CHAPITRE TROIS : IROS
Planète Terre, an 2501, vingt-six août
Ils se retrouvèrent et allèrent proposer leur candidature à l'expédition.
En chemin, ils croisèrent Rintus qui avait l'air préoccupé, comme s'il devait faire un choix mais qu'il n'arrivait pas à décider lequel.
Iros, s'inquiétant pour lui, alla le voir. Ce qu'il apprit suffit à augmenter son malaise : l'Amiral se souciait des hommes et de la survie de leur Clan. Si tous les hommes en âge de combattre partaient à l'expédition, il n'y aurait plus personne pour protéger le campement. Rien ne leur assurait que, durant leur voyage à travers les Terres Infinies, les autres Clans n'en profiteraient pour tout ravager et voler denrées, eau, femmes et enfants.
L'angoisse qui le saisissait n'avait d'autre raison que la survie de son Clan. La croisade en Terres Infinies était un danger à double tranchant : ceux qui y partaient pouvaient y mourir de soif, de faim, d'épuisement, dans l'affrontement envers divers ennemis. Ceux qui y restaient pouvaient mourir sous l'assaut des autres Clans.
C'était un danger pour tous. Personne n'était à l'abri.
Voilà pourquoi l'Amiral hésitait : il n'avait pas envie de rater l'expédition car c'était pour lui une expérience incommensurable mais il ne voulait pas laisser le camp sans défense.
Iros comprenait le dilemme qu'il était en train de vivre. Lui n'avait pas hésité ; il rêvait de partir dans les Terres Infinies depuis des années, cette occasion était trop belle pour qu'il puisse la rater.
De plus, avec Merys et Esteb, il savait que tout se passerait bien.
L'Amiral reprit sa route après avoir adressé un faible sourire à Iros et à ses deux compagnons.
Les trois amis se regardèrent et se sourirent pour se donner force et courage. Ils se dirigèrent, plus décidés que jamais, vers la résidence du Chef.
Ils croisèrent en chemin toutes les émotions possibles. Ils virent des hommes ravagés par la colère, d'autres ensevelis sous la honte ou rayonnants de joie, certains, les épaules baissées, avançaient vite, comme pour fuir le regard des autres.
Devant la case, ils inspirèrent une grande bouffée d'air, aucun des trois n'ignorait l'importance de cette décision. Ils s'observèrent longuement, conscients des risques qu'ils prenaient mais, dans leur regard, par-dessus la peur et l'angoisse, une détermination écrasante effaçait tout doute de leur esprit.
Ils étaient ensemble et tout iraient bien, voilà ce qu'ils se disaient. Leur amitié était leur force. Inséparables, leur union triompherait, ils en étaient persuadés.
D'un seul mouvement, ils avancèrent et pénétrèrent dans la demeure.
Dans l'obscurité, à l'abri des rayons transcendants de l'astre solaire, ils s'enfoncèrent lentement dans les méandres de l'habitation avec méfiance, incertitude et peur.
Au fond, assise sur un fauteuil en bois desséché, une femme aux yeux aussi flamboyants que deux pépites d'or, les attendait et, de son regard implacable, leur sourit. Ce dernier qui les fit frissonner.
Iros sentit, au fur et à mesure qu'ils s'avançaient, la peur s'emparer de lui et le doute l'assaillir. Étaient-ils réellement prêt pour une expédition dans les Terres Infinies ? Les questions s'abattaient sur lui comme des flèches sur une cible. Le doute le fit trébucher et il se rattrapa de justesse à son ami qui lui sourit.
— Vous êtes là pour le test physique ?
Sa voix, toujours aussi imperturbable et sèche, claqua dans leurs frêles oreilles.
— Oui, répondirent-ils à l'unisson sans hésiter.
Le retour en arrière n'était plus permis.
— Si vous êtes là, c'est que vous êtes conscients du danger, suivez-moi.
Avec grâce et élégance, elle se redressa, telle une reine se levant de son trône, et se dirigea à leur opposé d'eux. Sans plus tarder, ils la suivirent et atterrirent dans un endroit qu'ils n'avaient jamais vu auparavant.
C'était une grande salle, lumineuse, éclairée par des néons fluorescents, mesurant une centaine de mètres carrés avec des murs et un plafond en verre transparent.
