19⚔️Petit Siry


RIZAEL


Il ne savait pas pourquoi, mais Rizael était énervé depuis la veille au soir.

Que Siryasius ne vienne pas s'entrainer et le prive de se défouler au combat l'avait frustré, mais il était vite passé à autre chose. Il s'était plongé dans son art, utilisant les cordes de son violon pour composer une mélodie cinglante.

Il se surprit à se questionner sur la nature de son agacement. Était-ce parce qu'il avait manqué des opportunités pour se débarrasser de son geôlier, ou simplement parce qu'il se sentait manipulé ? La nuit précédente, ces pensées l'avaient hanté sans relâche.

Dans le bosquet, il avait détecté une autre forme de colère chez Siryasius, mêlée à une étrange vulnérabilité. Quelque chose avait profondément marqué son ennemi, dont les cicatrices émotionnelles semblaient plus nombreuses que la normale.

Rizael était déterminé à percer à jour les failles de son adversaire, à trouver le point faible ultime qui le détruirait, lui infligeant la même souffrance qu'il avait endurée.

Mais en même temps, il ressentait un désir naïf de le comprendre, de peut-être l'aider à surmonter ses démons.

Pourtant, il savait que Siryasius ne changerait jamais. Tous, y compris l'intéressé lui-même, lui avaient affirmé cela à maintes reprises.

Alors qu'il se pliait aux ordres de Supplice, embarqué dans une nouvelle série de corvées, Rizael laissa son esprit vagabonder, imaginant le cambion doté du caractère doux et enjoué de Moon.

— C'est répugnant, murmura-t-il avec dédain.

— Tu parles de ta face de pet ? railla Supplice en lui donnant un coup de pied léger pour hâter son pas. On se presse !

— Y a-t-il une urgence ? Siryasius semble rester dans ses appartements aujourd'hui, fit remarquer Rizael.

— C'est Beatrix qui a demandé ta présence.

Rizael haussa un sourcil, intrigué. Tandis qu'ils se dirigeaient vers la porte secrète qui débouchait sur l'escalier montant au deuxième étage, ils tombèrent sur Beatrix et Oliver en pleine altercation à son seuil.

— Laisse-moi prendre ta place, succube ! insista Oliver.

— Pour la énième fois, c'est mon tour aujourd'hui. Veux-tu que je meure de déshydratation ? répliqua Beatrix avec impatience.

— Alors, satisfais-toi.

— Serais-tu disposé à me céder ta... satisfaction ?

— Oh la ferme, Beatrix.

— Le maître a mentionné qu'il méditait sur ses stratégies de conquête, intervint Supplice pour mettre fin à leur dispute, tandis qu'Oliver lançait un regard empoisonné à Rizael.

— Qu'est-ce qu'il fabrique ici ? demanda se dernier en pointant Rizael du doigt.

— C'est moi qui l'ai appelé, répondit Beatrix en croisant les bras d'un air fier.

— Mais il est convenu qu'une seule personne par jour...

— Cette règle ne s'applique pas aux serviteurs, n'est-ce pas, Supplice ?

Le diablotin émit un sifflement exaspéré mais acquiesça néanmoins.

— Voilà, c'est réglé. Maintenant, va jouer avec tes petits sortilèges, Oliver.

— Un instant.

L'occultiste fouilla dans sa besace et en sortit plusieurs flacons qu'il remit à Rizael, précisant :

— Au cas où Siryasius ne se sentirait pas au mieux. Ces potions aideront à sa guérison.

— Oui, oui allez tu es très gentil. Maintenant, suis-moi, toi.

Guidé par Beatrix, Rizael gravit l'escalier en colimaçon, leurs pas résonnant sur les marches de pierre.

Il ressentait une certaine appréhension à pénétrer à l'étage privé de son ennemi et pria pour ne pas trouver une décoration et une odeur semblable à celle des geôles.

Ils parvinrent à un étage qui, à la surprise de Rizael, contrastait radicalement avec la somptuosité du niveau inférieur. Cet espace s'ouvrait sur des couloirs vastes baignés de lumière, où chaque recoin semblait respirer une sérénité presque sacrée.

