Observation

NDA : Bonjour bonjour ! J'ai dit que la prochaine partie sortirait le 18 avril, jour de mon anniversaire... HUM HUM.
En tout cas, je me rattrape pour l'anniversaire de quelqu'un qui se reconnaîtra et qui se plaignait de mon absence de publications... Bon anniversaire chérie <3 
Sinon, bonne lecture !

NB : les personnages décrits par le narrateur sont inspirés de mes réelles rencontres, et le narrateur est une version fictive et romancée de "moi".



Je lève la tête.
Regarde par la fenêtre.
Je suis toujours assise à côté de la fenêtre.
Je ne supporterais pas ne pas avoir accès à dehors.
Aux centaines de milliers de possibilités,
et à la vie,
qui traversent mon champ de vision.
À une vitesse folle.
Je n'ai pas le temps de tout regarder.

Parfois je regarde sans même regarder.
Je me contente de réfléchir.
À tout.
À rien.
Surtout à rien.

Je ferme les yeux.
Écoute la musique se déverser dans mes oreilles.
Envahir mon esprit.
Faire battre mon cœur.
Vibre l'entièreté de mon âme.
Dieu sait que j'aime ça.

J'observe du coin de l'œil.
La personne à côté de moi.
J'aime regarder les gens.
Imaginer une vie derrière ce masque neutre.
C'est un miracle des transports en commun.

Aucun sentiment positif n'en sort.
Mais moi j'aime mon bus.
Je ne sais pas pourquoi.
Peut être parce que j'aime voir les gens quand ils pensent être invisible.

Ils ont l'air parfois si mal.
Comme si le fait de prendre le bus, le train, le métro, l'avion, était une contrainte.
Suffisamment ennuyante pour que tous râlent.

Un jour j'ai vu quelqu'un de différent.
Je dis différent comme si c'était exceptionnel.
Mais ça ne l'était pas, en soi.
C'était tellement rare que ça m'a parut miraculeux, sur le coup.

Cette personne était de bonne humeur.
Une bonne humeur naturelle, qui formait comme un halo de joie autour.
Cette personne a sourit.
Dit bonjour au chauffeur.
Bonjour, avec une voix chantante.
Joyeuse.

Dans mon bus, la bonne humeur est tellement rare que son apparition est un miracle.

Ce jour là, j'ai rêvé prendre une photo de cette personne.
Capturer cette beauté de l'âme.
Immortaliser ce miracle.
Mais je ne l'ai pas fait.

C'est sûrement pour ça que j'aime observer les gens.
Pour les petits miracles.
Que personne ne remarque.
Ou qui sont vite oubliés.

Alors moi, j'ouvre grand les yeux.
Ils sont prêts à regarder, et à profiter de la magnificence de nos vies.

***

Il prend le bus.
C'est presque tout le temps là qu'il est vu.
Tout dépareillé, il n'a pas l'air propre.
Il a une barbe blanche, pourtant il fait quoi, trente ans.
Non.
Plutôt quarante.
Il a toujours les mêmes vêtements.
Été ou hiver, jour ou nuit.
Quoi qu'il arrive, il est toujours le même.

Il monte dans un bus.
Il a un sandwich enfermé dans le sachet rose de la boulangerie du coin.
Des miettes se sont perdues sur sa barbe.
Il ne semble pas les avoir remarquées.
Et s'il les a bien vues il doit s'en ficher.
Trop occupé à mastiquer chaque bouchée.
Bruyamment, sans aucune discrétion.
On voit dans sa bouche ouverte le pain devenir une purée pleine de salive.
Sur les visages des passagers se peignent le dégoût.
De gêne.
Ils détournent le regard.

Après vingt minutes, il descend.
Traverse la rue.
Et prend directement un bus dans l'autre sens.
Retour vers la ville.
Où il prendra sûrement un bus.

Un jour, il n'avait pas de sandwich.
Au grand désespoir des autres passagers.
Ils ne le savent pas encore.

Il est à l'avant du bus.
Il chante.
Enfin, il ne chante pas vraiment.
Il produit avec sa bouche des gargarismes.
Incompréhensibles.
Désagréables.
Horrifiants.

Il n'y a strictement aucune mélodie.
Pas aussi forts que des cris.
Comme des râles.
Des bruits très difficiles à décrire.
Son visage entier se tord.
Souffrance.
Mal être.
Ou peut être juste démence.
Nul ne le sait.

