22⚔️Une histoire de confiance


RIZAEL


Le lendemain matin, Rizael avait eu l'impression d'émerger d'un cauchemar.

Ses draps étaient trempés de sueur et il pensait même être malade... mais ce n'était que la dure vérité qu'il avait du mal à accepter.

Sa mère, en dépit de tout ce qu'elle avait fait de bon dans sa vie, n'était plus un modèle. Rizael comprenait que n'importe qui pourrait paniquer en voyant son premier démon, mais pas au point de tuer un adolescent.

Siryasius ne les avait pas menacés de mort. Il n'était qu'un messager à la peau rouge et aux yeux jaune luisant.

Pourtant, toutes les personnes garantissant leur belle vie à Lae'Thys étaient des meurtriers. Sa mère, sans pitié, avec l'excuse de protéger son fils. Lui.

Il avait compris pourquoi Siryasius le détestait tant, outre toutes leurs différences.

En le regardant lui et sa boucle d'oreille, il revoyait la mort. La douleur. L'odeur de la fosse.

Personne n'avait à vivre cela. Pas même son pire ennemi.

Mais comme l'avait dit le cambion, après leur discussion et en le renvoyant de ses appartements, « n'importe qui peut avoir un passé chaotique et choisir d'en faire ce qu'il veut ».

Siryasius avait décidé de suivre la voie la plus sanglante.

Lorsque des coups résonnèrent à la porte de sa chambre, Rizael fut saisi d'une vive excitation, qui redescendit aussi vite lorsque la porte s'ouvrit en révélant Amalia et sa chevelure rousse élégamment tressée.

Elle bondit sur son lit, vibrante d'enthousiasme :

— C'est le jour des sous-sous ! Les sous ! Qu'est-ce que tu vas faire avec tes sous, Renard ?

— Les sous ?

— C'est le jour de paie.

Son regard se leva vers Thalion, qui brandissait une bourse vraisemblablement remplie de pièces d'or.

— On est employé de Siryasius, tu te souviens ?

— Ah oui... Et que vas-tu faire de toute cette oseille ?

— Je vais commander des merveilles à Damnation et Supplice. On fait tous ça.

— Et moi je vais commander à Thalion une jolie robe ! s'écria Amalia, débordante de joie.

— Elle insiste pour me payer, rajouta le tailleur avant de lancer la bourse sur le lit de Rizael. Tiens, c'est pour toi. De la part du maitre.

Rizael examina la bourse avec méfiance.

— Ça doit être une erreur. Je ne suis pas un employé mais un captif. Nous le sommes tous, n'est-ce pas ? Si tu étais libre, resterais-tu ici ?

— La vie n'est pas désagréable ici.

— Moi j'adore être ici ! s'exclama Amalia. C'est mieux qu'être dans une grande cage toute froide !

Le demi-elfe se massa les tempes, gêné de gâcher leur joie, jusqu'à ce que Thalion tende sa main à Amalia pour qu'elle descende du lit et l'attende à l'atelier pour sa robe.

— On est tous de repos aujourd'hui. Direction la plage, ça te dit de venir ?

— Je...

Il était loin d'être dans un état d'esprit propice à la détente. Les révélations sur Lae'Thys pesaient lourdement sur son cœur, et l'idée de partager ses tourments avec Thalion lui semblait futile, voire potentiellement douloureux.

Il se demanda même si ces secrets n'étaient pas à l'origine de l'aisance avec laquelle Thalion s'était adapté à leur situation actuelle.

Face à l'offre d'une journée de liberté, l'esprit de Rizael dériva spontanément vers Siryasius. Le cambion, encore affaibli, avait sans doute besoin de compagnie, d'autant plus après leur conversation significative de la veille.

Aucune directive formelle ne lui avait été donnée à ce sujet, mais l'envie de rendre visite à Siryasius était forte, motivée par un besoin presque instinctif de lui parler.

