36. Le sanctuaire
Au début, il n'y avait rien. Puis un Kili'an a montré le bout de son derrière, et le monde s'en retrouva transformé. J'vous ai déjà parlé de son derrière ? Oui ? Ah bon, tant pis alors... – Journal intime du premier Aar'on –
*****
Kili'an n'en croyait pas ses yeux. Son récit terminé, il s'était approché du trésor du sanctuaire pour le toucher de ses propres mains. Dans cette chambre d'adolescent ayant été vidé de ses principaux meubles se trouvait une espèce de cocon cristallin occupant la majorité de l'espace. En son sein deux jeunes garçons se tenaient enlacés, un blond et un brun, plongés dans ce qui paraissait être un sommeil éternel. Sur leurs deux visages se dessinaient des sourires tendres et aimants. Ils étaient nus. Les corps l'un de l'autre leur tenaient lieux d'habits. Leur proximité les réchauffait. Figés pour l'éternité, ils étaient beaux et semblaient indéfiniment heureux, comme si rien ne pouvait troubler leur quiétude. Mais surtout, ce qui laissait le soldat sans voix, c'étaient leurs visages, qu'il aurait juré d'avoir déjà vu quelque part. Pour s'en assurer, il se saisit même d'un miroir.
– C'est vrai que tu lui ressembles... – s'amusa la Suz'an. Et l'autre te fait penser à ton Aar'on bien aimé, n'est-ce pas ?
– Heu... Oui... – bafouilla le jeune blond. Enfin, c'est impossible... c'est nous... C'est... ça n'a aucun sens ! Enfin, j'peux pas être en train de pioncer et bouger à côté en même temps ! Ça contredit toutes les lois de la physique ! Enfin, toutes celles que j'ai apprises... Mais même en n'écoutant pas toujours en cours, un truc pareil, j'm'en serais souvenu.
– En effet – le rassura la vieille femme au sourire aimable. C'est tout simplement parce que ce garçon n'est pas vraiment toi. Laisse-moi te présenter le premier Aar'on et son Kili'an.
– HEIN ? Mais... mais c'est encore plus tordu ! Ils ont vécu il y a des siècles ! Ils ne peuvent pas être là ! Enfin, c'est complètement mindfuck !
– Peut-être, mon enfant, voudras-tu écouter mon histoire. Celle que je raconte depuis des temps immémoriaux à tous ceux qui viennent de loin se recueillir ici. Celle de la création de Vojolakta, celle des sept premiers Aar'on.
*****
Environ deux mille ans après qu'un homme nommé Jésus ait créé une nouvelle ère, naissait dans un petit pays d'une petite planète bleu un jeune garçon à la peau blanche et aux cheveux et yeux noirs. Son père, dignitaire de son état, et sa mère bien-aimée le nommèrent Aaron. Les oiseaux chantèrent sa venue au monde. Très vite, l'enfant montra des signes d'intelligence supérieure à la moyenne, mais souffrait d'un mal profond : la solitude.
Son meilleur ami était un chien. Sa vie, une longue lassitude sans fin. Tous les jours qui passaient, il regardait à la fenêtre à la recherche de ce qui pourrait combler son cœur et le rendre réellement Humain. Il se sentait différent, il l'était sans doute, mais aucun mot n'arrivait vraiment à décrire ce manque qui l'agitait.
Et puis, un beau jour, un miracle se produisit. C'était l'été. Il n'était alors qu'un adolescent solitaire, sévère avec le monde qui l'entourait. Il se croyait supérieur aux autres, il les méprisait. Un regard vert le fit chuter de ce piédestal rassurant qu'il s'était confectionné. Ces yeux plus purs que les plus belles émeraudes appartenaient à un jeune garçon de son âge. Il était blond. Il était beau. Il était tout.
Pour la première fois dans l'histoire de l'Humanité, un jeune Aaron trouvait son Kilian. Et si le bel enfant aux cheveux dorés ne s'en rendit même pas compte, le brun comprit immédiatement que leur rencontre était le fait du destin.
