34. Canaan
L'alizé est un vent qu'on ne retrouve que sur Canaan. Quand il s'engouffre dans les cheveux dorés d'un Kili'an, la nature toute entière vibre à l'unisson d'un monde merveilleux. Nan, sérieux, c'est trop beau, j'vous mets au défi de ne pas craquer ! – Journal intime du premier Aar'on –
*****
– C'est quand même beau, l'univers...
Les mains et le nez collé à son hublot tel un enfant, Kili'an admirait l'immensité de l'espace. Voir défiler des monstres bleus, jaunes et de couleurs mêlées entourés de lunes et d'anneaux l'impressionnait toujours. Les géantes gazeuses sur lesquelles il était impossible de poser le pied avaient un côté magique qui fascinait son âme naïve. La découverte d'un nouveau système dont il ignorait l'existence l'ensorcelait encore plus. La vie était une chose étrange, fragile, et pourtant extrêmement vigoureuse. Il lui fallait des conditions particulièrement rares pour se développer et évoluer. Pourtant, dès qu'elle prenait forme, elle s'emparait de tout ce qui était à sa portée, recouvrant les terres et colonisant les océans. Kili'an n'était qu'un simple humain, une espèce parmi d'autres, une portion infime de tout ce que l'univers pouvait compter. La lumière qui pénétrait dans ses yeux l'éblouissait. La grâce des objets, astres et personnes qu'il croisait s'imprimaient à chaque fois au fond de ses rétines. Toujours, ses lèvres relevées vers le ciel et légèrement entrouvertes trahissaient son bonheur, celui de simplement être en vie et de connaître de si belles aventures.
Le vaisseau s'approchant de sa destination, Mart-1 sortit son capitaine de ses rêves éveillés.
– D'après les informations transmises par l'Aar'on, Solévi compte huit planètes, si on ne compte pas les naines. Outre les quatre gazeuses qu'on vient de passer, il y en a quatre autres faites de roches, de taille plutôt moyenne. La rouge devant nous est trop aride pour contenir autre chose que des micro-organismes, même si l'Humanité s'est amusée plusieurs fois à la fouler. Notre destination est la suivante, la bleue, troisième en partant de son étoile. Sa taille et sa rotation sont très proches de celles d'Horus. C'est pour cette raison, d'ailleurs, qu'elle a été préférée à Susanoo par le septième Aar'on pour devenir la planète-capitale. Elle correspondait mieux au rythme biologique de l'Humanité. Par contre, je ne sais pas où on doit se poser...
– Moi, je sais... – le coupa Gabri'el.
Ayant revêtu sa forme humaine, l'adolescent éternel avait du mal à cacher son stress. Ses tremblements le trahissaient. Aucune pitrerie ne semblait vouloir naître de son esprit fécond. Ses doigts ronds masquaient son œil gauche refermé. Il semblait comme écrasé par la fatigue et la lassitude. Comme tous les Humains, il était originaire de Canaan, le véritable berceau de son espèce. Mais à la différence du jeune blond qu'il accompagnait, il n'avait aucune envie de fouler ce sol. Le seul fait de se l'imaginer contractait sa poitrine. Un soupir lourd, pourtant, indiqua sa résignation. Une fois le passage ouvert par le Légitime, Kili'an lui avait ordonné de le suivre :
– C'est p'tet ma quête, c'est p'tet aussi l'histoire de ma kekette, mais te paye pas ma tête ! Les mensonges, ça commence à bien faire, c'est le même ressort scénaristique en boucle depuis des siècles et des siècles, ça fait chier tout le monde et c'est ultra prévisible. Alors okay, toi et l'Aa'chouchou, vous m'avez caché plein de trucs pour me protéger et tout et tout, mais maintenant, t'arrête les conneries et tu viens avec moi ! Non parce que c'est vrai que, pour l'instant, le troisième membre de la trinité légendaire, on voit pas trop à quoi il sert ! T'arrête pas de te faire exploser, et ensuite, tu déprimes et tu noies ton chagrin dans les cuisses des filles ! Encore, tu coucherais avec moi de manière régulière, j'dirais pas, mais même pas, tu préfères les seins ! C'est complètement débile !
En guise de réponse, Gabri'el avait simplement tâté avec un air déçu la poitrine de son capitaine, avant de déplorer son manque de relief malgré des petits tétons rigides et agréables au touché. Puis il avait suivi la troupe avec un air résigné.
