Chapitre 7: Le temps du rêve

Après que Sebastien ait conduit un moment, on arrive devant un portail qui s'ouvre. Je regarde la grande maison avant de demander:
-C'est chez toi?

-Ouep.

-C'est grand...

-Pas tant que ça...je sais pas.

-Ma maison, c'est une boîte à chaussures à côté.

Il sourit un peu avant de répondre:
-T'exagères, c'est sûrement juste à cause de notre salon géant. Géant pour rien, en plus. Mes parents ne ramènent pas beaucoup de gens et ma sœur peut plus le faire, depuis qu'elle a fait sa soirée où les gens ont saccagé, la maison.

-Je crois que je me souviens avoir entendu les gens en parler.

Il rit doucement avant de couper le moteur. Je le suis et il ouvre la porte. Effectivement, le salon est grand avec une belle déco gris et blanc. Il y a aussi une table à manger dont la forme ronde me rappelle la mienne. Même si celle-là a l'air plus proche du marbre et est immense. C'est plus celle là qu'on prendrait pour un remake du roi Arthur. Les grandes fenêtres donnent un aperçu sur beaucoup de la verdure du jardin. Je me demande comment il est. J'ai toujours voulu avoir un grand jardin, plus grand que le petit que l'on a. Malgré tout ça et l'air "aesthetic" de sa maison, je préfère la mienne. Ici, tout ressemble à une photo que tu ne veux pas déranger. Je me demande même s'ils y mettent les pieds, vu comme c'est super rangé. Dans le genre visite immobilière. Sebastien me demande amusé:
-On monte?

-Ah oui, désolé.

-Pas de problème.

Je m'arrête et lui demande:
-Ah mince, et pour les chaussures? Ça c...

-C'est comme tu veux. Parfois, on est obligés de monter avec si on fait un truc ou d'autres choses, du coup c'est pareil. Du moment que c'est pas boueux...

Je hoche la tête et le suis à l'étage. Des deux côtés du long couloir, il y a des portes, beaucoup selon moi. Cet endroit, c'est un château ou quoi? Il s'arrête devant une porte qu'il ouvre en disant:
-C'est un peu le bordel.

La chambre derrière la porte n'est pas géante, ça a l'air plus réaliste. Comme dans ma chambre, le lit est défait. Ça, c'est au grand dam de ma mère et ses attentes irréelles. Je tourne la tête et il y a une bonne pile de vêtements dépassant d'un panier. Il y en a aussi sur le lit d'ailleurs. Sur le bureau, je repère un paquet de chips ouvert et deux bouteilles de soda, probablement tièdes, que je prends en pitié.

Il y a beaucoup d'étagères sur les murs, avec tout un tas de trucs différents, des médailles aussi. Sûrement de gymnastique. Je me souviens encore du choc disproportionné des gens, quand il a arrêté, ils le voyaient vraiment aux JO on dirait. Je dois quand même avouer qu'une des seules fois où j'ai pu le voir, voler dans les airs, ce n'était pas rien. Je ne sais pas trop pourquoi ça me fait sourire. Heureusement il ne peut pas me voir derrière moi. Je me tourne et lui demande:
-Ça pourrait être pire comme bordel. Donc tu voulais me montrer quoi? Juste ça?

-Euh je sais pas.

-Il y a plein de trucs que tu fais, contrairement à moi, donc tu dois bien avoir un truc à me montrer, à part ton lit.

Il s'empêche de sourire "discrètement", puis répond:
-Ben vu que tu parles de ce que je fais, enfin faisais...les gens aiment essayer le piano pour s'amuser.

Je ne peux pas m'empêcher de le regarder surprise et excitée. Je me retiens de sourire en demandant :
-T'as un piano?

-Oui, mes parents m'auraient jeté avant de le jeter, même si comme avec la gym j'ai arrêté de jouer, parce que ça m'a gavé. Ils doivent en avoir tellement marre de moi. Le parfait fils japonais qui jette tout.

Je souris un peu et lui dis:
-Ça pourrait être pire, au moins tu te drogues pas...de ce que je sais.

Il rit et sort de la chambre en m'indiquant:
-Viens, c'est là.

On entre dans une pièce avec un piano noir et des sièges aux couleurs chaudes. Il s'assied derrière le piano et demande:
-Tu viens?

