La peur est une brume de sensations

Lecteur de mon cœur ! Comme toujours, laisse une marque de ton passage (même un petite étoile ça fait toujours plaisir ^^)

La peur est une brume de sensations

Jules Renard


Une dizaine de jours plus tard, une douce routine s'était installée. Archi passait le plus gros de ses journées à faire paniquer les Spleinirs. Le serpent prenait un malin plaisir à les faire courir dans tous les sens et à éviter leurs coups de sabot. Il n'était pas rare qu'un ou deux animaux déboulent à grande vitesse dans les rues du village, bousculant et faisant hurler d'agacement et d'effroi son peuple.

Rues nouvellement faites par les humains, humains qui étaient tous sous la protection de la faucheuse et qui parfois venaient d'eux-mêmes se présenter à elle.

La faucheuse avait donné l'ordre à ses soldats de les laisser approcher tout en le gardant à l'œil.

Dans l'ancienne demeure, un roulement avait rapidement été mis en place par le colosse. La cuisine était toujours pleine de vivres et de la viande de renard séchée et du lait de biche étaient toujours à disposition pour la Kosilka. La jeune femme avait remarqué que cela ravissait les siens quand elle mangeait là-bas, elle ne le faisait que trop rarement ; par contre, elle venait tous les jours s'y servir en nourriture. Parfois, elle se laissait même aller à échanger quelques mots filants avec les siens.

À l'étage une infirmerie avait vu le jour bientôt elle serait trop petite, mais pour le moment Ana ne voulait pas y penser. Puis, l'ami se chargerait de ces détails.

Au milieu du village, à quelques mètres de la cuisine, un terrain fait de sable et entouré de barrière en bois avait lui aussi fraîchement vu le jour. Tous les matins le colosse y entrainait les soldats, et tous les matins une bonne tripotée terminait à l'infirmerie se promettant de ne pas y remettre un seul orteil les jours suivants. Aucun ne respecta ces paroles inutiles.

La faucheuse les regardait chaque jour sans dire un mot. Elle appréciait leurs forces et leurs techniques, mais elle ne gratifiait personne d'un sourire ou d'un hochement de tête. Pour Ana, ce n'était jamais assez, il fallait que les siens deviennent toujours plus forts, qu'ils la dépassent. Cette impossibilité la rendait folle et parfois même amère. Elle était et sera jusqu'à son tout dernier souffle une Kosilka. C'était écrit dans le néant depuis que le Mira est Mira. Ces pensées parasitaient bien trop souvent, a son gout, son esprit déjà bien assez torturé elle n'avait pas besoin de se rappeler des paroles et les non-dits de la Zabyl.

Dans les bons jours, elle les évacuait d'un simple geste désinvolte de la main, dans les mauvais...

Au fil des jours, Zoran prenait un petit groupe pour l'entrainer un peu plus à l'écart. Lui aussi était fort, pas autant que l'ami, mais il se défendait bien et était un bon meneur. Cela ne dérangeait pas la jeune femme, elle sentait que cet homme ne la trahirait pas. Anton le lui avait aussi juré un bon nombre de fois.

Chaque jour avant le levé du soleil, le colosse entrainait sa Kulka sans ménagement sur la colline des spleinirs. Plus le temps passait plus il avait du mal à lui tenir tête, la jeune femme frappait juste, fort et parfois avec beaucoup de violence et de rage, mais elle frappait seulement pour blesser. Il voulait qu'elle frappe pour tuer. Il le lui disait, lui hurlait avec verve, mais la faucheuse en était tout bonnement incapable. Elle aimait croire qu'elle le ferait en cas de besoin, seulement en cas de besoin, et jamais contre l'ami.

- Tu as le cœur trop tendre ! Lui avait-il reproché une nuit, alors qu'il s'était encore retrouvé au sol avec la cuisse en sang.

- Je viens de t'envoyer au tapis ! glapit la jeune femme en regardant sa plaie se refermer rapidement. Un frisson de dégoût parcourut son échine et mourut au creux de son estomac.

- Dans un vrai combat, tu m'aurais juste blessé !

La faucheuse lui jeta un regard acéré.

