Chapitre I.

Une puanteur de viande cramée empestait les lieux, l'air en devenait pratiquement irrespirable. J'essuyai mes larmes sèches d'un revers de main et me pinçai légèrement l'arrête du nez. L'odeur de mort qui enivrait me donna la nausée. Je fus prise par un haut-le-coeur et mes tripes dévalèrent à toute vitesse, finissant leurs chutes sur le sol. Quand je m'essuyai la bouche à l'aide de ma manche, quelque chose m'interpella. L'homme qui était au loin était accroupis, devant une personne inanimée. Et je vis, avec horreur, que ce n'était pas la seule personne. Partout autour de moi, des cadavres éparpillés, des membres arrachés par ci et des flaques de sang par là. Sans que je m'en rende compte, les larmes avaient pris possession de mes joues pour la deuxième fois.

C'était un vrai cauchemar, ma vision se brouillait. C'est à cet instant que je me rendis compte de l'ampleur des dégâts. Il n'y avait pratiquement pas de survivant. Un soudain mal de crâne arriva, et je me massais l'arrière du crâne. Je sentis du liquide sur mes mains, et en regardant, je m'aperçus que je saignais. J'avais dû me blesser lors de ma chute sur le sol. J'espérais que la plaie n'était pas trop profonde, pour que cela ne s'infecte pas. J'avais également une deuxième blessure, ma jambe, dont mon cerveau refusait de faire bouger.

L'homme arriva à ma hauteur, et s'accroupit devant moi. Lui aussi était bien amoché. Il avait une plaie, dont le sang était séché, sur la joue droite. Son visage était recouvert de crasse et ses cheveux de poussière. À cet instant, je me demandai à quoi pouvais-je bien ressembler. Il posa une main sur le débris et me regarda.

- À trois, je vais lever cette chose et tu dégageras ta jambe, d'accord ?

J'hochai la tête pour montrer mon approbation. Il disposa ses mains de part et d'autre de ce vieux débris rouillé, et il se mit à compter. Un.., deux.., et trois ! Il souleva l'objet avec le peu de force qu'il lui restait et je l'entendais souffler entre ses dents. Cependant, quelque chose n'allait pas. Même sans le débris sur ma jambe, je n'arrivai pas à bouger cette dernière.

- Je.. je n'arrives pas.. à bouger ma jambe.

Il reposa le débris tout en jurant dans ses moustaches. Il se massait le menton, comme s'il réfléchissait à une éventuelle solution. Soudain, une sorte de lueur traversa ses yeux et il se releva.

- Bouge pas, je reviens.

Je sentis mon cœur se compresser dans ma cage thoracique. Il était évident que je n'allais pas bouger, puisque les circonstances ne me le permettaient pas. Il m'adressa un regard désolé avant de tourner les talons. Je soupirai, totalement angoissée à l'idée de perdre ma jambe. Survivre ne faisait pas partie de mes domaines et survivre avec une seule jambe, encore moins.

L'homme, sûrement âgé d'une vingtaine d'années, revenait les bras chargés par des bâtons, et ce qui semblait être une trousse de secours. Je ne pouvais pas rêver mieux, non seulement ma jambe allait être libérée – enfin, si tout ce passait bien -, et je pourrais être soignée.

- Bon, espérons que cela fasse l'affaire.

Ses mains reprirent possession de l'épave, qu'il souleva au bout de trois. Il vint placer des bouts de bois, de sorte à ce qu'ils tiennent la carcasse, le temps que ma jambe soit libérée. Il posa délicatement ses mains sur ma jambe et la poussa, de façon à ce qu'elle ne soit plus sous le débris. Quelques secondes plus tard, les bouts de bois s'écroulaient sous le poids de ce vieux tas de rouille.

- Voyons voir ça.

Il souleva mon jean afin d'ausculter ma jambe. Je me redressai un peu plus, pour voir à quoi elle ressemblait. Elle était plutôt bien amochée, plusieurs plaies étaient visibles, ainsi que des bleus et du sang.

