La vie et une bougie dans le vent.

La vie et une bougie dans le vent.

Proverbe Japonais.



Anton fut surpris.

Le colosse resta comme deux ronds de flancs quand Archi grossit jusqu'à être aussi imposant qu'un trop gros renard à la tête fendue. Ce dernier alla en direction d'un bosquet non loin d'eux et quand il revient, les deux comparses comprirent que le serpent venait de leur chasser le petit déjeuner.

- Merci... souffla l'ami en prenant le corbeau que le familier venait de leur rapporter.

- Tu pourras nous ramener de la biche demain ? demanda Ana avec innocence.

Ce fut une matinée comme tant d'autres. Même s'ils passèrent plus d'une nuit dans cette forêt, ils ne prirent pas le temps de monter leur camp. Ana avait dit à son témoin que rien ne servait de s'installer ici, qu'autre chose les attendait bien plus loin.

Quand la nuit commença à dévorer le jour un frisson bouillant fit se redresser la Kosilka. Elle fixait un point au loin sans bouger. Anton sentit un courant électrique lui traverser le corps, ses muscles tremblaient encore quand il se mit à côté de sa Kulka.

- Toi aussi tu l'sent ? demanda la jeune femme qui n'avait toujours pas bougé, Archi s'enroula autour de sa cheville et siffla de façon terrifiante.

Anton posa une de ses mains sur l'épaule de la jeune femme avant de lui répondre.

- Tout ce que j'sens c'est que tu es en alerte. Souffla le colosse en cherchant en vain quelque chose à voir au loin.

Ana se tut. Tous ses sens lui hurlaient que quelqu'un ou quelque chose au loin les regardaient aussi. Son instinct lui susurrait de le tuer. Cette idée s'imbriqua dans son esprit aussi indélébile que sa cicatrice.

- Ennemie. Cracha la jeune femme entre ses dents en bandant ses muscles.

Le serpent descendit de la jambe et alla s'enrouler autour des deux amis. Il n'était pas aussi gros que ce matin, mais bien plus long et surtout toujours plus mortel. Les battements du cœur de la faucheuse auraient pu la rendre sourde tant ils étaient frénétiques. Elle dut mettre une de ses mains sur sa poitrine pour s'assurer qu'il n'éclate pas ses côtes.

- Parle-moi Ana. Grogna le colosse, tout son corps tremblait sous la tension. Être dans le flou le rendait dingue, il ne pouvait que se fier à son instinct sans fier à ses sens.

- Y'a quelqu'un. Là-bas. Du menton elle désigna un point sombre au fin fond de la forêt. Prends ton arme.

Parler lui donna l'impression d'avaler une poignée de pierres tranchantes. Ses doigts se resserrent sur le manche en bois de sa faux, d'un simple et imperceptible geste du poignet la lame rutilante de son arme apparut. De son côté, Anton dut s'éloigner d'eux pour aller récupérer sa masse.

- Il approche...

- Il ?

Pour toute réponse, Ana opina du chef et sans la voir Anton perçut son mouvement. La kosilka sentit une force incroyablement forte et tout aussi malsaine émaner de l'ennemi. Toutes les cellules de son corps étaient en ébullition, elle sentait son sang couler en elle et chauffer ses muscles les préparant au combat.

Anton, son soldat, respirait de plus en plus lentement et profondément, lui aussi sentait son sang chargé de magie ronger son corps et gonfler ses muscles. Le colosse ressentit le besoin impétueux de passer devant elle pour la protéger, il eut besoin de tout son sang-froid et de toute sa volonté pour ne pas bouger. Il retira sa ma main de son épaule et saisit son arme avec ses deux paluches. Le bois craqua sous ses jointures blanchies par la pression.

- Là. Gronda la jeune femme en écartant légèrement les pieds, elle sentait la tension de son témoin. Elle eut l'impression que sa puissance lui brulait la peau.

Le colosse prit à son tour la position du soldat prêt à attaquer.

Une silhouette s'avançait vers eux à contre-jour, ils ne pouvaient pas la détailler. Tout ce qu'ils pouvaient deviner, outre son pouvoir boueux qui dégoulinait de tout son corps, était qu'il était à peine plus grand qu'elle.

Le colosse serra les dents.

- Dégage. Cracha sèchement entre ses dents la jeune femme sans cesser de fixer l'ennemi. Ses mains tremblaient légèrement.

- C'est comme ça que tu accueilles l'un des tiens ? demanda sournoisement l'autre sans cesser de s'approcher.

