48. Angra
Son beau visage m'appartient. Je suis le seul à avoir le droit de le caresser. Il est à moi et à personne d'autre... personne... – Journal intime du premier Aar'on –
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Angra n'était pas une simple planète. C'était avant tout un organisme vivant. Le magma, son sang, jaillissait à sa surface à travers chacune de ses blessures. Sa peine se déversaient en de violents orages d'acide et de souffre. Sa topographie torturée, un physique difficile, ne laissait personne indifférent. Boule de feu incandescente parcourue de veines hirsutes, elle brillait dans l'infini comme une minuscule étoile. Sa rage se trahissait autant par ses explosions volcaniques intarissables que par l'espèce à laquelle elle avait conféré l'existence. Pendant des millénaires, les Ashtars s'étaient développés dans cet enfer jusqu'à atteindre leur forme définitive, une apparence parfaite qui leur permettait de résister à toutes les situations et de dominer toutes les créations de l'univers. Leurs nombreux membres autorisaient tous les crapahutages. Leurs ailes massives leur permettaient de traverser de longues distances. Leur peau presque impénétrable les protégeaient d'une faune presque aussi violente qu'eux. Leur résistance à la chaleur, leur intelligence supérieur... en tous points, ils s'étaient adaptés à leur environnement, jusqu'à le dominer.
Si Angra était un monstre, eux étaient pires encore. Et leur roi, le Bottel'ron, les dominait tous.
Immense, trapus, le corps recouvert de pics, sa peau rouge brune et orangée drapée de noir et de jaune, sa gueule colossale, ses yeux injectés d'un sang verdâtre, sa bille sombre qui jaillissait et s'écoulait de tout son être... Simplement croiser son Regard produisait milles douleurs. La mort elle-même était un sort plus enviable que de tomber entre ses mains. Le défier était la pire folie, l'expression même de l'inconscience.
Ce qui était justement le terme définissant le mieux les deux amoureux qui se tenaient devant l'ignoble.
Rhabillé, Kili'an avait simplement laissé glisser ses doigts dans la paume de l'Aar'on. Il n'avait pas peur. Ensemble, ils pouvaient tout faire. Ils étaient destinés à se battre l'un à côté de l'autre, à triompher main dans la main ou à périr enlacés.
Songeur, le Bottel'ron avait observé ces deux insensés. Puis, les invitant à le suvire, il s'était avancé au fond de ses appartements jusqu'à la grande terrasse qui surplombait du haut de sa montagne les plaines et vallées d'Angra.
Tournant le dos à ses visiteurs, il observa le paysage. Son paysage. Celui qui représentait le mieux les tourments et la laideur de son âme. Même le Bottel'ron pouvait soupirer. Il ne s'en priva pas.
Rarement il avait pu exprimer sa colère. Cette déferlante en lui expliquant toutes les guerres. Sa haine du genre humain. Pour la première fois de son existence, il fit l'honneur de révéler les tourments de son être à ses invités, les yeux fixés sur sa propre main. C'était l'ultime cadeau qu'il consentait à leur faire avant de leur ôter la vie, de dévorer leurs cadavres et de mettre un point final à cette histoire.
– Vous devez trouver ce monde laid ou effrayant, n'est-ce pas ? Comme tout ce que vous ne comprenez pas. À force de juger avec vos yeux et de penser avec votre cerveau rachitique, vous en êtes venu à polluer votre esprit de mots inutiles. Le bien, le mal... Ce ne sont que des concepts inventés par les hommes pour justifier leurs exaltations. Le beau, le laid. Le fort, le faible. Le juste, l'injuste. L'espoir, la peur... Vos sentiments causeront votre perte et celle de votre Fédération. Une seule vérité importe. Vivre et mourir. Tuer ou être tué. Dominer ou être dominé. S'étendre ou disparaitre. La morale n'a pas d'existence propre ni d'intérêt. Aujourd'hui, je vais vous détruire et assurer la survie de mon espèce. Ne croyez pas que vous vous êtes retrouvés là par malice ou par intelligence. Il n'en est rien. Je vous ai tous les deux laissés venir à moi pour enfin obtenir ma vengeance. Je la désire depuis si longtemps, depuis qu'un petit brun vaniteux ait osé se mettre en travers de mon chemin et chercher à me détruire. Vous n'aurez pas de tombe. Vous disparaitrez simplement de cet univers, et votre amour soi-disant éternel ainsi que votre arrogance avec vous.
