47. Le Swinton


Kili'an est tout, je ne suis rien, aujourd'hui comme demain. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas faire la vaisselle quand c'est son tour – Journal intime du premier Aar'on –

*****

– Notre arrivée sur Angra est prévue d'ici quelques heures. Êtes-vous bien sûr de votre stratégie ? C'est une mission suicidaire, il n'est pas trop tard pour reculer.

Ainsi furent les dernières paroles prononcées par l'intelligence artificielle du Swinton, avant que l'Aar'on ne l'éteigne à tout jamais. Oui, il avait confiance en son plan. Les dernières révélations de Gabri'el lui avaient fait prendre conscience de son rôle. Longtemps, il avait cru que le seul but de son existence était de régner sur l'univers. La vérité était toute autre. Il n'était né que pour aimer son Kili'an. L'aimer et libérer sa force, la seule permettant de sauver Vojolakta.

Il n'était pas le maître. Il n'était rien d'autre qu'un morceau de chair bouillonnant. Le comprendre l'avait apaisé. Ce n'était pas aux soldats de la Fédération de se battre pour lui, mais bien à lui de se battre pour tous les vivants qui lui faisaient confiance et qui croyaient en ce qu'il représentait.

À quelques détails près, l'avis de son petit blond se rapprochait du sien. Si pour lui, sauver tout le monde était la mission d'un véritable héros – ce qu'il était par ailleurs –, il n'avait pas accordé grande importance aux explications de Gabri'el. Trop compliquées pour ses petits neurones. Il n'avait pas besoin de savoir qui était le plus important dans le cadre d'une Résonance, et encore moins qu'on lui explique qui jouait le rôle de la clé et qui celui de la serrure. Tout ce qui comptait à ses yeux, c'était qu'un plus un fassent bien deux et que l'amour triomphe. Dit comme ça, cela paraissait forcément un peu béta. Pourtant, c'était ce à quoi il croyait sincèrement. Que la source de tous les pouvoirs réside en lui et non pas en son homme lui faisait une belle jambe. Dans les faits, cela ne changeait pas grand-chose : c'étaient toujours ses fesses à lui qu'il fallait écarter, et cela lui allait parfaitement bien. D'ailleurs, pendant tout le trajet, il avait exigé de répéter leur botte secrète, en bloquant naturellement leurs sensations respectives pour éviter de tout faire péter en chemin.

Car le plan, pour finir, était fort simple.

La victoire de prestige obtenue par la Fédération dans le système Solmanassé avait été au prix de très nombreuses pertes. L'armée était très clairement affaiblie. Même la retraite sur Narashim, si elle avait miraculeusement remonté le moral des troupes, ne changeait rien à la triste vérité. Le Bottel'ron et ses Ashtars contrôlaient à présent cent pour cent de Soljamine, leur espace natale. Ils étaient forts, puissants, organisés et combatifs. Même avec le reste de l'univers contre eux, la guerre était partie pour durer. L'Aar'on en avait pleinement conscience. La seule solution pour détruire la menace que cette espèce représentait pour le reste du vivant était de lui couper la tête et de tuer une bonne fois pour tout son maître. Même Kili'an était parfaitement d'accord avec son brun. Selon ses propres mots, il fallait zigouiller du Bottel'ron, et c'était à eux deux de le faire et à personne d'autre.

En reprenant Solmanassé, l'Humanité et ses alliés avaient aussi récupéré la maîtrise des principaux Vorticos. Toutes les routes leur étaient ouvertes. Sous le commandement de Jéro'èm, l'armée avait lancé son assaut sur Mithra et ce qu'il restait de Spenta, les deux lunes d'Angra. Le but avoué était d'en prendre le contrôle et de s'en servir comme marchepied pour les prochaines opérations. Ce n'était en réalité que de la poudre aux yeux. Le véritable objectif était de mobiliser un maximum de forces ennemies dans la bataille pendant qu'un minuscule vaisseau s'approcherait dans l'ombre de la planète ou résidait le Bottel'ron.

Ce dernier, aussi lâche que puissant, avait pour habitude de laisser ses principaux généraux briller sur le terrain. Il avançait toujours discrètement et intelligemment ses pions de son poste de commandement et n'en sortait que rarement entre deux batailles pour réaffirmer aux petits plaisantins de son espèces qui osaient le défier ou lui désobéir qu'ils ne connaîtraient jamais d'autre maître que lui. Son plus grand plaisir était d'exécuter directement les prisonniers et autres condamnés à morts, souvent après les avoirs pénétrés et déchirés intérieurement de ses dards.

