33. Discussion sous les étoiles

Tout compte fait et après une décision réfléchie, il a été décidé que Wyatt serait confié à monsieur et madame Bourdin en attendant que les autorités compétentes statuent sur son sort et bien que cela ne plaisent guère à Cléo, je me retrouve plutôt satisfait de la nouvelle. Attention, je ne suis pas un monstre, mais j'estime qu'un enfant en bas âge n'a pas sa place dans cette maison, ni même chez Cléo et Cléa, car honnêtement nous n'aurions pas sû subvenir à ses besoins. Je sais que depuis l'annonce de la décision, Basile n'a pas dit un mot, mais je présume qu'il se retrouve un petit peu entre deux sentiments lui aussi : une part de lui doit être soulagée et sans doute que l'autre part doit se sentir blessée. Quant à moi, eh bien... Disons que j'affectionne les histoires qui finissent bien et je préfère savoir qu'à présent je peux enfin me concentrer sur moi-même.

Tu ne dors pas ?

Basile me rejoint, à tâtons comme bien souvent, à moitié endormi, enveloppé dans un plaid tandis que je demeure assis sur les quelques marches de la terrasse extérieure menant au jardin. Pour la première fois depuis longtemps, je me surpris à regarder les étoiles. Pour la première fois depuis longtemps, je me surpris à prendre le temps de le faire.

J'ai beaucoup de choses en tête et... J'avais dû mal à trouver le sommeil, lui répondis-je tendis que je lui prit la main pour qu'il vienne se mettre à côté de moi.

A quoi penses-tu ?

A tout et à rien en même temps. C'est un petit peu difficile à expliquer car honnêtement, je ne suis même pas certain de me comprendre moi-même, alors... Comment Basile le pourrait ? Je suis juste perdu, voilà. Perdu dans mes pensées qui ne cessent de venir, revenir, m'envahir. Encore et toujours les mêmes pensées sordides voire carrément sombres.

Je pense à... Tout ça. J'ai l'horrible impression de vivre comme dans ce film avec Jim Carey où je ne fait que répéter le même jour encore et encore. J'ai l'impression de ne pas avancer, tu comprends ? De stagner au même point, de ressasser, de... Je ne sais pas. Un jour je me dis que tout ira bien et que je peux reprendre mes plans comme avant ou en faire d'autres si ça me chante et le lendemain ou bien cinq minutes après, une sensation d'abandon me rattrape. Comme si je me résignais, mais face à quoi ? Je ne suis pas mort. Je ne suis pas malade. Oui, la vie a changée et il s'est passé des choses en mon absence, ce qui est tout à fait normal, mais... Ce n'est pas la mer à boire et pourtant une partie de moi en fait tout un plat.

C'est ça. Une partie de moi s'arrête sur chaque petit détail. Sur chaque nouveau détail même, comme si la moindre nouveauté me dérangeait profondément alors que ça ne devrait pas.

Je pense que c'est normal, fit Basile d'un hochement de tête compréhensif, Je pense qu'une partie de toi n'est jamais vraiment sortie de la rivière ou bien même de cet hôpital. Tu es un "survivant" et, je pense oui, qu'en cette qualité il est normal que certaines choses prennent du temps ! On peut essayer de se dire qu'on reprendra notre vie là où l'on l'a laissée, mais la vérité c'est que cette vie n'existe plus. Tu n'es plus ce Gabriel et tu ne le seras plus jamais. C'est un cap à franchir et un fait à accepter et je sais que pour toi, ça doit paraître énorme !

Mais je n'ai pas envie de changer. Je n'aime même pas le changement !

Je sais, reprit-il en me serrant la main, Mais si tu n'avances pas alors...

Je ne peux pas non plus faire comme si...

Et ce n'est pas ce que je te demande, ni même ce que j'attends de toi, Gabriel. Oui nous avons discuté de projets et nous avons décidé de faire des travaux, de tout brûler ou bien de reprendre la boutique et de rester là, à s'encroûter tout en devenant deux vieillards s'aimant, mais on peut aussi tout revoir. Tout refaire. On peut refaire le monde si ça nous chante. Présentement la question n'est même pas de savoir ce que l'on veut faire, mais plutôt de savoir ce que l'on doit faire, tu ne crois pas ?

Comment ça ?

Refaire le monde, ça peut attendre demain, si tu vois ce que je veux dire, par contre... On doit agir pour toi. Je sais qu'au fond de toi, tu dois avoir l'impression de te battre seul, de te débattre contre toutes ces pensées néfastes qui t'empêche de trouver le sommeil et honnêtement ? J'aimerai beaucoup pouvoir y faire quelque chose. J'aimerais pouvoir me battre avec toi, contre toi même s'il le faut, mais je ne suis pas un idiot : ce n'est pas dans mes cordes.

