30⚔️Prisonnier de Terrasgard



SIRYASIUS


Il ne pouvait estimer depuis combien de temps les chaînes anti-démon le retenaient, ni depuis quand il avait perdu la perception du flux magique environnant, mais la douleur était constante.

Le sang s'écoulait lentement de la blessure infligée par l'arme céleste, un fil infime mais persistant depuis son abdomen. Son instinct démoniaque l'avait toujours préservé des assauts célestiens capables de réduire les démons en cendres.

L'unique barrière entre lui et la mort n'était autre que les principes des célestiens, et plus spécifiquement, ceux de Moon.

Le leader de la résistance avait longtemps espéré engager des pourparlers avant de finalement opter pour son emprisonnement, son jugement, puis son exil hors des plans terrestre et céleste, le condamnant à errer éternellement en Enfer.

Rizael, lui, avait souhaité sa mort dès leur première rencontre, une vengeance ardente l'animant face à lui avec une audace et une détermination sans failles.

Siryasius, les yeux s'ouvrant lentement, scruta l'espace confiné où il était enchaîné, les bracelets anti-démons serrés autour de ses poignets et chevilles. Les murs, le sol, et le plafond, ornés de cercles magiques, filtraient une lumière et un souffle d'air si faibles qu'ils semblaient presque inexistants.

Il identifia aisément le métal de ses entraves comme provenant du Premier Cercle des Enfers, un don sinistre de Tiam à Oliver, puis de ce traître à leurs ennemis.

Cet endroit avait manifestement été préparé avec soin en prévision de son emprisonnement.

Face à lui, une porte de fer imposante, munie d'une étroite ouverture et défiant toute tentative d'évasion. Luttant contre une douleur incessante, il laissa échapper un soupir profond, appelant sans espoir Damnation, Supplice et Calamité, mais aucun n'apparut.

Néanmoins, habitué à la frôler, la mort ne lui inspirait aucune peur.

Ses pensées vagabondèrent vers l'extérieur, une préoccupation surprenante et encore plus lorsqu'il pensait à Rizael.

En lui, Siryasius ne percevait que sa faiblesse, une incapacité non pas à ressentir, mais à admettre ses sentiments. Pourtant, il était convaincu d'une chose : dans le regard de Rizael, il avait décelé un souci sincère à son égard.

Lorsque la porte s'entrouvrit, révélant Moon à la lueur d'une torche, Siryasius fut pris de court. Le célestien, le fixant en silence, pointa finalement du doigt la blessure encore ouverte.

— Cela fait plus de 24h et tu saignes encore... Si j'avais pu t'atteindre plus tôt pendant nos affrontements... Tout aurait été plus simple.

— Tu n'aurais jamais réussi, car tu ne voulais pas vraiment me tuer, juste me "blesser". Quel est l'intérêt, si tu ne te bats pas pour gagner ?

— La guerre, pour toi, c'est un jeu ? Prendre des vies, ça t'amuse ? répliqua Moon, son ton teinté de dégoût.

— Oh, tu n'as pas idée.

Le sourire de Siryasius ne disparut pas même après le coup de poing de Moon.

— Tu me dégoûtes. Et le pire, c'est que tu as pu croire qu'avec une attitude pareille, tu puisses intéresser l'un de nous.

— Ça te tue que j'ai baisé ton amant, hein ?

L'air se chargea d'une tension palpable, Siryasius savourant chaque moment de cette confrontation, délectant de la colère qu'il provoquait chez Moon, le célestien censé représenter la bonté.

— Tais-toi.

— Est-ce qu'il t'a dit à quel point il a aimé ça ? Et sa peau... C'est délicieux, comme du miel. Surtout quand la pointe de ses oreilles devient rouge.

— Je vais te faire taire.

— Je lui ai dit ça aussi, mais il n'a pas arrêté. Est-ce que tu l'as déjà entendu gémir ? J'y suis peut-être allé un peu fort avec lui. Mon petit renard des neiges.

— Rizael excelle dans la dissimulation.

— Pas avec moi.

— C'est un barde, il lui suffirait de siffler pour t'attirer et te faire croire n'importe quoi.

Siryasius resta silencieux, conscient du pouvoir de son amant qui pourtant, avait toujours été réfréné par Moon lui-même.

