23. Le palais de l'humanité

Un alignement des âmes et un abandon total du Kili'an, voilà ce qui permet la Résonance. Et plus le Kili'an prend du plaisir, plus elle est forte ! – Journal intime du premier Aar'on –

*****

– Après cela, tout sera terminé ?

– Oui... j'espère.

Pour la première fois de sa vie, Kili'an avait peur. Et en même temps, une sorte d'impatience folle circulait dans ses veines. Tout était sur le point de lui être révélé.

Il allait de nouveau fouler Susanoo, le berceau de l'Humanité, la planète où tout avait commencé et où tout finirait. Même s'il ne savait pas encore contre qui il se battait vraiment, il s'en fichait tant qu'il ne menait pas ce combat seul. Sa petite équipe éparpillée, il ne pouvait plus compter que sur son maître, dont le teint pâle trahissait un certain malaise.

L'astre d'un bleu intense semblait n'attendre qu'eux. Les vents violents et les vagues se jetaient avec force sur ses îles-continents. De l'espace, le spectacle qu'offrait cette terre de légende était toujours aussi magique. Les voyageurs avaient bien du mal à imaginer tout ce qu'elle avait pu subir. Depuis que le centre politique de la Fédération s'était déplacé près d'Horus, il ne restait plus de cet illustre caillou qu'un passé glorieux, une histoire, des traditions, une architecture et un raffinement qui tentait tant bien que mal de coexister avec une étrange modernité délurée.

– La dernière fois, quand tu es venu sans mon autorisation, tu ne t'es pas rendu là où tu l'aurais dû. – gronda l'Aar'on en fixant son petit blond à l'excitation palpable.

– Où allons-nous, alors ?

– À Heian-kyo. L'ancienne capitale, celle établie par le deuxième Aar'on, le Sensuel. Celle où se trouve toujours le Palais de l'Humanité

C'était vrai que lorsque Kili'an et son équipe s'étaient posés sur cette planète, ils avaient focalisé leurs recherches sur la capitale actuelle, Kasao. Ils y avaient rencontré Soraloné, le leader d'une étrange secte qui leur avait balancé une théorie étrange en pleine figure. Un problème copulatoire avec un Pieuvr avait malheureusement mis fin de manière prématurée à l'enquête, et l'adolescent n'avait même pas pensé à se rendre dans la ville musée d'Heian-Kyo. Là, tout semblait figé dans le temps. Cette ville n'attirait guère plus que des touristes et des sociétés de jeux vidéo. Après tout, elle avait perdu son statut de capitale de l'Humanité le jour où le septième Aar'on avait déplacé son administration du côté de Solruben et avait lancé la construction de Thot. Pire, elle avait même été déclassée sur Susanoo au profit de Kasao, mieux placé près des océans et plus dynamique économiquement. Il n'y restait plus que de vieilles personnes s'habillant étrangement, quelques monuments et le Palais dans lequel, parait-il, les premiers Aar'ons avaient l'habitude de s'accoupler avec leur Kili'an. Un vestige du passé sans grande importance, mais à l'architecture plutôt jolie. Il avait du coup été transformé en résidence secondaire pour les grandes pontes de la Fédération.

Construite à partir du bois le plus pur qui existait dans l'univers, la bâtisse faisait plus de cent mètres de haut. Une taille certes misérable comparée à ce qu'on pouvait trouver ailleurs dans la Galaxie, mais qui restait imposante et qui suffisait à dominer sans problème sa petite ville. Son toit en forme de chapeau était recouvert de tuiles vertes et possédait de nombreux ornements réalisés à l'or fin, tout comme la devanture. Les étages voyaient se succéder murs rouges et terrasses brunes jusqu'à son sommet. Tout autour, des saules poussaient dans les jardins au milieu de fleurs d'une infinité de couleurs.

Tenant son Aar'on par la main, Kili'an était subjugué par l'endroit. C'était comme si, d'une certaine manière, il était déjà un peu chez lui.

