Perdre un ennemi est une grande perte.


Perdre un ennemi est une grande perte.

Christine de Suède.



La faucheuse en avait fait du chemin depuis ce fameux soir. Elle et son familier avaient évité tous les dangers inutiles, tout ce qu'ils leur importaient, c'était d'arriver jusqu'à la pleine en premier. À chacun de ses pas, la jeune femme subissait la distance qui la séparait des siens. Tourner le dos aux siens fut la chose la plus dure qu'elle avait faite. Son fils lui manquait, elle ne pouvait s'empêcher de se demander ce qu'il faisait, s'il ne se mettait pas en danger et s'il mangeait a sa faim... et l'ami... la jeune femme occupait son esprit au mieux pour ne pas penser à lui, au fardeau qu'elle lui léguait.

- Les bonnes décisions sont merdiques... murmura encore une fois Kosilka tout en se rappelant des raisons de ses actions.

Archi, alerté par les trémolos dans sa voix, vint frotter sa petite tête sur la joue de sa maitresse.

- Je sais... soupira la jeune femme tout en s'adossant contre une pierre qui faisait bien dix fois sa taille.

Son bâton posé a coté d'elle, elle se perdit dans la contemplation du bout de tissus rouge qui voletait doucement.

- C'est aussi pour toi que je le fais, pour qu'aucun autre gamin ne soit sacrifié...

Elle se remit sur ses pieds pour reprendre son chemin, continuer d'avancer l'empêchait de réfléchir et dans la situation actuelle c'était bien mieux ainsi. Alors elle se concentrait encore et encore sur ses pas. Son serpent voyageait à ses côtés, bien que dépourvu de parole il avait toujours été capable de se faire comprendre auprès d'elle et surtout, il veillait sur elle.

La jeune femme avait pris la décision de partir de chez elle à peine quelques jours avant cette toute dernière nuit. L'autre était venu à elle dans la pleine aux Spleinirs, il avait usé de magie pour ne pas se faire repérer. Ils avaient parlé sans faire couler la moindre goutte de leurs sangs aussi noirs que toute la haine du Mira.

- Tu te rends compte que je pourrais te tuer sans que personne ne le remarque ? lui avait-il soufflé en guise de bonjour.

- Surtout, n'hésite pas. Avait répondu Ana qui n'avait pas levé les yeux pour le regarder, à la place elle préféra boire une bonne gorgée d'Alkogol' a même la bouteille.

Quelque peu décontenancé le faucheur s'assit à côté d'Ana.

- Si ton ours est dans les parages...

- Non, je ne voulais pas risquer un affrontement...

- Trop aimable. Trancha la jeune femme toujours sans le regarder.

L'autre se perdit dans la contemplation de ce village qu'il avait tant voulu détruire. La douceur de vivre qui flottait dans l'air lui donnait des envies bien macabres. Il ne fit rien. Il se contenta d'observer tout ce qu'il n'avait jamais voulu construire. Tout ce qui un temps, le rebutait.

Le silence fut de courte durée et étonnement ce fut la jeune femme qui le rompit.

- Donne-moi une seule bonne raison de ne pas te crever les yeux.

- Tu crois que tu en aurais le temps ?

Pour toute réponse Ana pointa deux couteaux sur l'arrière de son crâne. Son geste fut si rapide et précis qu'il ne vit rien venir. Avec son autre main, elle porta de nouveau sa bouteille à sa bouche.

- Tu m'as forcé à tuer il y a bien longtemps, je me suis juré que je te massacrerais à cause de ça.

De nouveau les deux êtres maudits restèrent silencieux.

- Mon témoin approche, alors si tu ne veux pas être réduit en poussière il est temps de parler.

- Je ne suis pas ici pour me battre, de l'épuisement venait de se faire entendre dans sa voix. La jeune femme le remarqua sans peine, pourtant elle ne bougea ni ne rajouta rien de plus.

- Parle. Vite.

- Il y a une pleine juste devant l'océan blanc pré de l'ancien clan neutre de la frontière. J'y serais dans quatorze jours, j'espère t'y retrouver.

