On ne peut rien changer à son destin.

On ne peut rien changer à son destin.

Esope.



Le temps parut ralentir, plus aucun son ne se frayait un chemin jusqu'à lui. D'ailleurs, le colosse n'entendait pas son propre hurlement. Tout ce qu'il voyait le rendait dingue ! Elle, sa Kulka, les deux mains jointent sur sa joue à genoux et la bouche grande ouverte dans un cri atrocement silencieux. Autour d'eux, le vent maudit se leva, lui qui se tenait tranquille depuis bien des années venait de se réveiller avec une violence sans précèdent. Il ne tombait pas du ciel, comme il aurait dû le faire, non, il venait de la terre et s'élevait vers les cieux en emportant tout ce qu'il pouvait avec lui.

Et le sifflement, cet atroce sifflement qui vrillait les tympans et rendait fou tout être vivant, faisait lui aussi son grand retour.

Anton se releva en lâchant la chevelure de sa victime, son pied se planta dans son dos et sa colonne craqua de façon écœurante. Personne ne fut témoin de la mort du meneur, il périt dans la plus grande souffrance et l'ignorance la plus totale.

Ana, avait en effet la bouche grande ouverte, mais la douleur était tant puissante qu'elle ne put émettre aucun bruit. Elle avait l'impression d'avoir toute sa chaire en feu et que sa joue était le foyer de cet intense brasier. Quand ses deux genoux touchèrent le sol, tout son squelette trembla sous le choc. La jeune femme avait bien trop mal pour remarquer le retour du maudit vent, c'est à peine si elle aperçut l'ami se lever pour venir vers elle. Elle ne perçut pas non plus son visage tordu par la douleur et la peur, la jeune femme n'était que douleur et silence. Un silence atrocement bruyant.

Tout bascula. Tout prit fin en un instant. Quelque chose ou quelqu'un de bien plus puissant que tous les êtres humains réunis dans ce Mira venait de prendre les reines. Cela se déroula en un claquement de doigts. Juste une petite et ridicule seconde.

Ana tomba dans les pommes sous les yeux de son protecteur et toujours sous ses yeux, Ana disparut. Elle se fit absorber dans un Mira invisible et dans un vacarme sans précédent.

Tout parut revenir à la normale.

Le colosse put enfin hurler un chapelet de juron et respirer à plein poumon. À peine était-il arrivé la où se trouvait Ana qu'elle disparut. Il ne put rien faire, il ne pouvait qu'assister à cette malédiction millénaire.

Tout retomba, le vent, le bruit, les battements de son cœur. Tout.

- Ebat', c'est quoi ce bordel ! jura l'ami en tombant à son tour sur ses genoux. Ana ! l'appela-t-il plus fort, ANA !!!! beugla de toutes ses forces ce pauvre homme au cœur anéanti en levant le visage vers le ciel qui s'assombrissait rapidement.

Trop occupé a hurlé, supplier et surtout menacer tout ce qu'il connaissait, l'ami ne remarqua pas que la couleur du ciel changeait rapidement. Au-dessus de lui, le gris habituel des cieux laissa sa place à un orange si vif qu'il brula plus d'une rétine. Il ne s'aperçut pas non plus de l'orage qui se formait, il ne voyait plus rien. Il ne faisait que de ressentir l'innommable douleur de son pauvre cœur qui se brisait encore et encore en mille morceaux. Et puis, il avait peur. Une véritable terreur venait empoisonner tout son corps et étrangler tout ce qui faisait de lui un être capable de ressentir des sentiments.

Ana déversa le contenu de son estomac sur un sol sec et brun. Une brume épaisse et opaque s'élevait de celui-ci avant de se dissoudre dans le néant. Elle avait aussi très chaud et tout son corps lui faisait mal, sa gorge était en feu. Elle brulait de l'intérieur. Toujours à quatre pattes sur ce sol inconnu, la jeune femme tentait de reprendre son souffle entre deux nausées. Sa joue ne lui faisait plus autant mal, elle ressentait plutôt une gêne qu'autre chose.

- C'est quoi ce truc ? demanda la jeune femme en relevant la tête et en fronçant les sourcils. Sous ses yeux un Mira totalement inconnue et stérile se dessinait. Elle en profita pour toucher sa peau meurtrie en profondeur.