– Notre objectif, c'est de monter tout en haut. – expliqua le brun, les yeux rivés sur une fenêtre derrière laquelle une ombre semblait l'observer. Nous allons profiter de la nuit qui tombe pour nous infiltrer.

Jouer les espions, le blond aimait bien ça. C'était souvent marrant. Le seul problème était son manque cruel de discrétion qui l'empêchait de faire trois pas sans se faire chopper par la peau des fesses, qu'il avait fort douce par ailleurs.

– Comment on fait alors ?

– Je vais me faire passer pour un diplomate en provenance d'Horus, je connais bien le langage de ces imbéciles. Toi, tu seras ma compagne officielle, cela devrait nous permettre d'obtenir une chambre. Ensuite, quand tout le monde dormira, nous agirons. Tiens, enfile ça.

Se saisissant des habits que lui tendait son maître, le soldat ne se fit pas prier. Il n'avait pas le temps pour ça, ni même pour signaler à l'Aar'on qu'il avait fait une faute d'accord et qu'il était son compagnon, mais bon, c'était sans gravité. Par contre, ses vêtements le serraient un peu, c'était étrange, presque désagréable. Et puis, ce rose n'allait pas du tout avec la couleur de ses yeux. Certes, il s'accordait plutôt bien avec son postérieur, mais vu que ce dernier était comprimé sous plusieurs couches de tissus, cela n'avait aucun intérêt...

– Eh... Mais... attends... C'est... C'EST UNE ©VÉGÉSCRATCH DE FILLE !

– Bah... oui... – répondit la brun en haussant les épaules. Tu penses bien que vu que nos têtes sont mises à prix, j'vais pas me balader en territoire ennemi en criant très fort « Regardez, je suis l'Aar'on, et ce machin blond et stupide, c'est mon Kili'an ! Vous ne voulez pas nous étriper et nous arracher les ongles ? »

– Nan mais ça, j'ai compris ! – s'emporta son cher et tendre. MAIS ÇA RESTE DES FRINGUES DE GONZESSES !

– Parce qu'en plus de préférer coucher avec des garçons plutôt qu'avec des filles, t'es misogyne ? Eh beh, bravo l'ouverture d'esprit !

– Mais nan ! C'est pas ce que j'ai dit ! Et j'ai pas le droit de coucher avec des filles, tu me l'as interdit d'abord ! C'est juste que je ne suis pas Camill, moi ! Je... euh... je sais pas faire, j'suis pas une nana, on va se faire griller !

S'approchant du visage de son petit mécontent, l'Aar'on le lui caressa en affichant un subtil sourire en coin.

– Mais si tu sais faire ! Écoute... fait exactement comme quand on fait l'amour, et ils n'y verront que du feu...

– Tu... tu crois ? – demanda Kili'an en rougissant.

– Mais oui, je te le jure... – le rassura son maître en lui embrassant le front. Tu seras parfait !

Peut-être l'Aar'on aurait-il dû préciser à son cher blond qu'il attendait de lui qu'il reproduise ses fameuses postures de grâce et de douceur le rendant si particulier et désirable, au lieu de lâcher en plein milieu du hall ses fameux piaillements de plaisir qui faisait tout le sel de leurs rencontres intimes.

– Oui... oui... oh oui... mon Aar'on, je t'aime, continue, oui... OUIIIIII !

Le visage profondément enfoui dans ses mains, le jeune brun se demanda pourquoi il ne l'avait pas étranglé quand il en avait eu l'occasion. Peut-être parce qu'il l'aimait, mais là, c'était une bien maigre excuse comparée à son désir de lui arracher la tête et d'inventer un nouveau sport avec. Et puis, déjà, les sirènes avaient retenti et toute une armée encerclaient les deux fugitifs les plus recherchés de tout Vojolakta. Subissant le Regard sombre de son maître, fou de colère, Kili'an fit s'entrechoquer le bout de ses deux index en rougissant.

– Mais... c'est toi qui m'as dit de... Oui, bon, ok, j'aurais p't-être pas dû crier ton nom... Maintenant que j'y pense, c'était pas forcément intelligent. Mais c'est ta faute aussi, tu m'expliques jamais rien, et après, tu m'engueules quand j'improvise... Bon, du coup, on fait quoi maintenant ? On tape dans le tas ?