- Bon, ce n'est pas très beau, mais a vu d'œil, ça n'a pas l'air cassé. Tu peux essayer de bouger ?

Je me concentrai, du mieux que je pouvais. Il fallait que ma jambe réponde à l'appel. Mais en vain.. L'inconnu attrapa sa petite boîte rouge, d'où il en sortit une aiguille.

- Heu, attends.. tu vas faire quoi là ?

Je déglutis, les aiguilles ce n'était pas vraiment mon truc. Il piqua à plusieurs reprises ma jambe, me faisant lâcher des petits bruits de douleur.

- Bon au moins, tu ressens la douleur, donc tout va bien.

Je soupirai de soulagement, au moins, elle était toujours vivante, si on peut dire ça comme ça. Il prit mes mains, et m'aida à me relever. Je trébuchai en avant, mais le garçon me rattrapa de justesse. J'avais du mal à trouver l'équilibre avec tout mon poids sur une seule jambe. Je passai une main derrière sa nuque et m'appuyai contre lui. Il m'aida, du mieux qu'il pouvait, à marcher.

- On cherchera des trucs utiles plus tard, pour l'instant, on va chercher un coin tranquille, pour que tu puisses te reposer.

J'hochai la tête et le remerciai intérieurement. On marchait à travers les corps, à peine reconnaissable, et j'eus un sentiment de tristesse. On s'aventura dans une forêt, où l'air était un peu plus frais, malgré la forte chaleur qui nous entourait. Au loin, on pouvait voir une plage et la mer s'étendre à perte de vue.

J'étais assise sous des palmiers, à l'abri du soleil et j'observai la mer, qui était très calme. Le blond – j'avais aperçu quelques mèches blondes grâce au soleil -, était derrière moi, en train d'examiner la plaie à l'arrière de mon crâne.

- Je ne suis pas médecin mais je vais essayer de désinfecter la plaie, et faudra surveiller, pour pas que ça s'infecte d'accord ?

J'acquiesçai, il n'était peut-être pas médecin, mais pourtant il avait tout de même réussi à me sauver. Comme quoi, connaître les bases, ça peut toujours servir. Il prit un coton imbibé d'alcool forte et s'apprêta à me le passer sur ma blessure :

- Je te conseille de mordre dans quelque chose.

J'apportai mon bras à ma bouche, et mordis de toutes mes forces. La douleur était violente, assez pour qu'une larme s'échappe de mon œil. Je m'étais mordu jusqu'au sang, comme si je n'avais pas déjà assez saigné pour aujourd'hui.

- Merci.

Le remercier était la moindre des choses, après tout ce qu'il avait fait pour moi. Il se mit devant moi en souriant, tapotant ses doigts sur ma jambe droite.

- Toujours rien ?

Je forçai toujours, et un sourire pris place sur mon visage quand je sentis mes orteils bouger. J'arrivai à les remuer doucement, et ça, c'était suffisant pour me redonner de l'espoir.

- Je peux bouger mes orteils ! M'exclamais-je.

Il souriait lui aussi, semblant content pour moi. Il attrapa deux branches de bois à côté de lui, et les tendit vers moi :

- Sert toi-en comme béquilles, le temps que tout fonctionne. On va voir si on peut trouver de quoi vivre.

Il s'appuya ses jambes et se levant, en tendant une main pour m'aider à me lever. Je plaçais les morceaux de bois sous mes aisselles, ce n'était pas vraiment confortable et un peu trop petit, mais cela faisait l'affaire.

On retourna à l'épave de l'enfin, il n'en restait pas grand-chose. Quelques valises étaient disposées ici et là ; on espérait trouver des choses qui pourraient être utiles à notre survie.

- Je vais dans ce coin-là. Lançais-je par-dessus mon épaule à l'intention de l'homme.