Cette cruauté, Kili'an ne la jugeait pas. Chacun était libre de vivre une vie sexuelle débridée Et d'organiser son temps libre comme il le souhaitait. Lui-même, d'ailleurs, avouait à demi-mot qu'il n'avait pas toujours été très exemplaire en la matière. Mais il jurait que tout était la faute d'un certain brun dont il préférait taire le nom afin d'éviter de douloureuses représailles pour son arrière train. Par contre, le monstre avait osé garder captif son petit Benj'am et était la cause de ses souffrances. Ça, c'était impardonnable. Pire, Kili'an faisait de son cas une affaire personnelle. Pour vaincre cet adversaire, le plus terrifiant de tous, il n'y avait pas trente-six milles solutions : il fallait le déloger par surprise de son antre et le défier dans un face à face féroce. Le blond et le brun, main dans la main contre le Bottel'ron, c'était l'affiche du siècle. Sauf que personne d'autre qu'eux n'en profiteraient

À bord du Swinton, ils n'étaient que trois. L'Aar'on, son Kili'an et Clé'a. Se soumettant à la loi des vainqueurs, la Ztékoj avait accepté de mener ces deux-là jusqu'à l'endroit où se terrait leur adversaire. Le deal était simple. Elle poserait le vaisseau, donnerait ses dernières indications puis s'enfuirait aussitôt par ses propres moyens. Elle ne tenait pas vraiment à se faire tuer pour une guerre qui n'était plus la sienne. Et puis, elle avait promis de rejoindre au plus vite Gabri'el et son frère, mobilisés avec le reste de l'armée.

Kili'an n'avait pas voulu que son équipage le suive dans cette dernière bataille. Il n'avait pas souhaité que ses plus proches amis risquent leur vie à ses côtés. C'était avec son Aar'on et avec lui seul qu'il avait prévu de mettre fin à tout cela. Pour plaisanter, le blond leur avait dit qu'ils ne pouvaient que le gêner. Pour rire, Yun'ah avait organisé un bowling où son capitaine jouait tour à tour le rôle de la boule et des quilles.

Finalement, tous avaient accepté la répartition des taches proposée par le Légitime. Il fallait tromper l'adversaire en faisant croire à sa présence sur le terrain. L'armée avait besoin de chacun d'entre eux, même de Link'o afin que l'illusion soit parfaite. Gabri'el se grima en brun, Mart-1 se coiffa d'une perruque blonde, les autres restèrent à leurs côtés pour les protéger. Si, de près, ces accoutrements étaient ridicules, de loin ça passait bien. Le seul bémol fut le refus du robot comme de l'Humain de simuler une saillie ou gâterie en plein champ de bataille, comme l'exigeait la tradition. Le geste, fort, était connu comme la meilleure des provocations vis-à-vis de l'adversaire. De plus, les cris de plaisir d'un Kili'an galvanisait toujours les troupes. C'était vraiment dommage de devoir s'en passer, mais bon, c'était la vie.

Angra était en vue. Du hublot, le jeune soldat blond pouvait admirer ses nombreuses teintes rouges et brunes. En mode furtif, le Swinton pénétra dans l'atmosphère et s'entoura de feu. Avec son allure d'aigle aux ailles repliées et sa peinture métallisées, jaune et verte, le vaisseau avait fière allure. Pour la dernière fois, Kili'an en fit le tour. Il savait qu'une fois posé, il ne le reverrait plus. Ce morceau de métal, il l'avait aimé. Même s'il ressentait un immense vide par rapport à l'époque où son bébé grouillait de vie, toutes les pièces lui rappelaient d'intenses souvenirs. Le poste de pilotage, déjà, positionné au nez de l'engin. C'était là que l'adolescent avait réalisé ses plus belles manœuvres de surf sidéral et eu ses plus mirifiques carambolages. Derrière, c'était la grande salle à vivre, où tout le monde discutait tout le temps. Sur la gauche, les cuisines, et sur la droite, les douches, communes à tout l'équipage. Toute la partie arrière était réservée aux machines, et le sous-sol aux réserves. À l'étage, on trouvait les cabines. À l'avant celle du capitaine avec sa baignoire privatisée, son lit king size, sa niche et son étagère à manga. À côté et derrière, celles de tous les autres. Le placard de Mart-1, où on le rangeait après l'avoir mis sur la position off ; la chambre de Yun'ah, avec sa portière dorée à l'or fin : l'espace de Link'o et de ses nonos ; la piaule de Benj'am avec ses dessins d'enfants ; le bordel de Gabri'el où il entreposait tous ses dessins ; la penderie de Camill où ce dernier pouvait garder ses ©Végérobes ; la pièce où ils avaient foutu Ko'a et enfin, celle ou avait dormit Man'on. Tous avaient eu droit à leur petit endroit à eux. Tous avaient marqué à leur manière l'histoire du vaisseau. Leurs rires et leurs pleurs vibraient encore à travers les murs. En souriant, Kili'an se souvint de chacun de ses camarades, vivant ou mort. Puis, pour leur rendre hommage et histoire d'en profiter un petit peu avant l'atterrissage, il décida d'offrir sa croupe à son brun dans chaque pièce. Parce que merde, en tant que capitaine, ça restait son territoire. Il était normal qu'il le marque une ultime fois de ses douces phéromones. Même si, du coup, le faire dans le placard de Mart-1 n'était pas super confortable.