– Humph... oui... – soupira le brun en utilisant Vortication sur les quelques imbéciles qui lui faisaient face.

– Oh ! T'es pouvoir te sont revenus !? – s'exclama de joie Kili'an en embrochant quelques idiots à l'aide de son fleuret. C'est cool ça !

Pris par le poignet, le jeune blond se retrouva embarqué dans les escaliers à la suite de son homme. Puisque l'opération infiltration avait magistralement échoué, il fallait maintenant agir vite. L'ennemi les attendait.

Après plusieurs minutes de course effrénée sans regarder derrière lui, l'Aar'on finit par se retourner. Le pire venait d'arriver. Son ange avait disparu. Kili'an n'était plus là. Peut-être ses adversaires l'avaient-ils eu... Une profonde angoisse s'empara de son corps. Heureusement que le lien éternel qui le reliait à son bien aimé lui permit de rapidement le retrouver au détour d'un couloir, dans une grande pièce qui abritait un gigantesque bain au soufre. Ayant jeté ses habits féminins au sol, l'adolescent barbotait tranquillement et faisant la baleine blanche avec son fessier opalin.

– Faut que tu viennes, Aa'chouchou ! Elle est un peu chaude, mais c'est l'éclate ! Nan mais sérieux, je kiffe Heian-kyo ! Ce qui serait cool, c'est que demain, on aille visiter la ville ! Y a plein de trucs sympas que je voudrais voir avant de rentrer sur Thot...

Pour la deuxième fois de la soirée, l'Aar'on plongea son visage dans ses mains. C'était bien sur les épaules de ce machin-là qui jouait dans l'eau comme un enfant que reposait l'avenir de toute la Fédération. Et ce machin-là était bel et bien son Kili'an adoré. Pour le coup, le brun avait envie de pleurer, mais en même temps, il ne savait pas si c'était de désespoir devant autant de pitreries ou d'amour face à une telle légèreté. Toujours est-il que, pressé par le temps, il l'attrapa fermement par le collier, lui lança de multiples éclairs dans les yeux et le tira derrière lui sans même lui laisser le temps de se revêtir.

– Nan mais attends, j'vais quand même pas affronter le grand méchant tout nu ! T'imagines si après, tu vends les droits de notre histoire à des gens qui veulent en faire un biopic ? J'ai pas envie d'être ridicule, moi !

– Non mais ça, c'est déjà trop tard... fallait t'en soucier au premier chapitre de ton existence !

Enfin, après avoir évité de nombreux combats et trucidé encore plus d'inconscients, l'Aar'on se présenta dans l'ancienne salle du trône. Un homme tout vêtu de rouge l'attendait de dos en regardant par la fenêtre. Effrayé par l'aura colérique de cette masse, Kili'an s'assit à genoux aux pieds de son maître et attendit la suite. La voix de l'antihumain était lourde, presque tremblante et parcourue de nombreux soupirs, comme si l'âge, le succès et la soif de réussite ne l'avaient pas encore complètement comblé. Comme s'il lui restait une dernière chose à accomplir pour parachever son œuvre.

– Je t'attendais. Depuis longtemps. Ce n'était pas une décision facile à prendre. Peut-être même encore plus dure que celle de faire tuer ton grand-père. Pourtant, j'ai aimé cette Fédération. Je t'ai même aimé toi, un temps, quand tu es né. C'est par amour pour elle que je ne t'ai pas fait exécuter lors de la chute de ton prédécesseur, parce que j'ai été faible. Mais mon amour de l'Humanité a fini par l'emporter. Il faut parfois faire de grands sacrifices si on veut obtenir un monde sans guerre, sans loi stupide, sans injustice et sans fardeau, ainsi que le retour des Hommes sur la terre de leurs ancêtres, l'abandon de la haine et de cette idée stupide comme quoi des peuples venants de mondes différents pourraient coexister. Tu l'as bien vu, n'est-ce pas ? Tes alliés Kekchis t'ont trahi dès que je leur ai en donné l'occasion, sans même comprendre qu'ils servaient mes intérêts et non pas les leurs. Nous n'avons rien avoir avec ces êtres, nous ne sommes pas faits pour vivre ensemble. Mon rêve, comme tant de martyrs avant moi, est de détruire les immondices que tes prédécesseurs ont créés, pour qu'enfin le même vent puisse souffler sur le visage de tous les hommes. Mais dis-moi, mon enfant, sais-tu ce qui est encore plus goûtu que la sève d'un Kili'an ?

