La nouveauté trouve ses racines dans le passé.
La nouveauté trouve ses racines dans le passé.
Marcello Fois.
Anton connaissait la peur, il avait toujours vécu avec elle. Très rapidement elle était devenue une amie collante et gênante, mais surtout utile. Elle avait toujours su le garder en vie de quelconque manière que ce soit. Aujourd'hui encore, cette amie maudite lui tenait compagnie. Elle lui faisait tout autant espérer qu'angoisser en tapissant son esprit d'images et d'impressions sordides et lugubres.
Archi, qui ne s'était pas éloigné de sa maîtresse plus d'une poignée d'heure, se reposait paisiblement à ses côtés. La moitié de son corps était recouvert par l'oreiller de la jeune femme, seule sa petite tête verte dépassait. De temps en temps il se frottait contre sa tempe et se cachait dans ses cheveux.
- Chef, murmura Zoran tout bas.
- Entre.
Le soldat passa le pas de la porte sur la pointe des pieds, le silence était pour eux une seconde nature cependant depuis quelques jours ils avaient l'impression d'être dés plus bruyants. Il posa un plateau en bois garni de viande séchée et d'alkogol'. Le familier en profita pour prendre la poudre d'escampette.
Zoran en faisait depuis quelques semaines et Anton n'en avait pas bu depuis bon nombre d'hivers.
Le colosse vida son verre en une fois avant de se lever. La boisson lui réchauffa les entrailles sans pour autant l'apaiser. Il du se retenir pour ne pas en prendre un second, voir la bouteille entière.
Les deux hommes finirent par sortir de la chambre de la Kosilka aussi silencieux que la caresse de la mort. Ana lui avait demandé que personnes ne pénètre dans sa chambre, l'ami avait presque toujours respecté sa demande.
- Le vent se calme, commenta le soldat à voix basse.
- La Kosilka se réveillera donc bientôt. Conclus le colosse en poussant une lourde chaise en bois.
La demeure n'avait eu besoin d'accueillir tous les soldats que deux nuits. La pluie de cendre avait cessé de tout détruire sur son passage dès que la nuit était tombée pour la seconde fois. Le maudit vent avait pris le relais, il balayait tous les débris pour laisser la place aux jeunes pousses. Encore aujourd'hui il soufflait et même s'il semblait perdre de sa force, il continuait à faire place nette pour une nouvelle vie.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- Tu doutes ? demanda le colosse en fixant l'homme en face de lui. Zoran ressemblait beaucoup
à Anton, les mêmes traits durs et coupés a la serpe, le même feu dans le regard... Avec le temps la cicatrice du colosse était devenue blanche et tranchait son visage en deux. Le visage de Zoran était dépourvu de toutes traces contrairement à son corps qui était pratiquement couturé sur tous les membres.
- Non. Sa présence manque, rajouta le soldat sans lâcher du regard son chef.
L'impertinence de ce soldat amusait l'ami, il aimait aussi le fait qu'il ne baisse pas les yeux comme les autres. Il le respectait en tant que soldat et homme.
- Le maudit vent et elle sont liés d'une façon ou d'une autre, commença Anton en prenant entre ses doigts un bout de viande séché qui restait du repas. À chaque fois que la violence ou le sang frappe à notre porte, le vent balaye les cadavres.
Le soldat réfléchit aux paroles de son supérieur. Pour lui, le maudit vent était annonciateur de fins à chaque fois qu'il faisait frémir les branches il emportait bon nombre de vie et baignait la terre de sang.
- Depuis que tu es ici le maudit vent a-t-il détruit quelque chose ?
- Non... non.
Les deux hommes furent interrompus par un juron et un cri de douleur qui provenait de l'extérieur, c'est à peine s'ils se penchèrent pour jeter un coup d'œil.
- Il est infect...