Loin d'être effrayé, l'Aar'on n'avait fait que serrer de plus en plus fort la main de son bien aimé. Cette déclaration lui donnait envie de rire. Lui aussi était venu en finir. Le front fièrement levé et les yeux brulants d'une colère infinie, il adressa à son tour à son ennemi intime le discours de toute sa haine :
– J'ai longtemps cherché le sens de mon existence. Je l'ai trouvé dans les yeux verts de cette merveilleuse créature qui se tient à mes côtés. Si je vis, c'est pour lui, pour façonner un monde dans lequel il pourra être heureux, sans mal ni méchanceté. Tel est mon projet, aussi celui de tous mes prédécesseurs depuis le premier à avoir porté mon nom. Je débarrasserai son chemin de tous les monstres s'y trouvant, les uns après les autre, jusqu'à ce qu'il puisse connaître un bonheur véritable. Je me fous des concepts inventés par les Hommes. Le bien, la force, le juste... Je n'en reconnais qu'un seul, le plus beau de tous. Celui qui scellera ton destin et causera ta mort. Celui qu'un monstre de ton espèce ne pourra jamais comprendre. Tu mourras terrassé par lui. L'am...
– Aa'chouchou... – le coupa le jeune blond en levant frénétiquement sa main libre.
– Kili'an, ne m'interrompt pas, s'il te plait. C'est sérieux, là. C'est le moment super important des deux discours avant l'affrontement final. Il faut absolument que j'ai l'air le plus classe possible, c'est pour la légende après.
– Oui mais...
– Mais quoi ?
– Quand est-ce qu'on commence à se battre ? C'est chiant, là ! Ça fait des plombes que ça dure... On n'est pas venu pour discuter, quand même ?
– Nous, vous êtes venu pour mourir... – s'autorisa le Bottel'ron.
– TOI, LE MOCHE, TA GUEULE ! – s'énerva le blond. J'parle à mon homme, viens pas nous faire chier ! Déjà qu'on a poliment écouté ta logorrhée sans moufter, ça serait sympa de nous foutre un peu la paix pendant qu'on cause !
– Mais... Kili... – tenta de le raisonner le brun. T'énerves pas... On va se battre, hein, c'est prévu. Mais c'est important quand même que je dise que je fais tout ça par amour pour toi, tu comprends ? Parce que c'est l'amour qui va nous permettre de gagner, quand même...
– Tu te rends compte que tu parles comme un héros de mes mangas, là ? Enfin, je ne sais pas si tu réalises à quel point c'est cliché et ridicule de dire ça...
– Mais... bichon... C'est la vérité pourtant... On s'aime, non ?
– Non mais oui on s'aime, mais de là à le crier sur tous les toits, on n'est pas des adolescentes non plus, hein. On va gagner avant tout parce qu'on va lui poutrer la gueule, au grand méchant. Après, par quel trou ça passe, c'est notre cuisine interne ! De toute façon, il en a rien à foutre de savoir, il va clamser d'ici vingt minutes...
– Oui, enfin... On n'a pas encore gagné, hein...
– Ça, je confirme... – soupira le Bottel'ron . Techniquement...
– TOI, TA GUEULE ! – crièrent en même temps les deux amoureux.
– Bref, je disais... – poursuivit le blond, avant de se prendre une monumentale baigne en pleine gueule.
– Techniquement, donc... – compléta l'Ashtar après ce petit intermède violent. J'ai six bras et ils sont tous aussi massif que chacun d'entre vous deux, donc c'est vous qui risquez de morfler le plus. Sinon, je suis d'accord avec le moustique, je pense qu'on a assez discuté et qu'on peut passer aux choses sérieuses.
Ça, être comparé à un insecte, Kili'an n'aimait pas du tout. Non seulement, le monstre était ordurier, mais en plus, il avait osé toucher à son magnifique visage ! Celui-là même qu'il avait entretenu avec soin pour faire plaisir à son brun. C'était la provocation de trop. Il laissa éclater son RP Chlorophyli. Ce dernier enveloppa tout son corps et transforma sa ©Végéscratach en de multiples lames voletant tout autour de sa personne et de son fleuret. Jamais ses yeux n'avaient brillé d'une telle intensité verte. Jamais l'adolescent ne s'était sentit aussi déterminé. Le méchant allait voir ce qu'il allait voir.
