26⚔️Les oiseaux morts
SIRYASIUS
— Aaaaaah !
— Amalia ! Arrête de courir !
— Je vais mourir ! Il y a un arbre qui va pousser en moi et je vais MOURIR !
Le tumulte régnait dans la cuisine alors qu'Amalia courait en agitant les bras, clamant sa détresse.
Siryasius ne pouvait s'empêcher de rire face à la scène cocasse, tandis que Grall tentait vainement de calmer la jeune fille et que Xol essayait de l'attraper à chaque passage.
— Qu'est-ce qu'il se passe ici ? demanda Thalion accompagné de Rizael en arrivant dans la cuisine.
— UN ARBRE VA POUSSER DANS MON VENTRE !
Amalia se précipita instinctivement dans les bras de Rizael. D'un simple regard, il comprit la situation.
— Laissez-moi deviner... elle mangeait des cerises.
— Hm hm.
— Elle a avalé un noyau et l'un de vous... donc Siryasius... lui a fait croire qu'un arbre pousserait dans son ventre, c'est ça ?
— Ça fait dix minutes qu'elle est dans cet état.
Siryasius éclata de rire, assis sur la grande table de la cuisine, plié en deux par sa crise de fou rire.
— Le maître est méchant, renifla Amalia, tandis que Thalion lui tendait un mouchoir pour essuyer ses larmes.
— Tu es vraiment un gamin, Siry, ajouta Grall.
— Techniquement, rien qu'avec ce noyau, Xol pourrait faire pousser un cerisier dans son-
— XOL VA ME TUER ! s'écria-t-elle.
Le Terranid agita ses bras avec inquiétude, provoquant une nouvelle fois l'hilarité du cambion, lorsqu'il fit pousser une petite fleur sur son bras et la tendit à Amalia en grognant.
— C'est vrai ? murmura-t-elle. Rien ne va pousser ?
— Tu peux le croire, ajouta Thalion.
— Alors... le maître est MÉCHANT !
— Tout le plaisir est pour moi, répondit Siryasius en se redressant et en faisant une révérence. Maintenant, veuillez m'excuser, je dois retrouver mes généraux. On est en guerre, vous savez ? Le sang, les morts, la détresse, tout ça... Rizael, tu m'accompagnes ?
Le demi-elfe acquiesça en déposant la petite fille calmée, sauf contre Siryasius qu'elle gratifia d'un petit coup de pied, ce qui lui arracha un sourire.
Alors qu'ils marchaient côte à côte dans le couloir, une tension palpable flottait entre eux.
Avant d'atteindre le premier étage, Rizael accéléra légèrement, puis se planta soudain devant Siryasius, interrompant leur avancée. Le cambion leva un sourcil, légèrement surpris, mais se tint immobile, observant le demi-elfe avec curiosité.
D'un geste presque instinctif, sa main ajusta avec précaution le tissu de sa veste et les nombreux bijoux qui ornaient sa tenue.
Leurs regards se croisèrent alors que Rizael terminait, une lueur intense brûlant dans leurs yeux.
— J'ai envie de toi.
— Maintenant ? Hors de question.
— On n'a rien fait depuis Lae'Thys.
— On a beaucoup parlé. Je croyais que tes pensées étaient plus intimes que le sexe ?
Siryasius tira Rizael à quelques mètres derrière eux, dans une alcôve séparée par un épais rideau bordeaux. Si on ne pouvait les voir, la proximité avec le couloir pourrait permettre à n'importe quel serviteur de les entendre.
Ils se retrouvèrent face à face, leurs souffles se mêlèrent alors que les mains du cambion brûlaient d'envie d'explorer les contours de son corps.
Cela faisait plus de deux semaines depuis leur échange dans la forêt et tout avait étrangement basculé entre eux. Ils étaient toujours en conflit, se disputant sur les visions de l'un et l'autre, sur la guerre, les pertes, les morts, ou tout autre sujet opposant le « bien et le mal ».
Ils ne s'étaient pas embrassés de nouveau, ni touchés de façon sensuelle. Ils ne faisaient qu'échanger des mots et des joutes sur le terrain d'entraînement... Pourtant, Siryasius avait encore plus de désir pour lui.
Soudain, les mains de Siryasius s'aventurèrent dans les cheveux de Rizael et ce dernier fermait les paupières en expirant, savourant ce contact.
