17. Joyeux Cauchemar
J'ai ouï dire que la cérémonie était de toute beauté. Simple et pourtant, de si nombreux gens étaient présents. Presque tout le village d'ailleurs. Tous, sauf moi. Je n'ai pas pu. Je ne me suis pas résolu à devoir lui dire "au revoir". Je n'y arrive pas. Je suis resté assis sur le canapé, en face de la cheminée, à regarder le feu grignoter bûche après bûche. Je suis resté assis, une couverture sur les jambes, emmitouflé dans ses affaires. Son pull a encore son odeur et dieu que je l'aime cette odeur. Ça sent "Basile". Pour moi c'est le parfum de l'amour.
Un amour violent, mais passionnant.
Un amour secret, mais sincère.
Un amour...
Mon regard se promène sur la pièce. Sur les poutres apparentes de la vieille bâtisse. Je me dis qu'une corde pourrait y faire l'affaire.
"Non."
Puis dans la cuisine il y a les couteaux. Il y a des lames de toutes les tailles...Je pourrais très bien...
"N'y pense même pas !"
La pharmacie de grand-mère est bourrée de médocs' en tout genre...Ça m'aiderait bien.
"Arrête !"
Je ne sais pas pourquoi, mais quand j'ai ce genre de sombres pensées, et uniquement quand j'y pense, j'entends sa voix comme s'il était là. Je l'entends hurler. Je l'entends parfois dire mon nom. Je l'entends s'excuser. S'excuser pour quoi ? Pour m'avoir abandonné ? Pour avoir rompu sa promesse ? Pour m'avoir laissé tout seul ? Pour m'avoir fait croire que l'amour serait plus fort que tout ? Je le déteste pour tout ça ! Je le déteste, le déteste, le déteste !
Non. Je me déteste moi d'y avoir cru chaque seconde. Je me déteste d'avoir pu croire que c'était possible. Qu'un monde idéal serait réalisable. Quelle merde je suis.
La maison me parait immense. Vide. Immensément vide. Il n'y a que moi. Il ne reste que moi. Dernier arrivé, dernier à partir, hein ? Pourquoi ne m'ont-ils pas attendu ?
Basile, grand-mère. Je les déteste tous les deux pour m'avoir fait ça. Pour m'avoir laissé sans m'avoir préparé. Sans m'avoir dit au revoir. Sans un dernier sourire. Sans un dernier "je t'aime".
Et maintenant ? Qu'est-ce que je fais, hein ? Qu'est-ce qu'il va advenir de moi ? Je ne peux pas rester là. Il faut que je parte. Loin, très loin d'ici. Il faut que j'aille là où je peux oublier. Oublier tout ça. Mettre mes souvenirs en terre, tirer un trait sur ce que j'ai ressenti.
- C'est peut-être le moment de partir Basile.
Je n'ai plus rien qui me retient ici. Je n'ai plus rien à faire ici. Il est temps de m'en aller.
Du moins, je ne veux pas rester ici. Seul, je ne supporte plus les fantômes qui errent ici et là dans les couloirs la nuit.
Depuis, je dors sur le canapé, près de la cheminée. Plus dans la chambre. Je ne peux plus. C'est une torture que de dormir seul dans un lit constamment froid. C'est une torture que de poser sa tête sur un oreiller qui n'est pas le nôtre. C'est un supplice que d'espérer serrer contre soi le corps de l'être aimé. C'est un calvaire que de se réveiller seul.
Je ne peux plus supporter ça. Je n'y arrive pas, ça me rend juste...fou. Ne le suis-je pas déjà assez ? Plus les jours passent et plus j'ai l'impression de sombrer dans l'aliénation. D'entendre des voix ici et là. De sentir des caresses contre ma peau le soir quand je ferme les yeux. Mais même les yeux fermés, je vois son visage. Je vois son corps. Je vois Basile comme s'il était encore là. Son fantôme me hante tant je l'ai dans la peau.
Dans la chambre, il y a des photos. Au mur, sur la bibliothèque, sur le bureau. Des photos de nous. Des photos de lui. Des photos de moi. Je me reconnais à peine dessus. J'ai l'air si...heureux, mais je ne me souviens pas de quand exactement on était prises ces photos. J'ai oublié. C'est ça. J'ai balayé les souvenirs heureux de Basile. Je les expulse un par un dès que j'en trouve dans ma tête. Je ne veux pas me souvenir. Je veux oublier. Je veux oublier avoir connu quelqu'un comme lui. Je veux oublier l'avoir aimé. Je veux oublier l'avoir caressé, l'avoir touché, l'avoir embrassé. Je veux tout oublier concernant ce garçon aveugle que j'ai rencontré la première fois au détour d'une gare.
Je veux partir. Le plus vite et le plus loin possible d'ici.
Je veux m'en aller.
Je veux tout abandonner.
Tout laisser derrière.
Et je vais le faire. Mon sac est prêt.
- Je m'en vais Basile. C'est ici que nos chemins se séparent. C'est ici que tout prend fin. C'est ici que toi et moi....Non....Que je...
Mais je n'y arrive pas. Je m'effondre, genoux à terre, en sanglot avant même d'avoir pu finir ma phrase. Je ne m'y résous pas. Lui dire au revoir, je n'y arrive pas. Le quitter m'est impossible. Je préfère me faire torturer que de devoir tourner le dos à tout ça.
"Joyeux Noël Gabriel."
Parfois encore, j'entends sa voix. Elle est lointaine, mais elle là, quelque part, résonnant au fond de mon cœur.
Je suis à vingt mille lieues perdu sans ses yeux, sans sa voix, sans sa main. Sans lui.
Je suis perdu sans lui.
Je n'arrive plus à donner de sens à ma vie.
- Joyeux Noël à toi aussi Basile.
Dis-moi, est-ce qu'un jour on se retrouvera ? Une vie entière me paraît être une éternité, sauras-tu m'attendre ? Saurais-je patienter jusqu'au dernier moment pour t'avoir de nouveau auprès de moi ? Je ne sais pas. J'ai comme arrêté de réfléchir le jour où l'on m'a dit que tu n'étais plus là.
J'aimerais tant, mais tant revenir à ces jours heureux qui semblaient être tout à nous. J'aimerais tant, mais tant revenir à ce soir à la rivière. Si je n'avais pas eu ce foutu accident. Si...Si je n'étais pas resté coincé avec le frein de ce fichu fauteuil...Si tu n'avais pas été là...Alors, tout aurait été différent, tu ne crois pas ?
"Et si tu ne t'étais pas réveillé depuis ce jour-là Gabriel ?"
C'est drôle comme je pense à Michael maintenant. Est-ce bien nécessaire de me torturer l'esprit avec ce genre de pensées ? De toute façon, qu'est-ce que ça peut bien changer ?
Rêve ou réalité. C'est un cauchemar sans nom. Sans fin. Un de ceux qui vous semblent si réels, qui vous effraie et vous paralyse. Un cauchemar...Ce n'est que ça.
Je vis un véritable cauchemar.
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