De son côté, l'Aar'on libéra immédiatement son Vortication, créant une sorte de bulle autour de la terrasse où se déroulait le combat. Personne ne pouvait entrer, personne ne pouvait sortir. Sa domination sur tout ce qui existait se faisait presque totale. Le Bottel'ron dut reculer d'un pas, gêné par cette force et cette volonté qui le dépassaient. Pourtant, il en fallait bien plus pour le faire flancher. Sa propre rage le protégeait et lui permettait de rester debout. Il rigola. Ces Humains, au final, étaient de bien frêles et fragiles créatures. Près de cinq fois plus grand qu'eux, il les voyait comme de simples vermines qu'il pouvait écraser du plat du pied. À son tour, il concentra toute son énergie autour de ses globes oculaires. De minuscules éclairs semblèrent en sortir. Le tonnerre s'en échappa. La douleur foudroya sur place les deux adolescents qui lui faisaient face.
– Souffrance. C'est le nom de mon Regard Particulier. Il me permet de réveiller en même temps toutes les blessures qu'un corps et un esprit ont déjà subies. Il vous plait ?
Si face à un tel pouvoir, l'Aar'on dut mettre un genou à terre et se tenir le cœur, Kili'an s'effondra dans une mare de sang. Toutes ses plaies s'étaient rouvertes. Toutes les souffrances qu'il avait accumulées au cours de ses missions, tous les coups qu'il avait pris, toutes les lames qui l'avaient transpercé, toute la peine et la frustration qui avait été la sienne. Tout ressortit d'un seul coup et le plaqua au sol. Il mourrait sur place.
Sans plus attendre, le Légitime se jeta vers lui. Ce fut sans compter sur le Bottel'ron qui fit barrage à l'aide de son propre corps et qui attrapa l'Humain aux cheveux noirs par le cou. Riant à gorge déployée, le monstre serra d'une main et tapa de toutes les autres. Voir son plus grand adversaire souffrir sous ses coups était son ambroisie, sentir ses larmes couler et se mélanger à son hémoglobine, le plus délicieux de tous les nectars. Oter la vie au maître de la Fédération le faisait se sentir vivant. Voir l'âme de cet adolescent quitter peu à peu son corps chétif le galvanisait de plus en plus. Hurlant de joie, il cogna de plus en plus fort, jusqu'à ce que la folie s'imprègne de toute son âme. Sous ses assauts répétés et frénétiques, le sang de son ennemi jaillissait sur son visage et son torse et se mélangeait au sien.
Au sien ?
C'était étrange. Le monstre s'interrogea. Pourquoi saignait-il alors qu'il n'avait jusqu'alors reçu aucun coup ? Et pourquoi une lame avait traversé son dos pour ressortir au milieu de son ventre ? Pourquoi avait-il d'un seul coup horriblement mal, comme si son corps était transpercé par des milliards d'aiguilles ? Tournant sa tête au-dessus de son épaule, l'explication lui apparut sous les traits d'un jeune garçon aux cheveux blonds et aux yeux verts.
– TOUCHE-PAS À MON COPAIN !
Malgré toutes ses blessures, Kili'an s'était relevé et avait enfoncé son fleuret dans la chair de son ennemi. Sa combinaison était en lambeau, sa peau aussi. Au milieu de son visage recouvert de sang brillaient deux petites émeraudes. L'espace d'un instant, l'univers se mit à tourner autour. Il haletait et pourtant, il se battait. Sa volonté avait surpassé la Souffrance.
Le Bottel'ron se recula d'un pas et lâcha la proie qu'il avait entre les mains. Il ne comprenait pas d'où lui venait cette intense douleur, lui qui n'en avait jamais vraiment connu. Comment un misérable Humain, en un seul assaut, avait-il pu lui faire poser un genou à terre ?
Cela, Kili'an s'en fichait complètement. Sa priorité était de se jeter au cou de son homme pour lui léguer son souffle de vie. Lèvres contre lèvres, le jeune blond pleura et gémit jusqu'à ce que le brun entrouvre les yeux. Un sourire paisible sur son visage défiguré, ce dernier murmura une ultime question.
– Kili... Est-ce que tu m'aimes ?
– Oui... OUI... OUI ! – hurla son camarade de toutes forces. Oui je t'aime ! Depuis le premier jour, depuis notre rencontre et ce à chacune de toutes les existences que nous ayons vécu. Je t'aime...
– Moi aussi... Je t'aime, Kili'an... – répondit le brun dans un murmure.
Il était heureux, tout simplement. Maintenant, il pouvait partir en paix. Il ne lui restait plus qu'une seule chose à accomplir. Du bout de l'index, il montra ses cuisses.
– C'est tout ce que mes forces me permettent encore de t'offrir... Accepte en toi mon dernier présent. Détruisons le Bottel'ron une bonne fois pour toute...
