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Il n'y avait pas d'endroit pour m'arrêter aux alentours. Je poursuivais ma route en espérant qu'il n'était rien arrivé de grave. Au bout d'une quinzaine de minutes - et de trois autres appels -, je fini enfin par trouver une aire de stationnement. J'y arrêtais la voiture et m'empressais de fouiller dans mon sac pour en sortir le téléphone. Un autre appel résonnait dans l'habitacle alors que je déverouillais l'appareil. Grand-mère ?

Je glissais mon doigt sur l'écran pour décrocher et portais le téléphone à mon oreille.

- Grand-mère, je suis en chemin. Je suis bientôt arrivée.

A l'autre bout du fil, des sanglots se firent entendre, ainsi que des voix étouffées dans le fond. Lorsque grand-mère me répondit, j'eus beaucoup de mal à identifier ses paroles à travers ses larmes, mais lorsque j'eus enfin compris, mon sang se glaça et l'air ne parvint plus à entrer dans mes poumons.

- Ma chérie, je suis à l'hôpital avec ton grand-père. Il ne va pas bien du tout. 

- Je te rejoint directement. Dis-moi quel hôpital !

La vieille femme bégaya un nom et après avoir tenté de la rassurer, je mis fin à la conversation pour démarrer le GPS. Les mains tremblantes, au bord des larmes, je rentrais la destination. Sans perdre un instant à reprendre mes esprits, je remets le contact et reprends la route, n'hésitant pas à dépasser légèrement les limitations imposées. 

Mon coeur se serrait à mesure que j'approchais et je ne parvins pas longtemps à retenir mes larmes. Je ne pouvais pas croire ce qui arrivait. Il allait bien hier. Je l'ai eu au téléphone un long moment après le travail.

Le bruit d'un klaxon retentit devant moi et je me rabattis juste à temps. Heureusement, il n'y avait personne derrière moi. Le coeur battant, je me concentrais sur la route. C'était pas le moment d'avoir un accident. J'essuyais mes yeux avec ma manche et prit une grande inspiration. 

Vingt minutes plus tard, j'arrivais enfin sur le parking de l'hôpital. Il me fallut un moment avant de trouver le courage de descendre de la voiture et d'avancer vers l'entrer des urgences. Elles étaient étonnement calmes en cette fin de journée. Quatre personnes patientaient, assises sur les sièges, avec des besoins plus ou moins graves. Une femme étaient pliée en deux, les bras serrés contre son ventre, le visage crispé, un enfant se tenait près d'elle et lui caressait le dos pour la réconforter. Un peu plus loin, un homme maintenait sa main enveloppée dans une épaisse couche de tissu imbibé de sang. 

En face de lui, ma grand-mère faisait les cent pas. Elle tournait en rond, l'air complètement paniqué. Elle ne pleurait plus, mes ses yeux étaient encore rouge et humides. Je m'approchais d'elle et elle leva ses yeux gonflés vers moi. 

- Tu es là.

Je la pris dans mes bras. Son corps frêle tremblait et je l'entendis se remettre à pleurer.

- Comment va-t-il ? demandais-je la gorge nouée.

Mes yeux brûlaient alors que je m'efforçais de contenir mes larmes. Je devais être forte pour ma grand-mère. Elle avait besoin de moi.

- Je ne sais pas, peina-t-elle à répondre. Ils l'ont emmené il y a dix minutes et je n'ai pas de nouvelles depuis.

Je pouvais parfaitement comprendre son angoisse. Dix minutes c'était peu, sauf quand la vie de quelqu'un était en jeu. C'était énorme, surtout pour les proches. Je l'amenais vers un siège libre et la poussais à s'asseoir. En regardant autour de moi, je vis un distributeur d'eau dans un coin. Il restait quelques gobelets à disposition. J'en pris un et choisi le robinet tempéré. Grand-mère était sensible au froid. Lorsque je lui tendis la boisson, elle commença par refuser. Après quelques secondes à insister sur la nécessité de se réhydrater, elle accepta enfin et bu quelques gorgée avec difficulté.

Les minutes passèrent sans que nous n'ayons de nouvelles de grand-père. Les patients arrivaient puis repartaient. Certains attendirent un long moment avant d'être pris en charge. Une heure s'était finalement écoulée depuis mon arrivée et nous attendions encore. Ce fut finalement à la fin de la deuxième heure qu'une infirmière vint nous voir.

- Vous êtes la famille de Monsieur Chenet ? questionna-t-elle.

Grand-mère et moi nous levions d'un même mouvement.

- Je suis sa petite-fille, répondais-je le coeur battant. Et voici sa femme. 

Elle nous expliqua avec des mots plus ou moins compréhensibles que grand-père avait eu beaucoup de chance d'être prit en charge aussi vite et qu'il avait éviter le pire, mais qu'il devait rester en observation à l'hôpital pour les vingt-quatre prochaines heures. 