Je m'approche, hésite, mais finis par m'asseoir. J'ai l'impression d'être trop proche. Je baisse les yeux et il fait glisser ses doigts sur les touches, comme pour se souvenir. Il hoche la tête et commence à jouer. Il se débrouille pour ne pas déborder sur mon petit côté, même si je me suis poussée. Avec l'accès à moins de la totalité des touches, il arrive à jouer quelque chose de vraiment beau. Ça alterne entre l'acide et la douceur et je commence à sourire. Il termine et en étirant ses lèvres voluptueuses, il me demande:
-C'était pas trop nul?

Je ne compte pas lui jeter des fleurs, mais je réponds en souriant:
-Non, c'était très bien.

-Tu sais jouer?

Je secoue la tête un peu blasée. Il me fait remarquer, amusé:
-Mais t'avais l'air vraiment excitée par le piano.

-J'ai toujours un peu souhaité pouvoir jouer, mais ça a aussi l'air vraiment compliqué. Donc j'ai pensé à la batterie, parce que ça pourrait être plus simple, mais...

Mon sourire meurt et il me questionne du regard. Oh et puis on va être franc. Je reprends:
-Eh bien tout le monde n'est pas blindé ou quelque part sur cette voie. Même si tu peux te payer la classe, si tu peux pas pratiquer chez toi avec l'instrument c'est plus dur. Mais ça va, j'ai fait d'autres choix avec mon argent quand j'en ai eu, donc...

En fait, je crois que je parle trop. Il hoche la tête et dit en se levant:
-Attends j'arrive.

Il revient assez rapidement avec des autocollants et une feuille. Sous mon regard confus, il met des autocollants sur les touches. Il a tracé des lignes sur la feuille, où il colle maintenant des stickers de différentes couleurs, mais ils sont comme ceux sur les touches. Il place la feuille sur le pupitre et m'explique:
-Ok donc t'as les lignes avec les autocollants ici sur la feuille, et t'as les mêmes autocollants sur les touches. T'appuies juste sur la touche avec l'autocollant rouge quand tu vois le rouge sur la feuille et le jaune q...

-Compris.

J'inspire un bon coup et essaie. C'est un peu bizarre et ça me rend confuse donc je m'arrête, mais il me dit:
-Continues.

Je le fais et recommence plusieurs fois. Au bout d'un moment, je m'arrête pour lui demander:
-T'en as pas marre?

-Non, t'inquiète, continues.

Je me débrouille pour rester sur la bonne voie, en suivant les autocollants sur les lignes. Je suis aussi stressée par la pression pour continuer d'appuyer sur les touches, ça doit sûrement aussi me pousser. Soudain, je me rate et ne peux retenir un:
-Ah!

Sebastien applaudit en rigolant puis dit:
-Tu t'en es bien sortie.

-Merci, sûrement pour un niveau d'enfant de 3 ans.

-4, mais on commence tous quelque part.

Je souffle. Les yeux, en forme de plume pointue et volante de Sebastien, s'affinent encore plus avec ses lèvres qui s'étirent. Je réponds à son expression par:
-J'en ai un peu marre du piano.

Il sort de notre banc en disant:
-Ok viens.

Dans sa chambre, il s'assied sur son lit et je lui lance un regard, à la "qu'est-ce que ta putain d'imagination tente de réaliser?". Ça le fait rire et il m'assure:
-Je te jure que je veux juste parler.

-De quoi, hein?

-Toi.

Je fronce les sourcils puis réplique:
-Pour que tu puisses balancer tout ce que je te dis aux gens?

-Je le ferais pas, juré.

-T'as juré pour mon endroit aussi. Et je vais devoir attendre que l'on retourne en cours, pour savoir si j'aurais dû te faire confiance...

-Si tu me parles de toi, j'essaierais de faire pareil.

-Essayer?

-Ok, je le ferais. Le plus possible.

J'hésite en me tordant les lèvres, puis fais un autre truc stupide, en enlevant mes chaussures et montant sur le lit. Je me mets devant lui, à bonne distance, vu comme ce lit est massif. Il me demande en souriant:
-Tu peux pas te détendre? Je me suis bien comporté jusqu'à maintenant.

-Oui, mais là on est sur un terrain dangereux.

Il rigole puis me dit:
-Donc...je te vois beaucoup lire, quand t'es pas collée à ton tél. Tu lis quoi?