Je déteste quand Basile fait ça. Quand il se dénigre. Quand il se sous-estime alors que soyons honnêtes deux minutes... Il est fantastique.

Il y a des combats qui parfois doivent se faire... seul et je sais que tu es en train de mener le tien. Alors oui c'est dur et ça va l'être encore plus et oui ! Je ne peux pas t'aider, mais je peux t'apporter une présence et je crains que cela ne soit la seule chose que je puisse t'offrir en fait. J'aimerai être un petit-ami plus digne dont tu pourrais être fier, mais... Sur ce plan là, je ne suis pas très bon.

Si j'avais été d'humeur, je l'aurai embrassé. Je l'aurai embrassé et je lui aurait alors fait comprendre tout ce que je ne peux pas lui faire comprendre avec des mots, mais tout comme Basile me connait, je le connais aussi et tout particulièrement ses incertitudes, ses craintes, ses peurs. Basile ne s'est jamais trouvé à la hauteur et il n'a jamais vraiment comprit pourquoi je l'ai aimé dès le jour où il m'a envoyé ballader. A cet instant, peut-être avant lui et peut-être avant que je ne le réalise moi-même, j'avais compris qu'il y avait un truc. Qu'il avait un truc. Un truc en plus. Un truc qui le rendait si parfaitement imparfait.

Je violenterais quiconque essayerait de te dire le contraire et tu le sais, lui répondit-je, Il n'a jamais été question que tu ne sois pas bon, digne ou que sais-je ! Je ne sais pas qui t'as mis ces conneries dans le crâne, mais honnêtement pour moi t'es juste...

Parfait ? reprit-il amusé.

J'allais dire "juste ce qu'il me faut". T'as pas à être plus que ce que tu es déjà et tu n'as pas à me donner plus que ce tu ne me donnes déjà. On a jamais fonctionné comme ça toi et moi. Notre relation... Certes, on patauge un petit peu en ce moment, mais ce n'est pas une raison et ce n'est pas parce que c'est le cas que l'on doit trouver un coupable sinon quoi ? On se mets à insulter la vie et le coup du sort ? On traverse une mauvaise passe, mais ça arrive à tout le monde de traverser des mauvaises passes.

Soudain, je réalise qu'il me sourit. Le sourire de Basile il est spécial car autant certains ont les yeux qui s'illuminent quand il le font, autant Basile c'est tout son visage qui s'éclaire quand il le fait. Comme si tous ses traits se tiraient en arrière en même temps en harmonie. Il est incroyablement beau quand il le fait et il ne peut même pas le voir.

Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? relancé-je en le voyant ainsi.

Rien... Mais tu viens de dire toi-même que "c'est juste une mauvaise passe".

Ah.

Parce que ça en est une, c'est vrai, affirmé-je.

C'est vrai, et pourtant il y a encore cinq minutes on aurait dit que tu t'en sentais responsable et que tu en portais toute la responsabilité.

Je me sens coupable quand tu me dis que tu ne te sens pas assez digne ou bon pour moi alors que tu es vraiment la meilleure chose qu'il me soit arrivée dans cette vie... même dans l'autre.

Et dans toutes celles à venir. Tu sais Gabriel, on ne peut pas savoir de quoi demain sera fait et on peut vite avoir l'impression de n'être qu'un minuscule grain de sable dans ce vaste monde, mais pour moi... Du moins, à mon sens, ce n'est pas parce que l'on se sent insignifiant qu'on l'est forcément, tu vois ce que je veux dire ? Tu comptes pour moi. Pour Cléo et Cléa. Pour les gens au village...Bon ok, tu comptes plus pour moi que pour tous les autres et je m'en fiche un peu d'eux, mais sache que si jamais tu as besoin... Ma main sera toujours tendue vers toi et tu pourras alors l'attraper à tout moment. Tu m'entends ? A tout moment.

C'est fou comme je peux être le gars le plus chanceux du monde d'avoir un copain comme toi !

Je sais et c'est triste que tu ne t'en rendes compte que maintenant, me nargue-t-il.

Oh, mais je l'ai toujours su. C'est juste que... Oui, chaque jour un peu plus je tombe amoureux et je t'admire.

J'admire tout ce qu'il est. Tout ce qu'il représente et quelque part, j'essaie de graver à jamais tous ses traits en moi. J'essaie tant bien que mal de garder ma propre version de Basile, dans un petit coin de ma tête car c'est la seule image dont j'ai besoin pour survivre en ce bas monde car Basile l'a dit : je suis un survivant.

Par conséquent, je me dois d'essayer. 

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