Ce n'est pas tant le chant qui est sacré...
Ce n'est pas tant le chant qui est sacré, c'est le lien qu'il crée entre les êtres.
philippe-barraqué
Un énième soupire et une énième grossièreté plus tard, le colosse se laissa tomber au sol. Cette enfant allait l'épuiser avant l'heure ! Cela faisait maintenant trois jours qu'il était devant la grotte de la jeune fille et qu'il tentait par tous les moyens possibles, pacifique, de la faire sortir.
L'idée d'enfumer l'endroit lui avait tout de même traversé l'esprit plus d'une fois. Parfois très violemment.
- Tu as eu à manger, des habits, une couverture et des chaussures. Énuméra Anton en comptant sur ses doigts le dos collé contre la parole en pierre, que veux tu de plus ? Je ne vais rien te faire, mais tu admettras que tu ne pourras pas vivre dans ton trou éternellement...
De son côté, Ana avait la ferme intention de ne jamais bouger d'ici ! Elle s'était elle dit qu'avec un peu de chance elle vivrait assez longtemps pour ne plus pouvoir passer à travers le minuscule orifice. Elle voyait la silhouette de cet homme couper les rares rayons de lumière qu'ils l'atteignaient. Il lui faisait peur. Il semblait être trop grand et sa voix grave résonnait dans tout son corps, la jeune fille l'avait imaginé avec des griffes et des crocs pendant un instant et depuis cette image ne l'avait pas quitté. Depuis, elle n'osait même plus venir chercher la nourriture qu'il lui apportait. Pourtant son ventre la réclamait corps et âme.
Quand la nuit tomba enfin, Ana se détendit. Elle avait appris à être plus alerte la nuit, plus à l'écoute du Mira qui l'entourait. C'est à ce moment-là qu'elle se décida enfin à venir chiper la nourriture qui lui était destinée. Elle goba plus qu'elle ne mangea les bouts de viande séchée et apprécia le bout de peau tanné en plus. Il lui tiendrait chaud pendant ses longues nuits où toute la chaleur semblait quitter cette terre.
Anton avait bien vu cette petite main venir prendre ce qu'il lui avait apporté, il n'eut tout simplement pas le courage de la capturer. Puis, en son for intérieur il se disait que ce n'était peut-être pas la bonne solution.
Après tout cette gosse en avait déjà vécu pas mal pour son trop jeune âge et il ne voulait pas être un salop de plus pour elle. Cette pensée lui fit souffler un petit rire.
Une berceuse que lui chantait sa mère lui revint en mémoire, il ferma les yeux avant de la fredonner doucement.
« N'aie pas peur du vent qui gronde
ni des renards qui se cachent.
Je suis là pour veiller sur toi,
Pour que ta nuit soit douce.
Dors, dors mon enfant
Laisse-toi bercer par cette douce mélodie.
Dors, dort mon enfant,
je suis là pour veiller sur toi »
Cela faisait bien plus de vingt ans que cette mélodie lui était sortie de la tête. Pourtant il prit un immense plaisir à la fredonner.
Ana, attentive aux moindres bruits, fut surprise d'entendre cette chanson. La voix du colosse calmait les battements frénétiques de son cœur. Son ton n'était pas le même que quand il parlait, il lui semblait presque gentil ainsi.
Elle voulait encore l'entendre, au moins une fois. Elle rassembla tout son courage pour s'approcher de sa minuscule sortie à pas de loup. Elle du en rassembler encore plus pour trouver la force de parler.
- En... cor... s'il te plaît. Sa voix n'était qu'un souffle à peine audible, une minuscule complainte noyée par le maudit vent qui s'acharnait à tout balayer autour d'eux.
Anton rouvrit les yeux et sourit, il se sentit même quelque peu intimidé. Il reprit son souffle et fredonna une nouvelle fois sa berceuse.
« N'aie pas peur du vent qui gronde
ni des renards qui se cachent.
Je suis là pour veiller sur toi,
Pour que ta nuit soit douce.
Dors, dors mon enfant
Laisse-toi bercer par cette douce mélodie.
Dors, dort mon enfant,
je suis là pour veiller sur toi »
Il put voir la trop mince ombre de la jeune fille s'allonger devant le trou de sa grotte. La jeune fille y était roulée en boule bien emmitouflée dans ses bouts de peau.
Anton fit de même, il s'allongea en face de cette entrée. Un bras sous son crâne et un autre posé devant lui. Il chanta pour la troisième fois sa comptine. Même si cela l'agace de ne pas l'apercevoir à cause du contre-jour, il ne laissa rien paraître.
« N'aie pas peur du vent qui gronde
ni des renards qui se cachent.
Je suis là pour veiller sur toi,
Pour que ta nuit soit douce.
Dors, dors mon enfant
Laisse-toi bercer par cette douce mélodie.
Dors, dort mon enfant,
je suis là pour veiller sur toi »
La voix grave, mais au combien douce de cet étrange homme apaisait la jeune fille. Elle aimait le son qu'il produisait. Pendant un instant elle s'était dit que tant qu'elle l'entendrait tout irait bien, elle voulait aussi croire qu'il veillait vraiment sur elle. Ana se raidit une courte seconde quand elle aperçut l'immense main de l'homme se poser juste sous son entrée. Elle avait cessé de respirer, alors qu'Anton continuait de chanter.
