Les héros aussi, connaissent l'angoisse.
Les héros aussi, connaissent l'angoisse.
Gilbert La Rocque.
Le colosse revient à lui aussi brutalement qu'il était parti. Il eut tout juste le temps de se pencher sur le côté pour rendre ses tripes sur le parquet.
Il se redressa péniblement, tout son corps tremblait encore, c'est à peine s'il pouvait respirer normalement. Il prit une bonne minute pour regarder autour de lui, rien n'avait changé. Il était encore devant on bureau en bois devant sa fenêtre, il faisait toujours jour. Avant de se laisser aller a ses pensées il but plusieurs grosses gorgées d'alkogol' a même la bouteille.
L'ami rendit de nouveau tout le contenu de son estomac dans un bruit écœurant. Une fois vidé, il se rassit plus ou moins correctement sur sa chaise, cette dernière grinçait piteusement sous son poids. Sa Anton laissa tomber sa lourde tête en arrière. Ses doigts effleuraient son visage complètement démoli.
Aujourd'hui, comme hier, il maudissait cette cicatrice qui lui barrait hideusement le visage. Avec le temps, il n'y avait plus cet éclat de douleur dans le regard d'Ana quand elle le posait sur lui. Avec le temps, il avait l'impression qu'elle ne l'a voyait plus.
Le court de ses pensées ne lui plaisait pas le moins du monde, il se leva d'un coup en reculant brutalement sa chaise. Il fila dans la cuisine et fouilla dans les placards bancals pour trouver de quoi éponger ses vomissures. Il fit claquer les petites portes en bois qui ne tenaient à leur place que par miracle et tout aussi miraculeusement, rien ne se brisa.
Il se sentait encore barbouiller. Il ne se laissait pas le choix que de continuer sa recherche. Comme il ne trouva pas de bout de tissus assez épais, il fonça chez lui. Sa maison lui semblait étrangère. Il secoua la tête dans de gauche à droite pour chasser cette stupide idée et prit ce dont il avait besoin tout en s'interdisant de trop réfléchir. Le colosse n'avait jamais été fait pour les longues et intenses réflexions, c'était un homme d'action qui suivait son instinct, rien d'autre.
De retour chez sa Kulka, il eut un temps d'arrêt. Il regarda par la fenêtre et oui, le corbeau était encore perché sur le toit d'en face.
- Maudit annonceur de mort... grogna le colosse en se mettant à sa tâche.
Nettoyer le sol lui donnait l'impression de mettre de l'ordre dans ses idées, plus les salissures disparaissaient plus il avait l'impression d'y voir claire. Le seul point qu'il ne comprenait pas, était pourquoi elle lui faisait revivre leur première vie ?
Lui, qui s'était appliqué à noyer certains souvenirs sous des litres de sang et d'alkogol'... elle venait de foutre en l'air tous ses efforts en moins de temps qu'il lui en fallait pour le dire. Quelque part, il lui en voulait et l'instant d'après il s'en voulait de lui en vouloir.
- Ebat'... j'vais pas aller loin si je continu comme ça.
Il mit ses tissus sales dans la cuisine et ouvrit la fenêtre du salon. Il se sentait épuisé. Et même s'il ne comprenait toujours pas ou voulait en venir Ana, il retourna s'assoir devant son petit bureau en bois en poussant un long et profond soupire. Si elle avait fait tout cela, c'était bien pour une raison précise !
Ne pas connaître cette raison lui tordait le cœur, le colosse n'irait pas jusqu'à dire qu'ils partageaient tout. Ils avaient bien quelques secrets l'un pour l'autre. Mais, rien qui ne promettait autant de changements et de magie.
L'ami se contenta de fermer les yeux un instant, il prit sur lui pour respirer plus calmement. Doucement, son cœur retrouva un rythme normal. Quand il se sentir prêt, il prit son temps pour ouvrir les yeux.
Il put voir à travers la fenêtre que la rue était pleine de vie, des soldats, comme lui, s'y croisait. Il y avait aussi leur peuple qui vaquait à ses occupations sans la moindre angoisse d'une attaque. Cette sérénité faisait sa fierté. Il ne pouvait pas dire à quel point cela le rendait heureux, mais cela soulageait les maux de son trop vieux cœur.