Seul problème : la pièce était vide. Totalement vide. Pas le moindre meuble ni la moindre décoration. Ils avaient l'impression de se trouver dans un cube transparent.
— Que faisons-nous ici ? demanda Merys, la voix hésitante.
— Si vous voulez partir demain, il faudra me battre, vous pouvez vous mettre à trois contre moi, expliqua-t-elle, un sourire perfide aux lèvres.
— Tous les trois ? Ce n'est pas un peu exagéré ? s'inquiéta Esteb, bien trop confiant.
— Vous surestimez vos forces, attaquez-moi et vous verrez, les nargua l'inconnue.
Ils se consultèrent tous les trois du regard et levèrent les yeux vers celle qui les provoquait.
— J'attends toujours, s'impatienta la femme.
— Mais vous n'allez pas combattre ainsi ? s'indigna Iros en désignant ses habits.
Elle était habillée d'une longue robe large et encombrante, le tout recouvert d'une imposante cape d'un vert sapin.
— Vous pensez que vos ennemis vous laisseront vous changer ?
Elle les interrogea du regard mais personne ne répondit.
— Moi non plus, alors attaquez-moi ou c'est moi qui le ferais, et ça risque de faire mal, les menaça-t-elle en les affrontant du regard.
Tous les trois, sans plus attendre, s'élancèrent vers elle mais, là où ils arrivèrent, il n'y avait que du vide. Avant qu'ils n'aient pu comprendre comment, ils reçurent un coup d'une violence inouïe dans leur colonne vertébrale et ils s'effondrèrent au sol.
Iros dut se faire violence pour ne pas crier, Merys gémit de douleur et Esteb serra des dents pour empêcher une plainte de sortir. La souffrance était telle qu'ils sentirent leurs oreilles vibrer, leur tête bourdonner et leur cerveau surchauffer. Leur corps fut prit se spasmes tels qu'ils furent cloués, durant un bref instant, au sol.
— Si c'est comme ça que vous comptiez me battre, vous pouvez abandonner tout de suite, commenta d'une voix toujours aussi froide et presque hautaine celle qui venait de, littéralement, les écraser.
En moins d'une seconde, elle les avait mis au sol. Ils ne faisaient pas le poids. L'écart qui les séparait était immense, infini. Il y avait une différence de force, de rapidité et de précision telle qu'ils n'étaient pas sûrs de pouvoir l'égaler un jour. Elle les surpassait dans tous les domaines. Elle était plus agile, plus puissante, plus minutieuse. Elle ne frappait pas au hasard, tous ses coups étaient calculés de manière à faire souffrir l'adversaire tout en épargnant ses propres forces. Ses techniques de combat étaient incomparables, sans pareil et mille fois supérieures aux leurs. Elle utilisait des techniques de maître, non, elle utilisait des techniques d'assassin. Même toute leur volonté ne suffirait pas à la vaincre, il fallait la voir, quand eux étaient à terre, souffrants et essoufflés, elle ne faisait que dépoussiérer son long manteau.
— Vous pouvez partir demain, se contenta-t-elle d'annoncer avant de se diriger vers la sortie.
— Mais nous avons perdu, protesta Esteb.
— C'était une évidence, vous êtes suffisamment forts car vous êtes en vie, si vous étiez trop faibles, vous seriez morts, répliqua d'un ton glacial et arrogant la cheffe en leur adressant un sourire si méprisant qu'ils en frissonnèrent.
Elle leur tourna le dos et sortit d'une démarche royale de la salle.
Ils se relevèrent douloureusement et se regardèrent, un sourire pitoyable aux lèvres.
— On s'est fait laminer, hein ? ricana Esteb.
— C'est le moins qu'on puisse dire, avoua Iros l'air penaud.
— On n'était pas au niveau, soupira Merys. Elle était au-dessus, on n'a pas eu le temps de cligner des yeux qu'on était déjà à terre, face à elle, même Rintus ne fait pas le poids.
— Je doute que quiconque fasse le poids, déplora Iros.
Il n'avait jamais vu autant de force dans un seul corps. Comparé à la raclée qu'il venait de se prendre, ses combats avec Rintus ressemblaient à un jeu d'enfant. Elle les avait pulvérisé avant même qu'ils n'aient le temps de lancer leur premier assaut. Et il n'avait jamais eu aussi mal qu'à ce moment.