Jusqu'à ce que l'évidence lui saute aux yeux.

— Tu as peur de Rizael.

— Pardon ?

— Mais oui, bien sûr... Dès le début, tu as perçu qu'il n'était pas un « héros ». Qu'il ne cherchait qu'une vengeance pour ce que j'avais fait. Et que ses pouvoirs de barde couplé à sa détermination pouvaient être dangereux...

— Ça n'a aucun rapport avec...

— Mais tu l'as élevé au rang d'espoir, l'as drapé de la cape du héros pour qu'il reste sur le droit chemin, limitant sciemment l'usage de sa magie. Nous avons tous sous-estimé sa capacité, pensant qu'un barde n'était qu'un ménestrel aux sortilèges mineurs... Mais Rizael transcende cette image. Il transforme ses mélodies en lames, en boucliers. Tu l'as empêché d'utiliser sa musique contre nous au cas où il aurait une infime chance de se retourner contre vous. Parce que Rizael n'est pas un héros. Il est égoïste et malgré les valeurs que tu as tenté de lui inculquer, son objectif a toujours été Lae'Thys, et rien d'autre.

Devant cette révélation, Moon fut réduit au silence, mais se reprit rapidement.

— Cela ne modifie en rien ta situation actuelle, affirma-t-il d'une voix ferme.

— Au contraire, cela change tout, car je sens que la perspective que Rizael puisse éprouver le moindre intérêt pour moi te tourmente, riposta Siryasius avec un sourire provocateur.

— Rizael ne t'aime pas. Ta propre forteresse a été le théâtre de cette vérité.

— Alors, explique-moi pourquoi il m'a épargné ?

— Parce qu'il est confus. Une fois libéré de ton influence, il n'hésitera pas à mettre un terme à ta vie.

— J'attends de voir cela avec impatience.

Après cet échange tendu, Moon, sans rien ajouter, se retourna et marcha vers la sortie. La porte de fer se referma avec un bruit sourd, laissant Siryasius enfermé dans l'obscurité et le silence de sa cellule.

Comme à l'époque de Lae'Thys, il prit son temps pour diriger le flux en lui, les glyphes aux murs se mettant à grésiller légèrement, pour cicatriser sa blessure au minimum pour arrêter le saignement.

Le temps s'effilocha en silence jusqu'à ce que des cris, lointains mais reconnaissables, troublent cette tranquillité forcée.

— Amalia, murmura-t-il en reconnaissant la voix de la petite fille.

La révélation de sa nature avait dû alarmer la résistance, se dit-il, un frisson parcourant son échine à l'idée des conséquences pour la jeune enfant.

Alors il espéra sincèrement que Rizael allait agir et qu'il ne laisserait pas Amalia mourir à cause de son origine suscitant la peur.

Siryasius fut assailli par le souvenir de leur rencontre avec Amalia, une époque où Beatrix et lui l'avaient découverte, prisonnière des expériences d'un mage sans scrupules. L'adoption forcée, mais finalement bienvenue, de la fillette par Siryasius était un souvenir teinté d'une étrange chaleur.

Lorsque la porte s'ouvrit à nouveau, révélant Moon et Rizael, Siryasius les détailla avec une intensité renouvelée. Son regard s'attarda sur Rizael, dont le dédain semblait imprégner chaque fibre de son être.

Il sentit son cœur se serrer un peu plus, lorsqu'il remarqua un détail inhabituel chez son amant qui le rendit méfiant.

— Même enchaîné, tu causes des problèmes. Ton nouveau titre de Roi, émissaire de l'Archidiable, t'accorde le droit à un jugement, annonça Moon, sa voix empreinte d'une gravité officielle.

— Et quel est l'intérêt si ma tête est déjà destinée à tomber ? rétorqua Siryasius, son cynisme à peine voilé.

— Pour calmer ceux te soutenant. Nous avons reçu la visite d'araignées la nuit dernière qui se sont vengée de ce que nous avons fait à leurs sœurs. Je pense que si tu es exécuté froidement sans jugement, cela n'arrangera pas l'avenir de notre côté.

— Riz, tu es d'accord avec ça ? Tu vas enfin me tuer ?

— C'est ce que j'ai toujours voulu, répliqua Rizael, un frisson de résolution dans la voix.