Depuis qu'Ana dormait, Archi passait son temps à chasser. Le familier ressentait le besoin de faire des réserves pour sa maîtresse et tous les hommes eurent un mal incroyable de l'empêcher de tuer les spleinirs.
Ces drôles d'animaux, totalement inconnus, avaient débarqué le plus calmement du Mira aux premières lueurs du nouveau jour. Tous les soldats les avaient regardés débarquer non nonchalamment, ils broutaient l'herbe nouvelle et poussaient quelques cris graves qui provenaient plus de leur ventre que de leur gorge.
Archi n'avait pas attendu, il avait foncé tout droit vers l'un d'eux la gueule grande ouverte et s'était fait recevoir violemment d'un coup de patte.
- Des spleinirs. Avait soufflé le colosse ce jour-là, en regardant le pauvre familier glisser contre le mur, il l'attrapa avant qu'il n'y retourne.
Il savait ce que ces choses étaient sans jamais les avoir vus. Certainement la magie de la Zabyl, s'était dit Anton tout en retenant le serpent qui se dandinait entre ses mains.
- P't'être leur faire un... parc ?
- Au boulot, avait terminé Anton en entrant de nouveau chez eux. Calme-toi....
Cette phrase avait maintenant un jour.
- Va voir et empêche-le de bouffer un spleinir.
Zoran opina du chef et se leva non sans jeter un dernier regard sur la porte de sa Kosilka. Le tripes du colosse se tordirent, a lui aussi elle lui manquait.
Même dans son sommeil, Ana ressentait la présence des siens danser dans son cœur, elle entendait aussi la voix de l'ami. Archi avait senti sa faim, voilà pourquoi il passait tout son temps à chasser. Son corps n'avait pas besoin de temps pour se soigner, il l'était depuis le début, ce fut la magie qui affluait dans son sang qui l'avait épuisé.
L'oublié avait dit qu'elle serait capable de prodige, c'était vrai, mais toute prouesse avait besoin d'énergie et de temps.
Ce jour-là, le bruit des battements d'ailes d'une nuée de corbeaux franchit l'épais brouillard qui entourait la jeune femme. Elle sentait qu'il était temps qu'elle ouvre les yeux, que son peuple l'attendait. Un peu de lumière filtrait à travers ses paupières clause, des lueurs rouges dansaient devant ses yeux. C'en était presque gênant.
Puis l'horreur la frappa de plein fouet. Des souvenirs vifs et tranchants de la pluie de cendre percutèrent son esprit de plein fouet. Les gémissements du soldat blessé inondaient son ouïe, c'était si violent qu'elle en eut la nausée. La vue de son bras réduit en une bouille sanguinolente explosa devant son regard et l'odeur... Une odeur de pourriture brulée qui attaquait ses sens brouillant son esprit.
Elle plaqua ses deux mains sur ses oreilles et se tordit dans son lit, subissant la douleur dans un silence atrocement angoissant. Sans comprendre elle se retrouva sur le ventre, toujours agonisante elle se tordit encore et encore dans son lit. Elle revivait tout une nouvelle fois. Tout plus intensément, plus violemment. Parfois a leur place.
C'était elle qui avait mal maintenant, elle aurait tant voulu s'arracher la peau pour ne plus sentir la morsure de cette horreur !
Un puissant cri fit trembler sa poitrine cela ne la soulagea pas, bien au contraire.
- Ana ! la porte de sa chambre claqua en même temps que la voix du colosse résonna.
Il se précipita auprès d'elle et se mit à genoux devant son lit, même dans cette position il était largement plus grand qu'elle. Il l'a remis sur le dos en douceur, son regard inquiet fit mal à Ana.
Elle le voyait sans l'entendre, elle semblait le voir pour la première fois. Son cœur remonta dans sa gorge, elle angoissait tant que tous ses muscles se bandèrent d'un coup.
- Je...
- Tu es à la maison Kulka, murmura le colosse en se retenant de lui toucher le visage. Archi ! Respire, t'es à la maison, tout va bien. Répéta le colosse une paire de fois avant que la faucheuse ne retrouve un peu de calme.
