Là où la légèreté nous est donnée, la gravité ne manque pas.
Là où la légèreté nous est donnée, la gravité ne manque pas.
Maurice Blanchot.
Le colosse frappa du plat de sa main le reflet de son visage dans le lac d'eau douce. Il détestait sa nouvelle image. Non pas qu'il en était vraiment préoccupé, mais depuis qu'Ana avait repris connaissance elle le regardait différemment. Et ça, il ne le supportait pas.
La kosilka de son côté s'en voulait tant qu'elle s'en rendait malade ! elle ne l'avait pas protégé ! Pire, il se retrouvait défiguré par sa faute ! car elle n'était qu'elle avec tout ce qui impliquait.
Bog qu'elle s'en voulait...
Après avoir rempli leurs estomacs et rangé le peu d'affaires qu'ils avaient déballées, ils se décidèrent enfin à prendre la route. Ce petit coin n'était pas fait pour eux, trop de montagnes, trop peu de terrain cultivable, trop peu de proies et surtout, bien trop près de la mer blanche.
- On prend quelle direction ?
Ana se mit a regarder tout atour d'elle, dans son dos le bruit des vagues mortelles qui s'éclataient contre la plage de roche résonnait. Son regard se porta sur un endroit qu'ils avaient déjà emprunté. En direction du clan neutre, chez eux.
Une haine aveugle se mit à résonner en elle, en aucun cas elle ne voulait y retourner. Jamais. Pourtant, elle ressentit le besoin de s'y diriger. La faucheuse baissa le nez et ferma les yeux un instant. Elle ressentait la présence de son témoin près d'elle, elle pouvait presque sentir son cœur battre et sentir son souffle dans ses veines. Au loin, plusieurs autres petites flammes dansaient. En ouvrant de nouveau les yeux, elle comprit. D'autres de ses soldats l'attendaient.
Tout d'un coup, tout devenait plus réel. Bientôt, il n'y aurait plus qu'eux deux. Bientôt, elle aurait plus d'un soldat sur qui veiller. Une masse gluante et acide enflait dans son estomac, le tout remontait par vague dans sa gorge et menaçait de franchir la barrière de ses dents.
- Ca va ? demanda l'ami en s'approchant d'elle, sa Kulka venait de se pencher en avant. Ses deux mains posées sur ses genoux la soutenaient.
Elle opina du chef et il lui frotta le dos avec une de ses énormes mains. Elle ne le dirait jamais à voix haute, mais cela lui faisait un bien fou.
- Merci... elle se relava lentement, elle se sentait mieux. Physiquement du moins. On va par là.
- T'es sûr ?
- Franchement ? Anton la regarda et comme depuis ses derniers jours elle détourna son regard, le cœur du colosse se tordit. Il avait envie de la prendre par les épaules et de la secouer de lui hurler qu'il était toujours le même. Pourtant, il ne fit rien, il se contenta de la fixer sans bouger. J'en sais foutre rien... je le sens c'est tout.
- Tu le sens ?
- Tu le sens pas toi ?
Les deux se regardèrent les yeux ronds, aussi ébahi l'un que l'autre. Ana craqua la première, elle commença par pouffer et quand son rire prit du volume se fut au tour du colosse de se laisser aller.
Après avoir essuyé leurs larmes qui perlaient aux bords de leurs yeux, ils se décidèrent enfin à faire le tout premier pas vers leurs nouvelles vies. Archi les suivait en serpentant paresseusement, de temps a autres, il se précipitait dans un bosquet et revenait avec un ventre « gonflé ».
- Au moins, y'en a un qui ne mourra pas de faim... grommela l'ami.
Pour toute réponse, le ventre de la jeune femme se mit à gronder. Anton haussa ses deux sourcils et jeta un regard en biais à sa Kulka. Cette dernière rougit et fit mine de regarder le bout de ses bottes.
- Archi, tu ne nous ramènerais pas un petit truc ? demanda Anton avec un sourire dans la voix.
Le serpent lui adressa à peine un regard qu'il se précipitait déjà dans la forêt.
Ana leva les yeux au ciel plus pour tenter de se redonner contenance qu'autre chose, dans le fond elle avait de nouveau envie de rire comme une enfant. Le colosse hésita, mais il prit son courage à deux mains et passa un de ses bras autour de ses épaules. Depuis leur câlin, les deux amis osaient se toucher. Parfois, Ana se figeait. Les souvenirs d'une vie bien trop violente ne pourraient jamais être enfouis.
- Archi, on t'attend là ! grommela la faucheuse comme pour s'empêcher de sourire. Elle n'aurait pas pu dire si le familier l'avait ou non réellement entendu, mais dans son cœur elle sentit son cœur frémir.
Ou qu'il soit, pas très loin d'après la Kosilka, il allait bien. Elle pouvait sentir son énergie vibrer en elle.
- Bon, tu ressens quoi ? reprit l'ami en faisant à leur conversation du début d'après-midi tout en attisant un feu.
Ana prit une grande inspiration, comment expliquer ces vies qui palpitaient au fond de son cœur ?
- Je... c'est au fond de moi, dans mon cœur. Sa main se posa sur sa poitrine et un sourire doux naquit sur son visage. Je sais où tu es sans te voir, je sais si tu vas bien ou non sans t'entendre. C'est pareils pour Archi rajouta la jeune femme sereinement.
L'idée qu'il la prenne pour une folle ne lui effleura pas l'esprit. Elle savait que l'ami la croirait. Que c'était instinctif.
