38. Spenta

Un bon Kili'an se définit par le fait qu'il ait toujours le cœur sous la main et l'amour à la bouche. Plus que sa force, ce sont son courage et sa gentillesse qui font de lui un véritable héros. – Journal intime du premier Aar'on –

*****

Le Swinton lancé à pleine allure entre les astéroïdes se dirigeait vers l'ultime Vortico donnant sur le système Soljamine. Aux confins du temps et de l'espace, la porte menant au royaume du Bottel'ron restait entrouverte. Et au poste de commandement de l'intrépide vaisseau, un jeune garçon aux cheveux dorés boudait. C'était trop injuste.

– NON Kili'an ! – s'emporta Yun'ah. Pour la dernière fois, on ne remet pas la musique ! On doit être DISCRET ! C'est une mission d'infiltration ! Tu comprends ce que ça veut dire ?

– Ça veut dire qu'on ne me respecte pas en tant que capitaine ! – grommela l'adolescent en croisant les bras. Non mais sérieusement, quoi, un sauvetage sans musique épique, c'est au moins aussi chiant qu'une tartine sans Nutella ou qu'un câlin avec l'Aaron sans tape sur les fesses !

Bien entendu, tout le monde savait que cela n'était pas « obligatoire » pour prendre du plaisir, mais quand même, on y perdait beaucoup. L'argument avait de quoi toucher les cœurs les plus tendres. Ce qui n'était étrangement pas le cas de Camill. La pointe du talon enfoncé entre les cuisses de son chef qui hurlait de douleur au sol, le change-sexe commençait à perdre patience. Son destin était suffisamment sombre pour ne pas avoir à penser aux petits traquas du quotidien. Kili'an le soulait.

– Si tu veux de la musique, tu n'as qu'à chanter ! Mais on sera dans Soljamine d'ici quelques heures et on arrivera sur Spenta dans la foulée, donc là, ça sera discrétion absolue !

Obéissant – il ne fallait pas dire « soumis », ça, c'était uniquement en présence de l'Aar'on –, le jeune blond prit sa plus belle voix et improvisa un morceau qu'il avait sobrement intitulé « ode à moi-même »

– Dans la nuit noire, dans la nuit noire et obscure, obscure et sombre, je me suis cogné contre les murs ! Les murs ! Kili'an a les yeux verts ! Kili'an a les yeux verts ! Verts les yeux Kili'an il a ! Y a plus d'espoir, dans la nuit noire !

Si la voix était aussi belle que douce, c'était bien l'effarement qui avait envahi d'un seul coup les membres de l'équipage. Heureusement, la voix stridente de Yun'ah parvint à arrêter le massacre avant le deuxième couplet.

– SÉRIEUSEMENT ? Tu... tu es la honte de notre unité d'élite ! Nan, trop c'est trop, là, je démissionne ! Trouve-toi une autre mécanicienne ! J'ai de l'honneur, je refuse d'être associée à ce naufrage quand tu vas te mettre à interpréter ton tube devant nos ennemis. Je ne m'entraîne pas à faire vibrer des instruments anciens depuis que je suis née pour me retrouver membre d'un groupe pratiquant une musique de sauvages avec un soliste aussi bête que blond. Dans le sens physique, blond, parce que si c'était intellectuel, ça ferait pléonasme.

– Meh... – tenta de se justifier le soldat en reniflant comme s'il allait se mettre à pleurer. Ce... C'est librement inspiré d'un tube trop classe que tout le monde connaissait par cœur à l'époque du premier Kili'an... J'l'ai trouvé dans sa maison... Vous pouvez pas me reprocher d'avoir comme sous-quête la volonté de remettre à la mode ce qu'il aime, ça serait super mesquin !

– Librement inspiré... – songea Mart-1 à haute voix. Je dirais plutôt complètement plagié, oui ! Mon système mis à jour sur Canaan est formel. Ce tube est le copier-coller d'une chanson parodique d'un trio comique célèbres à l'époque nommé les inconnus. Ce que vous venez de faire est du vol caractérisé, et c'est très mal !