C'est ainsi que se produisit la première « chasse » au Kilian, qui dura de longs mois avant que le jeune Aaron capture enfin le cœur et le doux postérieur de son bien-aimé. Il fallait aussi admettre que, déjà à cette époque, les Kilians ne se laissaient pas faire. Celui-là avait de l'honneur, de la dignité et des amis pour le protéger, dont un possédait des cheveux d'un orange particulièrement fruité qu'aujourd'hui seuls des robots peuvent porter. Mais les charmes du jeune brun finirent par avoir raison de sa résistance. Le jeune blond finit par accepter les raisons de son existence. Aimer, et être aimé, voilà ce à quoi il était destiné. Sur le chemin du bonheur, les épreuves furent nombreuses. Mais en fin de compte, rien ne réussit à empêcher Aaron et son Kilian de toujours se retrouver, jusqu'à vivre ensemble dans cette maison alors même qu'ils n'étaient encore que des adolescents. Leur amour se révéla pur, sincère et réciproque, et il éblouissait le mal partout où il passait.
Ils étaient heureux. Tellement heureux que leur bonheur se répercuta sur l'Humanité tout entière. À chacun de leur accouplement – qui n'avait jamais aucun autre but que le plaisir le plus pur, à la différence de tous ces stupides animaux persuadés que le sexe ne sert qu'à se reproduire –, ils atteignaient un nouveau stade de l'évolution. Débarrassés de tous sentiments procréatifs inutiles, ils purent découvrir ensemble des vérités que toutes les églises avaient voulu cacher. Les Hommes avaient des capacités inouïes au sein d'eux-mêmes qui ne pouvaient se révéler qu'au moment de l'orgasme véritable. Un stade que nul n'avait atteint avant eux.
C'était un mardi. Dehors, il pleuvait, et comme tous les mardis, Kilian rentrait rincé de son entraînement d'escrime. Ce soir-là, Aaron lui avait préparé une petite surprise : un hamburger maison fait avec amour, prêt à être dégusté. Et ça, pour déguster, le blondin dégusta. Il toucha à peine à son repas, mais cette nuit-là, il s'en souvint ! Tout comme le voisinage !
Et oui, après des millénaires d'évolution, deux Humains arrivaient enfin au stade où le mot orgasme ne suffisait plus pour décrire ce qui se passait au sein de leur cerveau. Pour la première fois, deux adolescents connurent une Résonance. La face de l'univers s'en trouva bouleversée.
À cette époque, l'Homme s'était difficilement rendu sur son propre satellite et prévoyait à peine d'aller poser le pied sur une planète voisine. La conquête spatiale n'en était qu'à ses balbutiements. Ce qui apparut dans le ciel cette nuit-là changea le cours de l'histoire. Le premier Vortico venait d'être créé. Il en cachait des centaines d'autres.
Complètement absorbé dans les bras de son Kilian, le jeune brun avait hurlé d'un plaisir qui l'avait presque rendu aveugle. Ses yeux s'étaient couverts d'un voile clair. Le plaisir que lui avait procuré son amant avait éveillé son Regard, Vortication. Très vite, ils réalisèrent que c'était toute l'Humanité qui s'était découvert un étrange pouvoir. Leurs ébats avaient été si intenses que leurs conséquences s'étaient propagées à l'ensemble du vivant. Fiers de cette nouvelle force, les Hommes entreprirent d'envoyer une sonde vers le Vortico qui s'était ouvert juste au-dessus de leur tête, et découvrirent ainsi que l'objet stellaire était une sorte de trou de ver permettant de joindre deux endroits distants de plusieurs milliers d'année lumière en quelques instants à peine. Et il ne devait son existence qu'à la passion de deux garçons.
Immédiatement, des scientifiques et militaires de toute la planète vinrent à la rencontre du couple à l'origine de ce grand chamboulement, dans l'espoir de les contrôler. Mais ce fût sans compter sur la fougue du jeune brun, dont les mots devinrent célèbres dans le monde entier.