Ils se pressèrent l'un contre l'autre, n'esquissant pas plus de mouvement.
— Peut-être que ce soir, après notre entraînement sur la plage...
Siryasius, laissant sa main glisser avec une lenteur délibérée sur la nuque du demi-elfe, répondit d'une voix à la fois rauque et chargée de désir :
— Je dois voir Beatrix ce soir, c'est notre contrat. Je suis guéri de mon empoisonnement et ne pas honorer mon engagement envers elle serait désastreux.
— Alors pourquoi m'as-tu fait venir derrière ce rideau ?
— J'avais envie de te sentir contre moi.
— Donc je dois demander à préparer deux repas à Grall.
— Trois, si tu veux nous rejoindre. Ou alors je te laisse ta soirée pour t'entraîner pour demain soir.
— Demain soir ?
— L'anniversaire de ma tante.
À ces mots, une lueur d'étonnement mêlée de déception traversa le regard de Rizael.
— Tu n'as pas pu oublier, continua Siryasius, puisque tu as pratiqué de ton instrument toute cette dernière semaine.
— Oui, certes...
Siryasius arqua un sourcil, scrutant attentivement les traits de Rizael.
— Qu'est-ce qui ne va pas ?
Le demi-elfe détourna le regard, hésitant un instant avant de répondre d'un ton réservé :
— C'est juste que... j'avais oublié que... ça allait déjà arriver.
— Il le fallait bien. Mais pas d'inquiétude, je me suis préparé pour nous éviter n'importe quel ennui.
— Et... qui gardera ta demeure en ton absence ?
— Eh bien, comme d'habitude. Enfin non, Calamité surveille encore plus Oliver ces temps-ci. Damnation vient avec nous, ne reste que Supplice. Et mes nombreuses barrières magiques, pourquoi ?
— Je crains... imagine que Tiam envoi des gens pour te piller ou-
— On n'entre pas chez moi comme dans un moulin. Il faut avoir l'autorisation, le bon sortilège, bref, ce n'est pas « facile ».
Rizael soupira mais Siryasius continua à le fixer, ne comprenant pas son soudain trouble.
— Il faudrait que je te parle de quelque chose, Siry...
— Hm d'accord, de quoi-
Soudain, le rideau s'ouvrit sur Supplice contrarié qui, en croisant le regard de son maître, changea immédiatement d'attitude.
— Pardon, mon maître ! Je vous cherchais parce que l'on vous attend avec impatience en haut. Le Soulier Rouge commence à menacer les autres de répandre leurs tripes sur le tapis.
— Bon, alors j'y vais. Rizael ? Je te laisse gérer tes affaires. On en reparlera ce soir.
Le demi-elfe hocha la tête, malgré son incertitude palpable.
Marchant dans ses couloirs pour rejoindre ses généraux, Siryasius n'arrivait pas à cacher son sourire satisfait. Tout se passait bien, pour une fois.
Sa convalescence était finie, il pourrait bientôt aller faire voler des têtes et, s'il avait bien joué son coup, la reconnaissance de son père tomberait demain soir devant tout le monde.
Asmodeus présent, Disyasius ne pourrait ignorer les victoires de son fils.
Siryasius offrirait alors les royaumes conquis à son père pour exiger le statut de prince du Deuxième Cercle, héritier légitime, et protégé de l'Archidiable.
Sa tante serait obligée de s'incliner et n'aurait plus la puissance de s'attaquer au royaume de Disyasius.
Outre ses plans, son objectif de détruire la résistance avançait très bien.
Les doppelgänger à Etherna allait bientôt semer le chaos, le combat reprendrait sans Rizael, alors il n'aurait plus de retenu. Il songeait à ramener le demi-elfe sur le champ de bataille pour le dévoiler à Moon, le faire enrager et tuer le célestien de ses mains...
Mais il repensa aux leçons moralisatrices de Rizael.
Puis seulement à lui.
Il repensa à ses cheveux, à la douceur de sa peau sous ses baisers, l'odeur familière de sa transpiration après l'entraînement, et le son enivrant de son rire lorsqu'il parlait aux autres...
Siryasius avait réalisé, lorsque Rizael avait disparu dans la forêt, à quel point il avait été stupide. Regrettant immédiatement de l'avoir mis à l'épreuve, il avait ressenti un vide en son absence en réalisant à quel point sa présence lui manquait.