Les murs étaient de plusieurs couleurs pastel, qui reflétaient la douceur de la lumière naturelle filtrant à travers de grandes fenêtres arrondies, encadrées de bois sombre. Ces ouvertures offraient des vues imprenables sur le désert mais également la mer azurée, dont le parfum salin se mêlait à celui plus doux et épicé de l'encens flottant dans l'air.

Ce mélange de senteurs, c'était le parfum qui collait à la peau de Siryasius. Celui qu'il sentait à chaque fois qu'il était trop près de lui.

Les sols étaient revêtus de grands carreaux de céramique froide, dans des tons de bleu ciel et de blanc, disposés en motifs complexes rappelant les vagues de la mer toute proche.

De part et d'autre des couloirs, des portes entrouvertes laissaient entrevoir des pièces aux fonctions variées : certaines semblaient être des salons de détente, avec des coussins éparpillés sur des tapis épais et moelleux, d'autres, des bibliothèques.

La décoration était d'une simplicité élégante qui privilégiait les matériaux naturels et les couleurs apaisantes. Des vases en céramique contenaient des bouquets de fleurs sauvages, ajoutant une touche de couleur vivante au décor dominé par le blanc. Des sculptures en bois flotté aux formes de diablotins étaient disposées un peu partout près de ces vases.

Rizael, habitué à l'opulence tapageuse du premier étage, se trouva étrangement apaisé par cette atmosphère. C'était comme si, en gravissant l'escalier, il avait non seulement changé d'étage, mais avait aussi franchi le seuil d'un monde entièrement différent, où le temps semblait suspendu.

— Ça me fait toujours bizarre de monter ici. C'est si... éloigné de ce que représente Siry.

Beatrix, marchant à ses côtés, semblait plus détendue ici, comme si l'environnement influençait son humeur. Elle mena Rizael à travers les couloirs jusqu'à une grande porte décorée par des écritures infernales.

Pourtant, elle hésita, son habituelle assurance semblant vaciller à l'idée de franchir ce seuil.

Rizael attendit en silence qu'elle se décide jusqu'à ce qu'au bout d'une longue minute, il propose dans un élan de galanterie teinté d'ironie :

— Tu veux que je te montre comment l'ouvrir ?

— J'avais oublié ta légendaire répartie.

— Qu'est-ce que je fais ici, Beatrix ?

Elle prit une profonde inspiration, son regard fixé sur la porte qui les séparait de l'intimité de Siryasius.

— Je veux vérifier quelque chose et tu es essentiel pour ça.

— Alors qu'est-ce que tu attends pour entrer ?

— Je n'ai jamais mis les pieds dans la chambre de Siry.

La surprise de Rizael était palpable face à la franchise désarmante de Beatrix, qui, les bras croisés, scrutait la porte avec une intensité troublante.

— Jamais ? Tu es sérieuse ? s'étonna-t-il. Mais, vous couchez ensemble.

— Et alors ? rétorqua Beatrix, imperturbable. L'univers ne manque pas d'endroits pour ça. Entre Siryasius et moi, c'est une affaire de contrat, rien de plus.

— Ça ne peut pas se résumer à ça, insistait Rizael. Tu es ici, preuve que tu désires le voir, non ? Il doit bien y avoir une forme d'affection de ta part.

Le scepticisme se peignit sur le visage de Beatrix, comme si l'idée même lui paraissait étrangère.

— Affection ? Pour Siryasius ? Notre allégeance, à lui comme à moi, repose sur des accords bien définis, rien de sentimental.

— Quoi ? Mais...

— Personne n'aime Siryasius. Qui pourrait aimer un cambion ? Voyons, regarde autour de toi. Cet endroit trahit sa nature, même en tant que bâtard.

— Il n'y a donc aucun lien... affectif entre vous ?

— Si je suis venue, c'est pour me nourrir. Si Siryasius n'est pas en mesure de répondre à mes besoins, je trouverai satisfaction ailleurs. Mon inquiétude pour lui est strictement professionnelle.