-Ça va t'ennuyer.

-Contrairement à ce que tu peux croire, j'aime apprendre.

Malgré son excellente moyenne, son attitude générale me fait le regarder de façon incrédule. Il insiste:
-Aller partages le savoir.

Je ne peux pas m'empêcher de sourire puis cède:
-Ok donc en ce moment, c'est un livre sur les peuples de l'Océanie. Et là, j'en suis aux aborigènes d'Australie.

-Continues.

-Eh bien je me souviens que leur histoire s'étend sur 65 000 ans.

-Wow.

-Oui, ils ont une des plus vieilles cultures sur Terre. Ils ont Le temps du rêve ou le Rêve, c'est le temps de la création du monde pour eux. Et c'est la base de leurs croyances, de leurs pratiques, et donc leurs traditions aussi. Euh...si je me souviens bien il y a des êtres ancestraux qu'ils appellent Les ancêtres. Eux, ils ont traversé la Terre et formé les paysages, créé les animaux, les plantes, les gens et...

Je fronce les sourcils en tentant de me souvenir des mots du livre, tandis que Sebastien, ça le fait sourire. Je reprends enfin:
-Oh oui. Les ancêtres ont logiquement établi les lois, les traditions et euh...les récits sur Le temps du rêve. Les récits, ils sont un peu comme ceux en Afrique selon moi. Avec la transmission orale. Mais du Temps du rêve, il y a aussi l'art, la danse et les chansons.

L'air intéressé Sebastien émet un:
-Hmmm hmmm.

Du coup, je vais continuer. C'est cool d'en parler avec quelqu'un d'autre que Papa. Justement, ça n'arrive pas très souvent dernièrement, avec son caractère de merde. Je reprends mon transfert d'infos:
-Les tribus aborigènes il y en a pleins, comme les amérindiennes ici. Elles ont chacune leur propre langage, leurs pratiques, et leur version du Temps du rêve. Les versions, elles correspondent à leurs zones géographiques. L'Australie tu connais c'est assez chaotique, mais ils trouvaient et trouvent le moyen d'y survivre. Avec la chasse et la cueillette, parce qu'ils la connaissent depuis des millénaires, c'est ouf...

Il hoche la tête avec un léger sourire puis demande:
-Ils ont quoi comme genre d'art?

-Euh ils peignent les pierres...ils ont des peintures avec beaucoup de points. Des spirales, des lignes en double ou plus...
Il y a les peintures sur l'écorce et celles sur les parois bien sûr. Et ils ont des sculptures aussi. Les peintures, elles sont sur Le temps du rêve, Les ancêtres et des symboles qui représentent la nature.

Sebastien hoche la tête, semble pensif puis sourit dangereusement avant de demander:
-Tu penses que tu peux me peindre? Le visage.

Encore heureux, le visage. Je me mets à pouffer à son idée absurde et il dit en souriant:
-Aller je veux prendre des photos.

-Pour quoi? Insta?

-Non, juste moi.

Je lève un sourcil puis réfléchis. Pourquoi pas à ce point-là? C'est son problème. Je demande:
-T'as de la peinture ou bien?

Il m'accorde un air de golden retriever puis répond:
-Ben à un moment ma sœur essayait de tuer mes parents, à travers leur pression, quand elle a essayé le body painting. Ça a duré que deux jours, mais je suis sûr qu'elle a toujours la peinture.

Je souris toujours à son petit récit. De ce que j'avais aperçu d'Emmie, elle ose beaucoup de choses effectivement. Mais parfois ça peut aussi s'appliquer contre ceux qui l'énervent. Je lui demande justement:
-T'es sûr que tu devrais entrer dans sa chambre?

En levant les épaules, il répond:
-Elle réussira pas à me tuer, et c'est pas faute d'avoir essayé.

Je souris un peu trop pour ne pas rire trop fort et il s'en va. Il finit par revenir avec un tas de couleurs en disant:
-J'ai le trésor.

Eh ben, Emmie était motivée. Il jette tout sur son lit. Sur mon téléphone je cherche les différents symboles des peintures, et leurs significations. Je m'arrête et pense tout haut:
-C'est pas une forme d'appropriation culturelle?

-Je me mets pas en mode détresse émotionnelle, quand je me souviens que des blancs organisent des retraites de Geisha. Donc je pense pas que les aborigènes voudront notre peau, pour un truc qu'on diffusera pas, du moins pas la majorité.