– Mais j'vous emmerde ! Est-ce que je vous demande si ça fait des paillettes quand vous baisez ?
Malgré cela, Aaron ne put réfréner en lui le désir qu'ont tous les Humains de s'étendre et de découvrir de nouveaux espaces. Il ne pouvait empêcher ses frères de conquérir la galaxie tout entière.
De son accouplement avec son Kilian – la première Résonance – était né le pouvoir nommé Regard. De son propre Regard, Vortication, naquirent les Vorticos permettant à l'homme de voyager vers l'inconnu. À condition qu'on donne à manger à tous les enfants et que tous les pays voulant le suivre s'engagent à mettre fin aux guerres qui détruisait sa chère planète – c'était son petit côté Miss France à lui –, il accepta de servir les intérêts de son espèce. Ainsi, les hommes partirent à l'assaut de Vojolakta. Ainsi, Aaron devint le tout premier « Aar'on », connu sous le nom « d'Amoureux », car il aimait son Kilian comme personne n'avait jamais aimé. Tristement, ce surnom fut la seule chose que l'Histoire, telle qu'elle est enseignée sur Thot et Horus, retint de lui.
Profitant de nouvelles connaissances permettant à leurs sondes de surfer sur l'espace-temps et d'atteindre des vitesses folles, les hommes recensèrent une douzaine de systèmes stellaires viables ou habités. Instables car issus de l'énergie d'un seul garçon, les Vorticos s'ouvraient et se fermaient au rythme des coups de rein de leur créateur, ce qui eut pour conséquence néfaste de provoquer la perte de quelques appareils. Il fut ainsi décidé de sceller tous les portails menant vers d'autres systèmes que les douze référencés, ce afin d'assurer la stabilité des restants. De ces douze systèmes, les Hommes à cette époque n'en visitèrent réellement que deux : Solruben et Solsiméo.
Autochtones de la jaune Horus, les Kémèts accueillirent pacifiquement ces nouveaux voyageurs. Pour la première fois, deux espèces séparées des milliers d'années lumière conversaient et commerçaient ensemble ! Le même désir de paix semblait les animer.
Dans Solsiméo, sur une planète qu'ils nommèrent Susanoo, les hommes découvrirent les vestiges d'une civilisation disparue. Quelques fouilles leur indiquèrent que des animaux bipèdes étrangement proches d'eux physiologiquement, les Cipangs, s'étaient détruits par accident aux cours de guerres dévastatrices, et avaient fini par totalement disparaître sous un feu nucléaire quelques centaines d'années avant que le premier Homme ne foule leur sol. Sur les ruines de cette civilisation, l'Humanité fonda sa première colonie extra-terrienne. Susanoo devint un refuge pour de nombreuses espèces et un espoir d'une vie meilleure pour les colons.
Ainsi débuta l'Histoire stellaire de l'Humanité. Tout le monde vibrait de la même joie. Mais sur terre, cela fut surtout l'heure du choix.
Observant les étoiles qui se perdaient dans l'infini, l'Amoureux et son Kilian s'interrogèrent. Puisque tout était parti d'eux, alors tout devait disparaître avec eux. Si l'Aar'on venait à mourir, personne ne pourrait maintenir les Vorticos en état, ce qui mettrait fatalement un coup d'arrêt à la marche de l'Histoire. Et surtout, pouvaient-ils imaginer un univers dans lequel leurs deux cœurs ne battraient pas à l'unisson ? C'était tout simplement impossible ! Leur amour était fait pour être éternel. Il ne pouvait connaître de fin.
Courageusement, l'Aar'on s'en alla féconder une femelle afin que son patrimoine génétique se répande dans la galaxie. Pour assurer la survie de l'Humanité, il fit le choix douloureux de séparer son âme en deux. Puis avec son Kilian, main dans la main, ils se rendirent chez eux et s'endormirent paisiblement dans les bras l'un de l'autre pour vivre ainsi une Résonance mutuelle absolue et infinie. Leur chambre devint un sanctuaire. Leur cocon la source de tout, et aujourd'hui encore la pile énergétique qui maintient ouvert les Vorticos. Ainsi pouvaient-ils rester ensemble pendant des siècles.
