Chapitre 12: Chiens
Je suis à table avec Jamari, qui mange pour quatre, sous mon regard perplexe. Il s'arrête de creuser sa montagne de purée, pour me dire la bouche à moitié pleine:
-Quoi? Tu me juges encore? Je suis un sportif, pas un mannequin. Je mange.
Je rigole en secouant la tête, quand à ma confusion il ouvre son yaourt. Rapidement, il m'en étale sur la joue avec sa cuillère. Je ne peux me retenir de crier:
-Eh!
Ça attire l'attention de quelques personnes. Mais je me concentre sur Jamari, que je pousse. Avant que je pousse son visage aussi avec ma main, il attrape mes poignets et dit en rigolant:
-Ok, ok. Je vais l'enlever.
-Ok.
Mais mon cœur manque de s'arrêter, quand il s'approche et lèche le yaourt sur ma joue. Le corps en surchauffe et respirant à peine, je crie:
-Oh!
Pendant ce temps-là, certains des gens de la table devant font des "Wouh!". Les autres semblent leur demander pourquoi. Quand on dirait qu'on leur a expliqué, les nouveaux informés se tournent vers nous en riant. J'ai une expression de souffrante, tandis que Jamari est mort de rire. Il me dit:
-Hey j'en ai enlevé beaucoup.
Je le pousse et il rigole. Je lui rappelle:
-T'es complètement malade. Tu mérites la prison. Je pourrais te trainer en procès pour ça, c'est une agression.
Il répond sur un ton carrément, pleurnichant:
-Tu peux pas faire faire ça à un frère. Le système est déjà contre nous ma reine d'ébène, on doit se serrer les coudes.
J'éclate de rire avec Jamari, en me souvenant de l'interview ridicule et chaotique d'un prisonnier, qu'il imite. En s'adressant aux caméras avec ce discours, l'homme essayait de convaincre son ex qu'il avait tenté d'assassiner, de ne pas témoigner contre lui. Juste parce qu'il est noir aussi, c'est incroyable.
En sport, j'ai décidé de mettre un ensemble sur lequel j'ai craqué, même si c'est un peu risqué, pour réussir à continuer à me faire oublier. C'est avec un crop top à manches longues, avec un petit trou pour mes pouces. Il est près du corps, mais ça va, vu que j'ai pas vraiment de seins. C'est un jogging noir qui va avec, pas un leggings. Parce que je ne suis pas folle, et que ce serait n'importe quoi. Pourtant le jogging reste plus près de mon corps, que ce que je porte d'habitude.
Je dois admettre que quand je l'ai essayé à la maison, je me sentais plus. Ça donnait une forme super à mon corps, et contrairement à avec ce que je porte d'habitude, on se souvient que j'ai une taille plutôt fine. On ne voit pas mon ventre entier avec, mais on voit tout de même deux ombres de mes légers abdos, que j'ai malgré ma paresse. C'est à cause, ou grâce à mon métabolisme bizarre. Sous les regards que les filles me lancent, depuis que je me suis habillée dans les vestiaires, je sors de cette boîte à ragots.
Bon, les gars ne peuvent pas être en chien, au point de remarquer mon changement vestimentaire. J'ai même pas porté ça pour eux. C'est pas si grave. Ça va bien se pass...
À peine en dehors du vestiaire, j'ai l'impression d'être la dernière biche de la forêt. Je fais de mon mieux pour ignorer les gars, postés devant leur propre vestiaire. Je m'efforce de ne pas voir leurs regards. Ils me donnent envie de courir me changer, avec un sac à patates.
Je commence à traverser le terrain de basket. Malheureusement sur mon chemin, vers les gradins opposés, je croise Kenan. Ce gars ne se gênait pas, pour m'appeler par tous les synonymes de bizarre. Il a même essayé de mettre le feu à une de mes tresses, pour s'amuser, un jour où j'étais assise devant lui. Je me suis retournée en l'entendant en parler, et il avait un putain de briquet. C'est une des rares fois où j'ai eu les couilles de m'énerver.
Mais c'était au début ça. Brûle Tresse change de direction. Il commence à me tourner autour doucement. Encore et encore, sous certains rires. Il s'est pris pour un prédateur? J'ignore son regard bleu profond et accélère, mais il s'exclame:
-Hey attends! Amina.
Je t'en supplie, fous-moi la paix. Avant qu'il ne me rattrape facilement, derrière moi j'entends Leo lancer:
-Hey, laisse-tomber gamin.