Au coin d'un mur, il entrevue une sentinelle. Ce n'était pas son fils, Noa était bien plus discret que cela.
Il soupira bruyamment et se décida enfin à baisser le nez sur les papiers qu'avait laissé sa Kulka.
Sous ses yeux les lignes se mélangèrent pour ne former qu'un tas de traits incompréhensible. Voyager à travers le temps l'avait épuisé, vidé d'une grande partie de son énergie.
Il lui fallait manger et dormir. Si possible dans cet ordre et sans encombre. Il resta septique pour ce dernier point.
Il prit donc le chemin du fief de tous les soldats en trainant quelque peu les pieds. Il se doutait que plusieurs soldats le regarderaient intensément sans oser lui demander où était leur Kosilka. Seuls Noa, Sabryne et Zoran pouvaient le lui demander sans risquer de se faire arracher la tête ou d'écoper d'une bonne taloche. Les claques du colosse étaient comme lui immenses, furtives et surtout douloureuses. Extrêmement douloureuse.
L'ami, le regarde river sur le sol, se demandait encore combien de temps ce merdier allait durer. Il voulait la voir et même s'il ne la prenait pas dans ses bras ou ne la touchait pas il saurait au moins où elle serait. Et pour lui, cette simple évidence soignait bien de ses maux.
La forme atypique de leur lieu de regroupement se dessinait bien avant qu'il n'atteigne sa porte. Cette demeure, faite de bois et de pierre et en forme de champignon inversé, avait toujours tenu lieu pour les soldats. Autrefois les tables et chaises étaient en bois, maintenant elles étaient faites de pierre. Toujours aussi simple à briser pour ces hommes et ces femmes hors du commun, mais bien plus douloureux.
Anton laissa glisser ses doigts sur la petite tablette en bois juste devant la porte, cette petite chose avait été la seule à ne jamais s'être fait briser. Les règles d'Ana étaient sacrées et tous ici bas connaissaient la sanction si l'une d'elles était bafouée.
La mort. Dans son plus simple appareil et toujours donné par la faucheuse. Ses règles sont devoir comme elle aimait dire.
L'odeur forte et particulière de l'alkogol envahit les narines du colosse. Il se sentait chez lui ici, dés son entrée ses soldats lui adressèrent un sourire ou un regard franc. Il était dur avec ses hommes et tout aussi juste. L'espace d'une seconde, une ombre attira son regard dans un angle mort. Il soupira. Son pauvre et vieux cœur lui avait fait croire que sa Kulka était de retour. Idiotie, il l'aurait senti bien avant. Ce n'était autre que la jeune sentinelle de ce matin.
- Tu viens pour prendre racine ou pour manger vieux frère ? Lui demanda Zoran, qui était installé à leur table de d'habitude. Ce dernier soupira et le rejoignit sans un regard pour le jeune.
- Deux fois.
- Merde... t'es grillés sors de là ! À peine eut-il fini sa phrase que la jeune sentinelle sortit de son trou tout Penot. Où l'as-tu vu pour la première fois ?
- À l'angle de la rue quand j'étais chez la Kosilka, répondit Anton en joignant ses. Deux mains devant lui sur la table. Et ici, quand je suis rentré.
- Qu'en conclus-tu ?
- Je manque d'entrainement, souffla le jeune homme avec une pointe de rage dans sa voix.
- Part te défouler et revient filer Noa. Intervient l'ami en coupant la parole à Zoran.
Le gamin opina du chef et fonça en direction de la sortie.
- Tu sais bien que c'est dur de me coller au train...
- Et coller à celui de ton fils c'est pas compliqué peut-être ?
Les deux amis rirent de bon cœur après s'être affrontés du regard. Bien sûr, suivre sans se faire repérer le chef et le créateur de la sentinelle était mission impossible, tout comme tenter de ne pas se faire repérer par son colosse de père. Pourtant, c'était un exercice dès plus formateur et ces deux hommes ne le savaient que trop.