- Je viens de te blesser ! Et dans un vrai combat je

- T'appelles sa une blessure toi ? Se mit à gronder sauvagement le colosse après s'être relevé. Avec l'une de ses mains il se frappait la cuisse pour lui montrer qu'il ne restait déjà plus rien. Amène-toi ! Conclut l'ami avec un éclaire de sauvagerie pure dans le regard.

De colère, Ana ne l'écouta pas et tourna les talons. Elle était furieuse ! Et elle s'en voulait d'être en colère ce qui la mettait encore plus en colère ! Elle lui en voulait à lui aussi ! Depuis quand pouvait-elle lui faire autant de mal ?!

Il disait que c'était qu'elle avait le cœur trop tendre, elle, elle pensait qu'elle était bien trop faible !

Assommer, arracher des membres, crever des yeux, broyer des organes, elle pouvait le faire. Ana y trouvait même un certain plaisir, mais tuer...

Elle ne pouvait pas le faire.

Et quand elle le blessait... son âme en restait douloureusement marquée a chaque fois, elle ne voulait et ne pouvait que s'entraîner avec lui, cela l'arrangeait autant que cela l'agaçait !

Cette nuit-la, Zoran assista à leur énième dispute à ce sujet et comme toutes les autres fois il fut soulagé quand sa Kosilka ne le gratifia pas d'un seul regard.

Quand elle franchit le seuil de sa maison le jour se levait à peine, dans plusieurs minutes Ana entendrait les grognements et les suppliques de ses soldats qui subiraient les coups du colosse. Coups qui seraient plus violents, cela n'allait pas s'en dire.

La colère n'était pas un sentiment qui lui allait, quand elle prenait possession de son esprit, la jeune femme voyait des fantômes angoissants et envahissants prendre d'assaut ses pensées les plus torturées et fragiles. Prisonnière de son passé, coincé dans son propre corps, incapable d'hurler ou de se battre, elle ne pouvait que subir ces assauts irréels.

La jeune femme tremblait de tout son corps, sa respiration se coinçait dans ses poumons. Elle eut beau se supplier de respirer, de reprendre le dessus rien n'y faisait. Ses monstres étaient bien trop puissants pour elle. Un instant, le sourire sans amour de sa mère lui fit face, ses lèvres formaient des mots qu'Ana ne pouvait entendre, pourtant elle savait que cette vieille femme lui promettait les pires supplices du Mira. Le visage gras du gros dansa devant ses pupilles. Elle le voyait distinctement, sa voix lacérait sa peau aussi franchement que sa faux pouvait le faire.

- Tu n'es bonne qu'à ça, petite trainée...

- Bonne à rien...

- Pute...

- Sac à foutre...

- Elle est toute à toi...

Debout en plein milieu de son salon, l'image du gros prenait de plus en plus de place dans son espace. Son épaisse silhouette se mouvait tout autour d'elle tout en sifflant des insultes et lui promettant de la souiller de la façon la plus violente qu'il soit. Au loin dans son dos, sa mère acquiesçait chacun de ses propos.

Des mains inconnues la pétrissaient, violaient une nouvelle fois son intimité. Tout son corps la brulait, il voulait se révolter ! Expulser au loin ces visons d'horreur, mais incapables de le faire elle ne pouvait que subir les ignominies de son subconscient aussi bousillé qu'elle.

- Ouvre les yeux ! Elle le fit, se rendant à peine compte qu'elle les avait fermés. Regarde-moi ! Elle obéit au fantôme. Elle voulait pleurer, hurler, jurer, mais rien ne sortait. La faucheuse n'était que le pantin de ses délires. Le jouet de son passé.

Il était nu devant elle, son énorme ventre tombait et sa main s'agitait sous lui. Comme avant. Comme avant, la jeune femme voulut disparaitre. Comme avant, son pauvre cœur s'affolait tant qu'elle était au bord d'un malaise salvateur. Elle se sentit partir, elle voulait s'enfoncer dans un monde ou plus rien ne comptait ou plus rien n'arrivait, mais une flamme dansait en elle. Non, des dizaines de flammes mauve et grises frappaient à la porte de son esprit avec toute la force dont elles étaient capables. Une, plus épaisse et brillante que les autres, brisa sans mal sa barrière mentale. Elle lui parlait, la suppliait. La flamme possédait la voix et la chaleur de l'ami.

L'image du gros eut le malheur de tendre une main sale vers elle. La jeune femme se déchaina.

