Chapitre 32: Quartier froid
C'est la première fois que je sors vraiment dehors avec Sebastien, sans que ce soit à la maison abandonnée. En regardant le chemin sur son téléphone, il a eu l'idée de passer par un quartier que l'on ne connait pas. On approche des hommes d'âges avancés qui boivent un café pour certains ou du moins une boisson contre le froid, je suppose. Ils s'arrêtent de parler pour regarder vers nous sans gêne. Quand on passe vers devant eux ils ne s'arrêtent toujours pas, donc je regarde autour, mais il n'y a rien.
Il n'y a que nous main dans la main. C'est pas vrai, c'est nous qu'ils regardaient comme si on était une anomalie? Non, je suis parano, ça ne peut pas être ça. On est au 21ème siècle, en Californie en plus et l'un de ces hommes avait l'air hispanique et le troisième était à peine plus clair que moi, l'autre était blanc. Ils sont aussi différents que nous, mais semblent être amis et pourtant...
J'expire longuement pour casser la sensation que l'on comprime mon corps avec un nuage toxique. On est sur le point de croiser un nouveau groupe rassemblé autour d'un banc. Ils ont l'air un peu plus jeunes que moi et ont tous des tons de peau différents, mais ils sont tous noirs, je crois bien. Eux ils s'en foutront totalement, donc je me détends. On leur passe devant sans qu'ils nous fixent à mon soulagement. Pourtant après qu'ils aient baissé la voix, dans mon dos j'arrive à entendre l'une d'elles dire "...mère me tuerait". Juste après j'arrive à entendre le mot "koreaboo". Super, ces sales gosses pensent que j'en suis une.
Une de ces filles obsédées par la culture coréenne, ou du moins sa version romantisée. C'est celles qui en sont au point d'avoir sérieusement besoin d'aide. Sebastien n'est même pas coréen et j'écoute même plus autant de K-pop qu'il y a des années. En plus même si c'était pas le cas je sais que j'en suis pas une. J'y crois pas, est-ce qu'on est dans un foutu univers parallèle? C'est quoi ce quartier? On a marché super longtemps et personne ne faisait attention à nous avant que l'on finisse ici. Je n'ai même pas une citation de livre pour rationaliser tout ça, parce que je n'aime pas lire des choses d'anthro qui sont reliées à moi et Sebastien. Je trouve ça trop bizarre.
Je n'ai jamais été fan des études poussées sur les questions ethnoraciales, comme celle des couples mixtes par exemple. J'ai l'impression que j'ai déjà assez de choses sur ce genre de sujets sujet dans la vie de tous les jours. Je veux dire c'est l'Amérique, les gens aiment trop en parler parfois. Je veux m'échapper de tout ça avec mes livres. Oh non. Je vois d'autres gens sur le prochain banc. Qu'est-ce que toutes ces personnes foutent là? Il fait froid dehors. Ces vieux nous fixaient alors que c'est eux qui mettaient leur espérance de vie en jeu en restant au milieu du froid. Enfin nous aussi on est dehors, mais bon. Je demande à Sebastien:
-Tu les as entendus? Les petits là.
Il répond:
-La connerie sur les koreaboo.
Je souffle et de la main ne tenant pas la mienne, il me chatouille le cou. Je rigole en disant:
-Stop.
Il s'arrête en me souriant et je dépose mes lèvres sur les siennes. Il tient le côté de mon visage et me fait frissonner en répondant à mon baiser. Je m'éloigne de sa chaleur et retrouve le froid m'aidant à réfléchir un peu mieux pour lui rappeler:
-Y aller...on doit y aller.
Son rire met en valeur ses lèvres bien dessinées avec ses pommettes saillantes ainsi que ses yeux fins et brillants. Des fois, je me dis que j'admire beaucoup trop la beauté de ce gars. Avec son air espiègle, il me demande:
-Pourquoi tu me fixes?
Je hausse les épaules et dis en tirant sa main:
-On y va.
Il rit et me suis.