— En fait, je pense que je vais passer voir Siryasius.

— Euh... je ne sais pas ce que tu prévois de faire mais ça risque d'être compliqué. Il est dans ses quartiers privés et habituellement...

— J'ai un accès exclusif. Calamité me l'a accordé, coupa Rizael.

Les yeux de Thalion s'élargirent légèrement, trahissant son étonnement face à cette révélation inattendue.

— C'est... inhabituel, pour ne pas dire plus, articula Thalion, sa curiosité piquée.

— Il y a certaines choses qui nécessitent d'être clarifiées entre lui et moi, des affaires qui demandent une conversation franche et directe.

Thalion observa Rizael un moment, pesant le sérieux de ses mots. Finalement, un léger sourire étira ses lèvres, un mélange de résignation et de soutien.

— D'accord, je vois. Si tu penses que c'est la bonne chose à faire, alors je ne vais pas t'en dissuader. Juste... fais attention, d'accord ?

— Tu te fais du souci pour moi maintenant ? C'est une première, rétorqua Rizael avec une pointe d'humour.

— Disons simplement que tu as toujours eu ce don de veiller sur les autres avant de penser à toi. Un héros a parfois besoin de se reposer.

En repensant à toute cette guerre causée par l'événement tragique à Lae'Thys, Rizael ne se sentit pas comme un héros.

Les actes de Siryasius ne pouvaient être justifiés par l'horreur qu'il avait vécue et, d'un autre côté, Rizael se surprit à les comprendre.

« Si j'avais été dans son cas, comment aurais-je réagi ? » pensa-t-il alors qu'il grimpait les escaliers menant au deuxième étage.

Accueilli par Calamité, il fila préparer la tisane curatrice de Siryasius lorsque devant la porte de la chambre, le diablotin se racle la gorge et dise :

— J'aimerais que tu restes à cet étage jusqu'à ce que tu estimes que le petit Siry est guéri.

— Moi ? Pourquoi ? Vous devez savoir que notre passif est... enfin... Je suis la dernière personne en qui il pourrait avoir confiance.

— Mais tu es celui qui l'a sauvé de l'empoisonnement. Celui qui s'est occupé de lui et surtout celui à qui il a raconté ce qu'il lui était arrivé. Le petit Siry a dû mal à exprimer certaine chose, mais il semble plus conciliant en ta présence.

Rizael pensa un instant que ça serait le meilleur moyen de gagner la confiance de Siryasius, jusqu'à ce qu'il se demande à quoi bon le faire. Le cambion ne le relâcherait jamais et il resterait à jamais un employé prisonnier, jusqu'à ce qu'il décide de le sacrifier devant toute la résistance.

— Je doute d'en être capable...

— Il y a une chambre à l'autre bout du couloir, suffisamment éloignée pour en oublier la présence de quelqu'un d'autre. Un mot et je fais monter tes affaires. J'ai besoin d'aide pour m'occuper de ce grand gaillard.

Le demi-elfe ne s'attendit pas à recevoir de la compassion pour un diablotin mais, d'après l'histoire de Siryasius, cet être des Enfers semblait être le seul à s'inquiéter sincèrement pour le cambion.

— Je vais y réfléchir, murmura Rizael, l'esprit embrouillé par les implications de sa décision.

Calamité hocha la tête avant d'ouvrir la porte sur la chambre toujours plongée dans le noir. Comme la veille, ils ouvrirent les fenêtres et rideaux avant que les draps couvrant Siryasius soient tirés par le diablotin pour aller les laver.

Lorsque Calamité, avec une efficacité presque désinvolte, retira les draps couvrant Siryasius pour les emporter, Rizael fut pris de court et faillit laisser échapper le plateau.

La lumière du matin, filtrant à travers les fenêtres, baignait le cambion dans une aura presque irréelle, révélant les contours de son corps dénudé avec une clarté surprenante.