Le froncement de sourcils de Siryasius arracha un sourire à ses geôliers.

— Quoi ? poursuivit Rizael. Tu as vraiment cru que j'avais des sentiments pour un monstre comme toi ? Tu es bien naïf. Je n'ai cherché qu'une chose : ma survie. J'ai caché ma répulsion à ton égard alors que-

— Qu'en a pensé ton père ? l'interrompit soudain Siryasius. Tu m'avais dit l'avoir revu à Orifleur. Est-il au courant de ta libération ?

Un échange de regards entre Rizael et Moon précéda la réponse du demi-elfe :

— Pas encore mais avec ta mort, ça ne serait tarder.

Un sourire énigmatique se dessina sur les lèvres de Siryasius, suivi d'un soupir apaisé.

— Il y a des choses que les héros ne se racontent pas entre eux. Des choses que l'on peut confier qu'à son ennemi capable de comprendre nos motivations sans nous juger.

— Que veux-tu dire ? demanda Rizael, la confusion teintant sa voix.

— Si tu n'as fait que me manipuler, prouve-le. Utilise ta dague, non pas pour me tuer, mais pour infliger la douleur. Après tout ce que nous avons partagé, je sais que tu en es capable, et cela pourrait même t'apporter une certaine satisfaction.

— C'est ainsi que tu souhaites que cela se termine ? lança Moon d'une voix calme, mais empreinte d'une autorité glaciale. Rizael n'a pas à t'obéir.

Un sourire sadique étira les lèvres de Siryasius ayant enfin le contrôle de la situation.

— Tu penses vraiment que vous pouvez me tromper ? Tu as commis une erreur en pensant que je ne verrais pas à travers ton masque. Tu n'es pas Rizael. Tu es juste un pâle reflet de ce qu'il est.

Moon jeta un regard interloqué à son compagnon, tandis que le faux Rizael tentait de dissimuler son malaise derrière un masque d'indifférence.

— Que racontes-tu ? cracha-t-il, feignant l'indignation.

— Rizael n'aurait jamais agi de cette manière. Il aurait eu le courage de me regarder dans les yeux, même dans les moments les plus sombres. Il aurait eu la force de ses convictions, pas la faiblesse de se cacher derrière des mensonges. De plus, il ne porte pas sa boucle d'oreille.

Le sourire du faux Rizael vacilla, tandis que Moon semblait chercher une issue à cette impasse imprévue.

— Tu es un piètre substitut, conclut Siryasius d'un ton méprisant. Que Rizael éprouve des choses ou moi, peu importe. Malgré notre passif, nous nous faisons confiance. Tout n'est pas qu'une question de sexe pour les démons et oui, Rizael et moi avons suffisamment discuté pour que je puisse distinguer sa personne d'un imposteur. Et maintenant que ton masque est tombé, montre-moi ton visage, que je sache à qui je dois ôter la vie dès que je serais libre.

Alors que le silence s'épaississait, le faux Rizael se figea, son visage trahissant une peur grandissante. Ses mains tremblaient légèrement alors qu'il sentait le regard impitoyable de Siryasius peser sur lui.

Moon, de son côté, semblait déconcerté, cherchant désespérément une échappatoire à cette situation de plus en plus compromettante.

— Assez de jeux, exigea Siryasius d'une voix glaciale. Ramenez-moi Rizael. Je veux lui parler.

— Hors de question.

— Alors ainsi soit-il. Vous regretterez d'avoir tenté de vous jouer de moi.

Le regard échangé entre le faux Rizael et Moon était empreint d'une tension palpable, et Siryasius le remarqua immédiatement. Il perçut un échange silencieux, un langage non verbal chargé de significations obscures.

Puis, avec une résolution calculée, Moon se tourna vers Siryasius, son visage figé dans une expression de défi mêlée d'appréhension.

— Tu n'auras pas cette chance. Peu importe ce qu'il se passe entre vous, Rizael n'aura pas le choix. Il te tuera, pour le bien de la résistance et de l'avenir.

La porte de la cellule se referma avec un grincement sinistre, plongeant Siryasius dans l'obscurité oppressante. Mais au lieu de ressentir de la peur, une détermination farouche s'empara de lui.

Dans le silence étouffant de sa cellule, Siryasius commença à réfléchir.