Même à son retour, il n'avait pas osé lui montrer à quel point il avait été troublé par son départ, préférant cacher ses émotions derrière le rire.
— Bonjour les gueux ! s'exclama-t-il en entrant dans la salle où ses généraux les plus proches l'attendaient.
— Toujours un plaisir, fit remarquer Tumiel, la bouche remplie de graines brûlées. Pourquoi cette bonne humeur ? Beatrix ? Est-ce de ton ressort ?
— Avec surprise, non, répondit la succube en jouant distraitement avec une mèche de cheveux. Il est en mission pour étudier nos ennemis.
— Je n'ai pas été mis au courant...
Siryasius élargit son sourire en croisant le regard d'Oliver. Il avait évité l'occultiste depuis l'empoisonnement, ce qui était d'autant plus frustrant pour ce dernier, sachant que Beatrix avait reçu l'autorisation de lui transmettre des ordres.
— Tu sembles... aller mieux.
— J'ai suivi un nouveau traitement. À base de plantes. Bon, aujourd'hui, parlons de la destruction imminente d'Etherna !
— Enfin du sang ! s'écria Fel en s'agitant sur sa chaise.
— Comment procéder ? Pour ma part, je pourrais la survoler et y mettre le feu.
— Malgré nos doppelgängers, la surveillance a été renforcée. Tu te heurterais à une puissante barrière magique, risquant d'être attaquée immédiatement par les célestiens en patrouille.
— Le ciel est notre ennemi...
Siryasius prit une profonde inspiration avant de dérouler une carte devant eux et d'annoncer :
— Alors, faisons tomber la cité céleste à nos pieds.
— Tu es sérieux ? s'étonna soudain Oliver, la panique se lisant sur son visage. Si elle s'écrase, ce sera sur la ville basse que nous avons conquise et-
— Et ça fera un beau carnage, coupa Siryasius, son regard étincelant d'une lueur sinistre.
Tous, à l'exception de l'occultiste, esquissèrent un sourire mauvais alors que Siryasius détaillait son plan.
La réunion s'éternisa pendant plusieurs heures, au grand dam de Siryasius qui, à mesure que le soleil descendait derrière les dunes, regrettait amèrement d'avoir manqué son entraînement avec Rizael.
Lorsqu'ils eurent fini leur réunion, l'occultiste demanda à s'entretenir avec lui, ce qu'il refusa. À la place, Siryasius demanda un instant à Tumiel :
— Je veux que tu guettes toute la nuit de demain soir s'il y a des activités suspectes dans les royaumes conquis. Depuis le ciel. J'ai besoin d'une surveillance fiable.
— Vos désirs sont des ordres.
La drakéide fit une référence avant de voler un énorme saladier de graine et de partir en tirant sur le bonnet de Fel qui menaçait de tuer l'un des serviteurs diablotins.
Siryasius se mit à étudier tous les documents qu'ils avaient sortis sur la table massive lorsque la queue de Beatrix lui caressa le dos. Elle se plaça à ses côtés, au début silencieuse, avant de murmurer :
— Qu'en pense-t-il ? Pour Etherna ?
Le cambion ne détourna pas son regard des cartes.
— Il n'est pas au courant, n'est-ce pas ? Parce que tu sais qu'il condamne tout cela. Votre jeu ne pourra pas continuer longtemps avec vos visions si différentes du monde.
— Je ne vois pas que quoi tu parles.
— Arrête, Siry. Depuis quelque temps, tu passes tout ton temps avec lui. Et si encore vous ne faisiez que baiser, ce serait plus facile. Là, vous discutez, beaucoup. Tellement que ça a l'air intime.
— Tu nous observes ?
— Çà et là, je traîne. Je veille à ce que tu restes vivant et te rapprocher de Rizael, c'est diminuer ton espérance de vie... Parce que tu sais très bien qu'un jour, lorsque tu feras « le carnage de trop », il brandira son épée sans réfléchir contre toi.
Soudain, Siryasius coinça Beatrix entre la table et son torse, ses mains fermement posées sur le bois autour de son corps, l'empêchant de s'échapper.
Mais la succube ne fléchit pas d'un pouce. Au contraire, elle se lécha les lèvres avec une assurance non dissimulée et murmura d'une voix calme mais chargée de sous-entendus :
— Tu sais pourquoi je te dis ça.
