Chapitre 4

« L'histoire de notre Empire, commença le professeur, peut se diviser en deux moments : les temps sombres, ou temps superstitieux, et les temps modernes, ou temps éclairés. Heureusement pour vous, vous êtes nés dans la seconde période. »
L'assemblée de jeunes nobles continua à écrire, sans se soucier du léger trait d'humour. Quelques-uns bâillaient aux corneilles. La salle était décorée de deux bannières pourpres ornées du symbole impérial -qui représentait le continent stylisé sous une tête de loup- ainsi que d'une carte détaillée de Folir.

« Dans les temps anciens, on croyait en quantités de choses fantastiques ou magiques. Les nobles devaient prêter serment, lors de leur entrée dans l'âge adulte, à un des trois animaux totem : le Faucon, le Tigre ou le Cachalot. On croyait qu'en se liant à ces idoles, on gagnait des pouvoirs magiques. Bien entendu, ce sont des inepties. L'existence de ces entités n'a jamais pu être prouvée. Cependant, pour chaque animal, il y avait une sorte de clan noble. Ceux-ci avaient une culture drastiquement différente et, à cause de cela, étaient souvent en désaccord, ce qui pouvait aller jusqu'à des conflits ouverts, dont les petites gens faisaient les frais.

Tout cela changea lorsque l'Empereur -béni soit-il- émergea, aidé par les prêtres-forgeron. En effet, ceux-ci commencèrent à développer la technologie et créèrent de vrais dieux, les dieux machines. Ainsi, vous pouvez à présent prêter serment à des dieux concrets. Afin de ne pas faciliter la transition, l'Empereur -béni soit-il- conserva en effet le principe des trois maisons, pour la forme. Il y a donc le Hibou grand duc, la Panthère et le Requin. Tout ça pour dire que la magie, si elle a existé, a été remplacée par la technologie. Sincèrement, croyez-vous qu'invoquer le Tigre pour faire apparaître une boule de feu soit plus efficace qu'aller voir l'un des prêtres-forgeron et de le prier de vous confectionner un fusil ? Non, bien sûr.

Comme je suis de bonne humeur aujourd'hui, je vais vous raconter une petite anecdote. Dans les temps sombres, il existait une faction de magiciens appelés les Psychiques. Ils vivaient dans des monastères, qui leur servait aussi de citadelles et étaient pourchassés par les Inquisiteurs. Ceux-ci étaient des guerriers fanatiques qui tentaient de faire respecter la foi en les animaux totems. Ceux-ci parvinrent à tous les exterminer, alors même que ces deux camps croyaient en la magie ! Plus ironique encore, avec l'avènement de la technologie, ils ont choisi de vivre reclus, comme ceux qu'ils pourchassaient autrefois. Aujourd'hui, ils sont tolérés. Tout cela démontre la supériorité de la technologie : elle est là, sous nos yeux, en permanence, alors que la magie est plus une croyance vague qui aveugle le peuple.

Tenez d'ailleurs, les anciens avaient une façon très particulière d'imaginer l'origine de notre monde. C'est un peu hors sujet, mais ça reposera un peu, je vois que vous ne suivez plus beaucoup. Les anciens croyaient qu'à l'origine, il n'y avait rien, l'univers était vide. Au bout d'un moment, les animaux-totem furent créés grâce à l'énergie vitale de l'univers -ce qui est assez vaseux. Ensuite, les animaux-totem formèrent un cercle, qui créa la terre et les trois humains originels. Ceux-ci fondèrent ensuite les trois grandes maisons de noble. Ils pensaient qu'une partie de l'énergie vitale fut pervertie et donna naissance aux Psychiques et aux monstres : elfes, fées, orcs et autres chimères dont on sait à présent qu'elles n'ont jamais existée. Cette même énergie vitale se serait cristallisée pour former les Kols.

Dans le même genre, ils étaient persuadés que les étoiles sont les âmes des nobles qui s'envolerait après leur mort. Le soleil serait plutôt un immense agrégat de force vitale. Ce tissu d'ineptie porte plus à rire qu'autre chose, mais des milliers de personnes y ont cru pendant des siècles ! Heureusement que nous avons la technologie, qui nous apporte connaissance et précision. Grâce au charbon, au gaz et aux engrenages, qui forment la base de notre technologie, nous avons pu sortir des marécages des croyances et des superstitions ! »

