13. Susanoo

Un Kili'an, c'est fier. Et du coup, sa fierté le pousse souvent à désobéir. Et quand il désobéit, il lui arrive des crasses. Et quand il lui arrive des crasses, il pleure. Et quand il pleure, il fait moins le fier. Et quand il fait moins le fier, il obéit. Conclusion, pour qu'il obéisse, il faut commencer par le laisser désobéir. C'est du dressage contrarié. – Journal intime du premier Aar'on –

*****

Le Swinton venait de décoller de Thot et se dirigeait tranquillement vers le Vortico le plus proche. Au sein du centre de commandement, chacun s'affairait à son poste. Mart-1 s'entraînait aux jeux vidéo ; Yun'ah réparait Mart-1 ; Camill essayait les robes qu'il avait achetées sur la station orbitale ; l'IA du vaisseau critiquait les faits et geste de tout le monde et Link'o rapportait la balle que lui lançait son maître et capitaine. Fort occupé à divertir son chien de protection, ce dernier vociférait contre sa fonction. Leader d'une unité d'élite qui parcourait Vojolakta au service de l'Aar'on, il se devait d'agir avec honneur, courage et abnégation pour se rendre digne de la confiance qui lui était accordée.

Et pourtant, là, il n'avait qu'une seule et unique idée en tête.

Bouder.

– Bon, tu vas faire la tronche longtemps ? – demanda la mécanicienne du groupe. Elle est magnifique cette pancarte ! Elle a dû lui coûter une blinde ! Tu devrais en être fier, et puis, elle te va super bien !

– C'est vrai – poursuivi Camill. Et puis, une condamnation, c'est une condamnation ! Moi, je trouve que ça te rend sexy... les filles aiment toujours les vilains garçons...

– Waf ! – ajouta Link'o en remuant la queue, attendant qu'on lui renvoie la balle.

– Affirmatif – conclut Mart-1. Tu devrais arrêter de faire la tête, maintenant et nous indiquer quelle est notre prochaine mission.

La tête baissée mais les yeux levés, Kili'an gonflait de manière insoumise sa lèvre inférieure. Si lui avait été vilain, alors l'Aar'on avait été le roi des cons ! Et son équipage était composé d'une bande de vendus, bêtes, idiots et inutiles ! Non, mais c'est vrai, ça ! C'était lui qui risquait sa peau à chaque fois ! Peau qu'il avait d'ailleurs suave et douce et qui lui avait valu de remporter un prix lors d'un salon intersidéral de l'agriculture, catégorie monture. Après d'intenses discussions, les jurés avaient considéré que l'adolescent répondait bien à tous les critères pour participer au concours : soumission à un Âminêtre, intelligence supérieure à la moyenne des animaux mais quand même limitée de manière génétique – ici prouvé par la couleur de ses cheveux – et, surtout, capacité à se faire monter. Voir même démonter dans son cas, comme l'avait prouvé l'Aar'on par son témoignage et une démonstration en public. Pour le désigner vainqueur, les juges avaient ainsi retenu ses principales qualités : la perfection de son épiderme fait du meilleur cuir, la finesse de sa croupe, son allure digne et noble à quatre pattes et, surtout, la rondeur et le moelleux de son arrière-train. Cet attribut physique était d'ailleurs à faire pâlir de jalousie le derrière des Wachs, l'espèce la plus sacrée de Varaha, dont le tâtage de cul avait toujours été l'apanage des puissants de ce monde et la principale attraction de ces salons. La victoire de Kili'an avait fait la fierté de l'Aar'on ! Pour fêter cela, ce dernier avait fait prolonger de quelques jours la durée de l'événement afin que le plus de monde puisse venir admirer le blond qu'il exposait. Le concerné, lui, avait tout simplement été heureux d'être source de joie pour son maître.

– Eh, arrête de rêver ! – le coupa Yun'ah dans ses pensées. T'as un sourire con sur le visage, c'est insupportable ! Là, t'es censé nous donner les consignes, pas revive dans ta tête tes meilleurs souvenirs ! On va où, là ?