Rizael eut un pincement au cœur malgré lui. Il n'arrivait pas à se réjouir du triste constat qu'exposait Beatrix : Siryasius, utilisant autrui à ses fins, et vice versa, sans place pour une quelconque amitié véritable dans son entourage. Respect, peut-être, mais rien de plus profond.

— Et s'il venait à mourir, quel serait ton sentiment ?

— Ce serait regrettable, après tout le temps passé ensemble. Mais je tournerais la page. C'est comme cela que l'on vit, les succubes.

Rizael réalisait amèrement que même Beatrix, la plus intime alliée de Siryasius, restait indifférente à son destin.

— Qui est-ce ?

Ils sursautèrent en entendant la voix enrouée émanant d'un diablotin qui venait de faire irruption derrière eux. L'aspect de la créature était pitoyable : un œil manquant, des ailes déformées et rabougries, tenant une canne minuscule qui semblait autant un soutien qu'une marque de son statut.

Il s'agissait de Calamité, le serviteur le plus fidèle et le plus discret de Siryasius.

Pointant Rizael de sa canne, il adressa de nouveau sa question à Beatrix, exigeant une réponse.

— Il s'agit de Rizael, clarifia-t-elle avec une pointe d'irritation.

— Ah, je vois. Et que faites-vous ici ? Le Maître a expressément demandé à ne pas être dérangé.

— Il est introuvable depuis hier soir, et tout le monde commence à s'inquiéter. Supplice prétend que...

— Supplice est un fabulateur, un opportuniste qui ne cherche qu'à semer le trouble. Il ferait tomber le Maître dans la disgrâce s'il en avait la force. Non, le Maître n'est pas en état de te recevoir, Beatrix.

— Tu parles de son état physique ou moral ? s'enquit-elle, un brin d'espoir dans la voix.

— Physiquement indisposé.

— Très bien, au moins j'aurai tenté ma chance. Ce n'est pas aujourd'hui que je prouverais ma petite théorie.

D'un geste résolu, Beatrix tourna le dos à la porte, laissant Rizael seul dans le couloir, confronté au regard scrutateur de Calamité.

— Hm. L'occultiste m'a demandé d'apporter ces potions pour Sy... le Maitre. Je peux vous les laisser ?

Calamité demeura muet, fixant intensément Rizael, qui, mal à l'aise sous cet examen approfondi, se mit à jouer nerveusement avec sa boucle d'oreille, objet de la fascination du diablotin.

— Je devrais probablement partir maintenant... murmura Rizael, dans l'espoir de se dérober à ce regard perçant.

— Tu veux entrer.

Ce n'était clairement pas une question, ni vraiment une invitation, pourtant, d'un mouvement de canne, Calamité fit s'ouvrir la porte.

— Avance sans un bruit.

Rizael s'exécuta, suivant le diablotin dans la pièce plongée dans une pénombre presque totale. La seule source de lumière provenait d'une minuscule bougie presque entièrement consumée et qui offrant un éclairage insuffisant pour percer le voile d'ombre enveloppant la pièce.

— Petit Siry, murmura Calamité d'une voix étonnamment tendre, s'avançant vers l'ombre imposante du lit sous lequel semblait reposer Siryasius.

Rizael observa, les yeux écarquillés, le contraste frappant entre le comportement grimaçant du diablotin et cette douceur inattendue.

Un grognement profond, presque animal, s'éleva d'entre les plis des draps épais et des montagnes d'oreillers en réponse à l'appel du diablotin. Avec sa magie, Calamité, de sa canne, poussa la porte à se refermer doucement derrière eux.

— Ouvre les rideaux, ordonna-t-il sans se retourner.

Rizael, bien que réticent à s'immiscer davantage dans l'intimité de Siryasius, obéit néanmoins. Glissant ses doigts sur le velours épais, il écarta les rideaux et fut immédiatement saisi par la vue époustouflante qui s'offrit à lui.

Au-delà des vitres, le désert s'étendait, vaste et implacable, ses dunes ondulant jusqu'à rencontrer l'horizon où la mer scintillait sous les rayons du soleil.

Alors que la lumière d'après-midi envahissait la pièce, Rizael put enfin discerner les détails de la chambre de Siryasius.