— Parce que tu redoutes que je rompe notre contrat.
— Non. Parce que...
Il la fixa intensément, surpris de voir sa peau si habituellement imperturbable se colorer d'un léger rouge. Il sentit son propre cœur s'emballer alors qu'elle reprenait d'une voix hésitante :
— Parce que je tiens à toi, Siry.
L'annonce le laissa sans voix. Il recula d'un pas, l'observant croiser les bras sur sa poitrine, une expression presque fragile mêlée à sa contrariété.
— Voilà, je l'ai dit. Content ?
— Tu...
— C'est de la faute de ce demi-elfe ! C'est lui qui m'a fait prendre conscience de quelque chose d'essentiel. Surtout, il m'a rappelé que tu n'es pas simplement « Siry ».
— Tu veux dire... que tu veux devenir ma femme ?
— Mais non, crétin ! Tu es mon ami. Mon seul et unique ami. Tu... Depuis notre rencontre, j'ai décidé de te considérer comme un allié et de garder mes sentiments à distance. Tu ne le réalises peut-être pas, mais tu es apprécié. Enfin, pas par le monde entier, mais par quelques-uns.
Siryasius sentit son cœur s'alourdir à ces mots. Il baissa les yeux un instant puis, relevant le regard vers Beatrix, il esquissa un sourire teinté de gratitude et d'une certaine tendresse.
— Je... ne sais pas quoi dire.
Elle lui rendit son sourire, mais ses yeux trahissaient une certaine vulnérabilité derrière leur habituelle assurance.
— Tu n'as pas besoin de dire quoi que ce soit. Je voulais juste que tu saches. Diable que c'est gênant comme situation...
— Merci, Bea. Vraiment.
Il laissa échapper un soupir, libérant une tension qu'il n'avait même pas réalisé qu'il portait. Avec un sourire espiègle, Siryasius se dégagea de la table, permettant à Beatrix de retrouver sa liberté de mouvement.
— Tu ferais mieux de clarifier ta relation avec Rizael. S'il doit rester ton ennemi, ton serviteur, ton ami ou ton amant. N'attends pas trop.
— Tu as toujours su me conseiller au bon moment.
Beatrix haussa les épaules, sa queue se balançant derrière elle alors qu'elle se souvenait soudainement de quelque chose.
— Tiens, j'allais oublier, j'ai ce que tu m'as demandé.
Elle fouilla dans sa poche et en sortit un ensemble de bijoux : des bagues, des chaînes, mais surtout de faux ongles, le tout en or.
Elle tendit les ornements à Siryasius, qui les observa avec intérêt. Les faux ongles dorés semblaient ajouter une touche de sophistication à son apparence, et il les trouva agréablement distingués.
— Ça vient de mon butin personnel, commenta-t-elle en lui passant les ongles d'or.
— Parfait, je vais enfin pouvoir me couper les ongles.
— Je préfère éviter de t'en demander la raison, mais je suis certaine que ça à avoir avec le demi-elfe, répondit-elle, un sourire taquin sur les lèvres.
— Et j'espère qu'il va aimer ça...
— Veux-tu que je me transforme en lui, pour notre session ?
— Tu n'as jamais changé de forme pour me plaire et tu n'en auras jamais besoin. Tu m'excites telle que tu es, toi et tes petites cornes.
— Tu es conscient, n'est-ce pas, que j'ai volontairement réduit la taille de mes cornes, simplement parce que je sentais qu'elles éveillaient en toi un certain... complexe par rapport aux tiennes ?
— Ne parlons pas de sujet qui fâche. Ou alors nous abordons le sujet de ta queue mutilée ?
Beatrix leva un sourcil, sa main se dirigeant vers l'extrémité de sa queue pour effleurer délicatement la cicatrice apparente.
— Ta demande de m'envoyer dans l'une de nos régions récemment soumises n'était pas sans risque, comme tu le vois. J'y ai rencontré un groupe de paladins fraîchement recrutés par la résistance.
— Ont-ils survécu à la rencontre ?
— Un seul a réussi à m'échapper, laissant derrière lui ce petit "cadeau" en guise de souvenir.