– Ah... oui... – fit le fier capitaine en secouant la tête pour chasser ces idées infernales de son esprit. Comme vous devez l'avoir deviné, l'Aar'on m'a demandé de retourner dans le système Solissacar à la recherche de la planète qui n'existe pas, plus loin encore que Siddhart. Et puisqu'à ses yeux, je suis trop vilain pour avoir le droit à un câlin, j'ai décidé de lui désobéir ! Bien fait pour sa tronche ! Yun'ah, mets le cap sur Susanoo. Il est temps pour moi de me rendre au berceau de l'humanité !

Devant cette décision imprévue, l'ensemble de l'équipage se regarda en clignant des yeux. Leur capitaine venait encore de péter un câble. Son séjour au cachot l'avait-il rendu fou ? Ou le manque de sucre, peut-être ? Depuis qu'il avait décidé de respecter son régime officiel, les carences en Nutella avaient pu causer des troubles irréversibles à son cerveau . Seule Mart-1 eut le courage de poser la question qui était sur toutes les lèvres :

– Mais... Tu sais que tu vas te faire punir pour ça ? Désobéir à l'Aar'on, pour un Kili'an, c'est le crime le plus grave possible après refuser de partager sa couche ! Je... Tu viens de causer plusieurs bugs dans mon logiciel principal en affichant ainsi ta volonté de commettre un tel méfait ! Tu risques de nous faire tous condamner à mort ! Même si, personnellement, je suis un robot, donc c'est complètement idiot ce que je dis.

– J'm'en fiche ! – répondit Kili'an en caressant son caporal-chien. Il avait qu'à pas me refuser mon câlin ! Là, il va voir ce que c'est que d'être vraiment vilain ! Et puis, c'est moi le chef, c'est moi qui décide d'abord ! Je suis sûr qu'il ne nous arrivera rien du tout. Alors cap sur Susanoo ! Et s'il y en a un qui parle, j'le donne à bouffer à Link'o ! Oh oui, c'est mon chien-chien ça ! Il est fidèle mon chien-chien, lui, pas comme tous ces traî-traîtres qui n'arrêtent pas d'être méchants-méchants avec moi ! Hein !

Après une discussion au sommet entre tous les membres de l'équipage, il fut décidé de manière exceptionnelle d'obéir aux ordres tordus du capitaine. Même si Yun'ah voulait absolument dénoncer son indocilité au plus vite, Camill avait réussi à trouver les mots justes pour convaincre les autres d'accepter leur changement de destination :

– À chaque fois qu'il désobéit, ça se retourne contre lui... Moi, ça m'intéresse de voir ce qui va lui arriver...

Arrivant enfin dans le système Solsiméo, Kili'an profita des dernières heures de trajet pour organiser la cérémonie officielle d'intronisation de Benj'am. Resté muet dans son coin depuis le départ de Thot, l'enfant avait été tellement discret que personne n'avait prêté attention à sa présence. Avec beaucoup de solennité dans la voix, le capitaine présenta son titre aux autres :

– Bien, avant d'atterrir, je voulais officiellement accueillir parmi nous notre nouveau camarade. Benj'am, par décret de l'Aar'on, tu es nommé membre de la team Kili'an au rang d'apprenti. Ta principale mission sera de m'admirer en ouvrant grand tes beaux yeux arc-en-ciel, de me dire que je suis le meilleur, d'applaudir ma classe intersidérale, de me défendre quand les autres sont méchants avec moi, d'être toujours d'accord avec ce que je dis et, enfin, d'apprendre à mes côtés à te servir d'une arme et de ton Regard Particulier. Même si pour ce dernier point, je ne sais pas encore trop comment faire pour t'aider ! Des questions ?

Sans un mot, devant le regard désabusé des autres, le jeune garçon se força à écarquiller les yeux et à taper en rythme ses mains l'une contre l'autre.

– Zut... – bougonna le blond. J'avais oublié qu'il ne parlait pas... Bon, c'est pas grave ! Team Kili'an, en avant ! Allons découvrir les secrets de notre galaxie !