Personne ne le regarde.
Tous essayent de détourner les yeux.
Mais ils continuent de l'entendre.
Ils sont extrêmement mal à l'aise.
Et ne font rien.
Prisonniers dans leurs bonnes manières.

Certains enfoncent leurs écouteurs dans leurs oreilles.
Augmentent le volume.
Encore.
Voilà.
Ils ne l'entendent plus.
Et ils savent où exactement il est.
Facile d'éviter de croiser son regard.

Difficile pour ceux qui n'ont pas la chance d'avoir de quoi se boucher les oreilles.
Il a vraiment l'air de souffrir.
Pourtant personne ne fait rien.
Qu'est ce qu'on pourrait?
Se rassurent-ils.
Nous nous ne le connaissons pas.
Il n'accepterait aucune sorte d'aide.

Ils ont lavé leur honte.
Doivent juste supporter ses gargarismes.
Attendre qu'il sorte du bus.
Impatients.

Toi, tu le regardes.
Enfin tu essayes.
Tu détournes les yeux.
Tu n'y arrives pas.
Pourtant, tu t'es promis.

Que tu ne jugeras plus personne.
Que tu seras altruiste.
L'esprit ouvert.
Pas comme eux.
Qui jugent toutes les personnes différentes.
Mais ça, ça te dépasse.
Tu n'y arrives tout simplement pas.

Alors tu prends tes écouteurs.
Comme tout le monde.
Et tu essayes de te rassurer.
Comme tout le monde.
Mais toi tu n'y arrive pas.
Tes tentatives d'auto-persuasion sonnent faux.

Il sort.
Enfin.
Pensent presque tous les passagers.
Toi y compris.
Tu as honte, honte, honte, honte, honte.
Tu te sens sale.
Horriblement sale.
De quel droit oses-tu juger cette personne.
Non.
Tu ne la juge pas.
Cette personne souffre au vu de tous.
Et tu n'aurais rien pu faire.

Tu n'as rien voulu faire.

Stop.
Arrête de te torturer l'esprit.
Ce n'était pas à toi de faire quelque chose.

Mais si je ne fais rien, qui le sauvera ?

***

Les portes s'ouvrent.
Il rentre.
Dit bonjour au chauffeur.
S'avance.
Passe devant moi.
Ne me regarde même pas.

Il a vu que j'étais là.
Je le sais.
Tout comme il sait que je l'ai vu.
Tout comme je sais qu'il sait que je le sais.
Et rien.

J'aurais aimé parler à nouveau avec lui.
De la saison 3 de cette série.
J'aurais voulu lui montrer mon cours de philo.
Histoire qu'on rigole un peu.
De ma prof qui compare Épicure a de l'égoïsme,
Qui dit que voler est altruiste.
Que j'entende sa manière de voir les choses.

J'aurais voulu parler.
De ça.
De la raison qui m'avait poussé à ne plus lui parler.
J'ai beaucoup réfléchi pendant les vacances.

Deux mois sans devoir choisir entre lui parler et l'ignorer.
J'ai beaucoup réfléchi.
Et je me suis dit que j'allais m'excuser.
Et que tout allait redevenir comme avant.

Mais j'avais oublié un détail.
D'importance capitale.
Lui aussi, il a eu deux mois de vacances.

Il a réfléchi.
Et il n'a sûrement pas voulu.
Continuer de m'attendre.

Il m'ignore.
Je l'ai bien ignoré, les deux dernières semaines de l'année.
J'essaye de me persuader que ce n'est pas de ma faute.
Oh si.

C'est entièrement de ma faute.

Franchement, qu'est ce que j'espérais?
Qu'il allait tout bonnement m'attendre?

...

Et puis, franchement, ça ne faisait pas des mois qu'il me mettait mal à l'aise?
Si.

Alors c'est horrible, mais ça m'arrange.
J'aimerais parfois ne pouvoir lui parler que quand j'en ai envie.
Mais je ne vais pas venir et lui dire : Ouais non aujourd'hui mec je t'ignore.
Et le lendemain parler avec lui et avec passion.

Et puis, il y a ça.
Enfin il y a deux ça.

Le premier, c'est quand il m'a envoyé "je t'aime".
Putain.
Je le savais.
Mais... non.
Non non non non.
Il ne POUVAIT pas être amoureux... de moi.
Insignifiant moi.