Oh oui, le jeune brun le savait. Il connaissait cette question. Elle était la preuve que l'Homme qui lui tournait le dos était bel et bien son ennemi. Et qu'il devrait l'abattre pour pouvoir vivre. Tuer le père, ou mourir écrasé par lui.

– Pourquoi ? – demanda-t-il simplement. Pourquoi tout ça ? Pourquoi toi ?

Se retournant, l'Homme afficha un étrange visage calme qui tranchait avec l'état d'excitation de son corps. Si l'Aar'on avait compris depuis bien longtemps à qui il avait à faire, ce ne fut qu'à cet instant que Kili'an le reconnut. Se rendre compte de qui lui faisait face causa sa plus grande peur. Celui qui avait attenté à la vie de son maître était aussi celui qui la lui avait donnée.

– Peut-être que si ton grand-père m'avait choisi plutôt que toi, les choses auraient été différentes – s'amusa Gér'ar. Peut-être que s'il m'avait désigné pour devenir le vingt-septième Aar'on, je n'aurais pas été tenté de prendre le rouge. Peut-être que si « je » m'étais rendu sur Canaan, j'aurais pu mener les réformes auxquelles j'aspirais de manière pacifique. Sans doute rien de tout cela ne serait jamais arrivé. Mais peux-tu me dire, fils, ce que tu as de plus que moi ?

Fixant son géniteur dans les yeux, le jeune brun refusa de baisser la tête. Il n'avait pas peur. Il n'avait plus peur. Et même si les larmes coulaient sur son visage, plus rien ne pouvait l'empêcher de proclamer sa vérité. De dire en face de cet homme tout ce qu'il pensait depuis toujours et qu'il avait trop longtemps gardé pour lui.

– Je te hais. Je t'ai toujours haï. Quand tu pensais à ta carrière plutôt qu'à moi, quand tu te glorifiais dans ta médiocrité, quand tu jalousais le bonheur auquel j'aspirais... je n'ai jamais cessé de te haïr. Je n'ai jamais été à tes yeux qu'un morceau de chair censé prendre un jour ta suite, mais tu n'as jamais supporté que je te sois supérieur. Tu n'as jamais accepté que je pense par moi-même, que je développe mes propres sentiments et que je mène la vie que je m'étais choisie. Plutôt que d'être fier de moi, tu t'es mis à détester mon intelligence et mon éloquence. Tu n'as jamais supporté que je devienne l'Aar'on. Mais toi, tu n'aurais jamais pu en être un. Tu es incapable d'aimer quelqu'un d'autre que toi-même. Tu n'aurais jamais pu avoir de Kili'an, tu n'aurais jamais pu découvrir et comprendre la vérité... À part du sang, nous n'avons rien en commun. Tu es un égoïste prétentieux et sans talent. Ta seule manière d'exister est d'essayer de détruire le bonheur des autres parce que tu n'arrives pas à admettre la médiocrité de ton existence. Peut-être même que, plus que de te haïr, je te méprise, en réalité...

Gér'ar avait laissé son fils aller au bout de son monologue, mais sa réaction à la fin fut presque immédiate : se jetant sur le jeune impudent, il lui écrasa sa main épaisse sur la joue, ce qui eut pour effet de propulser l'adolescent contre le mur le plus proche, et ce devant l'effroi d'un Kili'an sous le choc.

