Le câlin n'a pas d'heure, il est salutaire de jour comme de nuit.
Le câlin n'a pas d'heure, il est salutaire de jour comme de nuit.
Kathleen Keating.
En revenant dans leur Mira, les deux amis eurent du mal à rassembler leurs idées et à réaliser ce qu'il venait de se passer. C'est donc pour cela qu'ils n'échangèrent que peu tentant de vaquer a leurs occupations plus par besoin de s'occuper que par réel intérêt. Ils décidèrent de déplacer leur camp quand ils remarquèrent que la plus grande partie du corps du meneur avait été déchiqueté.
Ils n'eurent pas le cœur de monter une nouvelle leur tente, c'est à peine s'ils prirent le temps d'installer quelques peaux pour se coucher. Le colosse avait englouti sa maigre réserve d'alkogol sans reprendre son souffle sous le regard critique de la toute nouvelle Kosilka. Cette dernière mâchonnait un bout de viande séché distraitement. Les paroles de l'ombre resonnaient encore en elle sans vraiment prendre de sens. Pourtant, un sentiment puissant avait pris possession de son âme, elle se sentait capable de briser des montagnes et de créer des pleines d'un battement de cil.
Le dos de sa main effleura sa joue meurtrie, elle ne ressentait ni douleur ni rancœur. À aucun moment elle ne pensait que son ami en était le responsable. Cette idée ne lui avait pas un seul instant effleuré l'esprit.
Tout comme Anton, elle se coucha rapidement dans le plus grand silence. Elle ne ressentait pas le besoin de parler, bien des choses se passaient dans son esprit. L'ombre sur son bras venait de se mouvoir sur son bras, il possédait une petite tête triangulaire avec deux petits yeux qui ressortaient très légèrement. Ana caressait délicatement son crane du bout du doigt, elle fut surprise de la voir tourner la tête sur le côté pour réclamer un peu plus de douceur. Cela fit sourire tendrement la jeune femme, pour ce soir elle se dit qu'elle pouvait mettre sa nouvelle destinée de côté.
La nuit fut longue. Les deux comparses étaient tous les deux plongés dans leurs pensées et aucun des deux n'avait envie de parler. Ils avaient tous deux besoins de se recentrer, de mettre de l'ordre dans leurs idées.
Anton, allongé sur le dos, ne bougeait pas d'un iota. Il ne cessait de ressasser les derniers évènements, il était encore septique même si au fond de lui il sentait que tout était vrai. Puis, sa Kulka semblait y croire alors il y croyait. Il soupira une nouvelle fois et allongea son bras pour toucher sa nouvelle arme, les battements de son cœur se calmèrent. Il ferma les yeux un instant, maintenant, il était un soldat et un témoin. Tout cela lui paraissait encore bien flou, la seule chose dont il était sûr était qu'il suivrait Ana jusqu'au bout de leur Mira. Du coin de l'œil il observa Ana qui lui tournait le dos. Une fois de plus il l'entendait toucher sa joue meurtrie par sa faute. Il se leva, prit son marteau et s'enfonça dans la forêt avec pour objectif de cueillir quelques plantes pour en faire une pâte qui soulagera la douleur de sa Kulka.
La jeune femme l'entendit s'éloigner, cela ne l'angoissait pas, car elle sentait qu'il n'était pas loin. Elle fut d'abord troublée de ressentir cela, puis elle s'en délecta. Elle percevait, dans son cœur, l'endroit exact où il se trouvait. Sa main se referma sur sa faux, l'ombre se déplaça une nouvelle fois jusqu'à ses doigts refermés sur son arme. Tout en se mettant sur le dos, elle tendit son bras devant elle.
- Un prénom... pour que tu vives ? souffla la jeune femme en inspectant le corps de son familier. Il s'anima, elle eut l'impression qu'elle le regardait. Comment dois-je t'appeler ? se demanda-t-elle sans cesser de fixer son bras.
Tout en le laissant retomber lourdement sur le sol, elle laissa son regard se perdre vers les cieux. Pour ne pas changer, d'épais nuages menaçants cachaient le ciel. Elle les avait toujours connus, et du plus loin qu'elle pût se souvenir, Ana les avait toujours trouvés angoissant. Aujourd'hui aussi.
Le vent maudit frappait bien plus loin, il se battait contre les vagues de la mer blanche.
