31. Bébé Wyatt - Partie 3
- Point de vue de Basile-
Il y a un tel brouhaha dans le café que je peine à discerner qui dit quoi, mais j'arrive cependant à saisir des bribes de conversation et je devine de quoi retourne toutes les conversations : du bébé trouvé. Je ne sais pas où est Cléa, car dès que nous sommes arrivés, elle s'est précipitée dans la mêlée et c'est à peine si j'arrive à discerner sa voix ni même celle de Cléo dans l'affolement général, mais je sais qu'elles sont là, pas très loin car tout semble concentré dans un même recoin de la pièce et je dois bien admettre qu'il n'y avait pas eu une telle agitation au village depuis... Eh bien... Non. Je préfère ne pas y penser. Ce n'est pas le moment. A dire vrai, depuis quelques mois déjà j'ai l'impression que ce n'est jamais le moment, et ce, même avec Gabriel.
En fait je crois même que c'est Gabriel et sa folie de citadin qui a contaminé le village car tout ce qui était si paisible et tranquille jadis paraît tout agité et tumultueux à présent. Ce n'est pas tant un mal, ni même un reproche, c'est juste que moi... Moi ça me bouleverse. Ca me bouscule et je n'apprécie pas vraiment être bousculé.
Mais je ne peux pas lui en vouloir. Gabriel est comme ça. C'est une sorte de tornade humaine. Il passe et il emporte tout et tout le monde. Il est... Entier.
C'est ce que j'aime le plus chez lui, le fait que Gabriel ne sache ni mentir, ni faire semblant et que lui-même ne s'en aperçoive pas ou alors bien trop tard.
– Qu'est-ce que l'on va en faire ?
– Là n'est pas la question ! Il faut appeler la gendarmerie.
– Pour un bébé ? C'est pas un voleur, le p'tit gars !
– Il n'est pas question de délit, Roger, mais ce bébé doit bien appartenir à quelqu'un. Il ne pleut pas des bébés soudainement au beau milieu des champs.
– Oui, quelqu'un a dû l'abandonner, mais pourquoi ? Qui oserait ?
Je pense que c'est la question que tout le monde se pose un petit peu : Qui oserait ? Il y en a des monstres sur terre, je le sais mieux que quiconque ici réunis, mais il faudrait être sacrément horrible pour laisser un bébé derrière soi. Et si Cléo ne l'avait pas trouvé ce matin ? Si elle avait dérogé à son habitude de couper par les champs pour rejoindre le village ? Si elle ne s'était tout simplement pas levée ? Alors comment aurait-il survécu ?
– Il faudrait peut-être l'amener au Doc' non ?
– C'est vrai qu'il a l'air un peu maigrichon. Regardez moi ces petites cuisses de poulet !
Dans tout ça, je ne sais pas où est ma place. Qu'est-ce que je dois faire ? Qu'est-ce que je dois dire déjà ? Suis-je même supposé dire quoique ce soit ? J'avoue que j'ai accompagné Cléa, mais je ne suis d'aucune utilité.
Encore.
Je ne sers à rien.
Je ne sers à rien car contrairement à eux, je ne vois rien, ne sais rien, ne peut rien faire. Je peine déjà tellement à m'occuper de moi-même que je ne sais pas si... Non mais à quoi penses-tu Basile ? A t'occuper d'un enfant ? Comme si cette responsabilité allait te revenir ! Ne rêve pas trop mon grand.
– En tout cas, on ne peut pas rester là à le regarder...
Je me demande à quoi il ressemble.
Je me demande comment son ses yeux. Son nez. Sa toute petite bouche. Ses toutes petites mains qui peinent encore à saisir le monde.
– Tout ce que l'on a trouvé c'est cet espèce de doudou avec un nom brodé dessus : Wyatt.
– Donc déjà... Il a un nom, non ?
– Ou alors c'est le nom de cet affreux... Qu'est-ce que c'est ? Un lapin ? On dirait qu'il est passé sous les roues du vieux tracteur de Maurice !
Ca rigole, mais je sais que la situation est tendue. Je le sens. Je sais que les vieux n'y comprennent rien et qu'ils sont tous un peu perdu dans cette situation.
– Jacqueline aurait sû quoi faire, elle.
Un silence survint alors subitement tandis que je peux entendre le bruit des vêtements qui se froissent, se plissent. Ah. Je sais ce qu'ils font. Ils me regardent.
Tous, ils me regardent.
Ils veulent voir comment je réagis ou comment je réagirais, mais le truc c'est que je ne sais moi-même pas comment réagir. Ca fait... un an, non ? Je ne sais plus. J'ai oublié de compter les jours et honnêtement ? Je ne tiens pas plus que ça à les compter. Jacqueline est morte. Gabriel n'est pas là et je me retrouve tout seul à devoir... Gérer tout ça.
Me gérer moi-même.
Parfois, je me réveille la nuit et je me noie dans mon propre sanglot. Je ne sais même pas ce qui me hante ni même pourquoi je pleure. Je ne sais même pas pourquoi j'ai soudainement si peur de me retrouver tout seul. Je ne comprends pas. Je ne me comprends pas, mais je crois que c'est ça, le plus effrayant... Quand on a oublié comment se comprendre soi-même.
J'ai l'impression d'être un enfant perdu, mais je n'ai pas mon Peter Pan. Mon repère qui vole là-haut dans le ciel.
– Basile ?
Je sens la main de Cléo se poser sur la mienne et soudain, sa présence, son geste, la douce chaleur de son contact me ramène à la réalité.
– Est-ce que ça va ?
Suis-je supposé répondre à cette question ? Si oui, comment ?
Comment puis-je y répondre ?
Comment puis-je leur sourire et leur dire que tout va bien ?
Comment puis-je leur dire que je vais bien ?
Car moi, je suis un menteur. Toute ma vie durant j'ai fais semblant et je peux continuer ainsi pendant longtemps.
– Oui, tout va bien. Toutefois, pour le petit, on devrait vraiment appeler la gendarmerie d'abord pour leur signaler cela avant que l'on passe pour un village de kidnappeurs d'enfants. Peut-être qu'il est recherché... On verra bien.
Voilà comment on fait. On donne une demie réponse, un début de quelque chose et ensuite on enchaîne sur autre chose. Rapidement. On passe du coq à l'âne, on détourne l'attention et on espère, au plus profond de soi-même que ça suffira. On croise les doigts qu'il n'y ait personne, dans la pièce, capable de déceler le mensonge et le faux-semblant.
Après tout, il n'y a qu'un menteur pour en reconnaître un autre.
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