— Te laisser marquer par quelqu'un d'autre, c'est inhabituel pour toi. D'ordinaire, tu préfères que ce soient tes frères et sœurs qui s'en chargent, souligna Siryasius, un sourcil haussé.
— Ce jeune paladin était... particulier, confessa-t-elle, une lueur étrange dans le regard.
— Encore plus que moi ? Oses-tu insinuer une telle chose ?
Le ton de Siryasius se fit taquin, piquant la curiosité et peut-être même une pointe de jalousie. Beatrix leva les yeux au ciel devant le cambion visiblement amusé, et contribua à accroître son bonheur après quelques minutes passées entre ses jambes.
Une fois rassasiée, la succube lui accorda sa liberté.
Siryasius, après avoir convoqué Damnation et appris que Rizael avait déjà quitté la plage, masqua sa déception derrière son masque d'impassibilité. Il traîna des pieds en se rendant aux thermes de l'étage des invités. Lorsqu'il entra, il fut accueilli par une chaleur apaisante et une ambiance tranquille.
Puis des rires d'enfants résonnèrent à travers les thermes. Siryasius se déshabilla en silence, enveloppant une serviette autour de sa taille avant de pénétrer dans l'eau chaude, traversant silencieusement la vapeur épaisse.
— Ça chatouille la tête ! s'exclama Amalia.
— Tes cheveux sont crasseux de sang, répondit Thalion, un bon nettoyage va te faire du bien. Et puis tu n'as pas dit que tu voulais sentir comme « renard » ?
— Si !
— Je ne vois pas ce qu'il y a de si exceptionnel dans mon odeur.
Siryasius esquissa un sourire en entendant la voix de Rizael. Il resta à l'écart du trio en observant la scène avec amusement. Le cambion s'immergea davantage dans l'eau, laissant la chaleur envelopper ses muscles et apaiser ses pensées. Il ferma les yeux un instant, se laissant porter par les sons autour de lui.
— Tu sembles tendu, Rizi... a observé Thalion, ses doigts glissant dans les boucles rousses d'Amalia. La perspective de demain te tracasse-t-elle tant ?
— Affronter l'assemblée infernale du Premier Cercle et y jouer du violon face à l'élite démoniaque et l'Archidiable lui-même ? Que crois-tu ? Je voudrais m'en plaindre, mais comparé à Siry, mes soucis semblent bien légers.
— « Siry », vraiment ? Tu te fais du souci pour lui ?
— Et toi, non ?
— Bien sûr que oui, mais je ne partage pas ton passé conflictuel avec lui. Comment réagiraient tes alliés de la résistance en apprenant cela ?
Rizael, plongé dans ses pensées, ne répondit pas, laissant le murmure de l'eau troubler le silence.
Siryasius aurait voulu secouer le demi-elfe pour avoir une réponse plus rapide, jusqu'à ce que ce dernier dise enfin :
— Penses-tu que me rapprocher de Siry puisse être une erreur ?
— Tout dépend. As-tu fait la paix avec ce qu'il t'a fait subir ? Personnellement, oui, comme tous ceux qui vivent ici. Mais toi, tu étais son adversaire. Il y a eu Lae'Thys, les blessures, tant physiques que psychologiques, infligées à toi et à tes compagnons. C'est beaucoup à pardonner.
— Thal, te souviens-tu des camomilles de Lae'Thys ? Celles qui embellissaient les lisières de la forêt ?
— Bien sûr, mais quel est le lien av... Ah, je comprends.
— C'est quoi la camomille ? demanda Amalia.
— Une fleur qui poussait chez nous, magnifique et médicinale. On l'offrait en signe de réconciliation après une dispute.
— La camomille, comme certains termes en langue infernale, porte diverses significations, n'est-ce pas, Siry ?
Surpris, Siryasius ne put cacher son sursaut, bien que l'idée que Rizael puisse sentir sa présence même dissimulée ne le surprenne guère.
Révélant sa présence, il aperçut le trio, chacun enveloppé dans une serviette, avec Amalia coiffée d'une couronne de mousse.
— On utilise les thermes des invités ? Et la salle de bain de votre étage, alors ? Supplice est au courant ?
— Je me suis permis de les amener, est-ce mal ?
Siryasius jaugea Rizael un instant en s'approchant de lui, avant de secouer la tête et de s'assoir dans l'eau.
— Vous auriez dû inviter Grall, il pue tellement.