– Tu te trompes... – lâcha, de rage, l'homme en rouge. Peut-être que je ne suis pas capable de comprendre ce qu'un homme peut trouver à un misérable stupide petit blond, mais je suis capable d'aimer. J'ai toujours aimé ta mère. C'est pour elle que je t'ai épargné à l'époque où j'aurais pu me débarrasser de toi et de ton air prétentieux. Mais maintenant, je n'ai plus rien à perdre.

Se saisissant de son fils par le cou, Gér'ar serra de toutes ses forces. Le Regard Particulier de l'Aar'on, Vortication, n'était pas à même de lui faire lâcher prise. En tant que père, il n'y était pas soumis. Pire, son propre RP, Foudre, lui permettait de torturer sa progéniture en ressentant même un étrange plaisir. Mais alors que sa progéniture hurlait, il ne vit pas se dresser derrière lui une tornade blonde. La rage qui s'était emparée de l'adolescent lui avait fait perdre toute notion de risque, de danger et de réflexion. Ce qui, pour ce dernier point, le changeait à peine de son mode opératoire habituel mais lui accordait tout de même un léger boost de puissance. Ne pouvant se servir de son Chlorophyli pour cause de nudité flagrante et d'absence de cellules vivantes de couleur verte dans la pièce, il utilisa une autre de ses facultés : ses larmes.

– Toi... toi... tu touches pas à mon mec... J'en ai rien à foutre que tu sois son père, TU TOUCHES PAS À MON AAR'ON ! Nan mais sérieux, j'en ai ma claque là !

Une étrange déflagration accompagna ses pleurs et ses cris, suffisante pour que Gér'ar lâche sa proie. À l'endroit où la peine de Kili'an l'avait touché, une sorte de trou avait creusé son ventre. Du sang s'en échappait et inondait la pièce. Mais le combat n'était pas encore terminé. Se redressant sur ses deux jambes, l'homme tout vêtu de rouge afficha son désir de finir ce qu'il avait commencé. Le jeune blond, de son côté, se jeta dans les bras de son maître. Ce dernier, rassuré en sentant la peau nue et douce de son tendre amant contre son torse, arracha les restes de sa ©Végéscratch noire, puis fixa son père avec une intensité qui fit trembler les murs de la pièce.

– Tu n'aurais jamais pu être un Aar'on car tu es incapable d'aimer comme j'aime, tu n'aurais jamais pu connaître la Résonance. Mais je vais te faire une fleur et te montrer comment ça fonctionne.

Pris d'un certain effroi, le Kili'an glapit. Tout indiquait que le moment de passer à la casserole était de nouveau venu. Avant même qu'il ne puisse le réaliser, l'Aar'on s'était engouffré entre ses cuisses et lui avait fait comprendre, de l'intérieur, la signification de son appartenance.

– Là, maintenant, tu as le droit de gémir !

L'adolescent ne se fit pas prier. Ses cris accompagnèrent à merveille la tornade qui arracha le toit, le tremblement de terre qui dévasta la ville et le Tsunami qui déversa sa colère sur tous ceux qui avaient osé trahir l'Aar'on. Plaqué au sol, Gér'ar ne put qu'observer la matérialisation charnelle des sentiments de son fils, celle-là même capable de créer des merveilles et de changer le cours des choses. Les yeux dans les yeux, l'Aar'on et son Kili'an furent projetés dans une réalité hors du temps. Un espace où il n'y avait qu'eux, où rien d'autre n'avait d'importance. Si cette Résonance n'était pas la plus folle qu'ils n'avaient jamais vécue et si le Légitime souffrit de cette symbiose incomplète, elle était suffisamment puissante pour indiquer à tous les antihumains qui avaient un peu trop tôt célébré leur victoire que la colère de l'Aar'on allait bientôt s'abattre sur eux. Au-dessus du palais de l'Humanité, haut dans le ciel, si loin et pourtant si proche, Nigatruo surgit. Le Vortico de légende situé au centre de Vojolakta et censé ouvrir la porte d'un autre univers s'activa et aspira des armées entières, mais aussi toute l'énergie vitale de Gér'ar, transformé en quelques instants en une sorte de momie desséchée vivant ses derniers instants d'existence. Avant que son âme ne disparaisse totalement derrière l'énorme trou noir, l'Aar'on s'effondra de fatigue sur son Kili'an, ce qui causa l'évaporation du monstre de matière. À l'instant même où son pouvoir se retrouvait à nouveau scellé, une lueur grise, rougeâtre et orangée s'en échappa.