Les autres membres de l'équipage, eux, avaient fait preuve d'un peu plus de curiosité, même s'ils ne comprenaient pas forcément en quoi cette mission si spéciale différait de d'habitude. En attendant d'atterrir, chacun vivait sa vie. Link'o observait son maître regarder par le hublot. Camill s'enferma dans sa cabine pour choisir sa plus belle ©Végérobe. Yun'ah dirigeait l'appareil dans cet espace inconnu avec un grand professionnalisme. Mart-1 admirait Yun'ah. Ko'a, enfin, collait amoureusement ses ventouses au derrière du capitaine qui ne faisait même plus attention à cette présence humide et lubrifiante.
Enfin, Canaan fut suffisamment proche pour que l'émerveillement continu de Kili'an se transforme en un murmure de ravissement. La planète était recouverte à soixante-dix pourcents d'eau. Des grosses masses nuageuses blanches masquaient ici et là sa surface. Ses continents mêlaient des teintes vertes – preuve de végétation – et jaune, pour les zones plus désertiques et montagneuses. Cette petite bille nacrée était belle. Un satellite unique, gris, tournait doucement autour d'elle. Devant ce spectacle qui s'offrait à sa vue, l'adolescent aux yeux verts trépigna d'impatience et sautilla comme une puce. C'était comme si on lui offrait un nouveau jouet !
– Allez, allez, on se pose ! Alleeeeeeeez !
Suivant les indications de Gabri'el, Yun'ah visa une large masse de terre dans l'hémisphère nord et fit atterrir le Swinton au milieu d'une grande métropole, sur une colline.
Ce qui émerveilla immédiatement le capitaine, ce fut la place donnée aux arbres dans ce tableau presque idyllique. Le climat était doux. C'était le printemps. Toutes les rues et tous les bâtiments étaient recouverts de plantes, dont la mission était de filtrer l'air et de produire une énergie propre. Ressentant le vent dans ses cheveux, Kili'an eut l'impression de respirer pour la première fois de sa vie. Tout autour de lui était baigné d'un étrange calme. Les gens, de tailles, couleurs et apparence différentes traînaient dans les allées et souriaient à leur prochain. Un service de police passait le plus clair de son temps à renseigner les badauds et à leur rendre service. Les enfants jouaient sans se soucier d'un risque de toute manière inexistant. De nombreux animaux, de la même espèce que Link'o, vivaient en symbiose avec une Humanité qui semblait ne connaître ni guerre, ni malheur, ni ségrégation. De son point d'observation, Kili'an put voir au loin une étrange tour de ferraille recouverte de fleurs plantée au milieu d'habitations qui s'étendaient à l'infini. Dans son dos, une bâtisse blanche à quatre coupoles rayonnantes, couverte par endroit d'un lierre sauvage, semblait apporter réconfort et protection au lieu. Oubliant ce pourquoi il avait foulé ce sol, l'adolescent s'y engouffra et découvrit les vestiges d'un culte ancien, oublié ou interdit. L'atmosphère mystique qui s'en dégageait stupéfia de longues secondes le soldat. Il y trouva un calme et une sérénité qu'il ne pensait possible que dans les bras de son Aar'on.
Ressortant de l'édifice couvert de souvenirs en plastique, il s'assit sur un banc pour observer ses camarades flâner eux aussi à la découverte de cet étrange endroit. Link'o jouait avec ses semblables. Yun'ah se faisait offrir des fleurs par Mart-1. Camill goûtait les spécialités de crêpes au Nutella vendues par des marchands. À la différence de la sainte pâte adulée dans tout Vojolakta, celle-ci avait une onctuosité et une odeur de noisette sans pareille. La recette, originale, devait contenir des ingrédients secrets. Plus loin, près d'une façade portant une inscription rendue partiellement illisible à cause du temps et de l'érosion mais sur laquelle on pouvait deviner le mot « atelier », des enfants et adolescents s'étaient installés devant leur chevalet pour peindre le paysage. Avec un sourire doux et ému que Kili'an ne lui connaissait pas, Gabri'el s'était approché d'eux pour leur donner quelques conseils.