Sous ses doigts, sa joue se dessinait autrement : elle n'était plus lisse, presque rugueuse et complètement sèche sans pour autant être douloureuse ou raide. C'était comme-ci cette cicatrice avait toujours fait partie d'elle, qu'elle était a sa juste place depuis bien des siècles.

Autour d'elle tout tirait sur le brun et le gris, il n'y avait pas un seul arbre. Rien. Pas même le maudit vent. Rien de vivant à part elle et ses angoisses, elle et cette peur qui lui tenaillait les entrailles.

- L'ami ? An... Anton ? Tenta Ana en tremblant, d'instinct elle chercha son couteau. Un frisson glacial traversa son corps quand elle se rendit compte qu'elle ne l'avait pas. C'est quoi cette histoire.... ANTON !! L'AMI !!! hurla-t-elle ensuite si fort que ses poumons l'a brulèrent un peu plus.

Un raclement de gorge attira l'attention de la jeune femme, Ana eut besoin de se retourner complètement pour se diriger vers le bruit. Son sourire se fana aussi vite qu'il avait grandit sur son visage, pendant un instant elle crut que ce son provenait de son protecteur et qu'il allait se moquer d'elle et lui faire une fois de plus la leçon.

Ce n'était pas lui, pourtant elle ressentait sa présence au fond d'elle. Il était sa lumière qui éclairait son chemin, et elle la sentait la flamboyer au creux de son estomac. Pourtant ce n'était pas Anton qui se dressait devant elle. Non, une forme vaporeuse plus ou moins humaine se dressait devant elle. Elle était faite d'ombre qui s'enroulait sur elle-même en formant des masses aussi légères que solides.

Ana haussa un sourcil et s'assit sur ses talons, ses deux mains étaient nouées sur ses cuisses.

- C'est quoi ce bordel... souffla la jeune femme en grimaçant, elle ouvrit grand ses magnifiques yeux noirs et se dandina.

Elle s'attendait à entendre le colosse lui rebattre les oreilles « une jeune femme ne dit pas de grossièretés ! Ebat' ! » où « tu veux qu'je te fasse bouffer d'la terre pour que ça te passe ??? ». Mais rien ne vient et cela tordit une fois de plus le cœur de la jeune femme.

La forme s'avança un peu plus, Ana recula en faisant glisser ses jambes sur ce sol aride. Quand son dos percuta un arbre mort, qui n'était pas là une seconde avant, son souffle mourut dans sa poitrine. Sans s'en rendre compte elle se redressa et finit par se retrouver complètement debout ses deux mains de par et d'autre du tronc. Ses jambes tremblaient, mais pour rien au monde elle n'aurait cédé à son envie de prendre la fuite telle une démente.

« Ne fuis jamais devant un prédateur !! » lui avait dit plus d'une fois l'ami. Alors elle ne bougea pas d'un iota, en se concentrant sur sa respiration.

La chose prit une forme plus humaine. Tout son contour était d'un gris qui rappelait la crasse qui s'accumulait insidieusement dans tous les interstices et son centre devenait mauve. Un drôle de mauve à la fois mouvant et statique. Ana eut l'impression d'y voir plusieurs vies se mélanger, se toucher, se percuter et s'éviter.

- Jeune enfant, sais-tu ce qu'est le sacrifice ?

Ana avala de travers sa salive et s'étouffa devant la forme suis ressemblait maintenant a une femme. Une silhouette de femme.

La jeune femme eut le culot de lever son index tout en continuant de tousser dans son autre main. La forme croisa ses bras sur sa poitrine, Ana n'eut aucun mal de l'imaginer hausser un sourcil et taper du pied et signe d'impatience.

- J'imagine que tu sais ce qu'es l'impertinence... reprit l'ombre après un profond soupir. Oui, l'ombre venait de soupirer.

- T'es qui ? Attaqua Ana une fois qu'elle eut repris son souffle. Elle se pencha légèrement en avant et serra ses poings et même si ses yeux étaient encore rouges et larmoyants, il ne faisait aucun doute qu'elle était prête pour se défendre.

L'ombre sourit et se redressa.