— L'eau serait devenue noire ! plaisanta Thalion. Nous ne voulons pas vous importuner davantage. Amalia, viens.
— Non, restez, l'interrompit le cambion, je vais m'en occuper.
Siryasius invita doucement la petite Amalia à se positionner devant lui, puis il acheva avec soin de lui laver les cheveux, absorbant chaque détail des histoires qu'elle partageait sur sa journée.
Après avoir rincé soigneusement la chevelure mousseuse d'Amalia, Siryasius la laissa se remettre debout, l'aidant à s'envelopper dans une plus grande serviette.
Le regard qu'il posait sur elle était toujours empli d'une tendresse inattendue car en elle, il se revoyait enfant. Rejeté de tous par une nature qu'il n'avait pas choisie.
— Demain, tu seras la plus propre de tous, lui dit-il avec un sourire, provoquant un éclat de rire joyeux chez la fillette.
Thalion et Amalia, prêts à quitter les eaux réconfortantes, jetèrent un regard vers Rizael qui, par un hochement de tête, signifia son intention de prolonger ce moment de détente.
Avant de s'éloigner, Amalia, avec l'insouciance et l'affection propre à l'enfance, déposa un baiser sur la joue de Rizael, lui souhaitant une bonne nuit, puis se dirigea vers Siryasius pour réitérer son geste affectueux.
Le cambion, surpris mais touché par ce geste spontané, se contenta de frotter sa nuque, un léger sourire aux lèvres, avant de s'immerger à nouveau dans l'eau chaude.
Lorsqu'il émergea, ses cheveux noirs dégoulinants, il vit Rizael s'avancer vers lui, une barre de savon au parfum discret - celui qu'il préférait - entre les mains.
— Tu permets ? demanda doucement Rizael, une lueur de complicité dans le regard.
— Je t'en prie.
Rizael se mit alors à fredonner de sa voix mélodieuse tandis qu'il se consacrait à la tâche de nettoyer le dos du cambion.
— Alors ? La camomille ? Peux-tu m'expliquer ce qu'elle représente pour toi ? lança Siryasius après un moment, brisant le silence confortable qui s'était installé entre eux.
— Chez nous, à Lae'Thys, il s'agissait de paix autant envers les autres que soi-même. Elle symbolise le fait d'accepter ses imperfections, le courage de se remettre en question et de reconnaître ses erreurs. La camomille nous encourageait à prendre le temps de nous consacrer à nous-mêmes, à nous aimer et à nous accepter.
Siryasius resta un instant songeur, absorbant la portée de ces mots.
— J'aurais voulu connaître cette fleur plus tôt. Pas d'autres significations ?
— Elle peut aussi symboliser le pardon.
Ils restèrent un instant silencieux. Rizael, cessant son geste, posa doucement ses mains sur les épaules du cambion.
La chaleur de l'eau semblait se fondre avec celle de l'instant, créant une bulle où, pour une fois, le passé et ses tourments pouvaient être mis de côté.
— Demain, tout pourrait bien changer, murmura-t-il.
— Je le sais. Pour le monde...
— Et pour toi. Pour...
« Nous », pensa Siryasius en imaginant l'absence de Rizael dans sa demeure à la fin de la guerre.
— Siry, je doute de pouvoir un jour te pardonner entièrement tes actes passés.
— J'en suis conscient.
— Mais tu possèdes une force que je n'ai pas.
Siryasius leva un sourcil avant de se retourner et de fixer Rizael qui semblait être perdu dans ses pensées.
— Est-ce que tu arriveras à me pardonner, quoiqu'il se passe après-demain soir ?
— Il y a peu de choses que tu pourrais faire qui me pousseraient à te blâmer.
— Alors, promets-moi d'essayer, je t'en prie.
— À condition que tu promettes d'être sincère avec toi-même sur tes véritables désirs.
Un soupir lourd quitta les lèvres de Rizael, tandis que son regard se perdait dans les volutes de vapeur qui s'élevaient autour d'eux.
— J'y travaille.
— Te garder captif ne me dérange pas, au contraire, mais un jour me viendra l'idée de me servir de toi pour attaquer tes camarades de la résistance. Tu es une ressource trop précieuse pour rester inexploitée. C'est pourquoi je désire que tu réfléchisses sérieusement à la vie que tu souhaites mener.