Le prochain groupe que j'observe à distance est composé d'une fille noire avec des tresses rastas noires. Elle parle à une autre aux cheveux courts noirs de dos sur le banc, cette dernière a une doudoune rose. Par terre il y a une fille avec des cheveux bouclés sombres et volumineux. Comme je le craignais, elles nous repèrent, car celle en rose se retourne, malgré l'autre qui la tire immédiatement pour qu'elle s'arrête de nous regarder. On s'approche et j'inspire intensément puis regarde Sebastien. D'après le mouvement de sa mâchoire, il est tendu.
Je m'attends à ce qu'il lâche ma main, mais il ne le fait pas donc je le fais. Il reprend directement ma main et au même moment on passe devant les filles. Les filles ont l'air d'avoir notre âge. J'expire lentement quand celle aux tresses nous dit:
-Hey désolé si c'est bizarre, mais vous avez l'air trop trop mignons ensemble.
On s'arrête de marcher et je ne peux m'empêcher de rire avec Sebastien. La fille aux boucles qui rit aussi m'a l'air d'être métisse. Bizarrement, je le devine toujours et c'est pas juste parce qu'ils ont souvent un teint marron clair, voire presque beige. Il y en a qui peuvent être plus foncéss et beaucoup de gens qui sont clairs ne sont pas forcément directement métis. Comme Maman. La fille aux boucles dit à celle qui vient de nous parler:
-Seyia t'es folle ou quoi à arrêter les gens comme ça?
Seyia rit et répond:
-Quoi? Tu l'as dit aussi en les voyant de loin.
Je l'ai même pas vue nous regarder. La fille asiatique à la doudoune rose et au teint plus bronzé que celui de la sœur de Sebastien dit à Seyia:
-Tu dérange juste pas les gens comme ça.
Seyia nous dit:
-Eh bien désolé de vous avoir dérangé, mais vous êtes beaux ensemble.
Sebastien dit maintenant un peu gêné:
-Merci...
La fille à la doudoune rose et au carré noir dit:
-C'est pas dans le genre on veut vous enfermer dans un bocal, juste...wow ça sonne bizarre. Mais vous avez juste l'air mignons. Genre vous êtes mignons tous les deux, donc ensemble ça fait un super truc.
La fille aux cheveux bouclés plisse son regard large pour nous dire:
-Je le jure elles sont bourrées, au cas ou un flic passe par là.
On rit et la fille au carré noir et à la doudoune réplique:
-Eh on a plus qu'un an à tirer avant de pouvoir se bourrer l...
Seyia dit:
-On n'est pas là pour ça Bia.
On se remet à rigoler. Du coup, elles ont sûrement 20 ans. Ça semble tellement loin. Bia dans sa doudoune rose continue:
-Non, mais vous êtes comme ces couples sur Insta.
Je sais pas comment je devrais le prendre, ces gens me font penser à un cliché. Souvent ils peuvent aussi être une catastrophe imminente prête à servir de source de contenu vidéo pour d'autres chaînes raffolant des drames. Seyia continue à notre attention:
-Non. Juste, n'en devenez pas un.
La fille aux boucles ajoute:
-C'est une mauvaise idée.
Seyia surenchérit en disant:
-Très mauvaise.
Je ris comme Sebastien et Bia. Seyia dit:
-En tout cas désolé pour l'intervention.
Je réponds:
-Non, ça va.
Sebastien ajoute:
-C'est déjà mieux que les gens chelous qu'on a croisés sur le chemin.
Seyia répond:
-Ouais, m'en parle pas. Ce quartier est bizarre. On peut tous s'entendre et tout, mais c'est la catastrophe quand t'essaies d'être plus qu'ami avec quelqu'un de différent. C'est-à-dire, pour la plupart des parents amis ça va, mais ça s'arrête là, sinon...
Elle nous fait le signe de se trancher la gorge avec le doigt. Je souris et elle continue:
-Ça change quand on se bat un peu pour faire accepter son couple, mais il faut le faire quoi.