Je soupire puis demande:
-Ça existe vraiment, ton truc de Geisha?

Le regard ailleurs, en une expression comique, il lève ses longs sourcils en disant:
-Oh crois-moi que ça existe.

J'ai du mal à ne pas éclater de rire et il ajoute:
-Et puis de toute façon, qui va nous attraper?

Je pourrais lui exposer tout un tas de scénarios, qui pourraient répondre à sa question. Allant du plus réaliste au plus spirituel. Au lieu de ça, je ris doucement à son air de méchant de fiction.
Je regarde les symboles sur mon téléphone et fronce les sourcils. Je devrais faire trop de recherches, pour avoir leurs significations spirituelles. On va oublier pour un sens sérieux sur son visage. J'ai juste trouvé les formes et ce qu'elles représentent. J'ouvre plusieurs pages où comparer si elles se répètent bien, confirmant leur exactitude.

Je prépare le tout, avec l'eau que Sebastien m'a apportée et les pinceaux. Il s'assied au bout du lit et un peu appréhensive, je m'approche de lui. C'est assez proche de son visage. Si près que j'arrive à voir ses sourcils droits puis légèrement angulaires en détail. Tout comme ses cils qui sont, plus discrets de loin. Je peux aussi suivre les traits de sa bouche, d'un rose tendre. Je regarde vers la peinture que je surmélange pour me calmer. Il me demande:
-Tu peux me raconter d'autres choses sur ton livre?

Je souris et dis:
-Malgré la colonisation, avec les terres volées et trop de gens qui perdent leur culture, il y a beaucoup d'aborigènes qui la préservent.

-Ça donne de l'espoir.

Je me lance et il tressaille en sentant la peinture froide. Je ne peux réprimer un sourire. Il soupire en étirant les lèvres aussi, mais je lui ordonne presque:
-Non, bouges pas les pommettes.

-Ok.

Après quelques secondes, je finis la seconde forme noire sur sa peau pâle. Tout comme l'autre, elle ressemble à des cils tournés. C'est des traces de pas. J'accentue un trait, en tentant de garder mon calme et ne pas partir en criant. C'est à cause de la nervosité qu'il me donne en me fixant comme un cinglé. Bon, j'abuse. Il regarde sûrement aussi parce qu'il s'ennuie, ou que les humains regardent les humains. Heureusement, il rend ça moins bizarre en demandant:
-Et toi? Tu viens à moitié...enfin techniquement tu viens complètement d'Afrique. Mais ton parent qui n'est pas afro-américain, il vient d'où déjà? C'est ton père, non?

-Oui et je suis à moitié sénégalaise.

-Ça a l'air cool.

Je souris amusée et lui demande:
-Tu sais même pas où c'est hein?

Il répond en rigolant:
-En Afrique.

Je ne peux retenir un rire et lui explique:
-Sur la côte ouest, avec la plage et des pirogues. Mais il y a aussi les villes et les campagnes, la brousse tout ça...

-Ça a l'air super. Parfois moi, j'ai l'impression de pas être assez de mon pays, enfin japonais...
Ou pire, je me sens trop japonais. Même si ça m'arrive que rarement maintenant, de me sentir trop japonais.
Même si on dirait pas, je crois. Des fois j'ai sûrement l'air, je sais pas. C'est un peu bordélique tout ça.
C'est facile pour toi d'être à moitié d'une origine et à moitié de l'autre?

-Hmmm. Bizarrement les gens pensent que c'est plus facile que d'être à moitié blanche, mais deux fois deux choses similaires, peuvent former le chaos aussi. Parfois, il y a des disputes sur la religion, qui n'a pas de culture par rapport à l'autre, ce que je devrais porter, apprendre à faire, le fait que je ne parle pas bien wolof...
Le fait que mon père soit trop sénégalais et pas assez américain, ou que ma mère soit pas assez intéressée par certains trucs sénégalais. Ce genre de conneries. Merde. J'aurais pas dû dire tout ça.

Encore, bravo Amina. Une balance professionnelle. Sebastien répond avec un sourire:
-Non, c'est bien. C'est parce que tu me fais confiance que tu me parles.