– Bah quoi ? Justement, si personne les connait, c'est pas grave, non ? Vous z'êtes pas d'accord ? Non ? Camill ? Dis, tu peux lâcher ce rouleau à pâtisserie ? Tu me fais peur ! Ah, ce n'est pas pour faire à manger mais me taper dessus ? Bon, ça va alors, j'ai vraiment eu la frousse... AIE ! Oh...Pardon Ko'a... Ah bah c'est malin Camill, en visant mes fesses, t'as assommé ce pauvre Ko-ko qui y était accroché ! Bravo ! J'ai vraiment une équipe de pieds cassés !

Immédiatement bâillonné et attaché par le reste de l'équipage, Kili'an fut jeté sans ménagement dans la cuisine aux côtés de Clé'o, qui regarda la scène en haussant les épaules. Le Ztékoj trouvait bien étrange la manière dont ses hôtes traitaient leur leader, mais ce n'était pas à lui de juger leurs us et coutumes, c'eut été plutôt malpoli à la vue de son statut de prisonnier. Et puis, la présence à ses côtés du petit blond lui faisait un peu de compagnie avec qui commérer jusqu'à destination... Même si la discussion fut plutôt étrange.

– Alors comme ça, t'es vraiment amoureux de l'Aar'on ? T'as jamais eu envie de voir ailleurs ? Tout plaquer et laissez tomber pour aller élever des Wachs sur Vahara ? Fonder un foyer au lieu de sauver le monde, être heureux, quoi... Moi, c'est ce qui m'aurait plu si je n'étais pas né Ztékoj et si je n'avais pas suivi ma sœur dans sa folie. Des fois, j'imagine ce qu'aurait pu être ma vie, ça m'aide à tenir le coup, pas toi ? Dis, tu pourrais répondre quand même, c'est la moindre des politesses quand on te parle...

– Mhhhhhhhhhhhhhh, ggrllllrlggggmh ! Arglm !

– Oui, je sais, t'as un torchon au fond de la gorge, mais ce n'est pas une raison. Tu vois, je m'ouvre à toi, je suis sincère, et en retour, je n'ai droit qu'à des grognements d'animaux. Tu peux en penser ce que tu veux, mais ce n'est pas chic du tout !

– MHGGGGMH ! GRRRglglGnNN !

– Oui, bah ça va, pas besoin de crier ! T'es bâillonné, j'comprends que dalle, ça sert à rien... Oh, on arrive !

Là où Angra était une planète tellurique brulante faite principalement de volcan et de feu, sa première lune Spenta était connue pour son climat bien plus doux. Sa rotation particulière la plaçait toujours à l'ombre de sa voisine, dont le rayonnement lui servait à la fois de soleil et de source de chaleur. Avec des températures douces à la surface et une atmosphère dense, le petit astre dont les teintes se situaient entre le blanc et le bleu ciel était recouvert d'une multitude de grands lacs. Pour bien des espèces, la vie y était particulièrement agréable. Pour les Ashtars, ce caillou était la définition même de l'enfer. Trop froid, trop humide, pas assez volcanique... Aucun argument n'aurait pu les convaincre de traverser le ciel pour y poser une patte. Rien d'étonnant, donc, que deux civilisations distinctes se développent chacune dans leur coin sur l'une et l'autre de ces billes. Enfin, jusqu'à ce que la technologie et la curiosité des Zorastres ne poussent certains de ses membres à effectuer le grand saut.

Ce contact fut malheureusement très au désavantage des plus pacifistes. Les habitants de Spenta étaient des êtres chétifs, ronds, poilus et ingénieux. Ceux d'Angra étaient belliqueux, violents et puissants. Toute la technologique que les Zorastres avaient mis au point pour voyager dans l'espace leur fut voler par leur voisin, qui se dotèrent ainsi des premières armes leur permettant d'expatrier leur violence aux quatre coins de Vojolakta.