Susanoo était la sixième planète à tourner autour d'Amaterasu, soleil de Solsiméo, le deuxième système en termes d'importance dans la Fédération. Même si Susanoo faisait la moitié de la taille d'Horus, les cycles de rotations des deux astres était équivalents et leurs masses similaires. De ce fait, le rythme biologique qu'on y trouvait étaient sensiblement les mêmes. Ces particularités partagées avaient joué un grand rôle dans le choix d'Horus comme capitale lors de l'expansion spatiale de l'Humanité.

De par la couleur de ses océans frappés de vents violents qui recouvraient quatre-vingt pourcent de sa surface, Susanoo ressemblait à une bille bleu foncé. Plutôt agréable à vivre, elle voyait tout de même sa nature se déchaîner de temps à autre via de puissants tremblements de terre, tsunami et autres éruptions volcaniques. Si Kili'an, né et élevé sur Douamoutef, n'y avait jamais mis les pieds, ce n'était pas le cas de Yun'ah qui y avait vécu les premières années de sa vie. Et elle n'était pas la seule à bien connaître les lieux. Le vingt-septième Aar-on y avait passé sa tendre jeunesse auprès de son père. Avant de devenir le représentant de son système au conseil des douze, Gér'ar avait en effet gouverné l'astre d'une main de fer. Et dans les faits, c'était toujours lui qui tenait les rênes de ce qui s'apparentait à un gouvernement des plus totalitaires. Considéré comme le berceau de l'Humanité, son accès était réservé aux seuls Âminêtres et à quelques espèces endémiques. L'histoire officielle de cette planète était connue de tous : pendant des millénaires, une espèce, l'Humanité, s'y était développée en regardant les étoiles et en rêvant d'un jour les visiter. Cela avait duré jusqu'à l'éveil au Regard du premier Aar'on, dans les bras de son Kili'an. Cet événement, connu sous le nom du « Commencement », avait provoqué l'apparition des Vorticos, rendant possible la conquête spatiale. Si les hommes n'avaient que soif de découverte, ce n'était malheureusement pas le cas d'une autre espèce bien plus belliqueuse qu'ils trouvèrent sur leur chemin lors de leur visites de Solruben : les Kémèts. Ces derniers attaquèrent Susanoo sous le règne du « Protecteur », le troisième brun à porter le titre d'Aar'on. La guerre, qui vit la disparition de plus de quatre-vingt-dix pourcents de l'Humanité et la destruction de la quasi-totalité de la civilisation susanienne, ne s'acheva que par la prise d'Horus et la création de la Fédération des quatre systèmes – actuellement douze – par le « Fondateur ». Par respect pour ces prédécesseurs, considérés plus tard comme les six Aar'on « Légendaires » à cause du manque de documentation disponible quant à leur vie, ce dernier instaura la numérotation, inexistante jusqu'alors et prit lui-même le nombre sept, faisant entrer l'Humanité dans une nouvelle ère. Puis il installa son gouvernement en orbite autour de la planète vaincue, condamnant les Kémèts à un exil définitif sur Seth, astre voisin d'une profonde couleur rouge balayé par des vents d'une rare violence.

La paix revenue, les Hommes et leurs alliés repartirent à la conquête de l'espace à partir de leur nouvelle capitale, croisant sur leur route les Ashtars. Leur rencontre provoqua un conflit de plusieurs siècles. Dans un contexte géopolitique interstellaire tendu, Susanno n'avait fait que voir son influence décroître encore et encore, devenant aux yeux des Horusiens rien de plus qu'une curiosité et un vestige de l'histoire, peuplés d'êtres décadents et arriérés.

Le gouvernement local, lui, prenait très à cœur le statut de berceau de l'Humanité. Plusieurs lois furent votées pour protéger cette image et interdire toute hérésie. Il fallait à tout prix maintenir la « Vérité », quand bien même on en savait finalement peu de chose à cause notamment de la destruction de la quasi-totalité des archives. Si certaines bribes d'Histoire sur les six Aar'on légendaires restaient en mémoire, il n'existait plus que quelques ruines archéologiques quant à la civilisation brillante qui peuplait cette planète avant le Commencement.