Mais ils en voulaient plus. Si leurs corps étaient à jamais liés et réunis, leurs esprits ne pouvaient rester en sommeil. Ils s'étaient promis de s'aimer, toujours. Aidé d'un jeune artiste un peu fou aux pouvoirs insoupçonnés, il écrivit juste avant de se sceller une prophétie qui devint réalité. Les Aar'ons se succéderaient et régneraient sur Vojolaka, mais ils ne connaîtraient le bonheur et la paix intérieure qu'en retrouvant chacun leur Kili'an, perdu dans l'immensité. À un brun correspondrait toujours un blond. De cette manière, leur amour pourrait renaître et perdurer, encore et encore.
Ainsi, l'esprit de l'Aar'on se réincarna à chaque génération dans le corps d'un de ses descendants. Déterminer les élus n'était pas compliqué. Ils possédaient tous des cheveux noirs et le Regard Particulier Vortication. Ce dernier leur permettait, vers l'âge de quatorze ans, de voyager jusqu'à leur planète originelle, d'y apprendre de la bouche de la Suz'an la vérité sur leur lignée et de s'éveiller pleinement à leur destinée. Il leur suffisait pour cela de toucher de la paume le cocon où reposait leur ancêtre.
Pour les Kili'an, par contre, c'était beaucoup plus amusant. À chaque fois qu'un Aar'on était sur le point de naître, un jeune garçon blond aux yeux verts voyait le jour quelque part dans l'univers. Avec lui renaissait l'âme et la personnalité du premier d'entre eux. Sauf qu'à la différence des brunets qui les chassaient, ils ignoraient tout de leur réelle identité et ne la comprenaient vraiment qu'une fois pénétrés par leur Aar'on attitré.
Quand ces deux êtres se retrouvaient et s'aimaient, l'Humanité prospérait. Dans le cas inverse, le malheur s'abattait toujours sur leur espèce. Entre les deux élus, un garçon choisi pour être le Gabri'el tenait la balance du monde entre ses mains. Il était le guide et le protecteur censé rendre l'amour de l'Aar'on et du Kili'an possible et éternel. Ainsi naissait et renaissait toujours à chaque génération la sainte trinité Vojolaktienne.
Ce schéma se produisit dès que le fils du premier fut en âge d'aimer. Parfaitement guidé, il trouva son Kili'an dont il tomba fou amoureux, puis prit le nom de « Sensuel », car il était réputé pour être bien plus doux avec son bien aimé que ne l'avait été son géniteur. Son pouvoir, lui, était sans pareil, à tel point que l'Humanité toute entière lui confia sa destinée. Au rythme de ses ébats toujours plus sucrés et puissants, il géra la colonisation de Solsiméo et de la planète Susanoo, et fit explorer Soljude et Solissacar, créant ainsi de nouveaux liens avec les espèces locales. Devant la multiplication des genres et des possibles, il écrivit une loi connue sous le nom de Sexualem Codex, le fameux code sexuel, qui servit de base aux statuts de l'alliance, ancêtre de la Fédération. Les unions avec son Kili'an, toujours plus explosives, se traduisirent par des Résonances si intenses que toutes les espèces intelligentes, sexuées et capables de capter la lumière des étoiles s'éveillèrent au Regard, créant ainsi la première séparation entre animaux et Âminaux.
Ce n'étaient là que quelques exemples de son brillant sens politique. Continuant le combat de son père contre le malheur, la guerre et l'obscurantisme, il fit interdire tour à tour le gauchisme, la religion, l'homophobie, la flûte à bec, les choux de Bruxelles, les émissions de télé réalité et les blagues sur les blonds, qui lui furent réservées. Par souci d'apaisement, il maintint tout de même celles sur les roux, ce que tout le monde reconnut comme une décision forte et courageuse.