Il sentait que quelque chose n'allait pas, que les pièces du puzzle ne s'emboîtaient pas comme elles le devraient. Et au fond de son être, une pensée persistante bourgeonnait : Rizael était peut-être en danger, et il devait s'échapper à tout prix.



RIZAEL

Deux jours plus tôt



Rizael n'entendait plus les exclamations des membres de la résistance. L'alcool coulant dans sa gorge pour fêter sa délivrance était insipide, tout comme la nourriture. Les étreintes de ses camarades, bien que remplies de gratitude et de soulagement, lui paraissaient dénuées de toute chaleur.

Son sourire ne parvenait pas à masquer l'absence qui habitait son regard.

Etherna n'était pas tombée. Leurs ennemis étaient désormais captifs dans les geôles de leur quartier général, ravivant l'étincelle d'espoir parmi les résistants.

Pourtant, la pensée de Rizael était ailleurs, accaparée par Siryasius - par ses derniers mots, par l'expression qui avait traversé son visage.

Son attention se déplaça sur Moon, qui se trouvait à quelques pas. Patientant jusqu'à ce que la foule de camarades se disperse enfin, Rizael s'approcha pour lui murmurer discrètement :

— Il faut que je te parle... seul à seul.

Avec un rougissement perceptible sur les joues, le célestien acquiesça, suivant Rizael hors de la taverne qui servait de lieu de réunion aux résistants.

L'obscurité enveloppait déjà la Côte d'Émeraude, mais pour Rizael, il y avait un certain réconfort à retrouver les effluves familiers de la forêt.

Niché dans la canopée de la forêt de Terrasgard, le quartier général de la résistance se fondait harmonieusement dans son environnement. Les plateformes suspendues entre les arbres, connectées par des ponts de corde, servaient de lieux de réunion, d'entraînement, et de repos.

Les constructions, camouflées par le feuillage, étaient presque invisibles de l'extérieur, tandis que la taverne centrale, cœur de la résistance, vibrait d'une ambiance chaleureuse, éclairée par des lanternes magiques.

Ce refuge, bercé par les bruits de la forêt et protégé par la bénédiction du Dieu Sylvestre, symbolisait l'espoir de ceux luttant pour sauvegarder leur monde des ravages de Siryasius.

Un havre de paix et de solidarité pour les réfugiés et les combattants, rappelant l'importance de leur combat.

Lorsque Moon s'accouda à la rambarde, un soupir profond s'échappa de ses lèvres avant qu'il ne fixe son regard sur Rizael.

— Tu ne m'as pas trompé, Rizael. Ton cœur avait déjà choisi sa voie, et pourtant, avec ton talent pour la dissimulation, tu nous as tous dupés. Moi, je reste l'exception.

— Que veux-tu dire ?

— C'est de lui que tu es épris.

Un éclat de surprise traversa les yeux de Rizael, tandis que Moon relevait la tête pour contempler le firmament étoilé.

— « Epris » est un bien grand mot.

— Arrête. C'était évident dans tes yeux. Ta détresse ne pouvait être feinte. Si tu t'es abstenu de le reconnaître ouvertement, c'est parce que tu gardes espoir de le sauver. Il ne s'en est probablement pas rendu compte, ne te connaissant pas avec la même profondeur que moi. Ce regard... c'est avec cette intensité que j'ai toujours rêvé que tu me vois... et pourtant, tu l'as réservée à celui que nous considérions comme notre ennemi. Pourquoi ?

— Tu vas me traiter de fou.

— Et avec raison, car c'est ce que tu es, en éprouvant de tels sentiments pour celui qui nous a tant pris. Il n'existe aucune justification valable pour ressentir cela. Même s'il avait risqué sa vie pour toi à de multiples reprises, cela n'effacerait pas ses méfaits... Je suis donc intrigué. Qu'a-t-il donc que je n'ai pas ? Est-ce une question purement charnelle ? Parce qu'en tant que célestien, je sais que je ne peux t'offrir que des baisers et des caresses.

— Ce n'est pas toi, Moon. C'est... indescriptible.

— Essaie quand même. Peut-être que je parviendrais à te comprendre.

Rizael chercha ses mots, le regard perdu dans l'infini étoilé au-dessus d'eux, comme s'il espérait y trouver la clé de ses sentiments tumultueux.

