27. Bonjour Mamie, ça fait longtemps
Je me suis retrouvé assis par terre, entouré de feuilles mortes aux couleurs diverses et variées, à me demander si c'était une bonne idée.
- Je ne serais pas loin si tu as besoin...Je vais juste voir...
- Je comprends, vas-y.
La main délicate de Basile alors sur mon épaule se détache progressivement et je le regarde s'éloigner, accompagné de Cléo tandis que je reste là, face à la pierre tombale de ma grand-mère.
Petit, je fuyais les cimetières. Je ne les ai jamais aimés et je ne les aimerais probablement jamais. L'ambiance que ça dégage, les gens qu'on y croise, le symbole...La mort qui y règne en maître. Je n'ai aucun souvenir de l'enterrement de mon père, sans doute parce que je n'y étais pas, gardé par une voisine de l'époque, mais jamais maman ne m'en a parlé. Je me souviens d'elle, dans cette robe mauve, toute apprêtée. Magnifique. Elle n'a jamais aimé le noir et refusait d'en porter ce jour-là. Elle disait que papa aimé cette robe et que donc, elle se devait de la mettre. Basile a raison sur ce point-là, ma mère est une femme incroyable. Courageuse. Brave. Alors, je me demande vraiment ce que je fiche ici.
- "Tu verras Gabriel, dire ce que l'on a sur le cœur, ça fait du bien !"Qu'ils disaient...Je ne sais juste pas quoi dire.
Et tout à fait entre nous, je trouve ça plutôt ridicule. Parler au mort ? S'adresser à sa tombe ? Il n'y a personne pour m'écouter ou m'entendre si ce n'est un cadavre servant de casse-croute à divers micros éléments. Ma grand-mère n'est plus de ce monde. Elle est partie. Partie bien avant que je n'aie pu lui dire au revoir.
Et c'est peut-être ça qui me pèse le plus sur le cœur. Rester assis par terre devant un tas de faux marbre n'y changera rien. On porte et traîne nos regrets comme de vieilles valises poussiéreuses. C'est comme ça.
- Jacqueline...Je n'ai jamais aimé ce prénom en plus. C'est moche. Ça ne va pas à une femme. La féminisation de Jacques. C'est d'un laid !
Je suppose que si elle était là, elle m'en claquerait une en criant "Et tu crois que Gabriel c'est mieux ? Prénom angélique mes fesses oui ! Petit démon". Ça aurait au moins le mérite de me faire sourire, je pense. Je la connais. Elle n'hésiterait même pas.
Jacqueline. Francine. Heureusement que je suis un garçon ! Je me serais certainement appelé Michelline sinon. Seigneur...Que je suis heureux d'être un homme. Bon pas que pour ça, pour diverses autres raisons aussi.
- Tu ne veux pas lui parler ?
La voix de Cléo m'arrache un sursaut alors que je ne l'ai même pas entendu revenir vers moi, marchant dans le tas de feuilles ici et là. On échange un bref regard, un soupir et puis elle s'abaisse et se met pratiquement à ma hauteur face à la tombe de ma grand-mère.
- C'est juste que...Je n'y crois pas. Désolé hein, mais c'est pas moi ça. Je trouve ça...
- Stupide ? Retourne-toi Gabriel.
On se retourne alors tous les deux et je vois Basile, plus loin, à quelques mètres, devant une autre tombe qui semble faire de grands gestes, sourire, discuter avec.
- Il discute avec Manuel. Il lui raconte ses journées, il lui dit ce qu'il ressent. Il parle souvent de toi aussi. Peut-être même beaucoup trop.
- Pourquoi ? Je veux dire...Il sait qu'il n'y a personne donc c'est comme faire un monologue. C'est ridicule.
- Peut-être que oui de ton point de vue. Mais parfois, tu sais, c'est tout ce que ça prend ? Une "oreille tendue". Parfois on a juste besoin de parler. Dans le vide comme ça. Ceux qui ne peuvent pas se confier ouvertement le font en écrivant, mais ça revient au même. Et puis, ça donne quelque part l'impression que la personne est toujours là. On a le devoir de mémoire en tant qu'être vivant, en tant que survivant. Le devoir de ne pas oublier ou de ne pas mettre de côté. Le décès de Manu, de Jacqueline, ça a beaucoup marqué Basile. Il t'en a peut-être parlé d'ailleurs, je ne sais pas. Mais c'est le cas pour nous tous. Attends, je vais te raconter une histoire.
Elle enlève son écharpe pour s'en servir pour protéger son pantalon des feuilles et de l'humidité du sol avant de rabattre ses genoux contre sa poitrine. On dirait une sorte de petite boule.
