26. Et puis après tout, pourquoi pas ?

Examen. Séance de rééducation. Examen. Séance de rééducation. On dit que la vie est un éternel recommencement. Depuis mon réveil, je suis devenu la petite bête curieuse de tout le service de l'hôpital et chaque jour je reçois la visite d'infirmières, de médecins et de spécialistes divers et variés. Ce qui les fascine ? Le fait que j'aille bien. Que je me sente bien. Néanmoins, j'ai encore quelques petits soucis de déplacement. Je fais quelques mètres, tiens debout quelques minutes et puis m'effondre par terre. Apparemment, il faut que je laisse du temps au temps, ce que j'essaye de faire, mais cela va déjà faire un mois et demi presque deux, que je suis coincé ici et malgré quelques sorties autorisées, je ne peux toujours pas rentrer chez moi.

"Chez moi". Maintenant que j'y pense, je ne suis même plus certain de savoir où ça se situe. J'ai longuement discuté avec maman pour savoir quoi faire après ma sortie, elle m'a laissé le temps d'y réfléchir et m'a proposé de revenir vivre avec elle, mais une partie de moi est attachée, liée, au village même si je sais que je n'y ai pas ma place. J'habitais chez ma grand-mère et ça restera toujours chez elle, je ne pourrais pas y vivre et m'y sentir complètement chez moi.

Chez nous. Basile m'a proposé un plan B, une sorte de seconde chance pour nous deux, un nouveau départ et même si l'idée me plait et me tente, je ne suis pas certain que dans notre état à tous les deux, nous serions à même dans un premier temps de nous débrouiller tout seuls. Basile ne peut pas venir en ville avec moi et je ne peux pas rester au village.

J'ai l'impression d'avoir fait un grand pas en arrière. Une sorte de retour à la case départ comme ce que j'ai vécu dans mon coma, mais je refuse d'abandonner l'homme que j'aime. Je refuse de partir sans lui, encore une fois.

Alors assis dans le lit, j'attrape un livre à côté de moi alors que Basile dort à côté, allongé dans un fauteuil, la tête calée par son pull mis en boule à l'occasion pour lui servir d'oreiller de fortune. Avec le temps, j'ai appris à voir la différence entre son visage endormi et son visage de tous les jours. Il a les traits plus détendus. Récemment je sais que lui comme moi, on s'est posé beaucoup de questions. Peut-être trop. C'est fou le nombre de choses auxquelles on peut penser quand on n'a rien d'autre à faire que de rester assis ou allongé dans une chambre.

Comme d'habitude, j'ai l'impression d'avoir trop d'interrogations et quelque chose me dit que je n'aurais jamais les réponses ou pas forcément.

- Quelle heure il est ?

La voix rouée, à moitié endormie de Basile me tire de mes pensées tandis qu'il se redresse sur le fauteuil et j'admire toutes les grimaces qui passent les unes à la suite des autres sur son visage. Je ne suis même pas certain qu'il s'en rende compte.

- Presque neuf heures et demie, une infirmière est passée tout à l'heure, mais comme tu dormais, elle n'a pas voulu te chasser.

- Neuf heures...Je me suis assoupi presque cinq heures.

- Ah bah oui, t'as fait un bon gros dodo. Sacrée sieste !

- Désolé.

- Non, non, pourquoi tu t'excuses ? Si tu t'endors ici c'est que tu es bien, non ?

- Je suis bien avec toi, oui. Donc ? Qu'est-ce que tu as fait pendant que je dormais ?

- J'ai admiré la beauté assoupie que tu étais.

Il sourit presque gêné, quittant complètement le fauteuil, s'en décollant pour se lever et s'étirer avant de venir s'asseoir auprès de moi.

- Gabriel, quand on va te décharger d'ici, qu'est-ce que tu veux faire ?

- Ce que je veux faire ? Je n'en sais rien. Il y a des tas de choses que j'aimerais faire en revanche.

- Quelle est la différence ?

- Je ne veux pas décider pour nous, mais j'aimerais soumettre des idées pour qu'on puisse en discuter.

- Alors, je suis tout ouïe, je t'écoute.

- Avant, je souhaiterais savoir comment toi tu envisages l'avenir. Notre avenir. Je sais que les médecins disent que tout va bien et tout ça, mais on n'est jamais à l'abri d'une surprise de dernière minute ou je ne sais pas.