- Tu ne le ressens pas toi ? finit-elle par lui demander en s'appuyant sur son bâton, elle posa sa joue crasseuse sur le bout de tissus tout aussi crasseux.
- Non, dit-il avec une pointe de déception dans la voix.
Lui aussi aurait aimé ressentir le cœur de sa Kulka frémir au cœur de sa poitrine.
- Tu ressens d'autre comme moi ? Des soldats ?
Ana opina du chef en fermant les yeux, une fois de plus un léger sourire étirait ses lèvres.
Jamais, elle n'avait autant souri en une journée depuis toutes ces années. Anton se sentit quelque peu intimidé, il se reprit aussi vite qu'elle ouvrit de nouveau les yeux.
- Dans cette direction, plus loin que le clan neutre, je pense.
- Beaucoup ?
Elle eut beau se concentrer, se focaliser sur ce qu'elle ressentait, elle était incapable de lui répondre.
- J'sais pas vraiment.
C'est à ce moment que le familier se décida enfin à revenir vers eux. Une petite biche était coincée entre ses anneaux disproportionnés.
- Dl'à biche !!!
Le cri de joie de la jeune femme vrilla les tympans du colosse, ce dernier dut bâiller une paire de fois avant que le sifflement ne se dissipe enfin.
- On ne voyage pas de nuit.
- De toute façon, j'ai bien trop mangé pour quoi que ce soit !
À la voir ainsi, allongé sur le dos, les bras en croix et le ventre rempli de nourriture, personne n'aurait pu deviner sa toute nouvelle nature.
Assis de l'autre côté du feu contre une roche, l'ami se permit de lever le nez en direction du ciel qui s'assombrissait de plus en plus. Les épais nuages cachaient le ciel, il doutait de pouvoir voir autre chose un jour. Quelque part, cela lui allait, tant qu'elle était là, il pourrait encore continuer ainsi toute sa vie. Voir plus.
Il ne ressentait pas tout ce qu'elle pouvait ressentir et il se dit que cela l'arrangeait. Il doutait pouvoir le gérer.
- Tu peux me donner une peau ? la demande de la jeune femme coupa le fil de ses pensées.
- Lève-toi. Grogna le colosse pour la forme alors qu'il se levait.
Elle baragouina tout un chapelet de mot incompréhensible doublé de quelques injures.
- Hé ! il lui jeta ses peaux au visage. Pas de ça !
- De ?
- Si tu continues à dire des grossièretés, je te fais bouffer de la terre. Pour appuyer sa promesse, il s'agenouilla et prit une bonne poignée de boue à peine sèche dans le creux de sa main. Le tout était accompagné d'un sourire aussi tordu que sauvage.
- T'en dis des tas toi !
Anton voulu répliquer vertement lui expliquant en long, en large et travers que lui il pouvait dire ce qu'il voulait ! seulement un ronflement digne d'un grognement de renard affamé résonna.
Anton et Archi se regardèrent, soupirèrent de concert et s'installèrent pour passer la nuit. Le familier s'agrandit et s'enroula autour des deux compagnons. Archi, entre autres, ne dormait pas. Ses yeux étaient constamment ouverts et tout son corps était toujours prêt à l'attaque.
La nuit se passa calmement. L'ami ne se réveilla qu'une fois ou deux et a chaque fois sa Kulka dormait a point fermé.
- Dire que c'est elle qui doit nous libérer ou une connerie dans l'genre... avait-il soufflé un peu avant de se rendormir pour la seconde fois.
Archi poussa un genre de petit rire entre ses crocs.
Comme souvent, Anton était le premier levé et pour ne pas changer il s'étira longuement. La plus par des os de son corps craquèrent, cela le soulagea de certaines tensions. Ana dormait toujours du sommeil du juste. Ses cheveux étaient étalés tout autour de son visage couvert de terre et de végétaux, lui donnaient un air de folle. Cette idée se confirma quand elle ouvrit enfin les yeux. Elle ne ressemblait à rien et avait surtout l'air d'être passée sous un tronc.
L'ami du se mordre l'intérieur de la joue pour ne pas se foutre d'elle ouvertement. La légèreté de la situation lui sauta au visage. Il décida de la balayer d'un simple haussement d'épaules.
- Lève-toi, on ne va pas rester ici une journée de plus.
Archi reprit sa forme initiale tout en douceur et la faucheuse se leva enfin avec la bouche pâteuse.
- On a plus de lait de biche ?
- Non.
- D'eau ?
- Non.
Elle prit un bout de viande et s'étira de tout son long à son tour.
- Bon ! clama-t-elle avec entrain, on y va ?
L'ami, gourde à la main, opina du chef.
- Hé ! tu bois quoi ?!
Ce ne fut qu'après une très longue gorgée qu'il lui répondit.
- C'est pas pour toi.
- Et pourquoi donc ? demanda la jeune femme en calant ses poings sur ses hanches.
- Ça fait pousser des poils sur le torse, lui dit Anton avec un regard en biais et un sourire arrogant.
Ana eut envie de lui enfoncer sa gourde bien au fond de sa gorge.
- Pour ce que ça fonctionne. Répliqua sur le même ton la Kosilka en passant devant lui, elle appuya ses dires en le regardant de haut en bas avec un dédain feins.
Un immense sourire grignota tout son visage quand elle l'entendit s'étouffer dans son dos.
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