Devant eux, un jeune homme, qui ne devait pas être plus vieux que la faucheuse se dressait fièrement. Selon Ana, il était quelconque. Ses cheveux et ses yeux avaient la couleur de la mélasse, peu de muscles couvraient sa chaire... Selon Anton, l'ennemi était aussi laid que son regard vil était mauvais. Ses dents grincèrent sous la pression de sa mâchoire, son besoin de tuer l'ennemi était si puissant qu'il en salivait.

- Je vais l'flinguer. Promit-il. Le sourire de l'autre s'agrandit et une étincelle folle se mit à briller dans son regard.

- Non, intervient Ana qui semblait bouillir sur place.

Anton du faire appel a absolument tout son calme intérieur pour ne pas tourner la tête vers elle et lui demander si elle n'était pas folle.

- Tu te souviens de ce qu'a dit l'ombre ?

- À quel moment ?

- Sur l'autre enflure qui est comme moi, mais totalement dingue.

L'ami ne réfléchit qu'une seconde avant de se souvenir qu'en effet la Zabyl leur avait bien dit quelque chose de semblable.

- Tu sais qu'on peut être ami ? demanda l'autre en leur coupant la parole, ses mains étaient enfoncées profondément dans ses poches. Quelques tâches foncées et encore poisseuses alourdissaient les peaux qui couvraient son corps.

Les deux amis se tournèrent de nouveau en direction de l'autre, pour un peu ils l'auraient oublié. Ce ne fut qu'une illusion. Les deux comparses avaient déjà remarqué tout un tas de détails et les avaient emmagasinés, sans se concerter, ils savaient ce que l'un et l'autre pouvaient et devaient faire.

- Ami ?

- Pardon ?

- Oui, ami. Insista l'autre en faisant un autre pas dans leur direction. On est la même chose après tout... conclut-il avec un demi-sourire sombre. Sa voix donna la nausée à la Kosilka.

Un frisson bouillant traversa de nouveau le corps de la jeune faucheuse : danger.

- Tu entends quoi par là, l'interrogea froidement le soldat sans cligner des yeux.

- Tu laisses la viande à canon parler à ta place Kosilka ? demanda l'autre vicieusement.

- Réponds. Intervient Ana qui n'avait pas non plus bouger d'un iota. Archi se redressa un peu plus.

Le regard de l'autre s'assombrit plus encore.

Il fit encore quelques pas en avant s'arrêta à un souffle de la faucheuse. Le sang du colosse se glaça dans ses veines, il voulut se placer entre eux, mais la main de sa Kulka l'en empêcha. Son sang se mit à bouillir.

- Explique.

La voix tranchante de la kosilka fit détournée le regarde de l'autre, il se concentrait de nouveau sur elle et non sur son témoin. Elle se permit de prendre une plus grande inspiration.

L'autre souffla un rire aussi lugubre que son regard.

- Les zabyls nous ont choisi pour régner sur ce Mira, il ne termina pas sa phrase à la place il fit le moulin avec l'une de ses mains.

Ce geste fit siffler Archi qui avait repris sa place à toute vitesse sur le cou de sa maîtresse. Ce dernier n'attendait qu'un simple petit mot voire même un geste pour se jeter tous crocs dehors sur l'autre.

- Laisse-moi deviner, commença Ana en faisant à son tour un pas en avant. Bien sûr, le colosse ouvrit si grand les yeux que cela lui donna un drôle d'air, puis la colère prit possession de son esprit.

La jeune femme venait, mine de rien, de se placer entre eux. L'ami se sentit entre autres, insulté. C'était à lui de la protéger et non le contraire et ceux depuis leur premier jour ensemble. Il du retenir un grognement bestial franchir ses lèvres.

- Toi et moi, Ana fit quelques allers et retours entre eux avec sa main, on va être à la tête de tout un peuple ? l'autre opina du chef, toujours aussi souriant. Connerie ! hurla-t-elle d'un coup en le repoussant de toutes ses forces.

L'autre fit plusieurs pas en arrière, les deux amis pouvaient de nouveau respirer. Archi se laissa tomber au sol et prit une dimension tout à fait contre nature en un battement de cœur. L'autre se laissa aller à un rire glacial. Au loin, un grognement retentit.

- Je ne sais pas qui tu es, mais je te hais. Le souffle court de la Kosilka l'obligea à faire une petite pause.

En effet, toutes les fibres de son corps lui sommait de l'éliminer immédiatement ! Ils étaient ennemis, l'ombre le lui avait dit et ils n'étaient pas faits pour s'entendre. De cela, elle en était persuadée.

- Je te tuerais... grogna la jeune femme avec envie.

L'autre se souleva et se jeta sur elle en une fraction de seconde, il n'eut pas le temps de l'atteindre. Archi venait de planter ses deux crochets dans le bas de son visage. Ce dernier poussa un rugissement si puissant qu'une flopée de corbeaux avides s'envola à tire-d'aile. Anton brandit son arme au-dessus de sa tête bien décidée à l'abattre sur son crâne ! Trop prit dans leur danse macabre ils ne s'aperçurent pas qu'un ours au pelage plein de crasse courait tout droit sur eux.