M'en parle pas. La fille aux cheveux bouclés et aux grands yeux noirs dit en secouant la tête:
-Même avec moi c'est ça alors que mon père est italien, c'est juste bizarre.
Donc j'avais raison pour elle, elle est métisse. Sebastien convient avec cette dernière:
-Ouais tout ça, ça peut être...compliqué.
Je hoche la tête et Seyia s'exclame:
-Mais force à vous!
On rit et Sebastien répond:
-Merci, bonne journée. Bye.
Je leur dis en le suivant:
-Bye.
Elles agitent les mains en criant:
-Bye!
Je me demande quand même si elles auraient dit tout ça sur le fait qu'on soit mignons si j'avais été avec un gars noir au lieu de Sebastien et pareil pour lui. Je devrais arrêter de ruminer et m'habituer au fait qu'on va parfois ressortir du décor. Je devrais y être habituée, une année j'ai trouvé le moyen d'être la seule noire dans ma classe. Ça allait, sauf quand on devait aborder certains sujets. Je me sentais tellement anxieuse et exposée. Je rumine encore, putain.
Comme s'il l'avait senti, Sebastien dépose un doux baiser sur ma main dans la sienne.
Je souris puis fais pareil avec sa main, ce qui le fait rire. On finit par entrer dans le jardin botanique. Je voulais y retourner sur un coup de tête et Sebastien n'a pas hésité quand je lui en ai parlé et m'a proposé d'y aller.
On est en hiver et les plantes désertent ou se cachent, mais je voulais quand même revoir l'endroit, au cas où des souvenirs me reviendraient.
Les filles de tout à l'heure m'ont calmé, pourtant je n'arrête pas de me repasser les deux autres groupes dans la tête. J'ai ce sentiment d'anxiété et cette envie de rapetir. Je regarde Sebastien sans savoir pourquoi et il m'observe avant de froncer ses longs sourcils. Il s'arrête de marcher, caresse ma joue et dit doucement:
-Hey, pleure pas.
Maintenant, c'est lui et sa douceur qui vont faire couler mes larmes. J'inspire longuement et dis:
-Je vais pas pleurer. J'aime juste pas le sentiment qu'ils m'ont donné.
-Moi non plus, mais je pense pas que ça arrivera encore. Elles l'ont dit, c'est l'endroit.
Je secoue la tête et dis pas convaincue:
-Ouais, non, je sais pas...bref, on y va.
Je tire sa main et il rit en me suivant. On tombe enfin sur un survivant intéressant au froid. C'est un gros buisson. Il a des feuilles épaisses vertes clair et des bourgeons. En plein hiver, c'est intéressant. Sebastien lit:
-C'est un jojoba.
Je réponds:
-Je crois que c'est pour les suppléments alimentaires ça normalement.
-L'hydratation aussi.
Je me mets à pouffer comme une idiote à un souvenir.
Sebastien étire ses lèvres et demande avec un regard pétillant de curiosité:
-Quoi?
Je secoue la tête et me retiens de rire, mais il me tire et me tient contre lui. Ça me fait exploser de rire pendant que je me débats. Sans surprise, c'est en majorité peine perdue. Sebastien dit a seulement quelques centimètres de mon visage:
-Quoi?
J'essaie de l'embrasser pour m'en sortir, mais il tourne la tête ce qui me fait à nouveau rire. Je finis par me calmer et on se fixe pendant qu'il me tient contre lui et j'éclate de rire. Sebastien lève les yeux au ciel comme lassé, mais son sourire relève ses pommettes. Je me calme à nouveau et dis:
-Tu vas croire que je suis immature, ou une obsédée, ou les deux.
-Je sais que tu pourras supporter de nouveaux adjectifs associés à ton nom.
Je tente de lui donner un coup d'épaule. Il rit puis en me tenant moins fort il se baisse pour embrasser mon cou lentement. À chaque fois ça me donne chaud en rendant mon corps tendu. Je murmure presque:
-Arrêtes putain.
Il rit contre ma peau puis sa chaleur quitte mon cou. Il me regarde maintenant avec son fichu sourire narquois. Il me demande:
-Alors? Tu parles?