Son fils, le Protecteur, devint lui aussi un Aar'on, et il fut le premier à ne pas trouver son Kili'an. Cela ne l'empêcha pas d'obtenir pour la première fois les pleins pouvoirs sur l'Alliance et d'être nommé « Protecteur de l'Humanité », d'où son surnom. Au prétexte qu'un nouveau monde devait remplacer l'ancien, il fixa sa capitale sur Susanoo.
Malheureusement, son incapacité à trouver son promis eut des conséquences gravissimes pour l'expansion humaine. Les Kémèts ayant à leur tour hérité du Regard lors de la génération précédente, une grave guerre se déclencha entre les deux peuples. Plusieurs causes furent évoquées pour justifier l'origine du conflit. Les alliés accusèrent leurs anciens partenaires commerciaux de jouer un double jeu et de vouloir profiter du transfert de technologie humaine pour les soumettre et leur voler leurs meilleures recettes à la noisette. Les enfants d'Horus répliquèrent que la cause de la bisbille était cette insupportable taxe sur le Nutella qui leur était imposée. Au milieu, le Protecteur noya son chagrin de ne pas avoir trouvé de blondinet à mettre dans sa couche dans la fameuse pâte à tartiner dont il fut un des plus grands consommateurs de l'histoire. D'où la taxe censée empêcher la très forte demande en provenance d'Horus de provoquer des ruptures de stock dont il aurait été la victime. D'où la guerre.
Le quatrième Aar'on eut beau tout faire pour préserver les intérêts de l'Humanité, rien ne put empêcher l'escalade de la violence. Le conflit entre Humains et Kémèts était total et les morts se comptèrent en centaines de millions. Les belligérants avaient revu leurs prétentions à la hausse. Il n'était plus question de simplement gagner, mais bel et bien d'écraser. Voyant le danger qui guettait son espèce, le jeune Aar'on entreprit de sceller le Vortico donnant accès à sa planète d'origine, et reçut pour cela le titre d'Isolateur. Son souhait était simple : protéger à tout prix le sanctuaire et l'amour éternel du premier Aar'on et de son Kilian. Ainsi isolée, la planète bleue reçut le surnom de Canaan, en référence à d'anciennes écritures. Ses habitants évoluèrent de leur côté loin des batailles et des tragédies qui animaient Vojolakta. Pendant des siècles et jusqu'à ce jour, ils veillèrent sur la source de tout et ne reçurent comme invités que de très rares visiteurs, principalement de jeunes Aar'ons guidés lors de leurs quatorze ans par leur Regard sur la terre de leur ancêtre afin de s'éveiller à ce qu'ils étaient vraiment.
Son successeur, lui, était moins prévenant. Furieux de ne pas avoir trouvé son Kili'an sur Susanoo, il se vengea par l'expansion de son territoire en s'intéressant aux systèmes Soljude et Solissacar, espérant enfin poser ses doigts sur son bien-aimé. Peuplé d'espèces mineures et faibles, Soljude fut conquis au tout début de son règne. Domaine des Avs, Solissacar n'intégra l'alliance que peu avant sa mort, une fois l'alliance contre l'ennemi Kémèt signée. Afin d'asseoir cette bonne entente et de la graver dans le marbre, l'Aar'on décida de créer sémantiquement une nouvelle catégorie d'êtres, supérieurs aux Âminaux et aux animaux : les Âminêtres, réunissant le genre Humain et les potentielles espèces supérieures, tel les Avs. Pour formaliser cet état de fait, il créa le fameux test de l'Âmination. Tout cela lui valut d'être surnommé « l'Âminateur » par ses fidèles. C'était aussi un message fort envoyé à ses adversaires, considérés comme des êtres inférieurs bons à se soumettre ou à être détruits. Cette décision marqua une rupture nette entre la marche de l'Histoire et le vœu d'un univers sans guerre ni ségrégation qu'avait formulé l'Amoureux avant de sceller son existence dans les bras de son Kilian.