Enfin, le vaisseau se posa sur le sol bouillant d'Angra, dans une zone désertique aux températures particulièrement hostiles.

Voyant son cher Swinton s'enfoncer et se dissoudre dans la lave, Kili'an lâcha une petite larme. Lui-même, son Aar'on et Clé'a ne pouvaient survivre aux intenses températures de cette foutue planète que protégés par leurs ©Végéscratch et isolés à l'intérieurs de leurs sphères focales.

Rapidement, le jeune blond frotta ses yeux pour les sécher. Il était inutile de s'apitoyer. Ce sacrifice faisait partie du plan. D'un geste du visage, la Ztékoj indiqua aux deux Humains la route à suivre. Le Bottel'ron s'était construit un nouveau palais à même la roche. Il n'était qu'à quelques kilomètres à pieds. Pour l'atteindre, il fallait contourner un petit volcan et plonger dans un ravin. S'il y en avait pour quelques heures, cette route leur permettait de s'approcher sans être vus. Après un long crapahutage et quelques dépeçages de créatures sauvages emplies de rages, la petite troupe arriva à destination. La taille du château surprit immédiatement les deux garçons. Il n'était pas posé sur le flanc d'une montagne comme ils le croyaient. Il était la montagne. L'entrée en elle-même faisait plusieurs centaines de mètres de haut et ressemblait à une gueule prête à dévorer tous les malheureux qui osaient s'approcher de trop près. Impressionné, le Légitime prit quelques photos pour s'en servir comme source d'inspiration pour sa prochaine résidence secondaire. Kili'an, lui, demanda à un garde qui passait par là où était la boutique souvenirs, pour acheter des cartes postales. Ce ne fut que quand l'immonde bête essaya de le décapiter que le jeune blond comprit son erreur en se tapant du plat de la paume sur le front. Il fallait vraiment qu'il arrête le tourisme comme stratégie d'infiltration. Heureusement, son brun réussit à trancher l'ennemi en deux avant qu'il n'ait le temps de sonner l'alerte.

– Voilà ! C'est là qu'on se sépare. – clama Clé'a. Hors de question que je vous suive plus loin. Pour ma part, j'vais piquer un p'tit croiseur et mettre les voiles, je sais où ils sont cachés. Pour vous, c'est simple. Vous avancez tout droit, vous tuez tout sur votre passage et vous prenez l'ascenseur qui vous mènera directement au dernier étage.

– L'ascenseur ? – demanda Kili'an, étonné, en se grattant le haut du crâne.

– Oui, l'ascenseur ! Et tu l'appelles en appuyant sur le bouton, pas en criant son nom, sinon, ça ne marche pas. Attends, c'est moderne comme machinerie, tu crois quoi ? Que tu allais te taper les escaliers jusqu'en haut ? T'as compté le nombre de marche ? Sérieusement, t'as aucun sens pratique, toi ! Ce n'est pas parce que les Ashtars sont bêtes, moches et méchants qu'ils sont attardés à ce point ! Bon, bonne chance quand même, mais ne comptez pas pour moi pour pleurer votre mort !

Suivant les consignes à la lettre, le jeune couple se fraya un chemin jusqu'à l'endroit indiqué. Le gros des troupes occupé sur le champ de bataille, il n'y avait pas grand monde pour défendre les longs couloirs de ce titanesque palais aux murs bordés de tapisseries rouges et or. D'une certaine manière, c'était même trop simple. La derrière ascension commença, à un rythme lent mais stable, au son d'une petite musique d'ambiance quelconque mais pas désagréable. Elle continua sans la moindre anicroche jusqu'au centième étage, quand Kili'an tira sur la manche de son brun.

– Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Le regard dans les chaussettes, le jeune blond se trémoussa en rougissant. Le mot qu'il avait à dire était loin d'être évidents à prononcer.

– Bon, quoi, accouche ?

– Pipi...

– TU TE FOUS DE MA GUEULE ?

S'il y avait eu une fenêtre dans la cabine, la probabilité de voir l'Aar'on y balancer son Kili'an aurait été particulièrement élevée. Là, fort heureusement, le jeune brun ne put que brailler comme un dératé devant ce léger contretemps. Son petit blond, lui, se soulagea accroupi au détour d'un couloir.