- Impertinente, cela aurait pu ressembler a un reproche si le sourire dans sa voix ne se fit pas entendre. Réponds à ma question, reprit l'ombre un peu plus durement.

- T'es quoi. Gronda la jeune femme en montrant les dents.

L'ombre parut réfléchir, puis elle reprit la parole en franchissant les deux derniers pas qui la séparaient de la jeune femme.

- Je suis une Zabyl.

- C'est quoi une « Zabyl » ? La coupa Ana qui faisait tout ce qu'elle pouvait pour retenir sa fureur. Où est mon ami ? Tout en crachant sa dernière question, elle posa ses deux mains sur les épaules de la forme et passa au travers.

Dire qu'Ana fut surprise était un euphémisme ! elle ne s'attendait pas du tout a passer au travers de cette chose. Un coup d'œil plus tard, elle se sentit soulagée de ne plus rien avoir dans le dos.

- Ton « ami », le dédain dans sa voix fit grincer la jeune femme. L'homme qui t'a fait ça est ton... ami ?

Ana, serra les dents en touchant rapidement sa joue. Le feu dans son regard ravit l'ombre.

- Bien, bien, commença l'ombre en mettant ses deux mains devant son visage. Il est encore dans ton Mira, il nous rejoindra après notre conversation.

- Il n'y aura pas de conversation et c'est moi qui le rejoins chez nous !

- Croix-tu avoir le choix ? croix-tu être en position de force ? Lui demanda l'ombre en s'approchant d'elle, elle mobilisa tout son corps pour ne pas lui céder du terrain.

- Je le serais toujours. Se borna la jeune femme en serrant les poings.

- Sacrifice, sais-tu ce qu'est le sacrifice ? Cette fois, la voix de l'ombre se fit bien plus ténébreuse. Cette discussion l'agaçait et elle n'en avait plus le temps. Le sacrifice, c'est l'ultime don de sois jeune femme. C'est aussi une forme d'amour et de respect le plus pure qu'il existe.

- Qu'est-ce que tu me racontes ...

- Je suis une Zabyl, une oubliée. Fille d'un Bog qui ne veut plus d'elle ! Fille d'un monstre avec qui je ne partage plus la même vision du monde. Comprends-tu ?

Ana opina du chef, aussi silencieuse que septique. L'ombre soupira et fit un autre pas en avant.

- Bog, notre Bog, a eu des enfants. Il nous a crées il y a des millénaires, on lui doit tout et surtout obéissance. Chose qu'il n'a plus de moi depuis bien des siècles, je ne voulais pas tuer des êtres vivants sous prétexte que vous n'êtes que des sous être à peine évolué, mais pas moins destructeur. Il y avait un autre Mira avant vous, reprit l'ombre en haussant le ton sous le coup d'une colère qu'elle nourrissait depuis bien des années. Mes frères et moi nous sommes sacrifiés pour votre survie. Je t'observe depuis ton premier souffle, je sais que tu feras ce qui est bon pour ton peuple.

- Toi, ça va pas fort... grogna la jeune fille de plus en plus septique. T'as pas bu un peu trop d'alkogol ?

L'ombre lui attrapa le bras d'un mouvement sec et propulsa son esprit à des siècles d'ici. Ana vu tout ce qu'il existait avant eux, tout ce qui constituait leur ancien Mira. Mira dont elle n'avait jamais eu connaissance avant, comme beaucoup se dit elle en revenant à elle dans un terrible fracas.

Pendant son voyage, qui n'avait pas duré plus longtemps qu'un battement de cœur, Ana prit connaissance du mira d'avant. Il y avait des tas de clans, d'iles, des objets incroyables qui relevaient pratiquement de la magie et surtout assez de vivres pour tout le monde. Elle vit aussi les travers de l'homme, sa façon de se détruire et d'empoisonner sa terre. Elle comprit aussi toute l'histoire de la Zabyl, elle comprit le sens du mot « sacrifice » elle et ses frères avaient mit de cotés tous leurs devoirs et la plus pars de leurs dons pour les sauver eux, les hommes. Ils s'étaient dressés contre leur créateur pour leur laisser une toute dernière chance.