Ayant lui aussi échoué à trouver le garçon qui lui était destiné, l'Aar'on suivant fut encore moins glorieux que son prédécesseur. Il fut même connu comme le pire de tous. Alors que les Humains et les Avs semblaient avoir pris un ascendant psychologique sur les Kémèts, il engagea ses armées dans un véritable bourbier dont ses adversaires profitèrent pour éradiquer quatre-vingt-dix pour cent des habitants de Susanoo. Cette catastrophe, la plus grande jamais connue par le genre Humain, expliqua à elle seule le comportement particulièrement rude et expéditif des survivants et de leurs descendants lors des siècles suivants contre leurs adversaires. Humilié par la défaite, âgé et abattu par cette vie passée sans avoir trouvé de blondinet pour siéger à ses côtés, le sixième signa la reddition de l'Humanité, faisant passer Susanoo et les autres planètes du système Solsiméo sous le contrôle des Kémèts. Ce ne furent cependant pas ces derniers qui firent exécuter les principaux dignitaires de l'Alliance, dont l'Aar'on lui-même et toute sa famille et descendance, mais un groupe de rebelle nouvellement créé qui militait pour le retour de leur peuple sur Canaan et l'abandon de la conquête spatiale. L'anti-humanité naissait ainsi au prix du sang aaronesque versé. Une lignée s'éteignait, une nouvelle ère commençait, celle de la soumission aux Kémèts et des manœuvres politiques. Enfin, cela aurait pu être le cas si l'arrière-petit-fils du « Déchu » n'avait pas miraculeusement survécu à l'éradication de son clan.
Longtemps, les Kémèts pensèrent qu'il s'était réfugié dans les systèmes Soljude ou Solissacar. La vérité était tout autre. Sauvé dès sa naissance par une nourrice, l'enfant fut élevé jusqu'à ses quatorze ans sur la très froide planète Tsukiyomi, où personne ne pensa à le retrouver. Là, guidé par son Vortication, il rejoignit le sanctuaire de Canaan et s'éveilla à sa dignité, puis partit en chasse de son Kili'an, qu'il eut le bonheur de trouver. Ensemble, les deux adolescents réussirent à lever secrètement une armée qu'ils lancèrent contre les Kémèts. Surtout, ce furent leurs Résonances qui donnèrent un avantage total à leurs soldats. Leur passion était telle qu'elle écrasa de tout son poids l'adversaire. En une génération à peine, le désespoir avec changé de camp.
Refusant de reprendre Susanoo comme capitale, le septième bannit les Kémèts ayant survécu à son amour sur une planète nommée Seth, puis fit d'Horus et de Solruben la place fort de son nouveau régime : la Fédération des quatre systèmes. Aussi, débuta sous son règne la construction de la station orbitale Thot, censée abriter l'administration de son empire. Particulièrement imbu de sa personne, l'adolescent prit l'habitude de se faire gâter en public par son Kili'an, ce afin d'indiquer à tous sa totale domination sur le genre Humain. Son nom, eu égard de son œuvre politique, devint « le Fondateur ». Ainsi débuta une courte ère de paix dans Vojolakta, jusqu'à ce qu'un nouvel adversaire encore plus dangereux que les Kémèts ne point le bout de son nez : le Bottel'ron.
Cette histoire, seuls les habitants de Canaan purent la préserver intacte, grâce aux connaissances transmises par les quelques voyageurs qu'ils reçurent. Du côté de la très jeune Fédération, entre l'isolement de leur planète d'origine, la destruction de Susanoo et la volonté politique du septième de protéger à tout jamais la source de tous les Regards en supprimant des manuels toutes références à Canaan, l'Histoire fut complètement réécrite. Les Hommes devinrent originaires de Susanoo, le « berceau de l'Humanité ». Les ruines de la civilisation Cipang furent assimilées à celles des colons. Les six premiers Aar'ons devinrent légendaires, et comme toutes légendes, les hommes ne retinrent que peu de faits véridiques à leur sujet. Les Kémèts, par leurs nombreuses attaques, furent accusés d'avoir détruit toutes traces de ce qui existait avant le Fondateur, justifiant ainsi l'absence quasi-totale d'archives historiques datant d'avant l'éclosion de sa Fédération.