Brillante, la civilisation Zorastre fut écrasée en quelques années seulement. Les survivants furent réduits en esclavage. Les Ashtars régnaient, les laquais obéissaient et mettaient chaque jour leur intelligence au service de leurs maîtres. Sans le soutien logistique forcé des Zorastres, jamais le Bottel'ron n'aurait posé le moindre problème à l'Humanité. Son espèce était bien trop violente, primitive et stupide pour représenter un danger à moyen ou long terme. Mais équipé d'un savoir qui n'était pas le leur et d'une science à laquelle ils ne comprenaient rien si ce n'était son utilité, les Ashtars n'eurent aucun mal à faire tomber plusieurs systèmes sous leur escarcelle.

À la fin de la guerre, sous le vingt-et-unième Aar'on, les Kekchis s'emparèrent sans frémir de Soljamine. Devant le feu d'Angra et la glace de Mithra, ils firent tout naturellement de Spenta la capitale de leur nouveau territoire, reléguant dans un premier temps les Zorastres au rang de simples Âminaux domestiques et soumis. Leurs maîtres avaient changé, pas leur quotidien, si ce n'était qu'ils n'avaient plus à craindre de se faire bouloter s'ils désobéissaient, ce qui fut perçu comme un progrès social conséquent et salué par les principaux représentants de leur espèce. Cela n'empêcha pas de nombreuses tensions avec les Kekchis jusqu'au vingt-troisième Aar'on, le Juste. Ce fut sous son règne que les derniers Ashtars furent éradiqués par l'armée robotique de la Fédération. Par soucis d'apaisement après la fin de la dernière bataille, il décida d'accorder un statut de victime aux Zorastres – refusé aux Ztékojs voisin –, ce qui leur permit de voyager dans toute la galaxie et de fonder de nombreuses colonies sur les planètes les plus libres, telles Narashim ou Horus. Là, ils purent faire prospérer de nombreux commerces et gagner beaucoup de kils, monnaie nécessaire à la reconstruction de leur civilisation détruire par des siècles de guerre et de soumission. Pour gagner encore plus d'argent, ils firent même de leur lune natale un véritable musée à ciel ouvert, avec l'accord des résidents Kekchis. Enfin, tout cela, c'était avant le retour du Bottel'ron, qui avait vite faire de reprendre le contrôle de Spenta et d'y placer une forteresse et une prison.

Profitant que l'astre soit dans l'ombre d'Angra, le Swinton s'approcha à couvert jusqu'à se poser discrètement aux abords d'un des nombreux lacs locaux. La mission d'infiltration pouvait commencer.

Libéré de ses liens par un équipage en manque de consignes, le capitaine put reprendre le commandement des opérations. Vêtu de sa ©Végéscratch verte préférée, il ne se fit pas prier pour distribuer les rôles. Yun'ah devait garder le vaisseau. C'était encore la meilleure solution pour qu'elle ne trahisse personne. Mart-1 devait garder Yun'ah. Simple mesure de précaution pour s'assurer que la première prédiction se réalise. Camill devait garder Mart-1. L'androïde roux étant le meilleur ami de Kili'an, il fallait absolument le protéger de Yun'ah et de ses crises de nerf. Simple question de bon sens. Du coup, Link'o, Geb et Ko'a étaient chargés de l'accompagner pour aller libérer Benj'am. D'après les informations de Clé'o, l'enfant trouvait prisonnier dans une citadelle à quelques dizaines de kilomètre à peine. Cette fois-ci, le plan était parfait, ils ne pouvaient pas échouer !

– Des questions ? – s'inquiéta le jeune blond.

– Geb ? Gaby geb ? – demanda le Chérub en levant la main.

– Euh, oui ? En humain s'teuplait ?

– Bah... – reprit la peluche vivante. Du coup, si Yun'ah garde le Swinton, que Mart-1 garde Yun'ah et que Camill garde Mart-1... qui garde Clé'o ?