Il acquiesça et partit à l'opposé, commençant ses recherches. Je me déplaçai, lentement mais sûrement, à l'aide mes béquilles d'or dans le coin que j'avais moi-même choisi. Je m'approchai d'une valise et lâchai un cri de terrer en voyant un bras inarticulé juste à côté de celle-ci. Je priais pour la personne, propriétaire de ce bras ; c'était une vision affreuse, qui allait sûrement être l'une des sources de mes cauchemars.

J'attrapai la valise et l'emmenais un peu plus loin. En l'ouvrant, je découvris quelques affaires, qui pourraient bien m'être utile, étant donné que je ne compte pas séjourner ici dans les mêmes habits. Je vérifiai la taille, une taille en dessous de la mienne, ça devrait le faire, surtout que je risque de perdre du poids, si je ne mange rien pendant plusieurs jours. Il y avait également une trousse de toilettes, avec plusieurs accessoires dedans, dont des petits flacons de tahiti douche, ainsi qu'une brosse et une brosse à dents. Cette dernière ne m'intéressait guère, avoir la salive de quelqu'un d'autre dans la bouche, non merci, car elle semblait assez usagée.

Une autre valise un peu plus loin, je trouvais des vivres. Enfin, plutôt des sachets de bonbons et des tablettes de chocolat, pas de quoi crier victoire. Mais c'était toujours mieux que rien, en même temps, il fallait s'en douter. Qui, pendant un séjour, emmènerait des boîtes de conserve ou des surgelés ?

 L'inconnu, dont j'ignorais encore totalement son nom, revint vers moi, les bras chargés, et traînant une valise derrière.

- J'ai trouvé de la nourriture, quelques fringues et de quoi faire la toilette.

Il regarda ma fouille, et constata que je n'avais trouvé à peu près les mêmes choses que lui.

- J'ai également trouvé ça.

Il sortit deux fusées de détresse de sa poche arrière. Cela allait sûrement pouvoir nous aider, encore faudrait-il qu'un avion ou un hélicoptère passe par ici. Je levai la tête afin d'admirer le ciel, sans aucun nuage, et aucune trace d'engin volant à la ronde. 

De retour au campement, le blondinet envisagea de faire un feu. Assise par terre j'étais sa spectatrice, impatiente de voir comment il allait s'y prendre. Il avait déjà tout préparé, une zone délimitée d'environ deux mètres de rayon sans rien autour, plusieurs types de bois, du petit bois et du gros bois, ainsi que des brindilles.

- Tu n'aurais pas un bout de papier sur toi ?

Je fouillai mes poches et trouvai mon billet d'avion, en mauvais état.

- Ça fera l'affaire ?

Il me fit un signe de la tête, attrapa le billet et prépara son feu. Il déposa la feuille sur un tas de pierres, puis il mit plusieurs brindilles autour, ainsi que des tiges de ronces et des pommes de pin. Puis il frotta un bout de bois contre deux grosses pierres. Après de très longues minutes d'acharnement, le feu prit vie, les flammes dansaient déjà sur le bois. J'applaudissais, fière de lui. Je me demandai où avait-il appris à faire ça, mais je gardai mes questions pour moi.

Je passai mes mains sur mon visage crasseux et je soupirai.

- Je crois qu'une douche s'impose.

Il me regarda en souriant puis il commença à enlever son haut. Immédiatement, je tournais la tête, légèrement gênée. Quelques secondes plus tard, j'entendais quelqu'un rire, et je constatai que c'était lui, s'amusant dans l'eau.

- Tu devrais venir. Elle est bonne crois-moi !

L'océan ne m'attirait pas plus que ça. Je n'avais pas peur de l'eau, non, c'est juste le fait de me retrouver avec des poissons ou des méduses.. ça j'adhère pas vraiment. Mais il me fallait vraiment un nettoyage, car là, je devais ressembler strictement à rien. Je me levai d'un pas hésitant, puis je me dirigeai vers la mer. J'enlevai mon pantalon, en prenant soin de garder mon haut, et touchai du bout des pieds la mer. Le contact froid me procura un frisson, puis finalement, je me jetais à l'eau. Je ressentais une douleur au niveau de la jambe droite, mais je n'en prenais pas compte.Je passai la tête sous l'eau tout en frottant mon visage et je le vis faire la même chose.