— Ce n'est pas une question de désir physique, bien qu'il possède un charme indéniable. C'est... c'est la complexité de son âme. Dans ses moments de vulnérabilité, j'ai vu quelqu'un de profondément brisé, quelqu'un qui lutte contre sa propre nature. J'ai ressenti le besoin de le comprendre, de l'aider.

— À ce point ? Sois plus sincère.

— Tu veux de la sincérité ? D'accord. Alors déjà, c'est compliqué de résister vu son charisme et son corps. Il est d'une attirance démoniaque. Il dégageait une odeur subtile mêlant des notes boisées et épicées avec une légère touche de musc. Il y a ses mains, oh les veines de ses bras, bon sang... et puis son sourire malicieux, ses cornes et sa queue de démon... Et même si tu lui retires tout cela, il y a une certaine... bonté ? Il est amical avec ceux qu'ils estiment et même s'il jure que sa confiance est dure à avoir et que personne ne l'aime, c'est faux. Ses proches l'estime et à raison. Et puis il aime lire, flâner, certes il a des tendances carnivores mais... pardon, c'est amusant qu'il n'arrive pas à prononcer correctement « betterave »... Il est sincèrement amoureux de la nature et il a des rêves de voyage comme tout le monde, et il-

— Je vois, murmura-t-il enfin en l'interrompant. Tu as toujours eu ce cœur prêt à voir le bien en chacun. C'est une des raisons pour lesquelles je t'ai toujours admiré... Mais l'on parle de Siryasius.

— Si tu oublies sa part démoniaque et sanglante, tous ces crimes, c'est quelqu'un d'assez « simple ».

— Ça fait bien trop à oublier, tu le conçois ?

— Je sais, je ne peux pas lui pardonner le mal qu'il a causé. Et pourtant... j'ai appris à accepter ce qu'il est, au-delà de tout ça.

Moon franchit la distance qui les séparait, posant une main réconfortante sur l'épaule de Rizael.

— Demain, nous consulterons nos mages les plus érudits pour t'examiner.

— Quoi ?

— Il n'y a pas d'autre explication rationnelle à ce que tu ressens. Siryasius est responsable de la perte des êtres qui te sont chers, de la destruction de ta cité et de tant d'autres tragédies. Des vies brisées, des compagnons tombés par sa faute... Et tu penses encore à lui. Tu es faussement amoureux.

— Moon, je te jure que je ne suis sous aucun sortilège. Ma conscience est claire, même si cela te semble absurde. Peut-être qu'une certaine folie m'a emporté, mais je ne suis l'otage d'aucun enchantement.

— Et si le choix t'était donné entre lui et moi, qui choisirais-tu de sauver ? En tant que héros, la réponse devrait être évidente.

— Je ne suis pas un héros. Jamais je ne l'ai été, malgré ce que tu as pu croire. Je suis simplement un barde demi-elfe, dont la ville a été réduite en cendres. Mon seul désir était la vengeance... mais même cela, je n'en ai plus besoin.

— Nous en reparlerons demain, promit Moon, la voix chargée de fatigue. Cette journée a tiré sur chacun de nos nerfs, et il me semble que ton jugement est troublé par l'épuisement.

— Laisse-moi lui parler.

— Nous verrons cela.

— Moon !

Moon se tourna vers lui, les yeux emplis d'une douleur inexprimée.

— Comment veux-tu que je réagisse à cela ?! s'exclama-t-il, sa voix montant en crescendo, vibrante d'émotion. Te perdre, c'est perdre l'espoir. C'est perdre une partie de nous au profit d'une créature qui ne te mérite pas ! Quelqu'un qui t'a manipulé et certainement humilié pendant toute ta captivité !

— Les gens peuvent avec plusieurs facettes qui nous échappent.

— Les « gens » peut-être. Pas les démons. Pas Siryasius.

Moon resta un instant silencieux, son regard oscillant entre colère et douleur, cherchant dans les yeux de Rizael un indice, une raison qui justifierait cette folie, cette attirance déviante.

Le regard de Rizael, cependant, restait impénétrable.

— Siryasius va mourir, de ta main ou de la mienne, mais il doit payer. Si je préconisais un jugement et un bannissement vers les enfers, ta position pendant des années nous a fait changer d'avis. Te perdre m'a profondément marqué et ça a été un moment dur à vivre pour nous, prend-le en compte.