Ce que personne ne saura jamais est que le vent maudit se battait réellement contre la mer blanche. Il s'évertuait à l'empêcher de venir envahir ce dernier bout de terre de ce Mira. La Zabyl lui avait volontairement caché ce fait. Bog, avant de se faire tuer par ses enfants, avait maudit cette terre. D'une voix aussi démente que caverneuse, il avait hurlé avec toute la force de son dernier souffle de vie :
« La terre et l'eau tenteront de tuer les derniers pauvres fous qui errent ici-bas jusqu'à la fin des temps ! »
Sa haine donna naissance à cette malédiction, pour contrebalancer cette dernière horreur, ses enfants durent eux aussi faire entendre leurs voix.
Certains donnèrent naissance au vent maudit, il tentait, depuis des années, de vaincre la malédiction létale de leur Saint-Père. Seule une poignée d'entre eux eurent assez d'énergie pour devenir des Zabyls. Ana et l'autre n'étaient pas les premiers dans ce Mira ou dans l'autre de se voir investir cette mission.
Le vent maudit cessa. Ana s'autorisa à fermer les yeux instants.
L'ami, qui trainait sa lourde arme derrière lui, ramassait consciencieusement les plantes dont il avait besoin. Il revenait vers sa Kulka sur la pointe des pieds, il prit aussi sur lui de soulever son arme pour ne pas faire de bruit.
Silencieusement, à peine éclairé par une lune faiblarde, le colosse commença à broyer le fruit de sa cueillette. Il rajouta un peu d'eau et quelques noyaux de fruits broyés. Une fois la pâte prête, Anton se sentit stupide. Sa mixture ne parviendrait jamais à soigner Ana, sa peau serait a jamais meurtrie ! cela lui donna la nausée.
Le soleil peina à percer les épais nuages. Le vent maudit venait à peine de se coucher. Tout en se redressant, la jeune femme se frotta les yeux, elle ressentait la présence de son ami sur sa gauche.
- T'as mal ? croassa-t-il sans la regarder.
- Non, soupira la faucheuse en serrant les dents. Elle ne supportait pas de voir son ami se ronger les sangs ainsi.
Elle s'approcha de lui en trainant les pieds, sa nuit blanche pesait sur son corps. Quand elle fut devant lui, il ne la regardait toujours pas. La jeune femme serra les poings. Elle sentait son familier se déplacer sous sa peau. Elle soupira et fit quelque chose d'inédit. Elle le prit dans ses bras. Tout en enlaçant ses trop larges épaules elle nicha son fin nez dans contre son cou.
Anton, toujours assis sur une souche qui peinait à supporter son poids, se figea. Jamais depuis ces dix derniers hivers elle ne l'avait pit dans ses bras ni lui. Il se l'était toujours interdit. Il retenue sa respiration de peur de briser cet incroyable moment, Ana resserra sa prise. Quelque chose se brisa en eux, une barrière quasiment indestructible dressée depuis bien des années autour de leurs cœurs.
Ce fut à son tour d'entourer sa Kulka de ses bras, tout son visage se réfugia contre son épaule.
- C'est l'autre qui m'a fait du mal pas toi, Anton se figea Ana le sentit, mais en avait cure. Tu m'as protégé. Comme toujours.
Les mains du colosse se refermèrent en deux poings aux jointures blanchis par la tension sur le vêtement de la Kosilka.
- J'suis désolé. Couina piteusement l'ami qui n'avait toujours bougé, la jeune femme bougea son pied pour trouver un meilleur appui.
- Tais-toi...
Sa voix était étouffée par le cou de son ami qui la dépassait même assis.
- N'oublie jamais que sans toi je ne serais plus en vie depuis...
- Tais-toi, répliqua le colosse en bougeant ses bras.
Ces derniers couvraient pratiquement tout son dos, même ainsi il la protégeait.
- Il faut que tu en mettes sur ta joue.
Ana venait de voir le cataplasme que le colosse avait fait cette nuit. Anton ne bougeait toujours pas, pourtant il l'avait vue tourner la tête et observer son petit bol fait en pierre. Il l'avait vue avec son esprit.
- Aide-moi, dit-elle en se reculant de quelques pas. S'éloigner de lui fut douloureux.
Elle prit le récipient entre ses mains et se remit devant le colosse avec la ferme intention de le sortir de sa torpeur. L'ami ? Rajouta-t-elle en lui montrant l'onguent tout en haussant un sourcil noir.
Faire le geste de plonger ses doigts dedans et d'étaler le résultat de son travail sur la peau abimée de sa protégée lui couta beaucoup.