« Tiens mieux ton pinceau. Il est le prolongement de ta main. Quand tu dessines, tu dois oublier l'outil, tu ne dois plus avoir en tête que ton sujet. Ton trait doit être plus naturel, moins académique. Et pour les couleurs, mélange et mélange encore jusqu'à trouver la teinte parfaite. Ce que tu peins doit être encore plus éclatant que ce que tu vois, sans quoi le résultat sera terne et sans âme... regarde-moi faire... »
Se saisissant d'une toile vierge, Gabri'el laissa ses mains tracer des courbes et des figures avec une aisance presque magique. À quelques mètres seulement de lui, un vieil homme jouait d'un instrument nommé violon. « Liebesleid » était le nom du morceau qu'accompagnaient les chants des oiseaux. Gabri'el souriait. Gabri'el pleurait, même. Et Kili'an l'observait avec un air surpris et incrédule. Reniflant et se frottant les yeux pour masquer son émotion, l'être vêtu de violet confessa à demi-mot ce qui le mettait dans un tel état.
– Je n'imaginais pas que mon esprit reverrait un jour cet endroit... Excuse-moi Kili'an. Je ne voulais pas revenir sur Canaan, car j'avais peur. Peur de ne jamais vouloir repartir.
Puis tournant sa tête vers son capitaine en laissant une larme couler sur sa joue :
– C'est chez moi, ici. C'est chez nous...
Au rythme d'une musique qui couvrait presque tous les bruits et qui apportait du bonheur dans le cœur de chaque membre de l'équipage, tous se posèrent pour observer la vue. Les Humains et le chien, surtout, furent pris d'une émotion indescriptible. Ainsi, c'était ça leur planète ? C'était ça, le berceau de leur espèce ? Cet endroit à l'atmosphère paisible, à l'air doux, à la température agréable et à l'architecture raffinée, où le temps semblait pouvoir passer loin de la violence et des agitations propres aux guerres galactiques ? C'était ça, ce que le quatrième Aar'on avait voulu protéger en en scellant et l'accès et l'existence ? C'était sur ce sol qu'ils étaient censés marcher ? C'était cette eau qu'ils devaient boire ? Cet air qu'ils devaient respirer ?
Se relevant brusquement pour ne pas céder à ce chant des sirènes capable de le détourner de son objectif, Kili'an demanda aux autres de se bouger. Il était là pour découvrir la vérité, pas pour faire du tourisme.
– Bon, Gaby, il est où ce sanctuaire dont l'Aar'on m'a parlé ? J'ai fouillé toute la zone, j'ai rien trouvé de spécial !
– À environ quatre cent kilomètres au sud.
– HEIN ? – gesticula le blond. Mais... mais... mais c'est super loin ! Pourquoi tu nous as fait atterrir ici !
– Bof, j'avais envie, la vue était belle. – répondit son camarade, comme si de rien n'était. Ne sois pas pressé de découvrir la vérité. Tu sais, ce n'est pas comme si elle pouvait changer. Demain, elle sera toujours là. Et même quand nous ne serons plus, même si tout le monde l'oublie, elle ne cessera jamais d'exister. Tu ne manques rien à l'ignorer. Elle est par essence. C'est dans sa nature, qu'elle te soit ou non révélée.
– J'ai rien compris... – confessa l'adolescent avec un air gêné. Je m'en fiche que c'est la vérité qui peut pas changer qu'on manque d'essence dans la nature. Moi, j'veux pas y aller à pied, c'est trop loin ! Ou alors, tu me portes.
– Couillon... – soupira Gabri'el avec un sourire amusé. Laisse tomber, on y sera d'ici quelques heures, le temps d'acheter un billet. Même si les habitants de cette planète sont coupés de la Fédération, ils ont des systèmes de transports évolués... et propres !
– Capitaine Couillon, steuplait ! Faut me respecter, un peu ! Et moi aussi, j'suis propre, j'me lave tous les jours, même derrière les oreilles ! Mon Aar'on, il dit toujours que c'est plus agréable pour l'amour quand on sent bon ! Enfin, ça l'empêche pas d'être chiant. Un jour, j'ai acheté un parfum au nutella en pensant lui faire plaisir, il m'a traité de gaufre...
Après avoir bâillonné et ligoté leur leader pour s'assurer qu'il se tienne tranquille et qu'il arrête de dire des bêtises pendant le trajet, les membres de l'équipage suivirent Gabri'el jusqu'à ce qui semblait être une gare. L'Humain aux yeux bleu maya se chargea d'acheter les billets au guichet.
– Je récapitule votre demande : un aller simple pour un robot, un garçon, une fille, un... garçon-fille, un chien, un machin gluant indéterminé et des bagages pour tout le monde, dont un bidule blond boudeur au visage tout rouge qui grommelle dans son coin. La Sneuceufeu vous souhaite un agréable voyage et s'excuse par avance pour le retard qui vous sera occasionné, sans doute à cause d'un mouvement de grève surprise du personnel ou de son incompétence latente.