— Il a été désigné émissaire de l'Archidiable. C'est à présent un Roi. S'il propose des pourparlers pour se racheter, nous serons tenus de lui accorder un procès.

— Siryasius n'est pas en position de négocier, et un roi déchu de ses sujets ne représente plus une menace, rétorqua Moon avec froideur.

Sur ces mots, Moon tourna les talons et s'éloigna, laissant Rizael seul. Mais si ce dernier souffrait de cette situation, il n'en demeurait pas moins déterminé.

Moon avait raison sur un point : Rizael n'avait pas avoué ses sentiments pour Siryasius par nécessité. Exprimer son attachement aurait ruiné sa crédibilité auprès de ses compagnons qui l'auraient accusé d'être sous un sortilège.

Il fallait que Siryasius reste en vie, quitte à blesser son cœur.

Le cambion mort n'aurait pas empêché la résistance de tuer ses compagnons et, il en était persuadé, Beatrix serait la clé de leur survie.

Tumiel était gravement blessée, Oliver était un traître, mais la résistance avait négligé le plus important : les Souliers Rouges. Et Fel n'obéissait qu'aux ordres des maîtres l'ayant libéré.

Siryasius, mais également Beatrix.

Souvent ignorée par la résistance, la figure de Beatrix se dressait toujours en arrière-plan, détentrice d'un pouvoir insoupçonné. En connaissant chaque plan, chaque stratégie, elle possédait l'influence d'une reine qu'ils sous-estimaient grandement, l'abaissant au simple statut « d'amante du démon ».

En les libérant, même si Siryasius n'avait plus une once de sentiment pour lui, ils pourraient ouvrir la voie à des négociations. Éviter le bain de sang et, par le nouveau statut d'émissaire, mettre fin à sa conquête.

L'ardeur combative de la résistance était portée essentiellement par ses membres fondateurs tels que Moon, Thorgar, et lui-même. C'était leur espoir inébranlable qui alimentait la flamme de la lutte.

Toutefois, le monde des mortels était épuisé par l'incessante succession de batailles et le lourd tribut de vies perdues.

Si un traité de paix, scellé par quelques signatures décisives, pouvait mettre un terme définitif à cette guerre, épargnant ainsi d'innombrables existences sur les champs de bataille, cela aurait apporté un soulagement.

Quelques heures plus tard, au cœur de la nuit, Rizael se déplaça furtivement avec son violon jusqu'aux portes de la prison, enfoncées dans la terre.

— Halte ! s'exclama l'un des gardes, sa voix coupant le silence de la nuit. Qui... Messire Silverleaf ? Il est tard.

Rizael releva le menton avec assurance, son visage baigné par la lueur de la lune.

— L'heure parfaite pour mener un interrogatoire secret, répliqua-t-il d'un ton décidé, agitant négligemment son archet. Moon m'a confié la tâche de faire avouer certains des nouveaux détenus. Ayant eu des contacts avec eux, je suis convaincu qu'ils seront plus enclins à se confesser sous l'effet de ma musique.

Les deux gardes échangèrent un regard perplexe, manifestement hésitant face à la demande inattendue de Rizael.

— Messire Moon nous a expressément ordonné de ne pas vous laisser passer, déclara finalement l'un d'eux d'un ton ferme. Il est actuellement en entretien avec le démon...

Rizael esquissa un sourire charmeur, tentant de fléchir leur résolution.

— Allons, messieurs, vous ne pouvez pas priver votre barde préféré de son libre arbitre, n'est-ce pas ? Après tout ce que j'ai fait pour vous. Ce serait cruel de votre part.

Avec le charisme du barde, l'un des gardes commença à baisser sa garde. Il échangea un regard incertain avec son camarade avant de céder à l'insistance de Rizael.

— Très bien, mais je reste à vos côtés. Pas de tours de passe-passe, dit l'un d'eux d'un ton encore méfiant.

Rizael acquiesça avec un léger sourire, puis se glissa à l'intérieur, suivi de près par le garde. 



⚔️PROCHAIN CHAPITRE SAMEDI ⚔️

Il reste trois chapitres ! J'espère que la fin vous plaira 💛

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