— Les chemises de nuit, jamais entendu parler ? lança Rizael d'un ton moitié amusé, moitié exaspéré, tout en déposant un peu brusquement le plateau contenant la tisane sur la table de chevet.

— Bonjour à toi aussi, rétorqua Siryasius, un bâillement interrompant ses mots avant qu'il ne prenne pleinement conscience de la nouvelle journée qui s'annonçait et du fait que Rizael se tenait à nouveau dans sa chambre.

— Je ne fuirais plus la réalité.

Siryasius esquissa un sourire entendu, la malice pétillant dans son regard.

— Calamité, je te laisse faire, ordonna-t-il avec une nonchalance feinte.

Le diablotin, toujours prompt à obéir, disparut dans un tourbillon de fumée.

— Où est-il allé ?

— Je lui ai demandé d'enquêter sur Oliver Offarios.

Rizael se doutait bien que le cambion ne laisserait pas sa tentative d'assassinat impuni, mais il fut surpris qu'il ne s'y prenne pas de façon brutale.

— Quoi ? Tu t'attendais à ce que j'aille le voir pour l'étouffer ? devina Siryasius en s'étirant.

— Honnêtement, je m'attendais à ce que tu optes pour une confrontation directe, admit-il.

— Contrairement aux apparences, je ne charge pas tête baissée dans chaque bataille. Surtout pas sans avoir pesé mes options, rétorqua Siryasius, un sourire en coin. Tu devrais le savoir, depuis le temps.

La raison pour laquelle Rizael oscillait entre admiration et répulsion pour Siryasius était claire. Malgré l'allure intimidante du cambion, ses stratégies passées, d'une ingéniosité redoutable, avaient infligé de sévères revers à la résistance.

Siryasius, d'un simple signe du menton, invita Rizael à s'asseoir en face de lui pendant qu'il savourait sa tisane. Le calme de ce geste contrastait avec la tension sous-jacente de leur conversation.

— Comme tu le sais, Oliver Offarios est un occultiste. Mais contrairement aux rumeurs au sein de la résistance, c'est avec la Reine Sadique qu'il a pactisé pour avoir ses pouvoirs, et non avec moi.

— Donc, sa loyauté ne t'est pas acquise ?

— L'allégeance d'un homme est volatile, surtout lorsqu'elle est dictée par la survie. Il se pourrait bien qu'Oliver ait changé de camp récemment, utilisant ma convalescence comme prétexte pour m'éloigner des affaires, expliqua Siryasius avec une pointe de cynisme.

— Pour notre plus grand plaisir.

— Pas nécessairement.

— Si tu te retires, c'est Tiam qui récoltera les fruits de tes conquêtes. Elle s'emparera de tes territoires et portera le coup fatal à notre cause, conclut Rizael, saisissant rapidement les implications.

— Tu comprends vite. La trahison n'est pas nouvelle pour moi. Dans ma position, la confiance est un luxe que je ne peux me permettre.

— Envers personne ?

Siryasius offrit un sourire énigmatique, faisant détourner les yeux à Rizael, soudainement embarrassé par cette proximité inattendue.

— Penses-tu vraiment que me sauver de la mort ou nos échanges intimes ont modifié notre relation ? questionna Siryasius, abordant frontalement le sujet.

Rizael avala sa salive, décontenancé.

— Tes confidences d'hier... Tu as dit que partager tes pensées était plus intime que le sexe. J'en déduis qu'il y a bien quelque chose qui a évolué entre nous.

Siryasius prit une profonde inspiration, laissant planer un silence lourd de sens.

— Sache que je ne peux te libérer de cet endroit. La fuite ou la mort semblent être tes seules échappatoires.

— Je l'avais compris, acquiesça Rizael, résigné.

— Et tu dois savoir que, même en mon absence, mes généraux ne cesseront de harceler la résistance. Il se pourrait même que ton amant Moon...

— Moon n'est pas mon amant, s'empressa de clarifier Rizael, sa voix trahissant une certaine précipitation.