- Si tu tiens à me provoquer, on peut le faire ici. Grogna Kosilka qui commençait a perdre patience.

- Tu te trompes faucheuse.

- Tu as deux minutes pour m'expliquer et me convaincre.

L'autre soupira, rien ne se passait comme il l'avait souhaité. Ils étaient des faucheurs, maudits par des Zabyls, fils et filles maudits d'un Bog déchus et tués par ses propres enfants. Alors, à quoi s'attendait-il exactement ?

- On est maudit, commença l'autre en baissant la voix, tu ne t'es jamais dit que si on ne pouvait pas à la fois vivre l'un sans l'autre et l'un trop proche de l'autre c'est qu'on est pareil ? La jeune femme ne répondit pas. On... je te hais pour ce que tu as fait de ton village. Je te hais et pourtant... je te hais.

- Une minute.

- Donnons-nous une chance de tout arrêter.

- Pourquoi ? demanda Ana sans bouger d'un iota.

- On est maudit.

Il disparut comme il était arrivé, laissant la jeune femme avide de réponses et seule sur la pleine. À quelques pas seulement d'elle, le colosse s'avançait. Comme souvent quand il la voyait un sourire bien particulier lui mangeait le visage. Cette fois-ci, Ana le lui rendit avec chaleur.

Kosilka avait pris la décision de le retrouver dans cette fameuse pleine, dès que la nuit tomba. Douze jours plus tard, elle s'y retrouva enfin. L'endroit était désert, aucune vie n'y résidait. Le sable sous ses pieds était étrangement clair, elle n'en avait jamais vu comme ça. L'odeur de l'océan blanc y était si présente que cela lui brulait les poumons.

- Bon... On se fait un petit nid douillet ?

Archi siffla et se mit au travail avec sa maitresse, en l'espace de quelques heures ils se construire un abri de fortune en bois sombre qui détonait avec la blancheur presque irréelle du sable.

Il leur restait deux jours à patienter. Deux jours seuls a ne rien n'avoir a faire d'autre qu'attendre. Cela allait être une torture.

- Tu crois qu'ils font quoi ? demanda la jeune femme a son familier, ce dernier la regarda tout en dardant sa langue fendue. J'imagine oui...

Elle finit par s'allonger sur son tas de feuilles, à moitié brûlée par le soleil. Des branches entremêlées la protégeaient de ce dernier.

Au matin du quatorzième jour, l'autre fit son apparition. Bien que la faucheuse sentît sa présence, elle ne fit rien pour l'accueillir. Archi réagit avec beaucoup de violence quand il aperçut l'ours suivre son horrible maître.

- Je ne tiens pas à combattre ! Intervient aussitôt l'autre en mettant ses deux mains devant lui, il est mon familier et tout le comme le tient il me suit partout.

- Ordonne-lui de rester à bonne distance alors.

Archi, qui venait de prendre du volume, sifflait méchamment dans sa direction. Le serpent voulait se venger de sa cuisante défaite à grand renfort de crocs ! L'autre flatta la tête de son animal, ce dernier s'allongea sur le sable et leur tourna ostensiblement le dos.

L'autre faucheur ne répliqua pas quand il se rendit compte que ce qu'il valait pour son familier n'était pas d'actualité pour celui de la faucheuse. En effet le serpent restait aux côtés de sa maîtresse et bien qu'il soit plus petit de taille il semblait tout autant dangereux.

- Tu m'as fait venir ici, alors le minimum c'est de parler maintenant.

L'autre eut le culot de souffle run rire, rire qui fut très mal accueilli par la jeune femme. Il se tut quand leurs regards se croisèrent.

- Je suis né à quelques pas d'ici...

- C'est pour ça qu'aucune vie ne fleurit ici alors.

Il prit cette remarque en pleine face sans broncher, elle n'avait pas entièrement tort, et il le savait.

- Petit je me suis promis de me venger...

- Ton enfance merdique à faire pleurer la pierre ne m'intéresse pas, trancha Ana avec rudesse. Si on est des maudits, ce n'est pas pour rien, alors viens-en aux faits.