Et puis... Non.
Je ne voulais pas.

Tout simplement.
Comme si d'un coup de baguette magique j'allais gommer ses sentiments.

J'ai tout nié.
En bloc.
Je l'ai nié.

Et puis.
J'en avais marre.
Je l'ai blessé.
J'ai peur de l'avoir blessé.

Bien sûr que je l'ai blessé.

Je n'aurais pas du agir aussi impulsivement.
Il a osé m'avouer qu'il m'aimait.
Sans rien me demander en échange.
Je l'ai jeté comme une chaussette.


Bon, il rentre.
Il passe.
Je l'ignore.
Il m'ignore.
Et c'est mieux comme ça.

***


Elle se tient très droite.

Très, très droite.
Son sac sur les genoux.
Comme si elle avait peur qu'on ne lui vole.
Elle regarde la fenêtre.
Mince.
J'espère qu'elle ne voit pas que mon reflet la regarde.
Là.
Elle regarde devant elle.
Donc pas vers moi.
Ouf.
Si elle me regarde, j'ai l'impression qu'elle va lire en moi.

C'est le genre de personne qu'on ne remarque pas.
Visage basique.
Vêtements sombres.
Discrète.
Mais elle dégage quelque chose.
Quelque chose.

Aucun contact direct avec le monde extérieur.
Comme si elle était dans une autre réalité.
Ou dans la lune.
Peut être qu'elle sait quelque chose.
Que ça l'empêche d'être entièrement ici.
Elle sait que la planète va exploser dans trois, deux...
Ou alors que Madonna est un extraterrestre.
Ou alors que les pyramides sont triangulaires.
Ou alors qu'elle vient de rater son examen de Néerlandais.

Peut être que c'est sa frange, le "quelque chose".
C'est clairement devenu quelque chose de rare.
Dire qu'on en voyais partout quand j'étais enfant...
Voilà.
Je suis nostalgique d'une jeunesse même pas finie.

Ah, elle se lève.
Je la vois en entier.
Elle a un très beau visage.

J'ai cru qu'elle était autre part.
Qu'elle était sur un autre plan de l'existence.
Qu'elle venait peut être d'une autre dimension.
Dans laquelle on se tient très très très droit.

J'ai cru qu'elle détenait un secret.
Ou que son sac avait une bombe.
N'importe quoi.
Quelque chose.
Quelque chose.

Rien.
Elle ne montrait rien.
Je ne me souviens déjà plus de son visage.
Je n'ai pas réussi.
À capter l'étincelle.
À trouver quelque chose d'unique.

À quoi cela sert il donc,
d'observer,
d'écrire,
Si rien n'est visible?

Ce que je fais a-t-il un sens?
Je ne sais pas.
Et puis sommes nous obligés d'être sensés pour raconter?
Nous sommes tous fous ici.

Cette fille avait quelque chose.
J'en resterai persuadé jusqu'à la fin de ma vie.
Mais je ne sais pas quoi.
Et ça me tue.

***

Quand elle marche,
Elle lève le visage bien haut,
Marche presque en sautillant,
D'un pas rapide et décidé,
Comme si elle voulait se grandir.

Elle porte toujours des vêtements ternes,
Veste grise,
Pantalon noir,
Pull gris, marron, rose clair,
Mais ses baskets et son sac à dos,
Eux,
Sont multicolores,
Fluorescents,
Immanquables,
Comme si elle voulait attirer l'attention.

Cette fille, elle cache surement quelque chose.
Elle sourit trop pour être heureuse.
Véritablement heureuse.
J'ai envie d'apprendre à la connaître.

Je veux comprendre pourquoi elle se force.
Pourquoi elle rigole aussi fort;
Pourquoi elle parle avec tant de passion.
Alors que le fond de son regard est éteint ?


***

Alors j'ai arrêté d'écrire.
J'ai arrêté d'observer.
Car en réalité,
les gens qui prennent les transports en commun sont tous tristes.
Parce qu'ils n'aiment pas le bus?
Parce qu'ils ne sont pas véritablement heureux ?

Alors j'enfonce mes écouteurs dans mes oreilles.

J'augmente le volume.
Encore.
Voilà.
Je ne les entends plus.
Je reste dans mon monde naïf ou j'espère encore être heureuse.
Pas comme eux.


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