Le rouge lui monta aux joues, un signe de son embarras face à cette affirmation un peu trop hâtive.

Il tenta de récupérer son aplomb en toussotant légèrement, cherchant à donner plus de poids à ses prochaines paroles.

— Entre Moon et moi, il y a eu de l'affection, certes, mais ses attentes dépassaient ce que j'étais prêt à donner, expliqua-t-il, tentant de nuancer son propos initial.

— Vraiment ? Une peur de t'engager, peut-être ? lança Siryasius, un sourcil arqué, une pointe de moquerie dans la voix.

— L'engagement envers un célestien ne me convient simplement pas. Mes désirs... disons qu'ils sont un peu plus...

— Tu as besoin de te satisfaire physiquement. Un célestien ne peut pas t'apporter cela.

— Mais il m'apporte de l'amour et de l'attention.

— En se servant de toi pour m'atteindre ?

Rizael, déstabilisé, resta muet un instant, ses yeux cherchant une échappatoire là où il n'y en avait aucune. Siryasius, alors, laissa glisser le drap pour révéler la cicatrice laissée par la dague anti-démon sur son ventre, un souvenir tangible de leur confrontation passée.

— C'était son idée, pas vrai ? Cette tentative à Etherna, où tu aurais dû perdre la vie. Ce qui t'a sauvé, c'est mon plaisir pervers à tourmenter le chef de la résistance. J'étais prêt à t'étrangler de mes propres mains, frustré par ce coup bas. Entre nous, il y avait toujours eu un code : un combat loyal, oui. Mais une ruse, un piège tendu dans l'ombre ? Jamais. Cela n'a jamais fait partie de nos règles.

— Et ta ruse lorsque je suis arrivé ici, avec ton doppelgänger ?

— C'était pour me venger. Et pour voir si tu étais bien un « héros ». Parce que tu n'aimes pas ça.

Avec un geste de la main, Siryasius invita Rizael à se rapprocher, un mouvement que ce dernier, poussé par une impulsion irrésistible, ne put ignorer.

Lorsque la main de Siryasius se posa doucement sur sa tête, un frisson parcourut l'échine de Rizael.

— Tu n'as jamais aimé être l'espoir de la résistance. Tout le monde en attend trop de toi. Ce n'est pas la vie à laquelle tu aspirais. Oui, tu peux me haïr, souhaiter ma chute, mais ce rôle de sauveur, cette responsabilité... Tu détestes ça.

— C'est cruel... murmura Rizael, les yeux clos.

Il luttait contre les tremblements qui s'emparaient de lui, non pas de crainte devant Siryasius, mais face à la justesse de ses mots.

— C'est injuste que tu voies si clair en moi.

Rizael aimait sentir la caresse de Siryasius dans ses cheveux. Ce geste était doux et empli d'affection, contrairement à tout ce que dégageait son ennemi.

Il se laissa aller, inclinant légèrement la tête pour mieux savourer cette douceur, jusqu'à ce qu'il perçoive la proximité de Siryasius, presque palpable.

— Vraskelia.

— Quoi ? Tu..

— Offrons-nous une journée de trêve. Je veux juste un moment sans me méfier de toi, Rizael. Sans avoir peur.

— Tu as peur de moi ? Toi, qui imposes ta présence comme une forteresse impénétrable ? rétorqua Rizael, à moitié amusé, à moitié incrédule.

— Tu es rusé comme un renard. Très discret. Je me suis demandé si tu n'avais pas comploté avec Oliver, mais ce n'est pas ton genre. Tu préfères agir selon tes propres règles, en solitaire. Ça me plait.

Rizael, pris au dépourvu, sentit son cœur vaciller entre méfiance et un désir inexplicable de céder à cet instant de vulnérabilité partagée.

— Alors... une trêve ?

— Compréhension mutuelle, respect allant au-delà des manipulations, répéta le cambion mécaniquement.