L'autre soupira, il était épuisé.

- Laissons nos gens vivre sans nous.

Cette déclaration fit l'effet d'une bombe dans l'esprit de la jeune femme. Il reprit avant qu'elle ne puisse ouvrir la bouche.

- Toutes ces fois ou nous nous sommes affrontés ont été autant de fois o nous aurions dû nous tuer.

- Pas faute d'avoir essayé.

- On n'était pas prêt. On avait encore à faire.

- Tu as l'air d'en savoir des choses dis donc... grogna la jeune femme qui s'évertuait a gardé son calme.

- Tu ne t'es jamais dit qu'on était que des pions ? Qu'au final les plus grands manipulent c'est nous ?

Elle déglutit, en effet elle se disait souvent ce genre de chose.

- Quand je suis venue te voir l'autre jour, ton village n'avait pas l'air d'avoir besoin de toi pour fonctionner.

De nouveau ce constat était vrai et même si cela faisait terriblement mal à la faucheuse, elle ne leur servait plus à rien.

- Viens-en au fait.

- Il est temps pour nous de dire adieux a ce Mira.

Par réflexe Ana saisit son arme d'une main et de l'autre elle empoigna le col de l'autre faucheur. Elle le regarda vraiment pour la toute première fois. L'homme qu'elle avait en face d'elle n'avait plus rien d'effrayant, il avait les joues creuses, il était sale et semblait si épuisé qu'un simple coup de vent aurait pu le briser. La faucheuse le relâcha et fit trois pas en arrière. L'autre ne broncha pas.

- Je ne suis pas ici pour me battre.

- Mais tu veux mourir.

- On le doit.

Ils se toisèrent un moment.

- Tu as peut-être besoin de dire adieux à ton peuple ?

- Que sais-tu d'eux ? Et comment je peux être sûr que tu ne me tends pas de pièges !

- J'ai fait ce que j'avais a faire chez moi, et comme o est de parfaits opposés je me doute que tu as besoin de faire tout ce qu'il me dégoute.

Le ton n'y était pas, il se voulait mauvais et cinglant, mais rien de tout cela e transpirait dans le son de sa voix.

- N'es-tu pas fatigué toi aussi ?

L'espace d'un instant, la jeune femme ne vit pas en lui le monstre qu'il était, mais un simple hommes avec bien trop de soucis pour lui.

En avait-elle marre ? était-elle fatiguée ? Bien sûr, bien sûr qu'elle était tout ça. Ce fut pour cette unique raison qu'elle baissa son arme.

Ils parlèrent encore de longues heures, elle apprit qu'il s'appelait Dols et que pour acquérir bien plus de pouvoir il avait tué son âme sœur et son témoin. Ana lui retourna un coup de poing quand il le lui avoua. Ni lui ni son ours ne bronchèrent.

Au petit matin, elle finit par admettre qu'il souhaitait vraiment se repentir en se sacrifiant. Mais que sans elle il ne pouvait rien faire. Ils étaient des Kosilki, des faucheurs maudits par des enfants maudits d'un Bog tout aussi maudit.

- Mon témoin, ma sentinelle et mon âme sœur continueront de s'occuper des miens.

- Ta sentinelle... une vraie saloperie impossible à détruire...

- Mon fils ne cause pas d'ennuis, il les provoque pour mieux les exterminer. Conclut la jeune femme avec beaucoup de fierté.

L'autre ne dit rien, elle avait tant de monde autour d'elle... en son for intérieur il maudit de toute son âme le Zabyle qui lui avait assuré qu'il serait fort s'il... non, il avait entendu ce qu'il avait voulu entendre à cette époque. Il se détesta encore un peu plus.

La jeune femme sentit le malaise qui les gagnait, elle savait pertinemment qu'étaler son bonheur sous son nez était aussi dangereux que mesquin. Pourtant, voir danser dans ses yeux morts une flamme de tristesse infinie lui fit le plus grand bien.

- Je rentre chez moi demain.

D'un accord tacite, il la suivrait jusqu'a son village. Puis, ils se donneraient la mort. Enfin. 

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