Le pire diable chasse le moindre

Le pire diable chasse le moindre

Marguerite de Navarre.



La petite n'était pas naïve, elle n'avait jamais pu l'être, tout en se faufilant dans un petit trou elle retenait sa respiration. L'endroit avait toujours senti mauvais, pourtant Ana s'y réfugiait dès qu'elle le pouvait. Elle était l'une des rares à être assez menue pour y entrer et surtout à ne pas vomir en y entrant. Les cadavres en décomposition ne l'avaient jamais dérangé, eux au moins ne cherchaient pas à la voler ou à la violenter. Et ils ne parlaient pas, Ana avait appris à aimer le silence.

Puis, cette caverne dans la roche avait une réserve d'eau douce naturelle que personne ne connaissait. C'était un luxe dans ce Mira, un peu d'eau non souillé et à disposition. Elle s'était juré de garder ce secret et jamais elle n'avait vendu la mèche. Elle se laissa glisser contre la paroi en pierre pour atterrir sur ses fesses maigrelettes. Sa main toucha la surface de l'eau, elle apprécia son contact une myriade de frissons remontaient le long de son bras. La jeune fille se laissa fasciner par la chair de poule qui lui faisait dresser ses poils sur son corps.

Elle ne grimaça pas quand la roche égratigna son dos. Ana avait toujours eu une relation étrange avec la douleur, parfois elle aimait la ressentir, cela l'aidait a se souvenir que c'était un être vivant. D'autre fois, elle la fouillait voulant oublier la vie qui habitait en elle. La jeune fille allongea ses petites jambes devant elle, le sol inégal et humide trempa son vêtement. Vêtement volé quelques jours plus tôt à un autre enfant qui ne pourrait plus jamais voir le jour se lever.

Sans attendre, elle se mit à manger avec gourmandise les quelques fruits et la viande séchée qu'elle venait de chiper. Au loin, le beuglement du volé résonnait encore. Elle ne s'en inquiétait pas le moins du Mira. C'est à peine si Ana prenait le temps de mâcher, l'urgence de tout avaler était bien plus forte que tout. Se gaver jusqu'à l'excès et s'endormir avec le ventre plein était un luxe, tout comme se réveiller chaque matin. Pendant un instant elle se demanda si elle devait garder quelque chose pour sa mère, non. Cette femme n'avait jamais rien donné à ses frères et sœurs alors, pourquoi le ferait-elle ?

Une fois l'estomac rempli et sa soif étanchés, la jeune fille se déplaça jusqu'à un petit monticule de pierres. Ce dernier ressemblait à une petite montagne avec ses roches qui se chevauchaient, il avait aussi un bout de tissus crasseux coincé entre deux cailloux.

- Bonne nuit, souffla l'enfant en serrant le tissu entre ses petits doigts osseux et noircis par la saleté.

Ce médiocre souvenir était pour la jeune fille le plus précieux des souvenirs. Il y avait quelques semaines de cela, c'était un vêtement de son frère. Il était à peine plus vieux qu'elle et bien trop gentil pour ce Mira. Il avait été assassiné par deux adultes pour le manger. Cette pratique était courante ici bas, on dévorait ceux qui avaient le cœur trop tendre et sa mère le savait très bien et n'avait que trop rarement manqué de viande. Seuls les plus forts pouvaient prétendre à quelques années de vie laborieuse.

Son frère n'avait pas de prénom, dès sa naissance il avait été décrété qu'il ne serait pas assez fort pour vivre. Ana l'aimait beaucoup, bien plus que tous les autres. Il lui disait qu'elle était belle et gentille, qu'elle avait un bon cœur, mais que jamais elle ne devait le montrer ni faire confiance à un homme. Jamais. Qu'ils étaient la définition du malheur et qu'ils lui feraient toujours du mal. Il lui disait aussi de ne pas avoir d'enfants et de fuir. Qu'importe la destination, mais part, lui disait il en regardant vers l'inconnue.

C'est le cœur brisé que la jeune fille continua son chemin pour atteindre une sortie dissimulée par de la végétation, étant complètement à l'opposé de l'entrée Ana ne craignait plus de croiser qui que ce soit.

Elle n'avait pas pour habitude de se presser pour rentrer chez elle, son « chez elle » n'était rien d'autre qu'un amas de planches en très mauvais états qui ne tenaient debout que par miracle. Elle y était née et était persuadée qu'elle y mourrait. C'est donc en traînants pieds qu'elle se rendait auprès de celle qui l'avait mise au monde.

À plusieurs kilomètres de là, un jeune homme au visage glacial sortit de la forêt. Il portait sur son épaule gauche tout un tas de peau de biche et de renard. Certaines étaient encore poisseuses de sang, quand il se déplaçait une nuée de corbeaux le suivait. Cet homme avait pour réputation de communier avec la mort.

Ce ragot avait au moins un avantage, personne ne cherchait à l'attaquer.

- Voler Anton ? Que Bog te préserve !

