CHAPITRE SEPT : IROS
CHAPITRE SEPT : IROS
Planète Terre, an 2501, 1er septembre
Iros se réveilla en même temps que ces deux amis et ils se regardèrent tous les trois, leurs cinq sens en alerte. Ils n'entendaient et ne voyaient rien. Il ne leur fallut que quelque seconde pour entendre la terre trembler sous leur pieds et des bourrasques de sable former des nuages de poussière. La tension était palpable dans l'air, le stress venait de monter d'un cran. Les hommes regardaient de droite à gauche, méfiants et angoissés. La mort était proche, ils le savaient.
Iros courut vers Esteb et Merys et ils se levèrent avec précipitation. Ils prirent leur arme : deux grosses épées en fer pour Iros et son ami tandis que Merys s'emparait d'une épée tout aussi grande mais beaucoup plus fine et beaucoup plus maniable. Iros avait de plus en plus de mal à rester concentré, la peur qui s'emparait de lui ne lui laissait aucun échappatoire. Il sentait la panique s'infiltrer dans chaque partie de son corps répandant insidieusement son venin paralysant. Il n'avait jamais été aussi effrayé de sa vie. Il combattait sa propre peur pour ne pas partir en courant. Sa respiration haletante se mêlait à celle de ses deux compagnons.
— Notre seule défense contre eux c'est l'attaque alors ne restez pas immobiles ! aboya d'une voix forte et agressive le chef en s'adressant aux hommes.
Lorsque, devant leurs yeux apparurent des créatures à l'apparence humaine mais aux capacités physiques supérieures, et de loin, aux leurs. Il leur fallut moins d'une seconde pour comprendre la gravité de la situation : ils avaient très peu de chance de s'en sortir et il leur faudrait sans doute redoubler de courage et d'ingéniosité pour vaincre la mort. Ils clignèrent des yeux et l'ennemi apparut devant eux, plus rapide que l'éclair.
Iros, dans un élan de courage vain, tendit son bras vers l'avant pour frapper l'ennemi mais ne toucha que l'air. L, en un instant s'était téléporté de l'autre côté et le frappa à la côté gauche. Il faillit tomber tant la douleur qui le saisit fut foudroyante mais il se retint de justesse sur son épée et affronta le regard de son adversaire.
Erreur fatale. Les yeux qui l'observaient en face n'étaient pas humains. Ils étaient rouges et sans pupille, leur couleur était celle du sang et ils étaient entourés de longs cils blancs. Leurs sourcils fins étaient de la même couleur. Leurs cheveux longs, à la couleur neige, étaient finement tressés en de jolies nattes qui descendaient jusqu'à leur taille, et leur visage, à la forme ovale, était décoré de symboles inconnus, peints à l'encre noir en dessous de leur yeux, qui semblaient représenter des croissants de lune.
Iros sentit son sang se figer dans ses veines et son corps se paralysa. Il lui fallut moins d'une seconde pour reprendre le contrôle mais cet instant d'inattention, aussi bref fut-il, fut fatal. Pendant ce laps de temps où Iros, déconnecté de la réalité, perdit la maîtrise de son esprit, son adversaire lui, n'attendit pas et lui porta un coup à la gorge, le coup n'atteint jamais sa cible car Merys s'interposa. Seulement, contre un inconnu plus grand, plus fort, plus rapide et mieux équipé d'elle, elle ne pouvait rien faire. Elle n'avait pas suffisamment de force pour contrer le coup et la seule chose qu'elle put faire pour protéger son ami, c'était se servir de son corps comme bouclier. Sans doute, si elle avait réfléchi, aurait-elle compris que l'épée allait la traverser comme du beurre mais le désespoir immobilise même l'esprit. Et si, mentalement, elle crut être prête à prendre un coup, elle ne s'attendait sans doute pas à ce que l'arme de son adversaire la transperce intégralement. Le cri qui sortit de sa bouche fut si strident et si terrifiant qu'Iros reprit conscience d'un seul coup et, sous l'emprise de la rage, oublia sa peur et tua d'un seul coup son ennemi. Mais, et il en prit conscience trop tard, même la mort du coupable n'effaçait pas les blessures de la victime.