Sa faux en main, aveuglée par sa vision, elle tournoyait sur elle même brisant tout ce qui venait percuter sa lame mortelle. Un voile aussi épais que rouge l'entourait, l'étouffait, la rendait aussi sourde que non voyante tout en alimentant ses peurs. Ses angoisses étaient toujours là, l'observant, la snobant et attendant le bon moment pour la briser une bonne fois pour toutes. Elle la percutait avec violence avec pour seul et unique but de la détruire. Une rage, jusqu'alors inconnue, tambourinait contre tous ses os, menaçant elle aussi de la dévorer entièrement.

La jeune femme s'enfonçait dans un gouffre mortel et gluant qui l'emmenait toujours plus loin dans sa noirceur létale.

« Réveil toi ! » la voix frêle de son défunt frère lui fit l'impression de recevoir la plus grosse gifle de sa vie.

- Haaaa ! Le hurlement de la jeune femme, aussi puissant fût-il, fut étouffé par le tas de peaux sur le qu'elle elle venait de tomber face la première.

Archi, qui avait senti son trouble depuis les prémices de sa crise, avait serpenté aussi vite qu'il lui était possible en direction de sa maitresse. Chez eux, le familier eut un instant d'immobilité, elle saccageait tout. Brisant et découpant tout ce que sa faux percutait avec une rage effrayante même pour une Kosilka. Surtout pour une Kosilka. Le serpent avait tenté de l'approcher, mais elle ne semblait plus voir le Mira qui l'entourait.

Archi sortit ses crocs et les planta dans la cheville de la faucheuse. Il détesta le gout de son sang, il se détesta de lui faire ça. Il n'avait pas le choix, elle était bien trop loin dans son Mira fait entièrement de noirceur.

Haletante, le visage couvert de sueur, le cœur brisé et les mains en sang, Ana revenait lentement a elle. Son familier se détacha avec prudence de sa cheville, il gagna son cou et frotta sa petite tête sur sa joue.

- Merci... souffla la jeune femme hors d'haleine en caressant son serpent de ses doigts tremblant. Archi darda sa langue bifide sur sa peau et fondit entièrement en elle tout en tentant de lui. Faire ressentir son calme et son affection.

Sa vision redevint doucement plus claire, terriblement et douloureusement plus claire. Ses jambes pesaient des tonnes elle serait incapable de se lever avant un moment. Des sueurs froides dévalaient sa peau laissant une trainée de frisson bouillant. De nouveau, tout se brouillait autour d'elle, Ana venait de tomber dans les pommes justes un instant après avoir rendu le contenu de son estomac sur son parquet démoli.

Anton avait lui aussi fini par sentir son trouble, jusque quelques minutes avant leurs soldats. Laissant l'entrainement à Zoran sans aucune explication, il s'était dirigé chez elle en courant.

- Ebat' ! Merde Kulka ! la porte d'entrée rebondit sur le mur avec tant de force que le bois se marqua. Ana !! Ana !!

Il l'a secouait tout en la suppliant de lui répondre.

Il la prit dans ses bras avec le plus de délicatesse qu'il possédait et se dirigeait vers sa chambre. Avec la précipitation du colosse, sa maladresse, désormais légendaire, reprit le dessus.

- Ebat' de merde ! Gronde ce dernier quand le front de sa Kulka percuta avec beaucoup d'entrain le chambranle de la porte en bois, une petite bosse violette se formait déjà.

Il manqua aussi de trébucher en avant quand il l'a déposa sur son lit.

- T'es en sécurité chez toi. Tout va bien, termina-t-il plus pour lui qu'autre chose.

Il ne sut combien de temps il resta à ses côtes en lui caressant doucement les cheveux, se demandant encore et encore ce qui lui était arrivé. Quand le ciel commençait a s'assombrir, il commença a faire tou ton tas de promesses a leur Bog.

Ana ne se réveilla que dans la nuit au soulagement de l'ami. Ce denier n'avait pas quitté sa place, ses jambes repliées lui faisaient atrocement mal et son dos ne tolérait plus aucun mouvement, mais il n'aurait jamais bougé.

- J'ai mal à la tête...

- Tu as dû te cogner, répondit précipitamment l'ami en détournant le regard. 

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