- Maintenant, tais-toi et écoute, siffla l'ombre quand elle laissa le bras de la jeune femme. Ana eut du mal a avalé sa salive. Je sais qui tu es depuis ton tout premier souffle, j'ai tout vu de toi et je sais que tu as tout ce qu'il faut pour mener ton peuple à la liberté.

- Je n'ai pas de peuple. L'interrompit la jeune femme, l'ombre se troubla sous son énervement.

- Tu vas en avoir un, je te le garantis.

- Je n'en veux pas.

- Tiens donc... vois-tu, tu n'as pas le choix, c'est ton destin.

- Mon destin ? S'insurgea Ana en grondant comme une sauvage, et toi qui a tout vu, toi qui m'observes depuis mon premier souffle ou était tu quand on m'a détruite ?! Ce que m'a fait le gros fait aussi partie de mon destin ?!

L'ombre se tut, soupira puis reprit son discours.

- Tu es une Kosilka, Ana. Toutes les kosilkas ont souffert, tu ne peux pas comprendre le sacrifice avec une vie douillette.

- C'est quoi ce bordel, bon tu sais quoi ? Reprend la jeune femme en se retournant pour s'éloigner d'elle, j'ai du prendre un mauvais coup sur la tête ou manger un truc pas frais et je suis en plein délire. Ouais, voilà, ça doit être la viande de renard, j'ai bien dit à l'ami de ne pas la laisser sécher dehors !

- Suffit ! beugla l'ombre et aussi tôt une onde de choc propulsa la jeune femme à plusieurs mètres de là. Tu es une kosilka, une faucheuse ! tu l'es depuis que le Mira est Mira et même ça Bog ne peux rien y faire. Tu as un devoir, un devoir qui est inscrit dans tes gènes depuis ta naissance ! comment crois-tu que tu aies survécu jusque-là ? Le visage de la jeune femme se décomposa, cette question elle se l'était posé des millions de fois. Toutes ces fois ou tu as voulu mourir, toutes ces fois ou tu t'es laissé mourir de faim et de soif ou tu as plongé tes plais dans la boue pour qu'elles s'infectent, sans que jamais ton cœur ne cesse de battre !

La jeune femme avala péniblement sa salive, l'ombre disait vrai.

- Mon destin...

- Oui, jeune faucheuse. Ton destin, reprit l'ombre d'une voix plus douce. Ana opina du chef imperceptiblement, elle encouragea l'ombre a continuer quelque chose dans son discours ou dans sa façon de la regarder avait fait résonner une évidence en elle. Tu as une longue vie pleine d'épreuves qui t'attendent, tu vas devoir te dépasser encore et encore jusqu'à un moment bien précis. Tu le sentiras dans tes os, jeune kosilka. Tu possèdes en toi une forme de magie qui n'a que pour limite ton âme, Ana ne comprit pas le sens de cette phrase. Plus tu vas nourrir ton âme, plus tu seras capable de faire de grande chose kosilka.

- Âme, la nourrir ?

- C'est exacte faucheuse, l'âme c'est ce qui fait ta grandeur. Elle se nourrit de tes actions.

- En gros, fais de bonnes choses et elle ne crèvera pas la dalle.

- Tu n'y es pas, faire « de bonnes choses » dans ce Mira est pratiquement impossible, tout est pourri ici bas. Reprit l'ombre avec une sorte de pincement dans la voix, tu dois faire en sorte que tes actions ne blessent ou ne détruisent jamais ton peuple. Parfois ils ne te comprendront pas, tout ce qu'il compte c'est qu'ils te survivent dans de bonnes conditions.

- Survivant ?

- Que ce soit ici ou ailleurs, il y a un autre qui t'est aussi semblable que différent.

- Donc, coupa une nouvelle fois Ana, si je fais quelque chose de bien ou qui aboutit sur du bien il y a quelqu'un comme moi qui fait tout le contraire.

L'ombre acquiesça avec sévérité. Cette vérité faisait froid dans le dos, Ana trembla légèrement.

- Que dois-je faire...

- Tout ce qu'il te semble juste, répondit l'ombre avec plus de douceur.

- Et ce... ce peuple. J'en sais rien, j'veux dire...

- Tu es faite pour ça, la coupa pour la première fois l'ombre avec toujours autant de douceur. 

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