Elle fut surprise de ne pas voir de griffes au bout de ses doigts, ni de poil ou tout autres chose effrayante. Ce n'était qu'une main, une très grande main, mais une main tout de même.
Petit à petit, elle approcha sa main maigrelette de ses énormes doigts. Il aurait pu lui rompre le cou d'une simple pression ou lui arracher le bras sans effort, mais Ana trouva cette idée complètement stupide. Quand enfin elle osa effleurer sa main, le colosse loupa une note. Il continua à chanter tout en fermant les yeux. La jeune fille ne s'arrêta pas là, elle se sentait en sécurité dans son trou et ne le voir que partiellement la rassurait aussi.
Quand elle saisit doucement deux doigts du colosse dans sa fine main, Ana se sentit épuisée. Elle s'endormit rapidement toujours en tenant la main d'Anton et en serrant le bout de tissus rouge avec l'autre.
De son côté le colosse se sentit plus fragile, sa voix se fit encore plus douce. Il n'osait plus bouger, c'est à peine s'il s'autorisait à respirer. Au fond de lui, il se disait que dans ce Mira toute faiblesse était une immense porte vers la mort, mais ce n'était qu'une enfant. Une simple gosse déjà pas mal bousillée.
- Juste pour cette nuit, avait-il soufflé en sentant ses petits doigts se refermer sur les siens. Juste pour cette nuit, avait-il rajouté avant de reprendre sa comptine.
Tout autour d'eux le vent maudit s'acharnait un peu plus, il dévastait ce qu'il restait. Tuant plutôt qu'assommant le moindre bougre qui tentait de le traverser. Anton en s'était pas rendu compte qu'il formait une barrière protectrice entre eux et le reste du Mira.
De toute évidence, ce soir il était bien trop épuisé pour réfléchir à quoi que ce soit.
Au petit matin rien n'avait changé. Le vent était toujours là, balayant toute âme vivante et elle lui tenait encore la main.
Anton sentit son cœur se tordre quand il récupéra sa main avec une douceur qu'il ne se connaissait pas.
- Ebat'. Siffla-t-il entre ses dents, je vais nous chercher à manger.
Pour toute réponse la petite couina un son étouffé. Il savait qu'elle s'était réveillée à l'instant où il avait récupéré sa main. Cela lui arracha la cœur, mais entre son estomac et sa vessie il n'avait pas le choix.
- Tu veux quelque chose en particulier ? Comme il ne s'attendait pas à une réponse, il commença à se relever. Il devait se frotter vigoureusement le dos, Anton avait mal partout. Il se promit de ramener quelque chose de plus confortable pour les nuits prochaines. Tout en espérant qu'il n'y en a pas énormément d'autres.
- Du lait de biche. Venait de souffler tout bas Ana.
Le colosse ouvrit grand les yeux et stoppa sa respiration, il fit un demi-tour et se plia pour être à quatre pattes devant la minuscule entrée.
- Tu veux du lait de biche ?
La jeune fille se recula vivement, mais opina du chef avant de se rappeler qu'il ne pouvait pas la voir.
- Ou... oui.
- Je reviens.
En vérité, le colosse n'avait qu'à peine entendu sa réponse, mais le couinement étouffé qu'il venait de percevoir était la meilleure des réponses pour lui. Il se releva d'un bond, ignorant la douleur dans son corps et fit demi-tour pour se précipiter chez lui.
Il ne prêta pas attention au fait qu'il venait de traverser la barrière de vent. Il courrait, il devait aller plus vite pour la petite. Dans sa précipitation le colosse se prit les pieds dans des branchages et s'étala de tout son long. Il se releva, mais retomba une paire de fois. En temps normal il était maladroit, quand il se dépêchait c'était encore pire.
Il s'interdit aussi de réfléchir au fait que le bien-être de la jeune fille comptait pour lui, lui qui se trahirait d'être un égoïste pas tenté...
C'est donc pour elle qu'il se prit plusieurs branches et chuta au moins tout autant de fois. À chaque fois il grondait son poids en insanités.
Il pila net devant sa cabane. Le chemin lui avait paru bien plus court qu'auparavant. En se retournant, il rendit compte qu'il apercevait le village, chose impossible auparavant. Il fronça les sourcils.
- C'est quoi ton petit jeu, maudit Bog ? demanda-t-il en haussant le ton au ciel.
Dans ce Mira, les animaux avaient deux visages, mais la terre ne bougeait pas ! Anton sera les dents entre deux insultes et se précipita chez lui.
Il prit ce dont il avait besoin, renversa une bonne partie de ses affaires, injuria tout ce qu'il avait sous la main et ressortit en se prenant une poutre en plein sur le front.
Bien évidemment, rien de tout cela n'était de sa faute.
Il détesta le fait de se sentir responsable de quelqu'un, il n'aimait pas savoir que quelqu'un dépendait de lui. C'était bien pour cela qu'il n'avait jamais eu de femme ou d'enfant. Pourtant cette enfant... avec ses grands yeux du triste...
Anton secoua la tête, du coin de l'œil il vit le cadavre du gros se faire dévorer par des corbeaux et quelques renards.
Un sourire cruel glissa sur son visage.
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