Le familier venait de se précipiter entre eux, sa langue gouta sa peau et sa petite tête frotta sur sa mâchoire et son cou. Il sifflait dans tous les sens, s'enroulait autour d'elle et ronronnait.
- Comment tu te sens ?
Elle opina du chef avant de lui répondre, l'inquiétude qui piquait son regard presque blanc fit mal à Anton. La jeune femme prit son serpent entre ses mains et l'embrassa avec une douceur infinie.
- Les soldats ?
- Ils vont bien. Tous. Ils ont déjà reconstruit leurs maisons et deux autres sortent de terre. Tu as soif ? Attends !
Le colosse venait de remarquer que la jeune femme passait sa langue sur ses lèvres. En se levant, il fit tomber sa chaise, bouscula une petite table et égratigna le mur.
Ana soupira et sourit, l'angoisse n'avait jamais réussi à l'ami.
Cette constatation les calma légèrement.
Ils ne parlèrent pas le temps qu'elle se désaltère et s'alimente un peu. Archi regardait intensément chacun de ses mouvements, si elle cessait de porter un aliment a sa bouche il l'encourageait en se frottant contre sa mâchoire.
Au bout d'un moment, sans prononcer le moindre mot, l'ami comprit qu'elle voulait se lever. Bien sûr, il était complètement contre, la faucheuse ne l'entendait pas de cette oreille.
- Sur ?
- Oui... soupira pour la énième fois la jeune femme en cherchant du regard ses vêtements pour se vêtir. Anton lui tendit ses affaires et sortit pour lui laisser un peu plus d'intimité.
La voir se lever si rapidement ne lui plaisait pas du tout, pourtant cela le rassurait. Elle était encore assez forte.
Ses soldats aussi avaient besoin de l'apercevoir. Son image de Kosilka froide et inaccessible était rassurante pour eux tous et cela faisait partit de leur vie maintenant. Puis, ils étaient là pour la servir avant tout, ils avaient été faits pour cela. Alors, sans elle, sans leur faucheuse que leur resterait-il ?
Ses hommes avaient senti son éveil, un bonheur jusqu'alors inconnu les avait gagnés. Pourtant, aucun d'eux ne sauta de joie ou ne glapit de bonheur. Ils gardèrent ce doux sentiment au plus profond d'eux et s'en nourrissaient discrètement. Les soldats guettèrent la porte d'entrée de l'immense demeure, ils auraient bien sacrifié la moitié de leur vie pour l'apercevoir et l'autre pour la garder en vie.
Anton fut le premier à sortir, il se tenait sur le perron de leur demeure et regardait ce qu'il se jouait devant lui. Les maisons endommagées étaient de nouveau habitables et deux autres étaient en pleine construction. Lui aussi bâtissait quelque chose, une table. Une table en bois épaisse et lourde, bien assez grande pour qu'une vingtaine de convives s'y pressent autour. Peut être trente en serrant un peu.
Il ne le savait pas encore, mais elle saurait aussi brute qu'eux. Ses lignes ne seront pas droites, ses angles biscornus et sa surface inégale. Imparfaite, comme eux tous.
- Si tu ne te pousses pas, je ne pourrais pas ouvrir la porte.
- Je ne me pensais pas si...
- Tu es juste encombrant, le coupa Ana avec un sourire dans la voix.
La luminosité agressa ses yeux si particuliers, par réflexe elle observa le ciel. Il était rempli de nuages sombres qui ne laissaient guère passer la lumière du soleil. Au loin, le murmure du maudit vent sifflait. Tout allait bien.
- Ils attendent que tu leur dises quelque chose. Murmura le colosse à sa Kulka en tournant légèrement sa tête vers elle.
Devant eux, leurs hommes s'occupaient les mains du mieux qu'ils pouvaient tout en lui jetant des regards nerveux.