— D'accord.

Siryasius laissa échapper un soupir de soulagement, presque imperceptible, comme s'il avait retenu son souffle en attente d'une réponse.

— À condition que tu t'habilles parce que je ne vais pas supporter de te voir à poil toute la journée.

Le commentaire de Rizael arracha à Siryasius un rire inattendu, brisant l'atmosphère tendue qui les avait enveloppés jusqu'à présent.

— C'est promis, je vais m'habiller. Mais seulement parce que tu l'as demandé si gentiment, répondit Siryasius, son ton teinté d'une rare jovialité.

Pour cette journée au moins, ils choisissaient de laisser derrière eux méfiance et stratagèmes, pour explorer ce que pourrait être une coexistence sans l'ombre de la guerre entre eux.

La matinée se déroula dans l'intensité de l'effort physique, Rizael et Siryasius se mesurant l'un à l'autre au sein de la salle dédiée au renforcement musculaire du cambion. La chemise de Rizael était rapidement tombée, surtout après leur déjeuner léger composé des restes de poulet de la veille.

Quand vint l'heure de la sieste, traditionnellement marquée par la détente des autres employés à la plage, les deux rivaux, transformés en partenaires improbables pour l'occasion, s'étaient lancés dans une course le long du rivage sous le soleil brûlant.

Grall, confortablement installé dans le sable chaud, ne put s'empêcher de lancer avec un mélange d'amusement et de stupéfaction :

— Ah, si seulement je pouvais figer cette scène à jamais dans ma mémoire !

Rizael s'accorda une pause à ses côtés en vidant sa gourde d'eau.

Son regard dériva vers la mer où Siryasius, dans un moment de complicité inattendue, portait Amalia sur ses épaules, tandis que Xol s'affairait à collecter des coquillages pour la jeune fille.

— Siryasius a-t-il déjà partagé des moments comme celui-ci avec vous ?

— Oui, mais te voir avec lui, c'est pour le moins inattendu. Dois-je craindre l'apocalypse ?

— Pas aujourd'hui. Aujourd'hui, c'est Vraskelia.

Grall se redressa sur ses coudes, un éclat de surprise illuminant son regard alors qu'il fixait Rizael.

— Quoi ? fit-il, intrigué.

— Ce mot, c'est de l'infernal. Tu sais ce que ça veut dire ?

— Siryasius m'a dit que c'était une sorte d'accord, considérant l'autre comme son égal et avec respect. Pourquoi ? Ce n'est pas ça ?

— Oui, enfin... sa signification peut varier selon les individus. Mais...

Grall semblait hésiter, cherchant ses mots avec précaution.

— Y a-t-il un sens caché à ce mot, une nuance qui m'échappe ?

L'orc lança un regard en direction de Siryasius qui, à ce moment, éclaboussait Amalia dans une joie simple et pure.

— C'est lui qui décide du sens lorsqu'il te prononce ce mot mais... C'est très bizarre ce que je vais dire mais dans le cas où il te dit « Vraskelia », tu peux lui faire confiance. Ce mot, dans les cercles de l'Enfer, n'est pas pris à la légère.

— Confiance ? À Siryasius ?

— Tu peux même lui confier ta vie.

— Je ne confierais jamais ma vie à mon ennemi.

— Et tu n'aurais jamais fait la cuisine pour lui non plus.

Rizael fronça les sourcils, une vague de chaleur montant à ses joues. Sans un mot, il se leva et se dirigea vers le rivage, laissant le murmure des vagues apaiser l'orage de ses pensées.

Là, il s'aspergea d'eau de mer, la fraîcheur du liquide contrastant avec la chaleur de ses émotions tumultueuses. Il rejeta sa tête en arrière, laissant l'eau couler le long de sa nuque, et poussa un long soupir dans l'air salin.

Il était pris dans un tourbillon de réflexions incessantes, tiraillé entre la raison et les sentiments, entre le passé sanglant qui les liait et le présent étrangement pacifique.