– Pourquoi il dit ça ? Il y a un problème ? – demanda Yun'ah, intriguée.
– Non, non, – répondit Gabri'el –, simple tradition locale. Le retard, ça fait partie du voyage. Les usagers ne comprendraient pas que leur train arrive à l'heure. Trop perturbant. Ah, et surtout, ne mangez pas au wagon-restaurant. C'est du pur folklore. Rien de ce qu'ils y servent n'est comestible... C'est des pièces de collection, c'est pour ça que ça vaut une fortune.
Arrivé à destination, toute la petite troupe suivit l'Humain vêtu de violet en direction du fameux sanctuaire, avant de faire soudainement marche arrière.
Ils avaient oublié Kili'an empaqueté sur le porte-bagages.
– Nan mais sérieux quoi ! Qu'on me considère comme un sac, okay, je veux bien, j'le mérite. Mais qu'on me laisse en plan et que je me retrouve aux objets trouvés, là, c'est quand même blessant ! J'vais finir par me demander si ce n'est pas de l'acharnement contre ma personne ! Heureusement qu'ils avaient un stock de bédés perdues pour m'occuper, sinon, je me serais fait chier et ça m'aurait mis de mauvaise humeur !
Enfin, après avoir réglé toutes les tracasseries administratives et prouvé que le blondinet leur appartenait bien, les membres de l'équipe touchèrent à leur but. Le sanctuaire leur tendait les bras, au bout d'une rue dans lesquelles les attendaient une vieille femme ridée vêtue de blanc et d'un étrange chapeau, mais affichant un sourire sans pareil. Elle semblait avoir traversé les siècles avec une étrange quiétude. Ce qu'elle dégageait était difficilement explicable, mais ressemblait à une profonde gentillesse et à une intense douceur. La foule de ceux qui l'entouraient la regardait avec tendresse, comme si elle était leur mère. S'adressant au groupe, elle se présenta de manière chaleureuse :
– Bienvenue sur Canaan, mes enfants. Il est si rare que nous ayons de la visite sur notre bonne vieille planète. Je suis la Suz'an, et mon rôle est de veiller sur le sanctuaire et sur l'Humanité. Je règne sur cette terre depuis que le quatrième Aar'on a décidé de nous préserver des menaces. Mais tu sais déjà cela, n'est-ce pas, Gabri'el ? Ta présence parmi nous n'est pas passée inaperçue. Peux-tu m'expliquer la raison pour laquelle l'Aar'on actuel t'a ouvert le passage vers Solévi ? Avais-tu oublié des choses depuis ton dernier voyage ?
– En effet, vous ne m'apprenez rien. – répondit calmement le concerné avant de pointer du doigt son capitaine qui avait grimpé dans un arbre à la recherche de quelques cerises à grignoter. Cette fois-ci, je ne viens pas pour moi. Je suis le simple compagnon de voyage de cet énergumène. Nous sommes ici pour visiter le sanctuaire et lui révéler la vérité sur le monde et sur sa condition.
Rechaussant ses lunettes pour mieux observer l'adolescent, la Suz'an fut prise d'une intense émotion qui la poussa à plaquer sa main sur sa bouche. Elle étouffa un cri. Ces cheveux blonds, ces yeux verts, cette démarche un peu gauche mais si naturelle, cette beauté, cette façon de glisser de la branche et de tomber de l'arbre en grommelant que ce n'est pas juste, cette manière de croiser les bras et de bouder tel l'enfant qu'il était à tout jamais, ce sourire pourtant qui se dessinait naturellement sur ce visage doux et pur... La vieille femme ne put s'empêcher de pleurer devant une telle merveille avant de le serrer contre elle.
– Tu t'appelles Kili'an, n'est-ce pas ? Tu lui ressembles tellement...
– Euh, oui ! – répondit le jeune homme, particulièrement gêné. Mais... je ressemble à qui ?
– Tu le comprendras très bientôt ! Suis-moi mon enfant. Suivez-moi tous.