Les murs d'un blanc éclatant étaient décorés à quelques endroits par des peintures de paysages variés, allant des montagnes aux forêts de la Côte d'Émeraude. Le mobilier, simple mais élégant, mêlait bois clair et tissus aux teintes bleues et blanches.

Dans un coin, un bureau en bois d'olivier était encombré de parchemins, de plumes d'encre, et de livres anciens. Au mur, des étagères ouvertes exposaient une collection éclectique d'artefacts récupérés lors de ses conquêtes, allant de simples coquillages à des objets enchantés.

Enfin, une grande porte-fenêtre s'ouvrait sur un balcon privatif, où des plantes en pots ajoutaient une touche de verdure et de vie.

Un grand lit, qui ne semblait pas avoir sa place naturelle au centre de la pièce, était fait de draps de lin frais, sa position offrant une vue imprenable sur le désert et la mer au-delà.

Rizael s'avança, poussé par la curiosité. C'était là, dans ce sanctuaire d'une simplicité élégante, qu'il découvrit Siryasius dans son lit, une vision à la fois vulnérable et imposante.

Le drap, fin et délicat, drapé autour de la silhouette du cambion, révélait le torse sculpté du cambion et ne laissait place qu'à l'imagination quant à la nudité dissimulée en dessous.

Siryasius semblait encore ensommeillé, n'ayant toujours pas remarqué la présence du demi-elfe dans sa chambre. Ce dernier, observant de loin, perçut aussitôt les signes d'un mal-être : une pâleur marquée, des ombres de fatigue sous les yeux et une respiration hachée.

Calamité, toujours présent mais discret, observait la scène d'un œil attentif, son regard oscillant entre le maître affaibli et l'invité inattendu.

Le cambion commença à émerger de son sommeil. Avec un mouvement lent et pénible, il se redressa dans son lit, sa main venant se poser sur son front. Puis, d'un geste presque théâtral, Siryasius repoussa ses cheveux noirs en arrière, révélant un visage aux traits marqué par la fatigue mais empreint d'une dignité indéniable.

Dans cet instant, baigné par les rayons dorés du soleil de l'après-midi qui filtraient à travers la fenêtre désormais dévoilée, Rizael ne put s'empêcher de reconnaître le charisme naturel de Siryasius.

Il se trouva malgré lui captivé par cette vision. Le soleil, jouant dans les cheveux sombres de Siryasius, dessinait des reflets d'un noir profond, illuminant son visage d'une lumière presque surnaturelle.

Il ressentit une fascination qu'il s'efforçait de refouler, conscient de l'absurdité de sa situation : être touché par l'esthétique d'un être qu'il avait appris à considérer comme une menace.

— Petit Siry, tenta à nouveau Calamité, sa voix brisant le silence qui s'était installé.

— Hm...

— Quelqu'un est venu te voir.

Siryasius prit le temps d'ouvrir les paupières, ses yeux d'un jaune intense se focalisant petit à petit sur la silhouette de Rizael, jusqu'à ce qu'il se rende réellement compte de sa présence dans sa chambre.

Surpris, il redressa légèrement son torse et s'appuya sur un coude en penchant la tête sur le côté.

Rizael, un instant désemparé par l'intensité du regard du cambion, retrouva sa contenance, poussé par la nécessité de justifier sa présence.

— C'est Oliver qui m'envoie, avec ça pour toi, articula Rizael, son hésitation transparaissant malgré lui dans sa voix.

Arrivé au bord du lit, à une distance respectueuse de Siryasius, il étendit les cinq petites fioles apportées par l'occultiste sur le drap qui couvrait les jambes du cambion, puis se recula légèrement, marquant une pause.

— Maintenant, tu peux partir, lâcha Siryasius d'un ton neutre, saisissant une des fioles.

Stoppé dans son élan, Rizael ressentit un pic d'irritation face à ce renvoi. Il resta immobile, sur le point de répliquer, curieux de savoir si c'était le pique-nique de la veille ou leur altercation dans le bosquet qui avait conduit Siryasius à cet état de faiblesse.

Lorsqu'il se mit à éternuer.

— À tes grands morts, commentant Siryasius d'une voix lasse.