Se tapant le crâne contre la carlingue de son vaisseau adoré, Kili'an maudit à la fois l'intelligence de son camarade et sa propre stupidité. Oui, bon, ok, il y avait une couille dans le potage, mais en même temps, hein, il n'était pas cuisinier ! Constatant avec dépit la disparition de son prisonnier, le capitaine ne put rien faire d'autre que de soupirer. Et bouder. Mais vraiment pas longtemps, car il avait Benj'am à sauver.

– Nan mais sérieux, il n'aurait pas pu se garder tout seul, celui-là ? Franchement, ils font chier, tous, à casser mes plans à chaque fois ! Il a dû profiter de l'atterrissage pour déguerpir, c'est malin... Oh, il a laissé une lettre... Ah, j'adore recevoir du courrier ! Sauf des factures, ça c'est vraiment nul. Alors, qu'est-ce qu'il raconte de beau ?

Simple, le message du Ztékoj allait droit à l'essentiel. « Merci pour la promenade, mais on n'est pas du même camp. C'est moi qui arrêterais ma sœur. PS : Bises à Camill. »

Un peu froissé, le jeune blond chiffonna la feuille. Même pas un petit mot pour lui, c'était blessant. Heureusement qu'il n'était pas jaloux, sans quoi, il aurait volontiers fait sa petite crise. Mais là, il n'avait pas le temps. Il fallait se mettre en route au plus vite, ce qu'il fit sans réfléchir.

Accompagné de son chien, du Splatos qui lui ventousait les fesses et d'une peluche qui sautillait partout, il était sûr et certain d'être à la tête de la meilleure équipe possible. Le cadre, en plus, se prêtait parfaitement à l'opération. Certes, l'herbe locale était plutôt bleue, ce qui n'était pas du tout pratique pour profiter de toute l'étendue de son Regard Particulier, mais les arbres aux feuilles blanches apportaient ci et là une touche d'ombre des plus agréable. La petite troupe marcha pendant des heures en direction de l'endroit où était retenu prisonnier leur cible. Enfin, jusqu'à ce que le colonel Link'o n'interpelle le capitaine.

– Waf ?

– Kekidi ?

– Il veut savoir si t'as un plan d'approche – répondit Geb en cueillant des fleurs pour s'en faire un collier et une couronne. Ce qui n'est pas con. Tu ne nous as pas dit comment on allait faire pour rentrer incognito dans ce machin.

Un sourire illuminant son visage d'adolescent, Kili'an ricana en ramenant son poing serré vers sa bouche. Son idée était tellement géniale que ses camarades n'en reviendraient pas ! Jusqu'au bout, il avait gardé secrète cette information afin de ménager son effet et la surprise de ses hommes. Son moment de gloire était enfin arrivé !

– On va se faire passer pour des touristes, comme ça, ils ne vont pas faire attention à nous ! Ils vont rien comprendre ! C'est le meilleur plan que je n'ai jamais inventé !

Impassible, Geb fixa son camarade. Seul le bruit du vent qui soufflait de désespoir vint troubler l'étouffante tranquillité qui s'était emparée du chemin sinueux sur lequel les aventuriers marchaient. Même les papillons et toutes autres sortes d'espèces vivantes s'arrêtèrent de bouger et de respirer, jusqu'à ce qu'enfin le Chérub ne laisse s'écraser sa main sur le visage de son capitaine. Le « clac » du geste ressembla en tout point à une vitre qui se brise. Un peu comme l'espoir, en fait.

– Meeeeeeeeeeeeeeeeh, – pleurnicha le blond. ça fait mal, pourquoi t'a fait ça ?

– TU TE FOUS DE MA GUEULE ? – reprit Gabri'el qui, poussé par la colère, avait revêtit sa forme naturelle. C'est JUSTEMENT le plan que tu inventes toujours ! C'est exactement le même que sur Yaxche ! C'est le même stupide plan à chaque fois ! Dès qu'on arrive quelque part, tu trouves un prétexte pour visiter les ruines et faire les magasins ! Et encore si ça fonctionnait, je ne dis pas, mais ça ne marche JAMAIS !