La capitale Kasao rassemblait sur des dizaines de kilomètres des bâtisses en bois de quelques étages à plusieurs centaines. Posant un pied à terre, Kili'an huma longuement l'air aux douces odeurs de safran et de miel. Les zones émergées de Susanoo possédaient une végétation raffinée et colorée, comme si la planète toute entière était un jardin fleuri. Les fiers Hommes qui y vivaient rejetaient de manière assez forte les dérives de la Fédération et l'excès de droits que cette dernière accordait aux Âminêtres non Humain et aux Âminaux. Leur régime totalitaire, les Susaniens y tenaient. Il garantissait le calme et leur grandeur. Même si cette dernière, aux yeux du reste de l'univers, n'était plus qu'un relent d'un lointain passé.

– Bon, au boulot ! – s'exclama le capitaine en sautillant. Moi et Benj'am, on va enquêter dans le grand marché. J'dois absolument voir quelles sont leurs spécialités au Nutella, même si je n'ai pas le droit d'en manger. Mart-1 et Link'o, vous allez dans le quartier des affaires voir s'il se passe quelque chose d'intéressant. Yun'ah et Camill, vous draguez des mecs au hasard pour leur soutirer des informations ! Rendez-vous ici dans dix heures pour débriefer tout ça.

Au garde-à-vous, tous les membres acceptèrent leur mission sans discuter. Tous, sauf Link'o.

– Grrr... Waf ! Waf ?

– Keskiladit ? – demanda Kili'an en se grattouillant la tête.

– Il demande sur quoi on doit enquêter – traduisit Mart-1. C'est vrai que tu ne nous as rien dit à ce sujet...

– Ah... euh... – baragouina le capitaine aux yeux verts, un index posé sur les lèvres. Bah... en fait, on m'a pas expliqué non plus... La seule info que la Ztékoj m'a donné, c'est que je devais me rendre au berceau de l'Humanité. Mais à part ça, j'en sais rien, moi ! Eh, pourquoi vous me regardez comme ça ? C'est pas comme si c'était la première fois que je merdais ! Vous devriez être habitué, non ? Mais allez, faites pas la tronche... Je sais pas, promenez-vous, on verra bien !

Avec un peu de frustration, l'équipage se dispersa comme convenu, sans savoir avec précision ce qu'ils foutaient sur cette planète exotique. Après plusieurs heures d'errance, la jeune troupe se réunit au point de rendez-vous. Le premier à faire son rapport fut Mart-1 :

– Avec le caporal-chien, nous avons visité la société Végéscratch & co. La ©Végéscratch est en effet originaire de Susanoo. C'est même un des principaux produits d'export. Toutes les combinaisons qu'on trouve dans Vojolakta provienne de cette planète, au nom d'un brevet vieux du dixième Aar'on, dit le Malheureux. Faute d'avoir trouvé son Kili'an, ce pauvre homme a sombré dans l'alcoolisme, et au moment de délivrer le brevet qui devait durer vingt ans, il s'est amusé à rajouter une dizaine de zéro derrière. C'est pour cette raison que le terme ©Végéscratch ne peut être dissocié de son © et que seule cette société est autorisée à en produire. Du coup, comme cette enquête ne servait strictement à rien, Link'o et moi avons essayé les derniers modèles, qui s'adaptent encore mieux aux différences de pression et de température. Et je peux vous dire que le caporal-chien n'aime pas du tout cette sensation d'avoir des fibres vivantes sur lui. Enfin, ce n'est pas qu'il déteste, mais cela gêne ses pusss, une espèce animale de très petite taille avec laquelle il vit en symbiose.

Horrifié d'apprendre que son chien avait des pusss, Kili'an condamna Link'o à un bain shampouiné et félicita son robot et ami pour son brillant travail d'investigation. D'ailleurs, avant de partir, il fallait absolument qu'il refasse sa garde-robe, il n'avait plus qu'une dizaine de combinaisons vertes en stock. Et Dieu sait s'il en avait besoin pour combattre, étant donné que seuls les organismes vivants de cette couleur réagissaient à son RP. Mais dans l'immédiat, il y avait plus important que ces histoires de shopping. Il devait parler de ses propres découvertes.