- Vous voulez manger quoi ? demanda une jeune femme qui venait de s'approcher d'eux avec un broc d'alkogol entre chaque main.
- As-tu de la biche ?
La jeune femme, parfaitement humaine, hocha de la tête et repartit en direction de la cuisine. Elle avait un pas léger, si bien que l'ami eut l'impression qu'elle sautillait.
- J'imagine que notre Kosilka à faire en dehors de nos murs ?
Anton ferma les yeux et souffla, il savait que cette question allait lui être posé, il voulait juste retarder au maximum l'inévitable.
- T'imagines bien.
Un lourd silence s'abattit entre les deux hommes, il ne fut brisé que grâce à leur jeune serveuse.
- Comment se passe l'entraînement du môme ? Anton parlait du gamin qu'il avait affronté la veille au terrain d'entrainement, il eut l''impression que cela s'était déroulé des siècles auparavant avant.
- Il a la tête bien solide... grogna son ami avant de planter ses dents dans un bout de viande saignante.
- T'en feras quelque chose ?
- S'il se met à moins regarder son cul, il peut être plus fort que moi. Avoua Zoran, Anton le fixa.
Rien dans le regard de son ami ne trahissait une quelconque amertume ou de la jalousie, Zoran énonçait un fait. Le plus simplement possible.
- Si tu l'en crois capable, il aura sa petite équipe en temps et en heure. Conclus le colosse en arrachant un bout de viande à son tour.
Leur discussion prit un tout autre tournant, ils parlaient de choses bien plus légères presque infantiles. Anton apprit donc que son ami venait de conquérir le cœur d'une autre femme. Une de plus qu'il se dit sans pour autant dire le fond de sa pensée.
Zoran avait pour habitude de tomber amoureux à chaque nouvelle brise du maudit vent.
Ce dernier connaissait les sentiments du premier soldat de la faucheuse a son égard, il n'avait jamais compris pourquoi ces deux êtres ne s'étaient jamais allés à leurs sentiments respectifs.
D'après le meilleur ami du colosse, l'amour rendait plus fort et des gens comme eux, ceux qui avaient bien trop de responsabilités se devaient d'aimer et d'être aimé.
Bien que conscient de tout cela, ils n'en parlèrent jamais et Zoran respectait son ami et encore plus son supérieur hiérarchique.
- Une humaine ?
- Oui, confirma Zoran avec le sourire typique d'un jeune amoureux.
- T'es conscient que sa vie va bientôt se faner ?
En face de lui, son ami serra les dents.
- On le sait.
- Alors je te souhaite tout le bonheur du Mira.
Les détenteurs de pouvoir vivaient longtemps, trop longtemps contrairement aux autres.
En rentrant chez lui, le colosse fut surpris par son fils qui l'attendait devant sa porte. Ses tripes se tordèrent une nouvelle fois. Il détestait mentir à leur fils. Elle le lui avait fait promettre. Il lui en voulut ardemment.
- Tu sais que tu as la permission de minuit.
Le jeune homme au regard si particulier lui sourit et franchit rapidement les quelques pas qui les séparaient.
- J'ai eu comme un élan de nostalgie.
- Ça va mieux ? Lui demanda son père après l'avoir pris dans ses bras.
Le colosse avait toujours été surpris de constater que le jeune homme, doué d'innombrables pouvoirs et capable de tuer aussi froidement et violemment que sa mère, venait encore réclamer un peu de chaleur parentale. Pour Noa, c'était quelque chose de normal. Ils étaient ses parents, pas depuis toujours certes, mais depuis bien assez de temps pour les considérer comme tels.
- Entre donc le colosse s'effaça pour le laisser entrer. Du coin de l'œil, il lorgna sur la porte d'entrée de sa Kulka, Noa fit mine de ne rien voir.
Les deux hommes passèrent un long moment à se parler, pas une fois ce fils n'essaya de savoir ou était sa mère et son père évita religieusement ce sujet.
Noa repartit avec la tombée du jour en promettant à son colosse de père de repasser bientôt.