Le soulagement pour grand-mère et moi fut indescriptible, à tel point que ses jambes la lâchèrent. Sous le coup de mes propres émotions, j'eus beaucoup de mal à la retenir avant qu'elle ne s'effondre sur le sol. 

L'inquiétude nous rongeait toujours, rien n'était encore joué. S'il devait rester sur place, c'est bien qu'il y avait quelque chose, mais un poids s'était retiré de nos épaules. L'ambulance était arrivée à temps et ils avaient évité le pire, au moins pour ce soir. 

Après avoir régler les formalité et demander plus d'informations, grand-mère et moi décidions de rentrer. Enfin, plutôt moi. Je dû presque la traîner jusqu'à ma voiture. Je pouvais la comprendre, son mari était passé très près de la mort et c'était la première fois depuis très longtemps qu'il ne passerait pas la nuit avec elle. 

- Je resterai avec toi cette nuit, tentais-je de la rassurer. Et demain soir il sera de nouveau à la maison, en train de me bassiner avec ses vieilles histoires et sa montre.

Victoire ! Elle lâcha un petit rire amusé qui me réchauffa le coeur. Grand-père adorait me raconter de vieilles histoires autour d'une montre à gousset qu'il avait hérité de son père, qui l'avait lui-même obtenue de son père et ainsi de suite jusqu'à la fabrication de ce petit bijou. 

Au début, j'adorais ces contes sur les voyages dans le temps, les intrigues de château. En grandissant, j'ai commencé à ne plus y croire. Et puis, avoir toujours la même histoire, ça commençait même à être lourd. 

Je me souvenais encore de ce qu'il me racontait, alors que j'avais à peine dix ans. Il me disait qu'il avait rencontré l'un des plus grands roi de France en personne. A l'époque, j'étais émerveillée, puis avec le temps, j'ai commencé à le prendre pour un vieillard un peu sénile. C'était ça, ou alors il me prenait encore pour cette petite fille qui avait des rêveries plein la tête. 

Je devais quand même admettre que j'aimais beaucoup ses histoires, bien que légèrement fantasques. Je ne sais pas ce que je ferai le jour où il ne sera plus là pour me les raconter.

Enfin arrivées chez mes grand-parents, en voulant me garer dans l'allée, je constatais qu'une voiture y était déjà. Je ne l'avais jamais vu auparavant, mais ça n'avait pas l'air d'inquiéter ma passagère.  De la lumière s'échappait par la fenêtre du salon.

- Ce doit être David.

- Qui est-ce, questionnais-je. 

Il ne me semblait pas avoir déjà entendu parler de lui par le passé. Un sourire en coin apparut sur le visage de grand-mère. Elle détacha sa ceinture et descendit du véhicule. Je fis de même, méfiante vis-à-vis de cet inconnu qui semblait s'être approprier le domicile de ma famille. J'espérais pour lui que ce n'était pas une de ces ordures qui profitaient de la naiveté des personnes âgées pour les escroquer par la suite et disparaître dans la nature.

Alors que nous remontions l'allée, la porte d'entrée s'ouvrit, laissant apparaître dans l'embrasure une silhouette plutôt imposante. 

- Joséphine ! 

Sa voix grave laissait paraître de l'inquiétude. L'homme au visage encore inconnu se précipita vers nous et mon corps se tendit instinctivement, sur la défensive. Je tentais de retenir ma grand-mère par le bras, en vain. Lorsqu'il arriva à notre hauteur et lui prit délicatement les mains.

- Les voisins m'ont prévenu. Comment va ton mari ? 

Dans la demi obscurité du soir, je pouvais percevoir son visage. De grands yeux bleus, surmontés d'épais sourcils noir, un nez pointu et de fine lèvres. Son large front était barré de sillons creusés  par le froncement de ses sourcils. Il semblait vraiment inquiet pour mon grand-père. Il savait jouer la comédie. 

- Ils le gardent pour ce soir, répondit grand-mère. Mais quand es-tu arrivé ? Je suis désolée de ne pas t'avoir prévenu. 

L'homme se dérida quelques peu. Toutefois, il garda les mains encore tremblantes de la vieille femme dans les siennes. 

- Ne t'en fait pas pour moi, répondit-il. Tu avais autre chose à penser à ce moment. Et puis je voulais attendre et m'assurer que Michel et toi alliez bien. 

Voilà donc l'excuse de sa présence sur un lieu vide et qui ne lui appartenait pas. Ca tenait la route, mais ce n'était pas suffisant pour me convaincre. J'étais d'autant moins rassurée qu'il semblait avoir un double de la clé - à moins qu'ils aient laissé la porte ouverte en partant, ce que j'espérais à moitié.

Soudain, le regard perçant de David se tourna vers moi, un sourcil haussé et une esquisse de sourire au coin des lèvres. 

- Tu dois être Clarisse. Content de faire enfin ta connaissance. Tes grand-parents me parlent beaucoup de toi.

Il me tendit la main et j'hésita un instant avant de la serrer.

- Enchantée. Je suis David.

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