Le soleil finissait une nouvelle fois sa course et leur camp n'était toujours monté. Un peu plus tôt, Ana lui avait dit que cela ne servait à rien de s'installer ici, qu'ils construiront leur maison un peu plus loin dans les terres. Puis s'en suivit une dispute sur l'alkogol. Anton ne voulait pas que la jeune femme en boive, ce à quoi elle répondit vertement qu'elle était bien assez âgée maintenant pour en boire.
Pour changer, le colosse eut le dernier mot. Non. Ana ronchonna, mais n'en rajouta pas.
Assise sur une pierre devant un feu aux flames rendus bleus à cause du sel qui s'était déposé sur le bois mort, la jeune femme caressait l'ombre qui habitait sa peau. Devant elle, sa faux était plantée dans le sol, le bout de tissus crasseux rouge qui y était toujours accroché voletait doucement au gré du léger vent. Cela devint une évidence. Son familier allait s'appelait comme son défunt frère. Lui, qui lui avait dit plus d'une fois de fuir pour mener sa propre vie, lui qui lui soufflait qu'elle était belle et forte. Il était venu au monde sans patronyme, mais la jeune femme l'appelait Archi. Elle ne se souvenait plus où elle avait entendu ce prénom, elle s'en moquait. Le plus important était que ce petit mot était leur secret a tous les deux.
- Tu es là pour m'aider non ? Aussi puissant que moi... se rappela la jeune femme en soupirant.
Était-elle puissante ? Non, pas pour elle en tout cas. Elle ne se sentait pas différente, plus sensible certes, mais pas plus forte.
- Je... Ebat' comment je dois m'y prendre ? Au loin elle entendit le colosse râler, il n'aimait pas quand elle était injurieuse. C'est à peine si elle lui adressa un regard.
- Tu lui cherches un prénom ?
- Tu pus le sang.
- Excuse-moi, mais la viande de biche ne se prépare pas toute seule.
- Tu pus quand même. S'entêta la jeune femme.
Les deux comparses s'affrontèrent du regard moins d'une minute avant de se reporter sur l'ombre du familier qui attentait patiemment qu'on le nomme.
- Tu sais comment tu vas l'appeler ?
- J'ai une idée oui. Tu crois que je fais le bon choix ? finit par demander la jeune femme au colosse.
- Elle a sous-entendu qu'il t'aidera, non ? La Kosilka opina du chef sans le regarder. Alors ça ira, conclut le soldat avec sérieux.
La jeune femme opine du chef une nouvelle fois plus sérieuse que jamais.
- Tu t'appelles Archi, souffla la faucheuse tout bas.
Un vent surnaturel s'éleva de la terre jusqu'au ciel, il traversait toutes les matières sans les détruire ou même les déplacer. C'est à peine si les cheveux de plus en plus foncés de la jeune femme bougèrent.
Le familier glissa du bras de sa propriétaire au sol sans un bruit et sous leurs yeux le serpent prit forme. Il devient aussi palpable que sa Kosilka et le soldat. Sa peau était entièrement lisse et d'un vert si lumineux qu'ils durent plisser les yeux. C'était bien la première fois qu'ils voyaient ce type d'animal, en effet tous les serpents avaient disparu il y avait bien longtemps.
Archi darda sa langue fendue en deux autour de lui. Le familier reconnut sa maitresse, il rampa vers elle tranquillement tout en sifflant. Il se redressa tout en s'agrandissant devant les yeux écarquillés des deux compères. Archi, qui venait de tripler de volume, au moins, frotta sa petite tête toute douce contre la joue meurtrie de sa maitresse.
- Ça chatouille.
Anton sourit de bon cœur en voyant sa Kulka rire de bon cœur pour la première fois depuis un moment. Son sourire s'affaissa quand le familier se tourna vers lui. Archi était un animal effrayant, ses yeux mauves fendus à l'horizontale le scrutaient sans ciller.
Son cœur loupa un battement ou deux.
Ana pouffa dans sa main.
- Archi soit gentil, je te présente Anton. C'est un soldat et mon témoin. Au son de sa voix, le familier se retourna vers sa maîtresse.
Archi frétilla comme un jeune renard heureux et alla s'enrouler autour de la jambe puis du torse du colosse rapidement. Il se mit à frotter de nouveau sa petite tête contre la joue du colosse, tout le sang de dernier venait de quitter son visage.
La jeune femme éclata de rire.
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