Lui, il n'était pas méchant avec moi, mais quand même on sait jamais. Je crois que je vais craquer et paniquer, s'il se pointe devant moi pour me stopper. Ok, finalement, je suis encore debout et je n'ai pas crié. Il me dit pourtant:
-Oh aller, t'as l'air tellement gavée.
Non, jure? Pourtant je mens:
-C'est ma tête normale.
Il soupire puis commence avec un long:
-Donc...
Je le regarde appréhensive et il demande:
-Tu fais un truc après les cours?
-Je rentre chez moi.
-Ou bien tu pourrais...
Soudain, je manque de sourire de soulagement, en remarquant Jamari arriver en le coupant:
-Laisse-tomber mec. Elle a juste changé de tenue habituelle, et vous commencez vraiment à avoir le cerveau qui bug? Amnésie, changement de personnalité, tout ça?
Leo ricane, mais s'en va en disant:
-Profite bien champion, je suppose.
Jamari a l'air ennuyé et je soupire. Il m'observe de son regard couleur nuit. Il a ensuite un air sérieux, rendant les traits de son visage d'habitude détendu, plus saillants. Il me demande:
-Tu vas bien?
Maintenant que j'ai à nouveau quelqu'un qui s'en soucie, je souris avant de répondre:
-Oui, ça va, j'ai eu pire. Mais je dois avouer que j'ai envie de courir me changer, maintenant.
Il rigole et dit:
-Non, change rien pour eux. Aller on y va. Tu vas survivre, toi et ta tenue de mannequin Insta.
Je souffle et le suis.
Le cours de sport s'est bien passé, mais quand je suis entrée dans les vestiaires ils sont devenus silencieux. Dans le genre "on parlait de toi", silencieux. Au moins maintenant qu'elles s'y remettent, elles ne le font pas de façon éhontée. Elles parlent plus dans la même pièce, tandis que j'ose rien dire sur les phrases que je capte, comme la lâche que je suis.
Les cours que j'ai en plus, à cause de mon bon niveau en science, finissent enfin. Ça me frustre tellement de les avoir des fois, mais j'ai dû accepter à cause de l'autre dictateur. Après ça va, une bonne partie de notre classe y est aussi, donc je ne me sens pas si isolée. C'est drôle à dire ça...
Je quitte le lycée, pour me rendre dans un endroit que je connais mal, pour l'instant.
C'est le début du week-end. On s'est donc dit qu'on aura plus de temps, ou plutôt, plus d'arguments si on dure trop dans la forêt. J'attends devant les panneaux, où on s'est donné rendez-vous avec Sebastien. Je commence à devenir contrariée, parce qu'il n'est toujours pas là. En plus, je ne peux même pas me promener autour pour passer le temps, parce que je ne connais pas l'endroit. Tout ce bordel se ressemble. Il n'a même pas répondu à mon message, ni mon appel. Je devrais peut-être rentrer. Je soupire et commence à marcher vers un sentier, menant à l'entrée. Je m'arrête en voyant Sebastien courir, en faisant des mouvements de bras exagérés. Il s'arrête devant moi avec son sourire énervant, car trop communicatif. Il me dit:
-Désolé pour le retard et le fait que j'ai pas répondu. Raj a eu un problème débile, mais je t'ai trouvé à temps.
-Effectivement, t'as eu de la chance. J'étais sur le point d'aller boire un smoothie avec Leo.
Il a l'air plus confus qu'amusé, les garçons ne se racontent pas toujours tout ou quoi? En le suivant après qu'il m'ait fait signe d'y aller, j'explique:
-Je ne sais pas si t'étais là, mais quand je traversais le terrain, comme une épreuve, Leo est venu me parler.
Sur un ton ayant une pointe de sarcasme, il dit:
-Oui, j'ai vu ça.
Je me retiens de froncer les sourcils et laisse glisser pour dire:
-De toute façon, j'aurais pas dû porter ça. C'est juste bizarre et anormal, leurs réactions. Mais en même temps, c'était un changement inhabituel donc...
Le regard dans le passé j'ajoute en riant:
-Mais je dois admettre qu'en me regardant dans le miroir, je me sentais plus.
Sebastien dit avec un rire qui me détend:
-J'imagine ouais.
Il ajoute:
-Heureusement pour toi, le chevalier est arrivé.
-Qui?
Il me regarde comme si j'étais stupide, donc je capte:
-Oh Jamari? Oui, il m'a sauvé.
Je ris, et Sebastien aussi, avant de dire:
-Et euh...
-Hmmm?
-C'est vrai qu'il léchait ton visage?