Après avoir retrouvé ses esprits, et laissant son Kili'an reprendre difficilement les siens, le jeune brun s'approcha de son père et le fixa avec le plus grand des dédains duquel transpirait aussi une certaine pitié. Gér'ar n'était plus que l'ombre de ce qu'il avait été. Son règne de terreur et de manigance touchait déjà à sa fin. L'Aar'on avait tué le père, et rien ne pouvait plus l'empêcher de connaître la paix et le bonheur. Dans son dernier souffle, l'adulte sembla vouloir faire preuve d'une étrange pénitence. Levant sa main qui s'effritait d'elle-même vers le visage de sa progéniture, il lâcha ses dernières paroles avant de s'endormir pour un sommeil éternel :

– Je suis désolé... mon fils... je voulais simplement faire le bien... Sauve...-la...

Le palais, dévasté, ne ressemblait plus à grand-chose. Il allait falloir le reconstruire, songea l'Aar'on en lâchant un regard tendre et amoureux vers son petit Kili'an, vidé de toute son énergie.

Au loin, sur une colline, plusieurs observateurs se réjouissaient de cette conclusion, en tout point conforme avec ce qu'ils avaient imaginé.

– Tu as fait un excellent travail, Adri'an ! – s'exclama la Ztékoj rose. Le plan de Gér'ar aurait été sans faille si nous n'avions pas choisi de rendre le Kili'an à son Aar'on...

– En effet, – s'amusa son camarade en lui tournant le dos. Ce vieux fou était persuadé que j'exécuterai le blond comme il l'exigeait. L'imbécile, comment a-t-il pu s'imaginer que je pourrais faire aujourd'hui une chose dont j'ai été incapable hier ? Enfin, bon débarras ! Allez, j'me barre, j'ai mes propres affaires qui m'attendent...

Laissant Adri'an s'éclipser, Clé'a caressa tendrement la tête de son cher frère. Tout s'était déroulé comme prévu, et cette masse orange qui leur faisait face en était bien la preuve. Seule une Résonance pouvait défaire ce qu'une autre avait causé. Depuis qu'ils cherchaient un moyen d'en provoquer une dont ils pourraient contrôler l'intensité et la finalité, ils avaient fini par se rendre à l'évidence : le plus simple était encore de laisser l'Aar'on et son Kili'an faire tout le travail. Utiliser l'anti-humanité leur avait permis de pousser le brun le plus puissant de tout Vojolakta à sortir de sa réserve. Maintenant que cela était fait, ils n'avaient plus qu'à s'agenouiller devant leur seul et unique maître. Cette ombre colorée, si satisfaite d'être libre, n'avait pu s'empêcher d'arracher les tripes, la tête et les organes reproducteurs de quelques serviteurs qui traînait par-là, au plus grand amusement de Clé'o et Clé'a.

– Enfin... – lâcha-t-elle avec une voix sombre, grave et nerveuse. Maintenant que mon âme est de retour, il faut faire revenir mon corps... – puis, s'adressant aux deux Ztékojs. Vous... est-ce grâce à vous si je suis là ?

– Oui, seigneur – s'émut Clé'a. Nous avons crié votre nom pour vous montrer le chemin lors de l'ouverture de Nigatruo et vous permettre de vous échapper de votre prison. Utilisez-nous comme bon vous plaira. Tout comme le Kili'an, nous sommes des clés, même si nous n'avons pas sa puissance. Mais nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour permettre votre complétude et votre vengeance.

– Bien... Il va vous falloir provoquer une nouvelle Résonance...

– Laissez-nous faire – reprit la rosée. Il nous faudra un peu de temps, mais nous avons un plan... Je pense que nous pourrons nous passer de l'Aar'on...

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