Je soupire doucement et fais la deuxième vague, cette fois rouge, sur l'arête de son nez. Elles peuvent signifier l'eau ou le sang. C'est un peu comme "le sang est plus épais que l'eau". La famille est plus forte que le reste. Sebastien brise à nouveau le silence en essayant de me rassurer:
-Je répéterais jamais ce que tu m'as dit, juré.

Je souris un peu et il me demande:
-Toi, tu te sens plus américaine, ou afro-américaine, ou bien sénégalaise?

-Je sais pas, les trois. Des fois je me reconnais plus dans l'un que dans les autres, ou dans deux que dans l'un, tout ça. Comme par exemple, quand j'étais petite j'aimais beaucoup l'église, mais j'ai grandi. Il y a des choses qui me plaisaient moins, et j'ai lu le Coran. Je l'aime beaucoup, mais je ne pense pas encore être assez bien comme musulmane. Pas même proche. Parfois, c'est dur pour moi.

Je souris un peu pensive et dis doucement:
-J'essaie...

Il me sourit et me raconte:
-Moi mes parents étaient aussi à fond avec l'église et puis ça a diminué. Des fois je me demande, si pour eux c'était pas aussi une façon de se sentir plus intégrés. Parce que j'ai que ma grand-mère qui est chrétienne, et ma mère n'était pas vraiment dedans avant, selon elle. Après à un moment, j'ai recherché le Shintoïsme, mais c'était vite fait. C'est un peu comme une religion, mais c'est plus...large ou général? Je sais pas.

Je hoche la tête et demande:
-Hmm, tu...il y a des trucs de là-bas au Japon que t'aimes en particulier? Comme la musique? Ou les vêtements traditionnels? Ou je sais pas si la question est bizarre.

Il rit doucement:
-J'ai vraiment l'air si neutre par rapport à mes frères et sœurs hein? Comme si je m'en fichais. Les gens pensent que je le réalise pas, mais si. Et des fois je déteste le fait de me sentir bizarre et appréhensif, quand il faut parler des aspects les plus culturels et uniques...ou bizarres. Les moins cools. Mais, je sais pas...ça a grandi et m'a coincé comme des lianes. Je sais pas.

-Oui, je vois ce que tu veux dire. Mais on est pas obligés, de toujours être en train de promouvoir le pays de nos origines. Ou de tout aimer. En plus, je me souviens des petits cons qui se moquaient de ce que tu mangeais au déjeuner, et demandaient s'il...

Je m'arrête, mais il complète amusé:
-S'il y avait le chien de ma voisine dedans.

-Ouais...et leur stupide surnom, "Baguettes". C'est pour ça que t'as arrêté de les ramener? Avec les plats japonais que te faisait ta mère?

-Oui. Emmie me descendait pour ça, mais Edward était juste triste.

-Moi aussi, ça m'a rendue un peu mal quand j'y pensais, les baguettes étaient cool.

Sur son front en jaune je peins un rond entouré par de plus petits. Le soleil.
Malgré son sourire mourant, Sebastien dit:
-Ils se moquaient de toi pour tes plats aussi au début, mais t'as pas lâché au moins. Mais ça faisait mal à voir, quand ils se moquaient de ta peau, avec leurs surnoms de merde.

-Ah oui...Charbon, ça date.

-Ouais, avec les autres conneries...mais je faisais que regarder au lieu d'aider.

-T'avais tes propres problèmes à gérer. On va dire que t'essayais de survivre. Je regardais aussi en plus.

-T'es gentille...c'est cool que Jamari ait commencé à te défendre au moins.

Je souris tristement en disant:
-Oui, c'était cool quand on parlait encore.

-Je pense qu'il veut te reparler...

Je fronce les sourcils, mais ne dis rien. Je m'échappe en me concentrant sur la spirale brune, entourée par quatre "U" sur sa joue. Des hommes assis. Il reprend la parole:
-Je l'ai remarqué en train de te regarder des fois.

Une partie naïve de mon cœur se réchauffe avec de l'espoir. Je peins un nouveau "U" épais sur son autre joue presque saturée de dessins. Un homme. Je m'autorise à sourire pour lui dire:
-Depuis quand t'as le temps d'espionner les gens en classe?

-En biologie, contrairement à Tic et Tac, je suis tellement bon que j'ai à peine besoin de suivre.

Je fais rouler mes yeux au ciel, ce qui le fait rire. Je marmonne:
-Hmmm, ouais ce serait bien de lui reparler.