Je n'en sais rien. Tout est beaucoup trop beau, trop idéal pour que ce soit réel. C'est sans doute un a priori bidon ou une insécurité inutile, mais honnêtement j'ai peur qu'il y ait anguille sous roche.

Basile me prend alors ma main dans la sienne, posant la libre sur ma joue. Je suis toujours émerveillé par cette faculté qu'il a de deviner les distances.

- Je ne sais pas ce que je dois faire ou dire pour te le faire comprendre Gabriel, mais je t'aime. Je suis amoureux de toi. C'est sincère. Je suis vraiment épris de toi. Je t'aime pour ce que tu es, pas pour qui tu es. Je m'en fou de ça. Je suis aveugle ! Je n'ai jamais pu voir à quoi tu ressemblais. Avec nos ébats et nos soirées caresses, j'ai pu plus ou moins prendre mes marques sur ton corps, mais ton physique est un grand vide. Donc, handicapé ou non...Je t'aimerais. Je t'aime déjà énormément.

- Et si j'ai une tare psychologique ? Imagine je ne sais pas...Un souci mental qu'on ne voit pas maintenant, mais qui va se développer sur le long terme.

- Tu es déjà débile alors franchement qu'est-ce que ça changerait ?

Sous sa remarque mon poing vient trouver son épaule alors qu'il éclate de rire.

- Je ne trouve pas ça très gentil à dire pour les gens ayant des soucis psychologiques. Tu sais, les handicapes il y en a des visibles et des invisibles !

- Je sais, c'était déplacé. Je m'en excuse. Mais même avec ça, tu ne changeras pas pour moi. Sauf si une nouvelle personnalité apparaît soudainement et que tu deviens invivable...

Je n'ai pas eu à faire appel à "Gaby" depuis un bon moment, alors quand on parle de seconde personnalité, de côté démoniaque ou obscur, de part ténébreuse, j'ai déjà tout ce qu'il faut.

- Je rigole ! Tu veux que je me le tatoue sur le bras ? "Love Gaby" ?

- Sur la fesse droite, je préférerais.

- Pourquoi la fesse droite précisément ?

- Pourquoi pas la fesse droite ?

Toute ma vie je me suis posé comme question "pourquoi" sans même prendre le temps d'envisager une seule fois le "pourquoi pas". Maintenant, j'ai envie de changer ça. Je veux essayer d'aborder la vie autrement.

- Honnêtement, Basile, tu sais que je vis un peu au jour le jour. Je ne sais pas ce que je veux faire après ma sortie, mais si je peux être avec toi, alors ça me va. Peu importe le reste. Je n'ai pas envie d'y penser. Je n'ai pas envie de faire des plans de dingue. Juste être tous les deux et rien que tous les deux me va.

- N'as-tu pas, je n'en sais rien moi, envie de voyager ? De voir d'autres horizons ? De faire autre chose ?

- Basile...

Cette fois, c'est moi qui prends ses deux mains dans les miennes. Basile m'a souvent dit qu'il m'aimait, plus souvent que moi en tout cas. Je n'ai jamais été très doué pour ça, pour mettre des mots sur mes sentiments, mes émotions, même si je sais à quel point il tient à ce que l'on parle, à ce que l'on se dise les choses et je le comprends. Je comprends qu'il y a des tas de trucs qui le dépassent parce qu'il ne les voit pas forcément. Ça l'énerve même. Je le sais. Alors, je vais lui dire.

- Tu veux que je te dise un truc ? Mon amour pour toi est un perpétuel voyage. Une grande aventure. Une folle aventure même.

Maintenant que j'y pense, j'ai l'impression de connaître Basile depuis toujours. Pourtant, je sais que ce n'est pas le cas. Mais je ne sais pas, je ne peux pas l'expliquer, j'ai tout de suite été attiré vers lui. Par lui. De base, je ne pouvais pas me refuser. Je ne me sentais pas de lui dire "non". Je l'ai tout de suite su et depuis, je ne me suis pas retenu vis-à-vis de lui. Pas une seule fois.

- Un voyage au centre de ton cœur que j'entreprends volontiers quotidiennement et tu sais pourquoi ? Parce qu'il me permet de me plonger à vingt mille lieues dans tes yeux.

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