Le colosse entendait souvent cette phrase sur son passage, il aimait être craint. Il aimait cette puissance et surtout cet éclat de peur qui faisait briller tous les êtres qu'il croisait. Inconsciemment, il avait travaillé son image pour représenter le danger qu'il incarnait : sourcils froncés, lèvres pincées, regard sombre, voix forte et grondant ses réponses. Il troquait ses peaux contre de l'eau ou un peu de luxe, parfois contre la chaleur d'une femme.

Ce jour là, comme bien d'autres, il se rendait là ou tout le monde se rassemblait pour tenter de gagner un jour de vie supplémentaire. Anton n'avait jamais eu ce souci, être un homme aussi solide que la roche aidait énormément. C'était son défunt père qui l'avait élevé, sa mère était morte en couche, le vieil homme n'avait jamais refait sa vie. Il l'estimait déjà bien trop compliqué, alors pourquoi en rajouter et il devait s'occuper de son unique fils. Le vieillard avait tué ses deux filles quand son fils était tout jeune. Ce Mira n'est pas fait pour elle, qu'il s'était dit en pleurant toutes les larmes de son corps. Ce pauvre homme les pleurait si souvent qu'Anton ne se souvenait pas d'avoir vu un jour son père avec les yeux clairs.

Le colosse n'en voulait pas à son géniteur, il s'était toujours dit qu'il aurait fait la même chose. Anton aurait même poussé la tuerie à tous ses enfants ainsi qu'à lui-même. Parfois, il se demandait si vivre un jour de plus en valait la peine.

Fais ce que tu as à faire et trace ta route ! lui avait dit son père le matin de sa mort. Lui aussi troquait le fruit de sa chasse, mais ce soir-là il ne rentra pas. Anton comprit, pourtant il resta chez eux et quand, quelques jours plus tard, il sut qui lui avait enlevé son père il se déchaîna. Depuis ce funeste jour, Anton avait la réputation de monstre aimé par la mort.

- Je veux de l'eau. Sa voix rêche claqua dans l'air, si bien que le marchand recula d'un pas.

Il claqua des doigts et un môme partit en courant chercher le précieux liquide. En attendant, les deux adultes se toisèrent. L'inconnu faisait mine d'examiner les pièces. Quel que soit leur état, ils les accepteraient, il avait bien plus peur d'Anton qu'autre chose.

Le colosse, lui, regardait autour de lui sans vraiment faire attention a ce qu'il se passait tour de lui. Beaucoup de choses le dérangeaient, mais il ne voulait rien à voir avec eux alors il se taisait.

À quelques mètres d'eux, une femme aux cheveux noirs parlait avec un homme bougon et gras. Anton fronça les sourcils, être gros dans ce Mira n'était pas normal. Ce luxe n'était réservé qu'aux marchands ou aux cannibales. Chose qui le répugnait au plus haut point. Il détourna la tête. Et commença a pianoter sur l'établi en bois qui le séparait du marchand. Ce dernier se retourna pour s'assurer que le gamin revenait bien avec le précieux liquide.

Une fois la transaction faite, et le souffle du marchand retrouvé, Anton fit demi-tour. Ses pas le menèrent vers le gros et la femme.

- Donne-la-moi.

- J'y gagne quoi ? répondit la femme en crachant ses mots.

Le gros lui montra quelques choses que le colosse ne put voir, mais les yeux brillants d'excitation de la femme lui collèrent des frissons.

Il se dépêcha de continuer son chemin, Anton ne voulait pas savoir de qui ne de quoi ils parlaient, tout cela le dégoûtait bien trop.

À plusieurs kilomètres de là, Ana rentrait enfin chez elle. Elle ne cacha pas sa satisfaction de se retrouver seule. Quand le soir, venu sa mère rentra la jeune fille sentie tout son corps se tendre.

Quelque chose clochait dans son regard, une gourmandise malsaine lui rongeait les pupilles.

- Tu as trouvé de quoi manger ?

Pendant que la jeune fille lui répondit par la négative cette mère lui rappela a quel point elle était inutile.

De son côté, Anton n'avait de cesse de repenser à ce bout de conversation entendu plus tôt. Cela le rongeait, il ne comprenait pas le besoin de faire mal, d'écraser autrui pour vivre. Il y arrivait bien seul non ? Alors pourquoi pas les autres ?

C'était aussi pour cela qu'il ne voulait se lier avec personne, il était hors de question d'être responsable de qui que ce soit. Il ne voulait dépendre de personne et encore moins que quelqu'un ne dépende de lui.

Sous le coup. De la colère il eut un geste imprécis alors qu'il décortiquait sa viande du jour. Son couteau lui transperça sa paume de main.

- Ebat' ! Qu'il hurlât tout en se relevant brutalement, sa chaise se fracassa au sol et ses murs tremblèrent.

Tout en sortant de chez lui pour aller se laver la main, il cueillit quelques feuilles aux propriétés soignantes. Du coin de l'œil il s'aperçut qu'un cerf au nez tordu et avec une patte bien plus courte que les autres broutait dans son coin.

Anton sortit son couteau.  

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