Comment avait-il pu se retrouver à soigner, à veiller sur celui qui incarnait tant de douleur et de destruction dans sa vie ? La logique lui échappait et le pardon semblait impossible... Mais devait-il lui pardonner pour supporter sa présence ?

Le reste de l'après-midi fut plus léger jusqu'à ce qu'ils décident de se retirer au deuxième étage afin de préparer la tisane curatrice de Siryasius. C'était aussi l'occasion pour Siryasius de révéler à Rizael l'une de ses bibliothèques les plus impressionnantes, un sanctuaire du savoir où dominaient les ouvrages sur l'exploration, les aventures épiques et les quêtes mystérieuses traversant les royaumes terrestres et célestes.

Installé confortablement dans un fauteuil profond, Rizael tenait entre ses mains une tasse de thé à la valériane, son arôme calmant se mêlant à l'air ambiant. Siryasius, quant à lui, se lança dans le récit du Deuxième Cercle de l'Enfer, sa voix emportant l'imaginaire de son partenaire vers les zones sombres et infernales de leur monde.

La fenêtre ouverte laissait entrer la brise marine, chargée de l'odeur saline de la mer, qui se mariait harmonieusement avec le parfum de lavande émanant d'un vase posé non loin.

— Imagine une ville immense, une métropole de fer et de flammes, étendue à l'infini sous un ciel obscurci par la fumée des forges infernales. C'est Dis, le domaine de Disyasius, Roi de Fer. Les murs de cette ville sont faits de fer chauffé à blanc, leur éclat rivalisant avec celui des laves qui coulent en dehors et à travers elle. Chaque bâtiment, chaque tour est une forteresse en soi, conçue pour la défense et la surveillance éternelle. Les rues bouillonnent d'une activité incessante, peuplées de diables et d'âmes damnées, toutes sous le joug de mon père.

Son regard captura celui de Rizael pour s'assurer de son attention captivée.

Rizael resta silencieux, absorbant l'image d'une ville qui semblait rongée de l'intérieur par la méfiance. Il comprenait l'influence d'un tel lieu sur la personnalité du cambion.

— C'est labyrinthique, une forteresse. Le Deuxième Cercle est le cœur du commerce infernal, où démons et damnés négocient avec les âmes des mortels, les tromperies et les trahisons étant monnaie courante. Si la Reine Sadique a le plus de transactions humaines au compteur, Disyasius négocie les plus importantes. Enfin, sauf dans le cas de ma mère.

— Tu veux en parler ? demanda Rizael en posant sa tasse. J'imagine que c'est un sujet délicat.

— Ce qui explique pourquoi je ne vais pas en parler.

— Je suis désolé. Les pensées sont personnelles, et...

— Le désir, lui, n'attend pas.

Rizael baissa les yeux, puis se fixa sur la main de Siryasius, dont les ongles noirs jouaient distraitement avec le cuir du fauteuil.

Il ne pouvait s'empêcher de penser à cette même main dans ses cheveux.

— Et en parlant de désir, j'ai une petite surprise pour toi ce soir.

— Si c'est petit, j'imagine que tu ne parles pas de tes attributs.

Siryasius laissa échapper un rire, brisant la tension qui s'était installée entre eux.

— Reste ouvert d'esprit et laisse ta curiosité te guider, lui lança Siryasius, un demi-sourire éclairant son visage.

— D'accord... Et que me vaut cette surprise ?

— Je me sens redevable envers mon ennemi.

Le terme « ennemi » ne semblait plus tout à fait approprié pour définir la nature complexe de leur relation. Si une ombre de ressentiment persistait, le mot lui-même sonnait désormais creux, inadéquat face à l'évolution de leur lien.

Un silence s'installa, la brise marine rompant un instant le calme.