– Bien, donc avec Benj'am, on a visité un peu le quartier, c'est sympa, on a fait plein de photos, et on a trouvé du pain au Nutella ! Nan mais t'imagines les malades ! Ils ont foutu du Nutella sur du PAIN ! Truc de dingue ! Fallait vraiment y penser, c'est super mega bon ! Hein ? Nan j'y ai pas goûté ! Enfin... pas trop... Enfin, j'devais tester quoi ! J'suis un héros, j'peux pas reculer face à l'inconnu ! Bon, et sinon, ma pancarte m'a valu d'être dévisagé par pleins de gens, ils en avaient jamais vu d'aussi belles ! J'ai même rencontré le premier vendeur local de ce produit, il était sur le cul ! Il n'a pas arrêté de me dire que j'avais une chance de fou d'avoir été gâté comme ça alors que je suis si vilain ! Alors du coup, comme il était sympa, j'en ai acheté pour vous, c'est cadeau, ça m'fait plaisir !

Si Benj'am porta fièrement son affichette « Je suis trop mignon », les autres membres de l'équipage eurent un peu plus de mal à se faire à cet étrange présent. Linko déchiqueta de ses crocs acérés la sienne marquée des mots « Je suis un chien » ; Mart-1 se plaignit de devoir afficher au grand jour « Je suis roux » alors que c'était déjà bien assez visible comme cela et Yun'ah refusa de se voir affubler d'un « Je suis une sale traîtresse » pourtant de circonstance. Tout cela n'empêcha cependant pas le blond de continuer la distribution :

– Ah, Camill, toi, j'ai trouvé un truc trop bien : une double face, avec « Je suis un mec » devant et « Je suis une meuf » derrière ! Comme ça, on ne pourra plus se tromper, c'est génial, non ?

Se prendre l'écriteau en pleine figure indiqua à l'adolescent que sa générosité était vraiment très mal interprétée par toute cette bande d'ingrats ! Du coup, furieux, il s'assit sur le sol, serra un étrange sac dans ses bras et commença à pleurnicher jusqu'à ce que ses camarades lui demande ce qu'il transportait ainsi.

– Ah ça ? – lança-t-il en sortant par la peau du cou une espèce de peluche ailée de sa sacoche. J'l'ai trouvé dans un coin, il faisait des conneries, j'me suis dit que, si je le ramassais, ça pourrait nous être utile.

– Geeeeeeeeeeeeb ! – fit l'animal concerné en souriant en en agitant les bras.

– KEUWA ? – beugla Yun'ah. Mais... MAIS IL FOUT QUOI ICI, c'lui là ? Comment il a fait pour venir de Marama jusqu'à Susanoo tout seul ? Il y a des dizaines de milliers d'années lumières entre les deux systèmes !

– Bah, j'sais pas, moi – murmura l'adolescent en jouant à tirer sur les joues de Geb. J'me suis dit que p'têt qu'on lui manquait... Enfin ça va hein, c'est pas non plus comme si tout était logique dans cette galaxie ! Qu'un ado brun de seize piges gouverne toute une Fédération en prenant mon derrière pour un réservoir, ça gène personne, alors j'vois pas pourquoi j'devrais me poser des questions par rapport aux peluches vivantes qui apparaissent et disparaissent comme par magie !

Face à cette argumentation sans faille, la mécanicienne soupira. Rien ne servait de discuter, et puis, c'était à son tour de révéler ce qu'elle et Camill avaient trouvé. Ce qu'elle fit très rapidement en tirant par ses cheveux grisonnants un vieil homme à la dentition malheureuse et à l'air parfaitement abruti.

– En se promenant, on a découvert l'existence d'une secte théoricienne du complot qui s'oppose au gouvernement et au papa de ton Aar'on adoré. Ce mec prêchait dans la rue, y avait quelques imbéciles qui l'écoutaient. Mais bon, il racontait quand même des trucs intéressants, donc on a décidé de te le ramener. Tout le mérite de l'opération revient à Camill. En mode fille, il a réussi à le charmer en quelques secondes à peine : le vieux a accepté de nous suivre en échange de pouvoir toucher ses nénés. Bon, là, il fait un peu la gueule parce qu'entre temps, Cam est repassé en mode mec. Et donc du coup, ses lolos sont beaucoup moins intéressants... Enfin, c'est l'avantage d'avoir un change-sexe dans l'équipe, non ? Bon, vas-y, parle machin !