— Siry...
— Moi, j'ai embrassé le chaos. Guerre, sang, vengeance, pouvoir... J'aurais préféré choisir l'aventure, voire la paix, mais les options m'étaient comptées. Toi, tu crois ne pas avoir le choix alors je te l'offre.
— Nos discussions prennent un tournant plutôt intime, plaisanta Rizael. J'en viendrais presque à oublier tous les pièges que tu nous as tendus ces cinq dernières années.
Alors que Rizael s'apprêtait à quitter l'eau, Siryasius sentit une vague de déception à l'idée de ne pas aller plus loin physiquement avec lui.
Soudain, Rizael s'arrêta, baissant la tête pour murmurer si faiblement que Siryasius faillit ne pas l'entendre :
— J'espère que les oiseaux sont morts.
Cette phrase, énigmatique, laissa Siryasius perplexe, se demandant s'il s'agissait d'une métaphore ou d'un message caché, tandis qu'il finissait seul sa toilette. Siryasius enveloppa son corps d'une serviette, ses pensées encore embrouillées par l'échange qu'il venait d'avoir avec Rizael.
Il quitta les lieux avec une lenteur inhabituelle et de retour dans sa chambre, l'air doux lui parvenant de la fenêtre entrouverte rafraîchissait sa peau brûlante.
C'est là, sur le rebord de la fenêtre baignée par le clair de lune, qu'il aperçut une petite boîte en bois finement ouvragée.
À l'intérieur, il trouva une poignée de camomilles séchées, leurs pétales d'un blanc éclatant même dans la pénombre, et un petit mot plié avec soin. Dépliant la note, il reconnut immédiatement l'écriture élégante et précise de Rizael :
« Siry,
Ne prends pas cela pour de l'affection mais simplement un premier pas vers toi.
Pas vers Siryasius le conquérant, mais vers le Siry avec qui j'apprécie discuter de longues heures à l'ombre, m'entraîner, taquiner, et dont j'ai encore le souvenir vivace sur les lèvres et la peau.
On me traiterait de fou d'avoir fait un présent à celui ayant la main sur ma vie et ma liberté, mais ce qui est encore plus fou...
C'est que j'ai décidé de te faire confiance.
— Rizael. »
Siryasius laissa le mot retomber sur ses genoux et alors qu'il le replaçait avec précaution dans la boîte, ses doigts rencontrèrent un objet inattendu, resté dissimulé sous les camomilles séchées.
Curieux, il fouilla davantage et en sortit un long collier en or, terminé par une camomille dorée d'une finesse remarquable. Au cœur de la fleur, une toute petite topaze bleue scintillait, captant la lueur de la lune pour la refléter dans un éclat profond et vibrant.
Il devina que Rizael avait dû se servir de l'argent reçu quelques jours plus tôt en qualité de serviteur pour demander à Calamité, de demander la création de cette pièce.
Siryasius fit glisser la chaîne autour de son cou, laissant la camomille dorée se lover délicatement contre sa peau. Il sentit le froid du métal se dissiper rapidement, comme si le collier reconnaissait instinctivement son nouveau porteur. Se fixant devant le miroir, le cambion observa avec curiosité la façon dont le bijou embellissait son reflet.
Ce présent n'était pas juste un simple ornement. C'était bien plus que cela. Pour la première fois, quelqu'un lui offrait un cadeau sans arrière-pensée, sans attente.
C'était un geste pur, empreint de générosité et de sincérité, qui toucha Siryasius au plus profond de son être.
⚔️PROCHAIN CHAPITRE SAMEDI ⚔️
J'espère que ce chapitre vous a plus ! On arrive bientôt à la fin de l'histoire (pas d'inquiétude, il reste encore pas mal de chapitres 🤭). Que pensez-vous de la relation entre Siry et Rizael ? Et de la suite possible de l'histoire ?
☀️ NOUVELLE HISTOIRE ☀️: je vais publier une nouvelle histoire ce mardi ! Ce sera une romance contemporaine avec de l'humour comme on aime 😉 J'espère que ça vous plaira et que vous serez au rendez-vous !
N'hésitez pas à soutenir cette histoire en votant/cliquant sur l'étoile et en laissant un petit commentaire. Ça fait toujours plaisir de lire vos retours et ça m'encourage à continuer !⭐
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