Frictionnant son nez avec insistance, Rizael était désormais assailli par une odeur poivrée émanant de la fiole que Siryasius venait d'ouvrir. Cette senteur spécifique réveilla en lui des souvenirs d'enfance. Des épisodes d'allergies longtemps oubliées, provoquées par une plante bien particulière.

Alors que Siryasius s'apprêtait à porter la fiole à ses lèvres, un éclair de réalisation traversa l'esprit de Rizael.

Poussé par un instinct de protection inattendu, il bondit vers le lit, arrachant la fiole des mains de Siryasius juste au moment où ce dernier allait en consommer le contenu.

— Attends ! Ne bois pas ça ! s'exclama Rizael, le souffle court, tenant fermement la fiole hors de portée. Cette plante... elle peut t'empoisonner.

— Pardon ?

— L'odeur, elle m'est familière. À Lae'Thys, une plante me faisait éternuer sans cesse, reconnue autant pour son parfum que pour ses effets nocifs, potentiellement mortels si ingérés.

— Tu insinues que...

— Exactement. Si tu consommes cela, peut-être ne ressentiras-tu rien sur le moment, grâce à ta nature démoniaque. Mais cela affaiblira ton essence humaine, puis progressivement tout ton organisme. C'est un poison lent.

Sur ces mots, Rizael s'installa sur le bord du lit et d'un geste brusque, vérifia le front de Siryasius. Il examina rapidement les yeux et les lèvres du cambion à la recherche de symptômes supplémentaires.

— As-tu consommé beaucoup de ces potions récemment ?

— Il me semble que...

Calamité, jusqu'alors en retrait, intervint pour confisquer les fioles restantes :

— Il en a pris hier soir, après la visite de l'occultiste.

— C'est depuis ce moment que tu te sens mal ? Cela expliquerait pourquoi tu as manqué notre... rendez-vous, tenta Rizael, conscient de l'étrangeté de sa préoccupation.

— Non, cela fait quelques jours que j'y goûte. J'apprécie le goût, avoua Siryasius d'une voix faible.

— Ça aurait pu te coûter la vie. Si je n'avais pas agi, tu aurais pu...

— Mais pourquoi as-tu agi ? Pourquoi te donner tant de mal, alors que tu souhaites ma mort ?

Pris de court, Rizael battit des paupières, réalisant soudain l'étrangeté de sa propre réaction. Son geste, instinctif et protecteur, contrastait vivement avec la nature de leur relation habituellement conflictuelle.

Il aurait pu ne rien dire, le laisser boire et en quelques jours, le cambion aurait été tué. Il n'avait aucune idée des plans de l'occultiste, mais ils auraient pu collaborer.

Pourtant, il venait de tout révéler à Siryasius.

— Je... ne sais pas pourquoi j'ai fait ça. Peut-être que... dans cet instant, te voir en danger...

— Même moi ?

— Surtout toi. Car aujourd'hui, quelqu'un était là pour te sauver.

L'émotion qui passa sur le visage du cambion était indéchiffrable, un mélange de choc et peut-être même d'une vulnérabilité qu'il s'efforçait habituellement de dissimuler derrière un masque.

— Surtout moi ?

La question, répétée presque dans un murmure, semblait chercher à confirmer une réalité trop étrange pour être immédiatement acceptée. L'air se chargeait d'une tension étrange entre eux que Rizael n'arrivait pas à ignorer.

C'est alors que Calamité intervint, brisant le fragile silence qui s'était installé.

— Rizael, pourrais-tu m'aider à veiller sur Siry aujourd'hui ?

La proposition semblait aussi surprenante pour Rizael que pour Siryasius lui-même, qui tournait un regard interloqué vers son serviteur.

— Il semble que tu aies déjà commencé, de toute manière, murmura Calamité en alternant son regard entre eux.

Hésitant mais poussé par une impulsion de compassion insoupçonnée envers Siryasius, Rizael avait accepté la requête du diablotin.

Dès le départ, l'une des premières actions à entreprendre fut l'élimination des fioles dangereuses et le remplacement des draps tachés de Siryasius.