Ainsi, générations après générations et ce jusqu'au vingt-septième du nom, les Aar'ons se rendirent dans le plus grand secret sur Canaan vers leurs quatorze ans pour s'éveiller à leur véritable nature et entendre de la bouche de la Suz'an la vérité sur leur lignée. Jusqu'à ce qu'enfin, un jeune blond se décide lui aussi à tenter cet improbable voyage.
*****
Choqué par autant de révélations, Kili'an resta de longues secondes assis en tailleur à observer le cocon de cristal. Apprendre qui il était vraiment et d'où il venait lui posait plus de question que cela ne lui apportait de réponses. Les mots que la Suz'an avait prononcés à la fin de son exposé n'avaient fait que le troubler encore plus :
– La source ne peut rien faire pour ton frère. Ce n'est pas un objet qu'on manipule, c'est l'essence même de ce qui existe et de la profondeur de ton Regard. Tout repose dans tes mains et dans celle de ton Aar'on. Il te suffit de recréer le même amour, et toi aussi tu seras capable de faire des miracles...
De retour dans le salon, la vénérable Suz'an prit Camill à part et lui révéla, avec la plus grande discrétion, quelle était sa véritable nature et sa mission. Pleinement conscient du sacrifice qui devrait être le sien, l'adolescent aux deux genres baissa la tête. Plus loin, un Humain vêtu de violet discutait avec un robot aux cheveux orange.
– Rentrez sans moi. Je ne vous serai d'aucune utilité, j'ai déjà échoué trop de fois pour prétendre mériter faire partie de cette équipe. Mart-1, je te confie Kili'an...
– Tu veux vraiment nous abandonner ? – demanda son interlocuteur mécanique.
– Ma place est ici. Je suis désolé...
À ces mots, l'androïde tendit un morceau de papier fraîchement imprimé à son camarade, que ce dernier lut avec une certaine attention.
– L'Aar'on se doutait que tu dirais ce genre de choses, alors il m'a donné ça pour toi. Il voulait que tu te souviennes de ce que tu étais, avant, et de ce que tu pourrais encore être...
Ému par ces quelques lignes, Gabri'el se frotta les yeux pour masquer une humidité qu'il préférait d'ordinaire garder pour lui, puis revêtit sa forme Chérubine dans un « pouf » brumeux. Ses forces et sa motivation lui étaient étrangement revenues.
– Geeeeeeeeeeeb ! Faites chauffer le moteur !
– Ça veut dire que tu restes avec nous ? – l'interrogea le jeune blond qui venait justement de sortir de la chambre et qui avait capté une simple bribe de la conversation.
– Geb, geb ! – acquiesça l'angelot en souriant et sautillant partout. Allez, on va casser du méchant !
– Non... – désapprouva Kili'an, ému. On va les sauver ! On va sauver tout le monde ! Et seulement si ça marche pas, on va leur ratatiner leur gueule. Enfin, notre priorité, c'est de retrouver Benj'am. On a assez perdu de temps comme ça, on bouge !
– Et ton frère ? – demanda naïvement Yun'ah.
– J'arrête de me prendre la tête. – lui sourit l'adolescent. Même si je n'ai pas trouvé de solution, au moins, j'ai trouvé des réponses. Je n'ai pas besoin de chercher Cédlic, car de toute manière, je sais que je vais finir par le retrouver quoi qu'il advienne. Parce que j'aime mon Aar'on, et qu'ensemble, rien ne nous est impossible !
Dépitée devant tant de nunucherie à l'eau de rose, la mécanicienne plongea son visage entre ses paumes. Elle retrouvait bien là son capitaine... Et il était toujours aussi blond, à l'intérieur comme à l'extérieur.
– Ouais, nan, mais la force de l'amour, là, tout ça, faut vraiment que t'arrêtes les dessins animés...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top