Je soupire puis crache le morceau:
-Ok, ok. Je devais acheter des suppléments une fois et je ne sais plus avec lequel, mais j'ai confondu le jojoba avec un aphrodisiaque assez fort. Heureusement je l'ai pas acheté.
Sebastien lève les sourcils en écarquillant les yeux. J'essaie de ne pas rire en me mordant la lèvre puis inspire fort pour ajouter sans rire:
-Je te jure, j'ai pas 12 ans dans ma tête. Je sais pas.
Il se met à rire donc je le pousse, mais il garde ses bras autour de ma taille. Je le menace:
-Lâche-moi ou je te mords.
Il répond moqueur:
-Ah ouais toi t'as pas 12 ans t'en as 3 en fait.
Je souffle et il me lâche en essayant de ne pas rire. Je le pousse, mais il bouge à peine. Il me dit:
-Détends-toi...si tu te souviens de l'autre plante, on pourrait en prendre et la tester.
J'ai chaud au visage, mais réplique:
-T'aimerais bien hein?
Son rire grave retentit et je m'éloigne en disant:
-T'es un gamin.
En me suivant, il rétorque:
-C'est l'hôpital qui se fout de la charité.
Après être passé devant plein de plantes ennuyantes, on arrive dans le jardin de cactus. Il y en a des ronds, des longs et même ceux à la forme la plus populaire. Ils ont l'air d'aller bien malgré l'hiver. Sebastien dit:
-Je pense pas qu'ils les avaient dans ce jardin aussi quand on est venus en primaire.
Ennuyée par le nuage sur mes souvenirs, je réponds:
-Je m'en souviens pas vraiment.
Il plisse ses yeux brillants quand il me dit:
-Moi je me souviens que tu t'étais glissé ici pendant la visite, pour prendre une figue de barbarie sur un des cactus. Les autres t'ont copié et t'as trouvé le moyen d'en manger un peu, mais vous vous êtes faits attraper assez vite.
Maintenant, le souvenir me revient mieux. J'avais beaucoup aimé le fruit et même pensé à en demander à Maman. Je me suis retenue parce que j'aurais sûrement dû lui expliquer comment je l'ai goûté ce fruit. C'était l'époque où je ne pouvais rien lui cacher si elle me le demandait. Ça date. Mon sourire meurt un peu, mais Sebastien continue, amusé:
-Tu faisais toujours ce genre de choses comme si t'y pensais pas. Maintenant, ça a changé.
-Je dirais pas ça aussi vite.
Il rit et on continue de marcher. On finit par s'arrêter aux agaves. C'est des plantes avec des feuilles épaisses en spirales autour du centre, vert clair aussi. Je dis:
-Elles ont un peu l'air bonnes à manger.
Sebastien me regarde et dit sérieusement:
-Tu devrais vraiment arrêter de manger des choses de ce jardin. Je sais qu'ils te nourrissent chez toi.
Je ris et le pousse encore inutilement. On a poursuivi notre exploration, mais c'était vraiment ennuyeux en fait. Je dis à Sebastien:
-Ok, venir ici et s'attendre à ce que ça soit amusant était juste fou comme idée.
Il rigole et répond:
-Non, c'est pas si nul. La façon dont tu harcèles les plantes en parlant de leurs défauts et leur façon d'être ennuyantes est divertissante.
Je ris et le vent se met à hurler, ce qui me donne un coup de froid à la tête. Je grimace, donc Sebastien me demande:
-T'as pas de bonnet ni rien?
-Ça me va pas.
Il enlève son bonnet de ses cheveux, commençant à pousser vers sa nuque. Il me met son bonnet et dit:
-Si, ça te va très bien, t'es toute mignonne.
Je ris puis mes lèvres se mettent à danser avec les siennes et nos langues s'y mettent. Je recommence ma mauvaise habitude de tirer un peu ses cheveux. Mais en général, il s'en fout pas mal. Il a d'autres sensations à gérer.
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