Tandis que Calamité, faisant appel à ses pouvoirs, s'occupait de renouveler la literie d'un simple geste magique, Rizael fut frappé par un éclair de génie, émanant de ses souvenirs de Lae'Thys :

— Il y a quelque chose que je pourrais essayer. Sur la Côte d'Émeraude, où j'ai grandi, certaines plantes sont connues pour leurs bienfaits apaisants et curatifs. Grall utilise même l'une d'elles en cuisine pour assaisonner ses plats. Mon père avait autrefois utilisé ces herbes pour concocter un remède contre mes allergies. Que diriez-vous si je préparais une tisane avec ?

La proposition de Rizael suscita un intérêt mêlé de scepticisme de la part de Calamité, tandis qu'un éclat de curiosité se dessinait dans le regard fatigué de Siryasius.

Avec l'approbation de Calamité, Rizael se dirigea vers les cuisines désertiques à cette heure de l'après-midi. Il fut soulagé de ne pas à avoir à expliquer sa présence à Grall, et se mit à fouiller dans des bocaux et sacs de toile pour sélectionner minutieusement les herbes qu'il savait être bénéfiques.

Il se souvenait de leurs parfums, lui rappelant les étendues sauvages et verdoyantes de son enfance.

Les plantes en main, il retourna au deuxième étage et, guidé par Calamité, se mit à préparer la tisane dans la petite cuisine inutilisée de cet étage.

Revenant dans la chambre, sous l'œil observateur de Calamité, il versa l'eau frémissante sur le mélange d'herbes, libérant une fragrance envoûtante qui emplit l'espace d'un parfum floral délicat.

Après avoir laissé infuser le mélange le temps nécessaire, Rizael apporta la tasse fumante à Siryasius, toujours méfiant.

Observant attentivement le demi-elfe, il prit une première gorgée prudente de la tisane. Son expression, d'abord marquée par la tension, se détendit légèrement.

— C'est... dégueulasse.

— Ce n'est pas fait pour être bon, répondit Rizael en levant les yeux au ciel.

— Bois.

Il prit également une gorgée, surtout pour lui prouver qu'il ne tentait pas de l'empoisonner un peu plus.

— Bon, d'accord, il se peut que mon paternel rajoutait de la cannelle. Mais si tu ne veux pas guérir, je te la reprends.

— Non. C'est à moi.

Soulagé, Rizael esquissa un petit sourire. Il resta debout, à distance respectueuse, observant Siryasius qui continuait de siroter la tisane.

— Comment te sens-tu petit Siry ? interrogea Calamité.

— Mieux... je crois. L'effet est subtil, confessa Siryasius, posant la tasse vide sur la table de chevet.

— Il en faudra plus. Disons toutes les quatre heures.

— Pourras-tu t'en charger ?

Rizael hésita face au diablotin mais, toujours sans comprendre pourquoi, il hocha positivement la tête.

Peut-être que son désir d'aider les autres avait réussi à s'appliquer sur son ennemi en détresse.

La suite de l'après-midi se transforma en une série d'activités inattendues pour Rizael sous la supervision attentive de Calamité.

La première mission fut la concoction d'un bouillon de viande revitalisant enrichi des herbes de la Côte d'Émeraude. Puis le nettoyage et l'aération de la chambre pour garantir un environnement sain et frais.

Rizael s'occupa d'ouvrir les fenêtres, permettant à l'air du dehors de renouveler l'atmosphère de la pièce, tandis que Calamité, avec une précision magique, dépoussiérait les meubles et les étagères. Ensemble, ils changèrent les draps du lit pour offrir un couchage propre et accueillant alors que Siryasius était à sa salle d'eau personnelle.

Puis vint le moment pour Rizael de descendre aux quartiers des serviteurs, où il apporta le linge sale à la buanderie. Là, il rencontra Amalia, occupée à trier le linge avec d'autres diablotins dans une ambiance étonnamment chaleureuse et conviviale.

Le dîner de Siryasius nécessitait également une attention particulière. Grall, informé par Calamité de l'arrivée de Rizael, l'accueillit dans la grande cuisine où il fut chargé d'assister le cuisinier dans la préparation d'un repas adapté aux besoins spécifiques de Siryasius.