Complètement secoué – au sens propre comme au figuré –, le capitaine porta ses poings au niveau de ses yeux puis plongea au cou de Link'o pour exiger un câlin de réconfort. Encore une fois, on était injuste avec lui et on lui faisait un mauvais procès ! Le malheur envahissait sa gorge. Il était triste et tenait à le faire savoir. Son chien dans les bras, il fixa avec un air des plus méchants le pauvre Gabri'el. L'air provoquant, il lui lança sa réponse à la figure :

– Bah vas-y, si t'as une meilleure idée, hein...

Une fois de plus, ce furent le vent et le bruit de la claque que reçut Kili'an qui brisèrent le silence, même s'ils s'accompagnèrent cette fois-ci d'un grognement en provenance de l'adolescent vêtu de violet. D'accords, il penserait à quelque chose... en chemin... pendant la visite que voulait faire son capitaine. Disons que là, il fallait qu'il réfléchisse encore un peu.

Satisfait de pouvoir mettre son plan à exécution, le blondinet oublia la paire de baffes qu'il venait de se récolter et se dirigea vers le guichet pour acheter des billets pour une visite privée. Le groupe venait justement d'arriver dans la fameuse cité de Cristal, l'ancienne capitale de la civilisation locale. Après quelques minutes d'attente, le guide se présenta. C'était un jeune Zorastre qui avait comme particularité d'être complètement épilé. Pour un membre de son espèce, cela demandait un travail non négligeable mais avait l'avantage de mettre son corps crème en lumière sous un nouveau jour. Kili'an se fit tout de même la remarque qu'il aurait pu mettre des vêtements afin de masquer l'organe reproducteur qu'il avait entre les pattes, avant de se souvenir que lui aussi préférait largement vivre nu. Du coup, il enleva ses vêtements qui le grattaient avant d'immédiatement les remettre en pensant à l'engueulade qu'il se prendrait sur Thot si on découvrait qu'il s'était encore rendu coupable de délit de nudité. Foutue loi qui ne concernait que lui !

– Bonjour, je m'appelle Mat'thieu, enchanté. Merci d'avoir choisi notre compagnie pour votre visite. Par contre, si cela ne vous dérange pas, j'ai votre... machin gluant qui est en train de me téter. Je n'ai rien contre, mais ça chatouille.

– Ça ? – fit semblant de s'émouvoir l'Humain. Mais ce n'est pas un machin, c'est Ko'a... Il fait ça des fois avec les gens qui lui plaisent. J'ai beau toujours lui dire de ne pas embêter les inconnus, il ne peut pas s'en empêcher, c'est à cause des phéromones. Mais on s'y habitue vite, hein, j'vous jure. Ne faites pas attention à lui, c'est lui donner de l'importance et c'est exactement ce qu'il cherche. Sinon, j'ai un chien. Il est beau, mon chien, hein ? Link'o, donne la patte au bidule ! Non, la patte, pas mordre... Excusez-le, c'est sa manière à lui de dire bonjour. Link'o, vilain !

Une fois l'animal maîtrisé, la visite put commencer sans encombre. Ce fut peu dire que de signaler à quel point Kili'an en prit plein les yeux. La cite de Cristal possédait de magnifiques statues de tailles considérables, des bâtisses blanches réfléchissant les rayons d'Angra et même une pyramide gigantesque translucide qui avait comme particularité d'être inversée et d'avoir la pointe en bas. Devant tant de merveilles, Kili'an ne put s'empêcher de repenser aux mots de la Suz'an à propos de l'invention de la classification Âminêtre-Âminaux-animaux. Les Zorastes possédaient une civilisation en avance de quelques millénaires sur le reste de la Fédération et ne devait leur statut inférieur qu'à leur pacifisme et à leurs faiblesses morphologiques. C'était profondément injuste. Ils méritaient de régner sur Soljamine à la place des violents Ashtars ou des cupides Kekchis. Ils avaient le droit de posséder un représentant au conseil des douze. Et ils devaient aussi arrêter de faire les yeux doux à Ko'a et de le stimuler avec d'odieuses caresses en plein milieu de la visite. Non, c'est vrai, quoi. C'était vulgaire. Heureusement que le jeune blond était là pour recentrer les débats en posant une question sur l'architecture locale :

– Et donc, ce cristal, vous avez fait comment pour l'amener ici ? Vous avez des mines ?