- C'est quoi ça ? demanda Ana avec dégoût en pointant les spleinirs du doigt. Ces drôles d'animaux broutaient et grattaient le sol sans se préoccuper de quoi que ce soit.
Anton eut envie de la secouer comme un prunier tout en jurant comme un charretier ! D'accord ces trucs étaient étranges, d'accord c'était la toute première fois qu'ils en voyaient ! Mais, les hommes devant elle attendaient autre chose que ça !
- Des...
- Spleinirs, je sais.
Zoran ne s'offusqua pas de se faire interrompre ainsi, il franchit les quelques pas qui les séparaient avec une de ces bêtes à ces côtés. Ana prit tout son temps pour la détailler. L'épaule de l'animal arrivait à hauteur de celle de son soldat, il avait aussi un long cou épais et une tête de cheval qui surplombait et de loin le plus grand de ces hommes. Sa peau était faite d'écailles tirant entre le gris et le vert, ses six sabots étaient fendus en deux et paraissaient aussi solides que meurtriers. Les pattes du spleinirs étaient puissantes et volumineuses. Sa démarche était aussi gracieuse que silencieuse, ce qui étonnant vu le nombre de sabots qu'avait l'animal.
Toutes les connaissances sur cette étrange chose et sur son cousin lointain : le cheval, explosaient dans son crâne. Elle le vit puis à peine une seconde plus tard elle savait.
- Heureux de te revoir Kosilka.
La faucheuse ne répondit pas oralement à Zoran, cela aurait pu le blesser s'il n'avait pas vu le rapide sourire de sa faucheuse apparaître sur ses lèvres.
Archi, toujours perché sur son épaule, sifflait en direction de l'animal Ana pencha sa joue pour entrer en contact avec lui, ce qui calma le serpent immédiatement. Anton haussa un sourcil et ravala un grognement.
- Tu es étrange. Dis Ana en touchant le cou puis le flan du spleinir. L'animal piaffa un son étrangement grave et retourna brouter avec les siens. C'est à ce moment qu'elle remarqua que l'animal n'avait pas de naseaux. Il respirait par trois longs trous très fins placés sur sa gorge.
Le familier le suivit en prenant du volume.
- Tu devrais dire à Archi de ne pas le chasser.
- Il l'a fait ?
- Il a essayé, intervient Zoran qui lui aussi regardait les deux bêtes, qui étaient maintenant presque aussi grosse l'une sur l'autre se tourner autour.
La faucheuse haussa les épaules pour toute réponse.
- Laissons-leur la pleine du haut. Cette fameuse plaine était une petite colline dénuée d'arbre et qui surplombait leur vallée.
- Faut d'autres maisons ?
- Un paquet oui.
Zoran comprit qu'il était de trop dans cette conversation, après un dernier regard en direction du colosse et un hochement de tête pour sa Kosilka il retourna s'occuper avec le reste des hommes.
- Celui qui est blessé ? demanda brusquement la jeune femme quand ils ne se retrouvèrent que tous les deux.
- On n'a rien pu faire pour son bras et il a aussi une guibolle abimée.
- Ebat'...
L'ami lui jeta un regard acéré.
- Il restera ici pour s'occuper des bêtes et des armes.
- Tu te charges de lui dire ?
La jeune femme tourna les talons et entre chez eux sans fermer entièrement la porte. Il ressentit une pointe de douleurs pour ces hommes, ils voulaient juste avoir une meneuse plus loquace et non un fantôme qui ne leur adressait pratiquement jamais la parole. Cependant il comprit sa Kulka, ils étaient occupés, mais étaient tous devant eux. Cela avait dû l'angoisser voir l'effrayer, voilà pourquoi elle avait fait demi-tour.
Elle n'avait pas fermé la porte ça voulait dire beaucoup. Ana n'avait pas mis de barrière physique entre eux pour la première fois depuis presque un an maintenant.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top