Ils firent tous les trois demi-tour et revinrent à l'allée centrale.
Aussitôt arrivés au centre du camp, Rintus s'approcha d'eux et leur demanda leur décision. Sans douter, les trois amis répondirent, une assurance nouvelle dans la voix, qu'ils partaient. Rintus hocha la tête : il s'en doutait. Ce dernier leur souhaita bonne chance et annonça que lui restait ici. Il privilégiait la sécurité de son Clan à son désir de partir. Iros et ses deux amis le regardèrent continuer sa route, impressionnés. Rintus n'était pas Amiral pour rien. Le trio savait ce que partir représentait pour lui, il rêvait de sortir d'ici, alors renoncer avait dû être pour lui un véritable dilemme. Peu d'hommes en aurait fait autant. Se sacrifier pour son Clan était sans doute la plus grande preuve de courage qu'un homme puisse accomplir.
Le lendemain matin, à l'aube, Iros rejoignit ses deux amis et le reste des hommes prêts à partir.
Il se rendit compte avec effarement que sur plus de quatre cents hommes à se présenter, il ne devait pas y en avoir plus de cent ici.
Iros n'était pas de nature sociable. Il n'était pas introverti mais il n'aimait pas parler et, aussi étrange que cela puisse paraître, n'avait jamais ressenti le besoin d'être en couple. Avec Merys et Esteb, il ne se sentait jamais seul. Le Clan ne se composant que d'un millier d'êtres humains, il avait vaguement conversé avec certains mais ne s'était jamais lié d'amitié avec d'autres hommes ou femmes, excepté ses deux acolytes. Parfois, lorsqu'il s'entraînait au combat, il affrontait bien d'autres jeunes adultes de son âge mais il n'avait jamais cherché à aller plus loin que le simple « bonjour » ou « merci ». S'il retenait facilement les prénoms et noms des autres hommes et femmes du Clan, il ne cherchait pas à en savoir plus.
La solitude ne l'effrayait pas, la trahison si. C'est pourquoi il ne se confiait et ne s'attachait qu'à très peu de gens. Aujourd'hui, trois personnes avaient réussi à obtenir sa confiance : Esteb, sa sœur et l'Amiral. Les deux premiers avaient su casser sa carapace au fil des ans, lui prouvant ainsi qu'ils en étaient dignes et Rintus, lui, l'avait obtenu sans même s'en rendre compte. Depuis la mort de ses parents, lorsqu'il avait treize ans, le quarantenaire l'avait recueilli chez lui et l'avait aimé comme son propre fils. C'est en partie grâce à lui qu'Iros avait pu retrouver une vie normale. La même année, son père mourrait d'une tumeur maligne au cœur et sa mère en mission dans les Terres Infinies. En moins d'un an, tout ce qui le raccrochait à la vie avait disparu.
Cette période de sa vie, en tout début d'adolescence, avait été très dure pour lui et, même s'il essayait souvent de faire comme si c'était du passé, les souvenirs qu'il gardait en tête étaient toujours aussi douloureux à remémorer. Il essayait d'aller de l'avant mais tout semblait lui rappeler son passé peu joyeux. Cependant, il s'estimait chanceux. Malgré le décès de ses deux parents, il avait toujours été bien entouré, bien soigné et n'avait jamais manqué de rien.
Iros reprit ses esprits et ouvrit ses deux yeux d'un bleu clair sur le monde environnant.
L'humain s'embarquait dans les Terres Infinies avec une centaine d'individus mais cela n'avait aucune importance puisqu'il était avec ses deux amis.
Il ne s'était jamais senti aussi proche de quelqu'un qu'il avait l'impression d'avoir eu des coups de foudre amicaux.
Le jeune homme avait eu plusieurs relations amoureuses mais ça s'était toujours soldé par un échec. Elles le trouvaient trop asocial, trop timide, trop réservé et trop secret sur sa vie.
Faux, il n'aimait juste pas parler pour ne rien dire. Et s'il ne disait rien concernant son passé, c'est parce qu'il estimait que ça ne concernait que lui.
