et j'hésite, mais m'approche timidement, espérant que notre vieille habitude ne soit pas définitivement morte. Mais il me prend bien dans ses bras, et me serre fort en me faisant rire. J'avais jamais fait ça avec le Grand Jamari. Ça me rappelle un peu les câlins de mes oncles avec sa taille. Cette pensée me fait rire à nouveau, au milieu de son odeur agréable d'ambre épicée. On se lâche et il tapote ma tête en disant:
-Fonds pas!
Je me remets à rire en pensant à un autre meme, puis le pousse pour qu'il s'en aille. Il le fait en me faisant de grands signes d'au revoir, en reculant, sous les regards amusés de certains élèves.
Plus tard, j'envoie en réponse à Sebastien:
Oui c'était super cool on vient de manger
Après un moment, il répond:
Super
À côté, il a mis un émoji avec des confettis qui souffle dans une corne de fête.
J'inspire profondément et souris.
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