- C'est l'histoire d'une petite fille, qui n'a jamais vraiment eu beaucoup d'amis. A l'école on se moquait d'elle à cause de ses cheveux roux, de ses grosses oreilles, de son accent et de son comportement de garçon manqué. Elle aimait les batailles de boule de neige, jouer dans la boue, courir après les poules, faire du vélo dans les champs, tomber et s'abimer les genoux. Cette petite fille n'a jamais vraiment été féminine. Puis un jour, elle est tombée par terre à cause de ses lacets défaits. Elle a pleuré, beaucoup, parce qu'elle s'était vraiment fait mal et d'autres enfants se trouvant là, se moquaient d'elle. Alors, une dame, un peu âgée à ce moment-là, est venue l'aider. Elle l'a relevé, lui a fait ses lacets et la regardant droit dans les yeux lui a dit "Avec toutes ces cicatrices sur un corps aussi petit, nul doute tu as une belle vie. Tu pourras, à mon âge, raconter l'histoire de chacune d'entre elles". C'est vrai que j'ai le corps marqué par mes chutes, mes cascades et mes accidents. Que je porte souvent des jeans ou des manches longues pour dissimuler tout ça, mais si j'arrive aujourd'hui à être "moi" et à assumer tout ça en portant par moment des vêtements plus courts, c'est grâce à Jacqueline. Je ne dirais pas que ta grand-mère m'a sauvé la vie, mais elle a réussi à me faire comprendre qu'une fille n'avait pas forcément une jolie couette accompagnant une jolie jupette. Quand je l'ai vu, je l'ai réalisé. Et c'est le cas pour tous ceux du village. Jacqueline a forcément fait quelque chose pour eux. Tu connais déjà l'histoire de Basile, mais il y a certainement des bouts que tu ignores encore.
Ca je n'en doute pas. Basile parle, c'est vrai, il parle même beaucoup et avec une facilité déconcertante que je lui envie, mais il y a des choses parfois qu'il ne me dit pas ou qu'il se retient de me dire. Je le sais aux traits crispés de son visage. Mais je ne lui force pas la main, j'attends. J'attends qu'il se sente prêt à me dire ce qu'il pense ou ce qui le tracasse. J'attends comme il m'a attendu.
- Quand Basile est arrivé au village, tout le monde le regardait bizarrement. Un aveugle avec des fermiers, des agriculteurs enfin...Des gens doués de leurs mains alors que lui non ? C'était ridicule. On ne le pensait pas "capable". D'ailleurs pour être honnête, on s'était dit qu'il finirait par se lasser et par rentrer chez lui, d'où il vient du moins. C'était sans savoir la triste histoire qu'il a emmenée, mais bon, passons. C'est ta grand-mère qui a tout appris à Basile. Qui lui a permis de faire taire une bonne fois pour toutes les mauvaises langues et les commérages à son sujet. Il est devenu assistant dans sa boutique de fleurs et a su très vite épater tout le monde. Il savait quel bouquet était pour qui, quelle fleur sentait quoi et toutes ces choses formidables. On pensait pouvoir le briser comme une brindille, au final, il s'est adapté comme un réseau sous la pression du vent : en se pliant. Il s'est adapté à nous bien avant que l'on ne s'adapte à lui. Et puis...quand on s'est enfin fait à la présence de Basile, voilà que tu es arrivé.
"Revenu" serait le terme plus juste. J'étais déjà venu plusieurs fois en vacances chez ma grand-mère quand j'étais enfant, mais c'est vrai que j'en garde très peu de souvenirs si ce n'est des bribes. C'est ce que je regrette le plus chez moi, cette mémoire défaillante à mon âge. Incapable se souvenir de son enfance. J'ai déjà du mal à me souvenir de ce que j'ai mangé hier alors avant ça...
- Au début on t'aimait pas. Mais alors pas du tout. Moi la première.
- Merci, j'ai bien compris le message à ce moment-là.
- Et puis un matin, alors que j'ouvrais le café, Jacqueline est venue me voir. Elle m'a demandé de prendre sur moi, de te laisser un "temps d'adaptation" car tu n'étais pas si terrible, tu avais juste une forte personnalité. Elle a fait le tour de tout le village comme ça. Elle nous a demandé à tous de veiller sur vous. Sur Basile et toi et tu sais quoi ? C'est ce que l'on ferra jusqu'où jour où tu partiras.
Une larme roule sur ma joue. Puis une deuxième. Une troisième. Un torrent presque silencieux, inaudible, que je cache avec beaucoup de peine, timidement derrière la manche de ma veste. Ma grand-mère me manque.
- Merci.
Ces mots sont en partis pour Cléo, mais pas que. Ils sont aussi pour elle. Je crois que si j'ai réussi à trouver comme un bout de "chez moi" ici, c'est bien grâce à elle. En si peu de temps elle a réussi à faire quelque chose de moi. Un homme meilleur si je puis dire.
- Et malgré les apparences, elle était carrément partante pour Basile et toi. Tu sais qu'elle avait fait une cagnotte avec des paris ? Elle avait réussi à diviser le village ! Ceux qui pensaient que Basile serait le premier à faire un pas avant et ceux qui avaient misé sur toi. Autant dire que j'ai choisi la bonne équipe de suite. J'ai toujours su détecter le côté vainqueur.
- Ah oui ? Et selon toi, qui as fait le premier pas ?
J'aperçois un léger sourire qu'elle garde suspendu au bout des lèvres alors que son regard se détache de la tombe pour se détourner vers moi.
- Toi. Parce que tu es comme ça Gabriel. Tu as un petit quelque chose qui attire indéniablement les gens vers toi. C'est ce qui fait que l'on t'aime pour qui tu es, ce que tu es et comme tu es. On t'aime tout entier. Et je ne doute pas que ce soit pour cette raison-là que Basile soit tombé amoureux de toi.
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