Même Merys et Esteb ne savaient pas tout, ils en avaient beaucoup, ils savaient presque tout. Mais certains souvenirs, encore trop récents et trop lancinants, le tourmentaient plus qu'il n'aurait aimé l'avouer. Notamment, la mort de son père il y a sept ans, c'est-à-dire quand il avait treize ans. Et sur Terre, planète où les hommes étaient revenus à une époque sans technologie, sans progrès techniques et scientifiques, il n'y avait pas le matériel et les connaissances nécessaires pour le soigner. De plus, son père, de son nom Albin Melgiore, était un agent qui travaillait pour une agence privatisée. Iros n'en savait pas plus, son père ne parlait jamais de son travail. Tout ce qu'il savait est qu'il était tellement occupé et passionné par son boulot que lorsqu'il s'était rendu compte de sa maladie, il était déjà en phase terminale. Trop tard pour qu'on le guérisse et il préférait passer ses derniers jours sur Terre, en compagnie de son fils, Iros, et de sa femme, Elys'ia, que dans une clinique, sur un lit d'hôpital.
Soupirant et se promettant de passer les meilleurs jours ensemble, il se dirigea vers Merys et Eteb, son sac sur le dos, avec, à l'intérieur : une gourde, quelques vêtements de rechange, des pierres de lune contre les maux de tête, des cristaux d'énergie pour le manque de sommeil et des ambres rouges pour rafraîchir le corps en cas de grosse chaleur.
— Vous vous rendez compte, on va faire notre première fois ensemble ! s'extasia Merys en sautillant sur place telle une enfant à qui l'on annonce que l'on va acheter des bonbons.
Iros et Esteb ricanèrent, s'ils ne la connaissaient pas autant, ils auraient pu se méprendre sur le sens de ces mots mais à voir le regard malicieux de Merys, ce sous-entendu était volontaire.
Si Merys avait parfois, souvent, un comportement enfantin, il ne fallait pas se laisser berner par son apparence fétiche, elle était loin d'être stupide et si elle gardait le sourire aux lèvres c'est uniquement pour que le désespoir ne s'empare pas d'elle.
Avec son visage rond encadré d'une chevelure rousse aux boucles coiffés à la garçonne, un carré en pagaille aux innombrables nœuds et ses petites joues rebondis, elle avait encore tout de l'adolescente de seize ans. Elle était fluette et si elle tombait rarement malade, elle ne le devait qu'à une seule chose : son mental d'acier.
Son frère, du haut de son un mètre quatre-vingt-dix-huit, avait acquit le physique d'une armoire avec les entraînements et la puberté.
Sous ce visage d'adulte à la mâchoire carré et au regard dur, aux sourcils souvent froncés devant la malice de sa sœur, aux lèvres pincées, aux pommettes saillantes et à la chevelure d'un brun foncé, il avait tout du méchant que l'on retrouve dans les mauvais films. Sa peau, d'une couleur caramel, supportait bien la chaleur et tolérait admirablement bien les rayons du soleil. Contrairement à Iros et à sa sœur, il ne risquait pas d'attraper d'insolations. Son épiderme lui permettait également une meilleure adaptation à des milieux exposés à l'astre solaire, dont les Terres Infinies.
— Silence ! hurla un homme dont le nom était inconnu à Iros.
Tous les hommes et femmes interpellés se retournèrent en silence vers celui qui venait de parler.
— Pour ceux qui ne me connaissent pas, et je ne doute pas que vous fussiez nombreux, je m'appelle Ykran Xerimas, je remplacerai l'Amiral Rintus durant cette expédition. Je serai, après notre chef, le deuxième responsable. En cas de soucis majeurs, le chef sera là pour vous, mais en cas de soucis mineurs, c'est à moi qu'il faudra vous adresser, déclara-t-il, la voix résonnant dans toute la place. Nous partons dans un quart-d'heure, aucun retard ne saurait être toléré, si vous avez oublié quelque chose, c'est maintenant ou jamais !
Iros et ses amis se regardèrent et refirent la liste avant de s'assurer qu'ils n'avaient rien laissé dans le camp qui puisse leur être utile dans les Terres Infinies. Ils semblaient être parfaitement organisés car rien ne leur manquait.
— Bien, c'est l'heure du départ, notre chef nous attend à l'entrée du camp, allons-y !
Le trio et le reste de la troupe s'avancèrent vers ce qui serait, sans aucun doute, une expérience inoubliable.
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