Embrassant son homme sur le front, Kili'an sourit à son tour, puis présenta sa croupe au jeune brun. Une intense chaleur le parcourut immédiatement. Une explosion de lumière enveloppa tout Angra et se propagea aux profondeurs de Soljamine. Les blessures n'avaient plus d'importances, plus de réalité. Ventre contre ventre, le soldat et son maître partageaient ensemble le plus intense de tous les moments. Plus rien n'existait autour d'eux sinon les ondes causées par l'intensité de leur accouplement. La Résonance, la vraie, aussi folle que le racontait les légendes... Une Résonance d'amour pur. Une où l'Aar'on avait finalement accepté ce qu'il était vraiment et où le Kili'an recevait dans tout son corps l'expression d'une folle passion. Les deux adolescents n'avaient pas besoin de mots pour vibrer à l'unisson. Les Regards se croisèrent. Nigatruo apparut dans le ciel, plus massif et imposant que jamais.
– NOOOOOOOOOOOOON – hurla le Bottel'ron, une main tendue vers ses adversaires. JE NE VEUX PAS RETOURNER LA-BAS !
– Oh non... Nous n'allons pas te bannir à nouveau en deux morceaux... – murmura Kili'an en serrant son homme dans ses bras. On va te détruire...
L'Ashtars eut beau gueuler et supplier, rien n'y fit. La pression exercé par Nigatruo le déchiqueta sur place et désintégra ses restes. Ses derniers cris de rage et de haine se dispensèrent en poussière dans l'espace. À sa suite, Angra sembla se désagréger. Le trou noir libéré par la Résonance des deux adolescents avalait tout sur son passage. Pourtant, rien ne semblait pouvoir stopper leur union charnelle. Pour eux, plus rien n'importait que de s'aimer une dernière fois, avec la plus grande des intensités. Ce qui arriverait dans Vojolakta ne semblait plus les concerner. D'autres Aar'on et d'autres Kili'an prendraient sans doute le relais et perpétuerait à jamais leur amour. Ils étaient bien. Ils étaient heureux.
– Attrape ma main !
Une voix claire sortit le blond de sa transe. Elle appartenait à Gabri'el. Tout autour de lui se disloquait. Le monde s'écroulait.
Le châtain n'était que le dernier maillon d'une chaîne formée par tous ses amis. Au-dessus de sa tête, Kili'an aperçut un vaisseau qui planait. Sur le côté était inscrit son nom. « Swinton 2 ». De l'appareil, plusieurs personnes s'étaient accrochées les unes aux autres jusqu'à l'atteindre. Yun'ah, Mart-1, Link'o et même Clé'a. Et bien sûr, Gabri'el
– Prends-ma main bordel ! Angra va exploser d'une minute à l'autre !
Kili'an hésita. Il ne voulait pas quitter celui qu'il aimait.
– Je dois rester avec mon Aar'on. C'est là qu'est ma place...
– La mort n'est pas le monde qu'il a souhaité pour toi ! Rha, puisque c'est comme ça, c'est moi qui t'attrape !
Un sourire aux lèvres, le brunet ricana. Finalement, Gabri'el avait tenu sa dernière promesse, celle de venir sauver son bien aimé quand tout serait fini. Et pourtant, ce dernier s'accrochait encore à ses bras, même si Nigatruo avait commencé à tout aspirer et même s'il planait à présent au-dessus de son corps. Très rapidement, le jeune blond n'eut plus que la main de son maître comme accroche. Leurs deux bras tendus les reliaient, Aar'on plaqué au sol d'une planète en fin de vie, son Kili'an dans les airs, attiré par un trou noir avec tous ses amis.
– Il est temps de se quitter, Kili'an. Lâche-moi, et vis heureux...
– Non... non... NON ! Reste avec moi ! Ne m'abandonne pas ! Je t'aime... Je ne veux pas te perdre...
– Tu ne me perdras pas. On se retrouvera, un jour, forcément. Nigatruo t'appelle. Ton frère t'attend... Va, je t'aimerai toujours.
Les rires avaient laissé places aux larmes. Les gouttes volaient autour des deux adolescents en de multiples sphères pures et parfaitement rondes. Les adolescents se regardèrent en pleurant. Leurs deux mains glissèrent l'une contre l'autre. Les paumes s'éloignèrent. Il n'y eut bientôt plus que leurs doigts en contact, puis le bout de leurs phalanges, puis plus rien.
Avec tout son équipage, Kili'an se retrouva avalé par l'immense trou noir. Derrière eux, l'énorme masse se referma puis alla sommeiller à nouveau au centre de leur galaxie, en arbitre de la gravité. Emporté, le jeune blond ne put qu'apercevoir Angra exploser au loin. Une dernière fois, il hurla.
– AAR'ON !
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