Quand Anton se retrouva seul avec ses pensées et ses angoisses, il eut l'impression que les murs se rapprochaient de lui. Il eut beau fermer les yeux, jurer et serrer les dents jusqu'à qu'elles grincent, rien ne changea. Un besoin irrépressible d'air et d'espace se fit ressentir. Il sortit en trombe de chez lui, sa lourde porte en bois claqua contre sa façade, une fissure de plus vue le jour.
Penché en avant, les deux mains sur ses genoux et la respiration sifflante, le colosse perdait de sa superbe. Pour la première fois de sa vie, il faisait une crise d'angoisse. Son cœur se tordait tant dans sa poitrine que la douleur se fit bientôt trop intense. Une de ses jambes céda, la terre tourna autour de lui. Le contenu de son estomac fut accueilli par le sol. Anton sentit encore son estomac se soulever un nombre incalculable de fois. Son salut vint grâce à son ami.
Zoran se sentait agité depuis plusieurs heures. Il suivit son instinct et se laissa guidé par lui, ses pas l'emmenèrent sans détour jusqu'aux maisons de ses meneurs. Cet homme, unique vrai ami du premier soldat, donnerait sa vie par mille fois pour eux. Depuis, ces très nombreuses années jamais il n'avait vu le colosse flancher. Il semblait indestructible. La kosilka semblait être toujours au-dessus d'eux, sans arrogance aucune ni violence superflue, cette jeune femme figée dans le temps vivait pour eux tout en restant solitaire.
Alors, quand il aperçut son supérieur un genou à terre, la respiration rare il paniqua.
- Ebat' ! vient vieux frère ! Il passa l'un de ses bras sous les épaules du colosse et le traina jusqu'à chez lui. Faut pas qu'on te voie comme ça. Grogna le second qui était en plein effort.
Il avait raison, personne ne devait voir le premier soldat ainsi. Si lui craquait, si le pilier de la faucheuse perdait pied c'était mauvais signe.
Au loin, le maudit vent se déchainait.
Une fois à l'intérieur, les hommes se laissèrent tomber sur le sol. Leurs respirations sifflantes se mêlèrent dans une cacophonie assourdissante.
- Il se passe quoi ?
Pour toute réponse le colosse grogna, tout en gardant les yeux fermés, il se concentrait sur son souffle.
Inspirer.
Expirer.
Lentement, encore et encore. Jusqu'à que les murs et la terre cessent de vouloir l'engloutir. Jusqu'à qu'il ait l'impression d'aller mieux.
- Je peux faire quoi pour toi ? Il était sincère, Zoran l'était toujours.
- Y'a rien à faire...
- T'as une mission ? Anton soupira en hochant la tête.
Zoran ne lui demanda plus rien, il laissa son ami se calmer et quand il fut sûr que ce dernier ne s'écroulerait pas, il se leva pour lui ramener de quoi se rincer la bouche.
Il partit une fois que le ciel devint entièrement noir.
L'ami avait besoin de se retrouver seul avec ses pensées, son ami l'avait très bien compris. Il toucha sa cicatrice. Se mettre debout lui couta un effort monstrueux, toutes ses articulations craquèrent et ses os grincèrent. Ses pas lourds le menèrent jusqu'à chez sa voisine, il eut l'impression de n'être qu'un fantôme sans but. Pourtant, chez elle l'air était plus frais, le sol moins crasseux et la vie plus calme.
Sans aucune autre forme de procès, il s'y dirigea dans la chambre de sa Kulka. Peut-être que ses draps avaient encore son odeur ? La pointe de ses pieds cognèrent plusieurs fois sur le sol, Anton était épuisé. Aussi bien physiquement qu'émotionnellement. Il s'était déjà retrouvé dans cet état et comme à chaque fois, il se jura de ne pas renoncer.
Son corps douloureux se détendit dès l'instant ou il se coucha sur son lit. Juste avant de s'endormir, il sourit en nichant son nez contre l'épaisse peau qu'Ana utilisait pour se couvrir.
Elle avait son odeur.
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