Sur le court chemin qui menait au sanctuaire, Suz'an expliqua à son jeune auditoire comment s'organisait la vie sur Canaan. Cette planète, avant la naissance du premier Aar'on, connaissait la guerre, la famine, la misère et l'obscurantisme. Les hommes s'entretuaient pour de l'eau, de l'énergie, de l'argent et des croyances. Puis l'éveil du premier Vortico et du Regard avait ouvert la porte à la conquête spatiale et au progrès. Les richesses et les technologies ramenées de l'autre bout de la galaxie permirent aux Humains restés sur Canaan d'y développer une médecine de pointe peu coûteuse. Le rejet des mensonges des diverses religions poussa les uns et les autres à trouver une communion avec la nature. L'exode de toute une partie de la population avide de découvertes et de nouveaux espoirs sur Susanoo laissa suffisamment de place et de ressources aux autres pour nourrir tout le monde. Se retrouver coupé du reste de Vojolakta avait permis à cette terre de se développer de son côté. Ses habitants avaient rapidement pris conscience de leur rôle : protéger leur écrin sacré de toutes agressions extérieures. Ils étaient les élus, ceux choisis pour sauver le genre Humain au cas où celui-ci venait à disparaître, éradiqué par ses ennemis. Ils connaissaient très bien le destin de leurs frères partis conquérir l'univers. À chaque fois qu'un Aar'on s'éveillait à sa vraie nature, il venait sur Canaan à la recherche de vérité, et à chaque fois, il apportait avec lui une nouvelle page de l'Histoire stellaire que les autochtones apprenaient à leur enfant.
– Ce qui est dingue, – s'étonna Kili'an, c'est que vous parlez super bien l'humain !
– Sur cette planète, – répondit la vieille femme, de nombreuses langues coexistent. Ce que tu appelles l'humain n'est rien d'autre que celle du premier Aar'on. Il a vécu dans cette rue même avec son Kili'an. Nous y voilà. Je te présente le sanctuaire de Canaan. Et tu es ici chez toi.
Ce qui étonna tous les membres du groupe à l'exception de Gabri'el, ce fut de constater que le sanctuaire n'était pas du tout ce à quoi ils s'attendaient. Pas de temple, d'église, ni de grand bâtiment. Une simple maison ancienne, comme figée dans le temps, avec un jardin et deux étages. Sur la porte était gravé un dessin que le soldat aux yeux verts connaissait bien pour l'avoir déjà vu comme couverture d'un étrange ouvrage. Y figuraient un Aar'on et un Gabri'el protégeant tous deux un Kili'an abandonné. L'esquisse semblait presque aussi vieille que la bâtisse elle-même. S'en approchant, le garçon vêtu de violet y posa sa paume et soupira en fermant les yeux, ignorant volontairement le panneau indiquant « ne pas toucher » placé à côté. Tout de suite, des voix dans la foule s'élevèrent. C'était un véritable crime qui venait de se dérouler sous leurs yeux. Ce dessin datait du premier et avait été réalisé par la personne qu'il considérait comme un de ses meilleurs et plus proches amis. En signe d'apaisement, la vieille femme leva la main.
– Laissez-le... Une partie de son âme est présente dans ce dessin...
Jetant des regards surpris partout, Kili'an admira cet endroit étrange qui lui semblait à la fois familier et agréable. Souhaitant poser une question, il leva poliment le doigt pour demander la parole, qui lui fut assez rapidement accordée.
– Dites... Euh... c'est super cool, mais, pourquoi y a marqué « Musée » sur votre sanctuaire ?
– Parce que pour les gens d'ici, s'en est un... – répondit Gabri'el en soupirant. C'est plus simple pour obtenir des subventions. Attends, ils perdent pas le nord, hein. Et puis, ça permet aux enfants d'aujourd'hui de le visiter, c'est une plongée dans le passé. Cette maison est restée presque dans le même état qu'elle l'était lorsque le premier Kili'an y vivait. C'est chez lui, quoi. Forcément, pour les Aar'on, c'est un véritable sanctuaire, comme tout ce qui touche de près ou de loin à la couleur de tes cheveux. Bon, et il y a aussi un truc particulier à l'étage, c'est la partie non ouverte au public.
Excité par cette annonce, Kili'an s'engouffra la tête la première dans cette demeure. Non, sérieusement, il trouvait ça trop cool. Il pensait que ce voyage serait un peu sombre et ennuyant, et à la place, il pouvait faire du tourisme. Il adorait ! Une fois à l'intérieur avec son groupe, il s'émerveilla en écoutant les explications du Suz'an, qui jouait le rôle du guide pour cette visite privée. Forcément, malgré les interdictions, il voulut tout toucher.