Il hoche la tête sans sourire cette fois. Ses lèvres s'étirent à nouveau, avant qu'il ne me demande:
-Ils parlent quelle langue au Sénégal?

-Surtout wolof et français, mais il y en a d'autres.

Il demande à la fois amusé et étonné:
-Tu parles français? T'as choisi l'espagnol pourtant.

Je dis en français:
-Oui, je parle français.

Il rit et conclus:
-C'est comme ça que t'as su pour l'accent avec le macaron.

Je hoche la tête, puis je me risque à ajouter en français :
-Et je crois que je te trouve cool, même si je devrais pas. T'es pas si méchant que ça on dirait.

Les sourcils froncés, il demande en souriant:
-Attends t'as parlé trop vite. T'as dit "cool", mais après je connais le mot "méchant". Tu m'as insulté d'une certaine manière?

-Non.

Heureusement qu'il a choisi espagnol aussi et a toujours un niveau de français paradoxal avec son prénom. Heureusement aussi que j'ai pensé à ne pas dire "je t'aime bien". Il n'aurait retenu que la partie la plus connue et les choses seraient devenues catastrophiques.
Avec plusieurs couleurs je trace des lignes ressemblant à un arc-en-ciel. La forme est pourtant censée être un nuage. Sebastien insiste:
-Qu'est-ce que tu viens de dire alors?

-Rien.

-Je vais le chercher.

-T'as pas intérêt.

-J'ai pas peur de toi.

-Tu devrais.

Il rigole puis me demande:
-Bon dis-moi...tu sais quoi sur ton peuple sénégalais?

-Le peuple est fait de peuples, il y a plusieurs ethnies. Moi mon père est Peul.

-Oui?

Je continue d'ajouter de la couleur en poursuivant:
-C'est un peuple parfois nomade de bergers, donc tu peux les trouver dans plein de pays africains. Et ils parlent pulaar.

-Tu le parle ça aussi?

-Je connais à peine quelques mots.

-Comme?

-Gardiido, mon père aime bien l'utiliser. Pff.

-Sebastien demande amusé:
-Qu'est-ce que ça veut dire?

-Le chef.

Il se met à rire et je me retiens de l'imiter, il ajoute:
-Tu peux m'appeler comme ça.

-Rêves toujours.

-Tu peux continuer le cours steuplé?

Je rigole doucement et m'exécute:
-Donc pour les peuls, bien sûr il y a des groupes différents par régions. Et ils aiment porter des boubous. C'est des espèces de longues tuniques. Et il y a aussi le foulard, qu'ils enroulent sur leurs têtes. C'est surtout les femmes, mais les hommes ils peuvent le faire différemment aussi. Ça me fait penser aux peuples du désert, cette version-là. C'est pratique. Les femmes, elles peuvent attacher leurs foulards de plusieurs façons différentes.

-C'est comme ceux des noirs d'ici non?

-À peu près. Les peuls, ils ont aussi des bijoux en or super beaux, et il y en a même avec des kauris. Ils aiment beaucoup les kauris. C'est une sorte de coquillage.

-Oui j'en ai vu une fois, c'est beau.

-Et ils ont tout un tas de tresses.

-Comme les tiennes.

-Il y en a encore plus, avec des formes différentes. Moi, j'ai souvent les mêmes.

-Elles sont quand même cool.

Je souris et change de peinture pour de nouvelles lignes. Son visage sera bientôt rempli, mais c'est plus drôle que ce que je pensais. Je poursuis:
-Euh justement la majorité des Peuls sont musulmans et...je sais pas quoi ajouter.

-C'est déjà beaucoup...il veut dire quoi, ton prénom?

Je réponds en riant:
-T'en as des questions.

-J'optimise mon temps.

-J'ai aucune idée de ce que mon prénom signifie.

Je me retiens de rire quand il lève ses sourcils, dont la forme intense accentue l'aspect dramatique. Il me demande:
-Tu connais tous ces trucs, mais pas ce que veut dire Amina?

-J'ai pas cherché.

J'ajoute sur un ton insolent:
-Et toi, alors? Je suppose que tu sais ce que veut dire Sebastien?

-Pff.

Notre rire meurt brutalement, quand, à travers la porte entrouverte de sa chambre, on entend la voix de sa mère crier:
-Sebasuchan! Tu es là?!

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