– Je t'avais dit de prendre tes précautions avant de partir ! Qu'on avait une galaxie à sauver et qu'on n'aurait pas le temps pour ce genre de conneries. Mais nan, encore une fois, il a fallu que môssieur Kili'an fasse son malin et refuse d'aller aux toilettes en prétextant qu'il n'avait pas envie. Et là, forcément, au moment le plus classe, ça chouine ! Bon, grouille-toi, j'vais pas bloquer l'ascenseur pendant cent mille ans ! En plus, t'as un Ashtars qui approche pour te tuer...

D'épaisses larmes aux yeux, le mirifique soldat soulagea sa vessie, puis déclencha son RP pour trancher la tête du malotru qui venait l'embêter. Il n'y pouvait rien, lui, s'il avait bu trop de jus de pomme pendant le trajet et s'il avait eu besoin de s'arrêter d'un seul coup. Ça lui avait pris comme une envie de pisser ! Pour une fois qu'il trouvait une expression qui collait parfaitement à la situation...

Après ce petit intermède, les deux Humains continuèrent leur progression vers le sommet. Vers le cent-cinquantième étage, l'Aar'on rappela à son compagnon le plan de base, à savoir arriver, foutre des torgnoles au méchant puis Résonner. Ce ne fut que vers le quatre-centième que Kili'an lui répondit, le visage sombre et les poings fermés.

– Pas envie.

– Que... QUOI ? – s'écria son brun complètement décontenancé. Comment ça, pas envie ?

– Pas envie ! J'ai pas envie d'avoir ton machin dans le derrière, là, c'est tout ! Ça va, on l'a fait plein de fois pendant le trajet, on va pas passer notre temps à coucher ensemble, quand même ? Voilà, tout à l'heure, j'avais envie, mais plus maintenant. Mais c'est pas grave, hein, demain, ça ira sans doute mieux.

– MAIS IMBÉCILE ! ON RÉPÉTAIT ! Mais qu'il est con ! Mais quel... Mais j'vais te tuer, toi... Comment tu veux qu'il y AIT un DEMAIN pour nous si on n'a pas de Résonance ? C'est notre botte secrète ! Sans elle, on est MORTS ! Alors envie ou pas envie, tu vas me faire le plaisir d'ouvrir ton cul et d'arrêter de dire des conneries !

Les yeux sanglants et larmoyants, Kili'an renifla sa justification. Après tout, il n'y pouvait rien s'il ne voulait pas de câlin. Parce qu'à force de s'entraîner sans relâche, forcément, son pauvre organisme avait pris un petit coup.

– Je... J'ai mal aux fesses... C'est ta faute aussi ! Moi, j'ai bobo...

– Arrête de te plaindre, le monde ne tourne pas autour de ton cul ! – répondit l'Aar'on du tac au tac avec un air des plus secs.

Le visage rempli de désinvolture, le jeune blond s'adossa à la cabine en a adoptant la même attitude qu'une fille illégitime issue du croisement entre une Frécheur et une star de la télé-réalité.

– Bah si, un peu quand-même, hein !

Se frappant le front contre le mur jusqu'au sang, le brun grogna sa colère. À côté, son amant le regarda faire sans bouger, la bouche serrée et les bras croisés. Il avait une folle envie de bouder. Enfin, après plusieurs minutes d'intense auto-flagellation, l'Aar'on proposa une sortie de crise en prenant son intonation la plus mielleuse possible.

– Et si j'accepte de considérer le Nutella comme partie intégrante de ton régime alimentaire, tu serais d'accord pour qu'on n'attende pas d'être mort avant que je refoute une dernière fois ma clé dans ta putain de serrure ?

– J'aurais aussi le droit aux crêpes, aux gaufres, à la chantilly, à la friture et au chocolat ? – demanda le blond avec une étincelle dans le regard.

– Oui... – grinça le Légitime.

Après une longue hésitation, l'index et le pouce au menton, Kili'an lâcha un « Oui » des plus souriants et laissa tomber son bas de combinaison aux mollets, puis releva joyeusement ses fesses en l'air, prêtes à s'offrir. Ce fut à ce moment-là que la porte de la cabine s'ouvrit. L'ascenseur donnait en plein sur l'appartement du Bottel'ron. Ce dernier se tenait justement droit, fier et silencieux devant ses visiteurs. Avec un air un peu décontenancé, il était vrai.

– Avec le bordel que vous avez foutu pour arriver jusqu'ici, je m'apprêtais à vous dire que je vous attendais. Mais j'admets que là, votre entrée me surprend. L'Aar'on le visage en sang et son petit blond me montrant son cul, c'est plutôt osé. Aucuns de vos prédécesseurs n'avaient eu ce culot.

– Oups...

– Ta gueule Kili'an. J'te jure, remonte ce froc et ferme ta gueule.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top