– Je ne suis pas « machin » ! – reprit le vieil illuminé avec autorité. Mon nom est Soraloné ! Et je suis le leader des Véritophiles, le nom de notre groupe qui combat depuis des centaines d'années les mensonges des différents Aar'ons et de leurs alliés !

– Eh toi ! – l'interpela Kili'an. T'es gentil, mais tu parles pas mal du chouchou ! Euh, de l'Aar'on, j'veux dire ! D'abords, il ne ment jamais ! C'est la vérité qui se déforme sous ses propos.

– Si ce n'est pas lui – continua le fou, alors c'est la Fédération elle-même ! Susanoo... n'est PAS le berceau de l'Humanité ! Cela ne colle pas ! C'est dans mon livre ! Regardez les faits, les vestiges de l'ancienne civilisation ne datent pas de la guerre contre les Kémèts, ils sont plus anciens ! C'est vérifiable ! Il y a un gap temporel très important entre ces derniers et les autres ruines qu'on peut dater du troisième ou du quatrième Aar'on ! Et rien entre ! Cela ne vous semble pas étrange ? Hein, voilà...

Se passant la main sur le visage, geste immédiatement copié par Benj'am, Geb et Linko, Kili'an expira tout l'air de ses poumons. Nan mais les théories conspirationnistes comme ça, c'était vieux comme le Nutella ! Sur Susanoo, il y en avait des centaines toutes plus farfelues les unes que les autres. Et celle du « gap » était sans doute la plus ridicule de toutes.

– Nan mais sérieux ! – se plaignit l'adolescent. Si on ne retrouve rien, c'est que tout a été détruit pendant la guerre, tout le monde sait ça ! Et les datations, c'est super pas précis ! Attendez, vous m'avez ramené un truc pareil juste pour que j'entende ces conneries ? Sérieux les filles... Eh, le tordu, et si ta théorie est bonne, comment tu l'expliques ? Il s'est passé quoi pendant ton « gap » ? Parce que bon, les Humains, hein, ils viennent bien d'ici, et les vestiges de l'ancienne civilisation, ils les ont bien construits, nan ?

En abaissant la voix, le vieil homme se rapprocha des oreilles de sa petite audience. L'information qu'il voulait leur transmettre était aussi confidentielle que dangereuse. Nombreux avaient été ceux assassinés simplement pour en avoir eu connaissance.

– Ma théorie, qui est facilement démontrable... c'est que ce ne sont pas les hommes qui ont construit ces vestiges ! Vous allez me prendre pour un fou, mais... l'humanité est une espèce extra-susanienne ! Elle vient de Canaan !

À ces mots, toute l'équipe s'écroula de rire. Non mais ça, franchement, c'était vraiment n'importe quoi. Le plus amusé était sans doute Geb, qui se roula sur le sol en se tenant le ventre. Les larmes aux yeux, Kili'an se mordit plusieurs fois la lèvre inférieure pour que son hilarité n'attire pas trop de passants et de curieux autour de son groupe. Puis, reprenant son calme, il toisa Soraloné et l'agrippa par l'épaule.

– Faut arrêter le délire là, papi ! Le Nutella, ça se mange, ça s'fume pas ! Et c'est quoi ça, encore, Canaan ? Jamais entendu parler...

– Canaan. – repris Mart-1 en faisant appel à son encyclopédie Roukipedia intégrée. Nom légendaire donné au berceau de l'Humanité, Susanoo, pendant la guerre contre les Kémèts. Ce terme a fait l'objet d'un culte sous le quatrième Aar'on, l'Isolateur. La planète était alors considérée comme une entité divine, dont l'âme, lointaine, avait disparu. Canaan représente le caché, le dissimulé, le passé. Ce culte a été prohibé sous le septième, et le nom a rapidement disparu des usages.