– Non, sérieux, ça j'te le déconseille ! – s'écria Gabri'el.
– Quoi ? C'est un pot de Nutella ! J'ai le droit de goûter, nan ? – protesta le blond.
– Oui, à vos risques et périls. – répondit Suz'an avant de poursuivre son exposé. C'est tiré de la réserve personnelle du premier Kili'an. Même si cette antiquité n'a pas de prix, elle n'est plus vraiment mangeable. Bref, de ce côté-ci du salon, nous avons descendu le lit qui était autrefois placé dans la chambre à l'étage. Comme vous pouvez le voir, nous y avons laissé les peluches qui avaient pour tâche de le garder. Noter que c'est sur ce sommier que son propriétaire a reçu certaines de ses plus belles saillies... Heu...est-ce que quelqu'un peut dire au Kili'an actuel d'y descendre, de remonter son caleçon et d'arrêter de nous montrer ses fesses sacrées ?
– Quoi ? J'me mets dans la peau de mon prédécesseur ! C'est con, j'aurais dû venir avec mon Aar'on à moi, on aurait essayé et... nan ? Dites-moi que j'rêve ?
– Quoi donc ? – demanda Yun'ah en voyant son camarade se jeter sur une étagère en pleurant d'émotion. Pourquoi tu chiales ? Tu as trouvé un truc spécial ? Une photo ? Une information ?
– Non ! – gémit encore plus fort l'adolescent. Encore mieux que ça... Les... les quatre-vingts premiers tomes de One Piece ! J'ai toute la collection du quatre-vingt-unième jusqu'au trois mille trois cent vingt-et-unième ! Ceux-là, ils sont légendaires, on les croyait perdu à tout jamais ! Putain, c'est le plus beau jour de ma vie après toutes les fois où j'ai fait l'amour avec mon Aar'on !
– La collection de manga du premier Kili'an... – précisa Suz-'an. À l'époque, ses principaux camarades se moquaient beaucoup de lui pour ses goûts assez enfantins et mainstream en la matière. Mais son plus grand exploit est d'avoir poussé son Aar'on à lire ce genre d'ouvrage et même à en apprécier certains. La suite de la visite est de ce côté, si vous voulez me suivre...
– Après ! – s'énerva le blond. Je lis, là !
– Tant pis ! Vous raterez l'atelier « thé aux bulles » dans la pièce suivante... et... mais il... il est passé où ?
– Là ? Il en train de bouffer les bulles et de boire le thé, sur le lit... – soupira Camill. Tout en lisant une bédé et en trémoussant ses fesses, bien sûr. Ah non, mais c'est qu'il est doué notre capitaine, faut pas croire... Il peut faire plein de choses en même temps.
– Il ressemble tellement au premier... – jugea une Suz'an attendrie avec affection. Ça me rappelle une anecdote particulièrement célèbre par ici. À chaque fois que sortait un nouveau tome de son manga préféré, le jeune blond était tellement pressé de le lire qu'il lui arrivait de le faire pendant sa saillie. C'est une histoire véritable ! En même temps, on raconte que son Aar'on, quand il était en rut, pouvait le prendre n'importe où et n'importe quand. Certes, sans doute la légende aura-t-elle quelque peu exagéré son endurance... Bref, maintenant, il est temps pour votre cher ami de me suivre jusqu'à l'étage, dans la chambre. Personne n'y a jamais accès, d'habitude...
Obéissant à cette demande, l'adolescent posa son ouvrage et demanda à Mart-1 de lui scanner chaque page de la collection pour pouvoir les lires plus tard, puis emboîta le pas de la vieille femme. Arrivé en haut de l'escalier, il fut invité dans une pièce presque vide, où tout avait été déplacé pour laisser place à un étrange cocon transparent. Ce qu'il renfermait laissa Kili'an complètement bouche-bée. Immobile, il l'observa silencieusement. Même s'il n'y comprenait rien, il trouvait cela profondément beau. Même s'il n'arrivait pas à le conceptualiser, il était persuadé qu'en ce lieu, tout prenait sens. Après avoir fermé la porte derrière elle, Suz'an retira son magnifique chapeau puis posa sa main sur l'épaule du jeune blond. Comme d'habitude, elle souriait.
– Voilà la source du Regard, des Vorticos et de la Résonance, mon enfant. Mais dis-moi, avant que je t'explique ce qui se trouve devant nous, peux-tu me raconter les raisons qui t'ont conduit jusqu'ici ?
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