La façon dont il a dit ça me fait éclater de rire en y pensant, puis je me sens embarrassée. Je lui réponds:
-C'est un peu la honte que les gens en aient parlé. Mais non, on n'est pas des chiens. Enfin, lui, je me pose des questions là. En fait, il a mis du yaourt sur ma joue, et l'a léché. Il est bizarre.
En riant un peu, Sebastien dit:
-Ouais.
Au bout d'un moment, passé à discuter des problèmes génétiques des bulldogs français, on approche la cascade dont il m'avait parlé. Elle est plus grande que ce que je pensais. Malgré ça, je dis:
-C'est pas les chutes Victoria. Mais j'ai l'impression que c'est assez haut pour mourir, si tu fais pas attention, donc...
Sebastien dit en riant:
-Quoi?
Je souris et il dit:
-Ça aurait été bien, si t'avais accepté qu'on aille nager. Si t'avais pas peur de te faire attraper, avec moi.
Malgré sa voix qui s'est ternie et son regard accusateur, je réponds:
-Ouais j'imagine que c'est dommage pour toi.
Les mains levées, il se défend en souriant:
-Hey! Hey! Je suis pas comme ça...pas toujours.
Je lève les sourcils incrédule et il rit. Il me demande:
-T'es allée au Sénégal?
-Oui.
-C'est comment, l'Afrique? Enfin le Sénégal.
-J'y suis juste allée une fois il y a des années. Et tu vas pas le croire, mais c'était pas un terrain géant avec des enfants en malnutrition.
Il me dit comme si j'étais bête:
-Je m'en doutais.
Je réplique ennuyée:
-Eh ben y'a beaucoup de gens qui adorent ramener ça, mais j'avoue que c'est pour me faire chier des fois. Mais en même temps le pire, c'est qu'il y en a qui sont vraiment ignorants, et le croient.
-Hmmm.
-Bref, c'est hmmm, divers par rapport à ça. Par exemple, mon père m'avait expliqué qu'à un moment, il y a des années, il y avait beaucoup d'enfants qui mendiaient. Surtout dans la capitale. Mais maintenant, il n'y en a plus beaucoup. En fait pour la plupart, c'est leurs profs coraniques qui les forçaient à faire ça. Leurs parents ne sont pas avec eux.
-Ça me fait penser aux connards qui forçaient les enfants à mendier dans Slumdog Millionaire.
-Ah oui.
-Mais je pense pas que ces profs vont jusqu'à les aveugler.
-J'espère pas, je crois pas. Ce serait trop. Mais j'ai même pas croisé un de ces enfants en vrai, pour savoir à quel point c'est chaud. Parce que j'allais surtout dans les quartiers un peu huppés, comme une snob.
Je grimace tandis qu'il sourit et je continue:
-Mais j'ai surtout passé beaucoup de temps chez une de mes tantes. Elle avait une grande maison, dans un endroit avec beaucoup de végétation. C'était un quartier isolé, plein de grandes maisons. Pas du genre grandes, comme des maisons de riches, mais grandes. Je me souviens aussi qu'il y avait la Korité, c'est une fête à la fin du ramadan. Tu sais ce que c'est, le ramadan?
-Oui.
-Ben avec mes cousins pour la Korité, on avait nos meilleures tenues et tou, et on allait de porte en porte pour demander de l'argent. Genre Halloween, mais avec du cash.
Il rit et je poursuis:
-Et donc j'ai acheté plein de trucs, à la petite boutique du quartier, avec mon argent. Comme, ils ont ce lait vanille, dont je devrais pas me souvenir pour mon propre bien. Il était tellement bon que ça fait mal d'y repenser.
Il rigole et je lui demande:
-Et toi? T'es allé au Japon?
-Malheureusement, j'étais tellement chanceux que j'étais un bébé, donc je me souviens de rien. J'ai juste plein de photos, avec ceux de ma famille que je connais surtout, à travers des appels ou des appels visio. Mais au moins, ils avaient tous l'air fans de moi.
Je rigole et lui dis:
-T'y retourneras et ils seront encore plus fans.
Soudain, il s'arrête de rire. Ses yeux s'élargissent, pendant qu'il s'exclame:
-Merde!
J'ai à peine le temps de voir des silhouettes, aux visages trop vagues de loin. Il prend ma main et me tire en disant:
-Cours!
Je résiste comme je peux et proteste:
-Ils vont nous remarquer si on le fait.
-Mais pas nous suivre, et ils devineront pas qui c'est.
Je le suis pour échapper aux nouveaux venus.
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