– Tu vois ! – poursuivit Kili'an sans lâcher le vieux fou. Tout s'explique ! Nan mais franchement, l'Humanité, une espèce extra-susanienne ! On aura vraiment tout entendu ! Et pourquoi pas un Aar'on moche, pendant qu'on y est ! Ou pire, la présence dans mon dos d'un Pieuvr en chaleur prêt à me violer !

– Pieuvr. – continua le robot, toujours en mode dictionnaire. Espèce animale semi-légendaire peuplant jadis les océans de Pozidono. Elle est réputée disparue dans son milieu naturel même si certains spécimens ont survécu en petit nombre sur Aheqet, la planète réserve naturelle du système Solruben. D'apparence très molle, les Pieuvrs sont dotés d'un petit corps et d'une vingtaine de tentacules visqueux et gluants glissant sans encombre dans la majorité des trous et orifices qu'ils rencontrent. Pacifiques, ils n'attaquent jamais les Humains et s'accouplent en moyenne une fois par an. La rareté de leurs coïts, connus pour être très violents, est la cause principale de leur extinction. La probabilité d'en trouver un spécimen vivant sur Susanoo est de 0,43 %. La probabilité d'en trouver un spécimen vivant sur Susanoo dans son dos est de 0,000125 %. La probabilité d'en trouver un spécimen vivant sur Susanoo dans son dos en chaleur est de 0,0000012 %. La probabilité d'en trouver un spécimen vivant sur Susanoo dans son dos en chaleur et myope est de 0,00000000087 %. Comme quoi, dans la vie, il n'y a pas de hasard.

– ENLEVEZ-MOI CE TRU..BL..GL...TS.. BG... – cria le jeune soldat blond, dont les vêtements déchirés s'étaient éparpillés tout autour de lui. BLLL... GLLL... GA...

– Je suis vraiment confus... – lâcha une petite voix à quelques mètres de là. D'habitude, Poulpi n'est pas comme ça avec les étrangers... Vraiment désolé pour votre camarade, ça doit être douloureux... Je me présente, je suis un chercheur d'Ahequet. Je venais ici sur Susanoo avec Poulpi pour participer à un séminaire sur la sauvegarde des espèces disparues dans leur milieu naturel, et ce coquin s'est échappé de sa cage... Poulpi arrête d'embêter le monsieur, ce n'est pas une femelle ! Oui, je me doute qu'il a des orifices à ton goût, mais quand même, tu pourrais le laisser respirer... Oh mon dieu, j'espère que mon petit Poulpi ne va pas arriver à l'orgasme, sinon, je crains fort que votre ami ne meure noyé... En même temps... c'est un moment rare pour la science, il serait dommage de ne pas en profiter pour l'étudier.

La reproduction des Pieuvrs avait cela de merveilleux qu'elle était particulièrement artistique, au point de pousser Geb, émerveillé, à la reproduire à la craie sur le sol. Pour éviter que son « partenaire » songe à s'enfuir pendant l'acte, le mâle Pieuvr avait déchiré tout ce qui le couvrait puis avait enroulé une quinzaine de ses tentacules à l'aspect phallique autour de ses jambes, bras, pieds, mains, entrecuisses, torse, cou et visage. Les autres s'étaient introduites dans chaque recoin, des fesses à la bouche en passant par les oreilles et le nez, à la recherche d'une éventuelle insémination. De l'art, assurément. Plaqué au sol et bouillonnant intérieurement, Kili'an ne pouvait que pleurnicher en serrant les poings et en attendant la fin de son calvaire, qui pouvait durer entre cinq minutes et trois jours selon la vitalité et le désir du Pieuvr.

– Ne vous en faites par pour lui – rigola Yun'ah. Il en a vu d'autres... Bon, Camill, j'avoue, tu avais raison, sa désobéissance s'est bien retournée contre lui... Et quand la cour sexuelle va savoir ça, il va se faire tuer ! Bon, on attend qu'il ait terminé ou on rentre tout de suite au vaisseau ? Dans tous les cas, après ça, je crois qu'il sera d'accord pour reprendre le cours normal de la mission...

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