– Ce n'est pas du cristal, – regretta le guide. C'est du diamant, une vraie saloperie. À la base, notre lune n'est qu'un énorme bloc de diamant né dans les volcans d'Angra et expulsé dans l'espace suite à une gigantesque éruption. Certes, on a bien des mines, mais des mines de graphite. Ça, c'est rare, ça vaut une fortune. Le problème, c'est que pour trouver un gramme de graphite, il faut souvent creuser dans plusieurs mètres de diamant. Du coup, comme cette merde est hyper solide, on a dû inventer une technologie laser pour la découper. Comme on ne savait pas quoi faire des résidus, on en a fait des briques. La pyramide, c'est le surplus de l'exploitation d'à côté, ça ne servait à rien. Du coup, on l'a entassé, et à chaque étage, bah on a agrandi le truc, d'où la forme.

Sonné, Kili'an s'étrangla dans sa propre salive. En matière de pierres précieuses, il en connaissait un rayon : il avait deux émeraudes dans les yeux ! Et cela valait déjà la peau du cul ! Le sien, le plus cher de toute la galaxie. Alors une lune faite d'un seul bloc de diamant, ça faisait quand même une bien belle bague, si jamais un être grand de quelques millions de kilomètres avait comme projet de faire un cadeau à son petit copain. Ou petite copine. Kili'an ne voulait pas du tout être sectaire avec une espèce inconnue sortie tout droit de son imagination !

– Bien, – continua Mat'thieu. C'est donc ici que se termine notre visite, avec la découverte d'une antique cellule de prison de la civilisation Zoraste. Comme vous pouvez le constater, les barreaux sont eux aussi en diamant, ce qui les rend plutôt compliqués à briser. Entrez, je vous en prie, au fond, il y a une magnifique vue sur les sanitaires.

– Ah oui, c'est joli... – constata béatement le soldat aux cheveux dorés. Mais pourquoi vous fermez à clé derrière nous ?

– Parce que vous êtes mes prisonniers... – annonça calmement le Zoraste. Comprenez-le, ce n'est pas de gaité de cœur, mais hein, un avis de recherche émis par le Bottel'ron lui-même à l'encontre de vous deux circule depuis plusieurs jours dans tout le système Soljamine. Comme il a juré de faire exécuter tous ceux qui ne serviraient pas ses ordres... Enfin, j'espère que vous avez apprécié la visite. La satisfaction du touriste, c'est un élément majeur chez les Zorastes ! Vous trouverez d'ailleurs sur la petite table un questionnaire pour vous permettre de juger nos prestations et d'améliorer nos services. Merci de les remplir avant votre mort fixée demain à l'aube, cela nous aiderait beaucoup !

Choqué par cette trahison indigne, Kili'an se jeta aux barreaux de sa cage et exigea qu'on le libère ! Il était le Kili'an ! Il fallait le craindre un peu, quand-même. Plus sage, Gabri'el s'allongea sur une couchette et demanda simplement si les locaux avaient une connexion supranet sans fil pour qu'il puisse consulter ses e-mails. S'il en recevait un urgent de la part de l'Aar'on, il devait y répondre au plus vite afin de le déstresser. Et il voulait aussi se rendre sur un site spécialisé sur la mise au point de plans d'évasion, ce qui était la moindre des choses. Compréhensifs, le Zoraste répondit positivement à sa requête, ce qui causa la colère du blond :

– Nan mais c'est pas juste ! Pourquoi à lui vous dites oui et non à moi ? Et pourquoi vous n'avez pas enfermé Ko'a avec nous ? Il est de l'équipe, lui aussi !