Une fois la tête hors de l'eau et nettoyée, je lui posai enfin la question qui me brûlait les lèvres.

- Au fait, c'est quoi ton nom ?

Il s'approcha de moi, et je pus reconnaître ses traits, qui étaient dissimulés derrière toute cette crasse. Ses iris étaient d'un marron foncé, pratiquement noire et ses cheveux étaient blond cendré.

- Thomas. Et qui est l'inconnue dont j'ai sauvé la vie aujourd'hui ?

Quand il prononça le mot sauvé, je repensai à ma jambe, qui au contact de l'eau, me faisait assez mal, c'était sûrement dû aux plaies, rien d'inquiétant.

- Cassia Torres. Encore merci.

En prononçant mon nom, je me rendis compte qu'il n'avait pas prononcé le sien. Plus je fixai son visage, et plus j'avais l'impression qu'il m'était familier.

- Attends.. on s'est pas déjà rencontré ?

Il me dévisagea en fonçant les sourcils.

- Non, pas que je sache.

J'avais dû le confondre avec quelqu'un d'autre, mais pourtant j'avais cette impression de déjà vue. Il se mordit la lèvre et c'est là que je compris enfin. Je n'avais jamais rencontré ce gars, non. Je l'avais déjà vue, certes, mais à la télévision.

- Thomas Sangster ? Me risquais-je à demander.

Il hocha la tête, c'était évident, il s'agissait bien de lui. J'avais mis tout de temps pour le reconnaître. Toutes les pièces du puzzle rentraient dans l'ordre, le feu et les premiers soins, c'était sûrement grâce à son tournage de son film le Labyrinthe.

- J'y crois pas.. marmonnais-je.

Il rigola, et j'avais l'impression que ça faisait une éternité que je n'avais pas ri ; alors je me joignais à lui, et nos rires ne faisaient plus qu'un.

Mes vêtements étaient prêts du feu, dans le but de sécher. J'étais en train de savourer du chocolat, et une banane que Thomas avait déniché dans un bananier. Il mangeait comme s'il s'agissait de son dernier repas, et il avait bien raison. Dans une telle situation, on ne pouvait pas savoir si demain nous serions toujours là. Mourir ici n'était pas ma plus grande peur. Ma peur, c'était de rester ici une éternité, et de perdre totalement la boule.

Je soupirai et pensais à la vie que je menai encore hier.

- Tu penses à quoi ?

Je tournai la tête vers lui, il jouait avec ses doigts, à présent que son repas était fini et totalement engloutis.

- Juste a la vie que je menais hier. Moi dans mon appartement, avec mon chat.. et mon pot de nutella.

C'était sa ma vie d'avant. Travailler, regarder la télé, être avec mon chat, et manger du nutella. C'était devenu un rituel.

- Ce n'est pas très intéressant. J'imagine que toi tu devais faire plein de choses.

Il passa une main dans sa chevelure, avant de reporter son attention sur moi.

- J'étais très occupé, c'est vrai. L'avantage de cet accident, c'est que j'ai des vacances.

Il n'avait pas tort, même si je n'avais pas besoin de vacances. Mais pour quelqu'un comme lui, je me disais que cela devait lui faire du bien, un peu de répit, si on oublie les circonstances. Même si Thomas était un acteur, - que j'appréciai beaucoup au passage -, je le considérais comme un simple être humain entrain de survivre.

Je m'allongeai en boule, prête à tomber dans les bras de Morphée. Je me disais que même si c'était atroce et que j'avais beaucoup de chance de m'en être sortie, il fallait que je reste forte, pour moi et pour ceux qui n'ont pas survécu.


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