Grall dévoila le plat principal du soir, une poitrine de poulet farcie aux herbes de la Côte d'Émeraude, cuite lentement et accompagnée de légumes racines rôtis. Pour compléter ce plat, ils prépareraient également un bouillon riche, utilisant les os pour en extraire tous les nutriments essentiels.

— La viande est fondamentale dans l'alimentation de Siryasius pour accélérer sa récupération. Elle lui fournira les protéines nécessaires pour reconstruire sa force, expliqua Grall en montrant à Rizael comment préparer la farce pour le poulet.

Rizael, attentif, se concentra sur la tâche de hacher finement les herbes, mélangeant le persil, le romarin et la sauge. Pendant ce temps, Grall s'occupait de la poitrine de poulet, lui faisant une incision précise pour y insérer la farce aux herbes avant de la ficeler soigneusement pour la cuisson.

— Il adorait quand ma mère lui préparait ça.

— Tu as toujours été proche de Siryasius ?

— Je suis né dans la demeure de son père, au Deuxième Cercle. Ma mère était sous contrat diabolique avec lui, condamnée à être sa servante. Elle est morte avant d'effectuer toutes ses années mais au lieu de continuer à servir Disyasius, son bâtard s'est battu pour récupérer mon contrat.

— Pourquoi cela ?

— Je suis le seul en qui il avait « confiance », si l'on peut dire cela. Il présentait qu'en changeant de cuisinier, il n'aurait aucun moyen de survivre aux tentatives d'empoisonnement.

Rizael fronça les sourcils en repensant aux fioles de poison, avant de poser la question :

— Est-ce que tu as goûté le liquide curatif que donne l'occultiste à Siryasius ?

— Oui, et il est fort en goût. Mais trop relevé pour moi. Je l'ai goûté une fois pour m'assurer que tout était bon pour Siry. Pourquoi ça ?

— Pour rien...

Le demi-elfe ne savait pas ce qu'il était autorisé à révéler, mais si le cambion n'avait dit à personne qu'il était alité à cause d'une tentative d'empoisonnement, alors il garderait le secret afin d'éviter une possible vengeance.

Focalisés sur le repas, ils finalisèrent la cuisson de la poitrine de poulet farcie, veillant à ce que la viande soit juteuse et les herbes bien imprégnées.

— Chaque bouchée doit être un remède autant qu'un plaisir, rappela Grall, en vérifiant la cuisson des légumes racines. Je trouve que la nourriture a ce pouvoir de nous rappeler ce qui compte vraiment. Siry, aussi cruel soit-il, est un être vivant qui a parfois besoin de réconfort. C'est comme ça que je lui en apporte.

— Tu ne peux pas me dire que tu n'as pas un peu d'affection pour lui, toi aussi ?

Grall souffla la fumée de sa pipe, les yeux fixant le plafond, avant de murmurer :

— Siry m'a interdit d'être son ami, lorsque nous étions enfants.

— Quoi ? Pourquoi ?

— « Tenir à quelqu'un, c'est se rajouter des faiblesses et j'en ai déjà assez avec ma nature ». C'est mot pour mot ce qu'il m'a dit.

— Comment un enfant pourrait penser cela ?

— Un fils de roi. Il a été éduqué pour trouver « normal » tout ce que la résistance et toi trouvez choquant. Il a un passé compliqué mais je pense que même élevé dignement, il aurait la même cruauté, si ce n'est plus.

Rizael demeura un moment silencieux, absorbant les mots du cuisinier et les pesant contre ses propres expériences avec Siryasius.

— Ça explique certaines choses... admit Rizael. Mais un passé tragique n'excuse pas une vie à servir le Dieu de la Mort. Ce serait trop facile. Pour moi qui ai vu les conséquences de sa conquête dans le royaume terrestre, ses actes sont impardonnables.

— Effectivement, mais Siryasius ne souhaite pas être pardonné.



⚔️PROCHAIN CHAPITRE SAMEDI ⚔️

Le chapitre est plus long que d'habitude et j'espère que ça vous a plus ! 🥰

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