Un élève leva la main. Le professeur lui fit un signe de la tête.
« Comment la terre a-t-elle été créée, alors ?
-C'est une bonne question, mais dont la réponse est très complexe, d'autant plus que ce n'est pas mon domaine d'expertise. Je vais éluder beaucoup de détails pour vous donner une idée. La terre a toujours été là, en fait. Mais la vie s'y est développée lentement. Disons que la terre est une énorme montre. Sous la surface, il y a d'énormes engrenage qui la font fonctionner. Le vent, par exemple, est créé par d'énormes soufflets qui projettent l'air par des trous dans le sol. Le ciel est un grand drap parsemé de lampes, dont une énorme que nous appelons soleil. Ce drap, grâce à d'habiles mécanismes, tourne autour de nous. Ceci dit, la science progresse de jour en jour, et nous découvrirons peut-être un jour que tout cela est un peu différent ! D'autres questions ?
-Vous avez parlé des Kols tout à l'heure. Mais euh... Qu'est-ce que c'est ?
-Eh bien..., commença le professeur d'un air embêté. Nous ne savons que peu de choses d'eux. Ils semblent muets. Parfois, ils accompagnent des gens, mais nous ne savons pas pourquoi. Ils sont très rares, donc difficile à étudier. Pour leur apparence, ils sont généralement assez petits et changent de couleur et de forme en permanence. Ils construisent sans relâche des sortes de machines, mais nous n'en sommes pas certains car elles semblent magiques -enfin, très complexe. Nous ne savons pas pourquoi ils font ça. Mais oubliez-les, ils ne sont pas très importants, et aucun ne s'approche de Zal.

-Monsieur, mon grand-père affirme avoir vu un minotaure, un jour, une créature mi-homme mi-taureau (des exclamations de dégoût se firent entendre) ! Qu'en pensez-vous ?
-J'en pense que votre grand-père aime vous raconter des histoires pour vous faire rêver un peu... Si vous réfléchissez quelques secondes, vous verrez qu'une telle créature ne peut exister. Comment un homme pourrait-il avoir une tête de taureau ? »
Il jeta un œil à sa montre à gousset et annonça la fin du cours.

Quand bien même toutes ses légendes et fables étaient fausses, elles excitaient mon imagination. J'avais l'envie profonde -et irrationnelle- qu'elles soient réelles. Cela rendrait le monde tellement plus beau, plus vivant, plus enchanté. Notre monde semblait, par contraste avec l'idée de que je me faisais d'un monde magique, froid, mécanique, gris, mais surtout pas naturel. Comme s'il n'était qu'une construction. Sinabelle apparut, et j'écartai ces réflexions.

Une des choses que j'aimais le plus chez elle était qu'elle semblait ne jamais changer. Oui, elle avait grandi si bien qu'elle me dépassait légèrement à présent, mais son visage avait gardé quelque chose de la rondeur et de l'innocente joie de l'enfance. Ses yeux verts en amande, verts comme l'émeraude, intriguaient et attiraient. De mon côté, je trouvais que cela lui donnait un air souriant. Sa voix avait conservé sa hauteur et charmait toute personne qui l'entendait chanter ; elle parlait souvent très vite, au rythme de sa pensée vive, et un flot de mots s'écoulait de sa bouche. Cette vivacité se retrouvait aussi dans son caractère : elle avait toujours beaucoup d'idées, ses émotions étaient comme amplifiées et elle passait du rire le plus communicatif au chagrin le plus profond en un instant (heureusement elle était plutôt joyeuse). De son enfance, elle avait aussi conservé ses idéaux. Pour elle, l'amour était passionnel et ne pouvait s'exprimer qu'en présence de son âme sœur. Elle voyait de fait le mariage comme un accomplissement, n'envisageant même pas qu'il puisse rendre malheureux.

C'était d'amour dont nous parlions justement tandis que nous mangions notre déjeuner. Tandis que je portais une robe simple, sombre, sans fioriture, presque de deuil, et mes cheveux noirs étaient attachés en un chignon strict, elle était vêtue d'une robe longue ocré et dorée qui laissait ses épaules nue. Ses cheveux bruns étaient attachés en deux longues nattes maintenue par des entrelacs de lanière dorée. Comme d'habitude, elle était magnifique.
« T'as vu les regards que me lancent Antione ? À mon avis, je lui fais de l'effet ! Tu le trouves comment, toi ? »
Antione n'avait rien de particulier à mes yeux. Il faisait partie de la masse confuse des nobles.
« Si seulement tu n'attirais les regards que de lui ! Tu ne remarques pas que toute la gent masculine se retourne après ton passage ?
-Je n'ai pas d'yeux derrière la tête, donc j'avoue n'avoir rien noté. Et puis, les autres, je m'en fiche un peu, ce qui m'intéresse, c'est lui. Alors, ton avis ?
-Disons simplement que je te le laisse de bonne grâce !
-Que d'amabilité et de charité ! Sans vouloir t'offenser, tu ne risques pas d'attirer les regards avec ta dégaine presque masculine !
-Et cela me va très bien ! Au moins un adolescent boutonneux ne vient pas baver sur moi !
-Boutonneux, boutonneux... Tu exagères un peu ! Son visage n'est certes pas lisse, mais quand même...
-Je suis certaine qu'on peut mettre son visage et une carte des Vagues Terrestres côte à côte sans y voir de différences ! »
Sinabelle éclata de rire, et je fis de même, entraînée par sa bonne humeur.
« Plus sérieusement, reprit-elle, tu le trouves vraiment moche ?
-Vous irez très bien ensemble, répondis-je avec malice.
-Rappelle-moi pourquoi nous sommes amies ?
-Parce que je te remets les pieds sur terre !
-Au moins, cela signifie que je ne suis pas trop lourde.
-Ne compte pas sur moi pour te porter au cours de géographie cet après-midi pour autant ! »

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