Les pieds du colosse décolèrent du sol de presque un bon mètre. Il se retrouva sur le dos, son arme tendue au-dessus de lui, l'ours tentait de lui arracher la peau de son visage à grand renfort de coups de griffes et de dents déjà marbrées de rouge. Anton peinait à le tenir en respect grâce à son arme, il poussa un grognement si bestial que l'autre familier eut un imperceptible mouvement de recul.

De son côté, Archi plantait toujours plus profondément ses crocs dans le visage, ce dernier, dans un hurlement glacial, arracha le serpent de sa peau. Cela laissa au faucheur deux grosses déchirures qui déformeront à jamais sa mâchoire.

Ana en profita pour lui sauter dessus. Sa faux, tenue bien fermement au-dessus de sa tête avec ses deux mains, ses cheveux encore plus sombres que la nuit cachait son visage. Pourtant, si quelqu'un autre que le faucheur au visage ensanglanté aurait pu la voir en cet instant, son cœur aurait très certainement lâché. Ses yeux, d'ordinaire bruns, avaient viré au blanc avec quelques variations de beige.

Avant que quoi que ce soit puisse se passer, l'autre disparut. Le vent maudit venait de se lever, il sépara les deux adversaires d'une violente bourrasque. Si bien qu'Ana se retrouva propulsé à plusieurs mètres de son ennemi. Son dos percuta brutalement un tronc, tout son oxygène quitta ses poumons dans un gémissement de pure douleur. Archi, bien plus préoccuper par la vie de sa Kosilka qu'autre chose délaissa sa proie pour se précipiter vers elle. Anton sentit le poids du familier qui voulait tant le lacérer s'envoler comme s'il n'était rien. L'ami se redressa bien trop vite, car l'énorme et difforme patte de l'animal vient gifler son visage. Deux trop grosses griffes lui marquèrent à vie son visage de la façon la plus laide possible.

Anton laissa échapper un cri de souffrance mêlé à un hurlement de rage sans précédent.

- Kulka ! beugla-t-il malgré une douleur si épouvantable que cela aurait de le mettre au tapis. Un coup d'œil dans son dos lui confirma que les deux autres venaient de disparaitre.

Tout autour d'eux, le vent maudit soufflait tel un diable sorti de sa cage. Ils les entouraient, empêchant quiconque de les approcher.

Le sifflement aigu d'Archi attira le colosse, il se dirigeait plus à l'ouïe qu'a la vue. Bientôt, il aperçut sa Kulka le dos contre un arbre et les yeux fermés. Un frisson glacial suivi d'une décharge électrique le fit se précipiter encore plus rapidement vers elle.

- Ana ! Ana ! les deux mains effleuraient son visage, soulevant ses mèches sombres et les plaçant derrière ses oreilles. Ebat' ! Ebat' ! Ebat' ! jura-t-il sans reprendre son souffle. Jamais de sa vie il n'avait peur comme maintenant.

Archi, s'enroula autour du cou de sa maitresse, sa langue bifide effleurait sa peau et ses yeux anormaux, même pour ce Mira, la scrutaient.

- Archi, souffla le colosse avec la voire enrouée, sans vraiment savoir quoi lui demander.

Le familier avança sa tête vers l'ami et son front percuta celui du colosse. Comme pour lui dire « reprend toi ! elle a besoin de son soldat pas d'un pleurnichard ».

Il suivit sa recommandation, le soldat la prit dans ses bras avec une délicatesse insoupçonnée. Elle grimaça, cela le rassura si elle pouvait ressentir de la douleur c'est qu'elle était encore en vie. Il la reposa sur ses peaux qui lui servaient de lit depuis quelques nuits déjà. Son sang goutait de son visage, il tombait en grosses gouttes sur les vêtements de sa protégée.

- Tu saignes... souffla la jeune femme en ouvrant à peine ses yeux. L'ami, soulagé d'entendre de nouveau sa voix, ne remarqua pas la nouvelle couleur de ses pupilles.

Elle leva lentement son bras pour lui toucher son visage poisseux. Il attrapa sa main au vol et plaqua ses lèvres contre sa paume.

- C'est rien... c'est rien... murmura le colosse qui semblait être sur le point de fondre en larme. Repose-toi...

Le vent ne retomba qu'au matin du neuvième jour. Pendant tout ce temps, les deux comparses pansaient leurs blessures, le vent empêchant la moindre attaque. La moindre rencontre.

Le vent maudit les avait protégés. 

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