– Ah lui ? – s'excusa Mat'thieu. Non, j'le garde ! Vous n'y êtes pour rien, mais là, on a eu un coup de foudre l'un pour l'autre au moment où je vous faisais visiter les galeries. Je ne saurais pas expliquer quoi, mais je n'ai jamais été aussi amoureux de toute ma vie, et je crois que c'est réciproque. Je vous enverrais bien un faire-part de mariage, mais comme vous allez mourir, je ne sais pas si c'est vraiment utile...

– NAAAAAAAAAAAAAN – hurla Kili'an en pleurant à l'annonce de cette merveilleuse nouvelle. C'était MON Splatos ! Je...J'm'y étais attaché ! Vous n'avez pas le droit ! Mon Koko, sale traître... C'était moi que t'étais censé coller... qu'est-ce qu'il a de plus que moi, l'autre, à part qu'il t'aime en retour ? Hein ? D'abord !

Ses plaintes étaient bien trop tardives. Déjà, Ko'a et Mat'thieu avait disparu au loin, laissant la place à quelques gardes armés jusqu'aux dents. Dépité mais pas vaincu, Kili'an réussit à se glisser entre les barreaux pour s'enfuir en utilisant les fibres de sa ©Végéscratch comme une clé à l'aide de son RP. Repris dans la cuisine en train de s'empiffrer, il fut privé de ses vêtements et jeté pieds et poings liés aux chevilles de Gabri'el qui surfait sur le supranet. Refusant de s'avouer vaincu, le jeune blond réussit à nouveau à s'éclipser en sautillant de la plus belle des manières dans le couloir avant que la porte ne soit refermée. Après sept mètres de course poursuite effrénée, il trébucha et se rétama le nez par terre avant d'être ramené par des gardiens estomaqués et gênés dans sa cellule, en attente d'un jugement qui l'enverrait sans aucun doute défier la mort elle-même.

Du coup, tandis que Gabri'el chatait et échangeait photos et nouvelles avec l'Aar'on, Kili'an maudissait son destin foireux en pleurnichant. Si c'était une fin, elle était bien foireuse.

– Allez, bougez-vous les garçons...

Incrédule, le soldat ouvrit grand ses yeux. Devant lui se tenait une adorable jeune créature humaine et féminine avec un trousseau de clés dans les mains.

– Ca... Camill ? C'est toi ?

– Nan, c'est l'Aar'on avec un soutif... – soupira son interlocutrice avant de se reprendre. Bien sûr que c'est moi, couillon ! C'était le plan, non ? Avec ton groupe, tu faisais diversion en fonçant comme un couillon dans le tas, et Mart-1, Yun'ah et moi, on couvrait vos arrières. Bien sûr, on a attendu qu'il fasse nuit pour agir. Mart-1 a profité de la cohue pour localiser Benj'am et Yun'ah nous attend dehors. Moi, j'ai dû revêtir mon apparence féminine pour venir vous chercher, une vraie mission d'infiltration, comme tu l'avais prévue... Et l'idée de nous tenir au courant au fur et à mesure par e-mail, c'était vachement intelligent, ça aussi ! Eh, Kili'an, ça va ? T'es tout pâlichon !

Complètement estomaqué – même s'il admettait que c'était super cool, il n'avait JAMAIS prévu tout ça –, l'adolescent tourna la tête vers Gabri'el. Le sourire cynique et ravi de son camarade suffit à lui faire à comprendre qu'il venait une fois de plus d'être pris pour le dindon de la farce.

– Bah quoi ? Fallait bien improviser ! Sérieusement, si les autres avaient suivi ton vrai plan, on serait déjà tous mort ! Bon sinon, y a l'Aar'on qui s'excite par e-mail, il m'ordonne de tout faire pour t'aider à sauver Benj'am. J'te propose qu'on reprenne l'idée de base. On fonce et on tape dans le tas.

Alors que le capitaine et l'ange-gardien qui lui servait de second fonçaient à travers les couloirs, Camill se fit la réflexion que son dernier rôle approchait. Sa raison d'être, sa véritable nature... tout lui apparaissait à présent clairement. Il l'acceptait. Il était prêt à aller jusqu'au bout.

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