— Et qu'en est-il de tes ambitions de conquête ? Il me semble t'avoir entendu échafauder des plans avec ta tante, complotant contre ton propre père. Ou poursuis-tu un autre objectif ?

— Tu en demandes beaucoup. Tu fouines, commenta Siryasius, un brin de méfiance dans la voix.

— Quoi qu'il en soit, je reste prisonnier, non ? Alors, pourquoi rechigner à partager ? rétorqua Rizael, essayant de percer le voile de mystère.

Siryasius soupira, le regard porté vers le plafond avant de se fixer à nouveau sur Rizael.

— Tu n'as pas tort... Pour faire simple, Tiam et moi nous utilisons mutuellement. Dans cette partie d'échecs, l'Archi-diable Asmodeus trouve son divertissement.

— Et pour faire compliqué ?

— Tiam m'a accordé son soutien pour ma conquête, ainsi que l'aide de certaines de ses forces. Son ambition est d'annexer les territoires de mon père pour étendre le Premier Cercle. Ma conquête détourne l'attention des autres rois et d'Asmodeus sur moi afin que la Reine Sadique prépare « discrètement » son armée.

— Mais qu'y gagnes-tu personnellement, au-delà de l'acquisition de nouveaux territoires ? Comment envisages-tu leur gestion ? Certes, nombre de villes restent en ruines, mais beaucoup d'autres ont été épargnés par tes soins. Dirigé par tes subordonnés infernaux.

— Tu t'aventures encore sur un terrain très personnel, répliqua Siryasius, marquant une pause.

— C'est comme tu veux.

— Pourrais-tu jouer un peu de violon ? J'aimerais me détendre un peu, proposa Siryasius, changeant de sujet pour échapper à la pression de l'interrogatoire, tout en cherchant un moyen d'apaiser l'atmosphère tendue par leurs discussions.

Rizael se leva et récupéra son violon qu'il avait apporté en revenant de la plage. Il prit place près de la fenêtre ouverte, là où la brise marine pouvait caresser son visage tandis qu'il jouait.

Après quelques instants de silence, où seule la mer semblait murmurer ses propres mélodies, Rizael commença à jouer. Les premières notes, douces et mélancoliques, flottèrent dans l'air, s'entremêlant avec le parfum de lavande et l'odeur salée de la mer.

Siryasius, de son côté, se laissa emporter par les sonorités du violon. Pour un instant, les machinations infernales, les complots et les ambitions semblaient s'estomper, laissant place à quelque chose de plus pur.

Quand Rizael finit de jouer, un silence respectueux s'installa. Il tourna la tête vers Siryasius qui s'était endormi dans son fauteuil, le souffle régulier.

En l'observant endormi, Rizael fut saisi par la vue, si différente de l'adversaire qu'il connaissait.

Sur un coup de tête, il s'approcha doucement et avec une délicatesse qu'il ne se connaissait pas, il écarta une mèche noire du front de Siryasius, révélant davantage le visage paisible du cambion.

Ce simple geste le frappa. La distance émotionnelle qu'il avait toujours maintenue avec Siryasius s'amenuisait, brouillant les lignes entre ennemis et... quelque chose d'autre. La confusion s'empara de lui et le fit reculer.

L'air de la pièce semblait trop étroit, étouffant. Rizael, pressé d'échapper à cette pression, se hâta de quitter la pièce, laissant derrière lui le cambion endormi.

Ilavait besoin d'un moment seul avant la surprise prévu pour la soirée.



⚔️PROCHAIN CHAPITRE SAMEDI ⚔️

Chapitre un peu long en discussion mais nécessaire après les précédentes révélations. Qu'en avez-vous pensé ?

! Attention ! Je préviens en avance : ne lisez pas le prochain chapitre en public. C'est tout ce que je dirais... 😏

N'hésitez pas à soutenir cette histoire en votant/cliquant sur l'étoile et en laissant un petit commentaire. Ça fait toujours plaisir de lire vos retours et ça m'encourage à continuer !



Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top