Lorsqu'il baissa les yeux et qu'il vit Merys, allongée dans son propre sang, il faillit vomir. Il s'accroupit, faisant abstraction du combat qui se déroulait autour de lui, et prit le visage rempli de larmes de son amie. Il ne comprit qu'après que les gouttes d'eau qui se trouvaient sur le visage de son compagnon venaient de ses propres yeux. Lui qui avait réussi à se retenir de pleurer la dernière fois ne pouvait se retenir devant celle qu'il considérait comme sa sœur. Il colla son oreille contre son poumon pour entendre sa respiration et il entendit des battements de cœur, faibles et lents, de Merys.
— Ouvre les yeux ! cria Iros, approchant encore plus son visage du sien.
Faiblement, elle ouvrit les paupières et ses yeux, deux prunelles d'un gris sombre inondées de larmes, il se força à sourire alors que son cœur ne lui avait jamais parut si lourd et si douloureux qu'à cet instant. Devant son visage, encore juvénile, à la peau blanche maculée de sang et de poussière, il crut un instant qu'il ne serait plus capable de parler. Il n'était pas amoureux d'elle, l'amour qu'il lui portait allait bien au-delà des frontières, il n'y avait pas de mot pour exprimer l'impossible, pour dire l'inimaginable. Rien n'aurait su exprimer ce qu'il ressentait pour elle car il y a parfois des émotions ne qui passent que par les yeux, qui se transmettent par le regard.
— Pourquoi ?! Pourquoi tu m'as sauvé ! chuchota Iros, la voix tremblante.
— Tu en aurais fait autant pour moi, répondit Merys presque dans un souffle.
Elle étira ses lèvres en une grimace qui ressemblait à un sourire mais Iros refusait d'avouer qu'elle souriait. Elle ne pouvait pas sourire dans un tel moment, pas quand elle allait mourir. Bien qu'il refusait de l'admettre à voix haute, il ne pouvait pas nier l'évidence. Elle perdait trop de sang, elle ne survivrait pas. Pas en plein désert, sans médecin, sans repos et sans dormir. Elle avait besoin de tout ce qu'il n'y avait pas. L'admettre, même dans sa tête, le déchirait et lui compressait la poitrine si fort qu'il croyait étouffer.
— Tu n'avais même pas commencer à vivre ! protesta Iros en fixant son amie dans les yeux.
— Tu vivras pour moi, ne dis pas à mon frère que je t'ai sauvé, dis lui que tu as tenté de me sauver. Si tu lui dis la vérité, il ne te comprendra pas. Je ne veux pas que vous vous disputiez à cause de moi, murmura d'une voix si basse qu'il dut approcher son oreille pour comprendre la fin, Merys, à l'article de la mort.
— Je serais incapable de le regarder dans les yeux si je lui mens, rétorqua Iros, la gorge sèche.
— Dis toi que c'était ma dernière requête en tant que vivante, mon dernier souhait avant de mourir, répliqua Merys, la voix tremblante et secouée de tremblements.
— Tu peux pas me demander ça ! protesta Iros, les larmes tombant en cascade de ses yeux.
Seul un sourire triste, figé à jamais, lui répondit. Il comprit immédiatement. Elle n'était plus là. Elle était morte. Envolée au paradis, partie là où le mal ne sévit jamais, là où tout se passait toujours bien. Elle avait trouvé refuge ailleurs car la Terre n'avait pas été capable de l'accueillir.
La douleur qui le saisit n'avait rien de physique, seule preuve de sa tristesse infinie : son visage. Anéanti par la peine, déformé par le chagrin, ravagé par la souffrance. Son visage, consumé par quelque chose d'invisible, par quelque chose que rien ne saurait décrire ni traduire. Il n'avait jamais connu ça. Son vrai combat était intérieur, plus fort et plus émouvant que les coups qui lui meurtrissaient le corps, le duel qu'il était en train de vivre lui lancinait les organes, perforait son cœur et ses poumons, enserrait sa gorge, bouleversait son corps, torturait son âme et son esprit. Il ne pouvait rien faire. Il fallait juste attendre. Attendre que la douleur cesse et espérer s'y habituer un jour. Rien n'était moins sûr.
Lorsqu'Iros releva la tête, le combat était fini. Sans comprendre pourquoi ni comment, il vit une dizaine des siens, la sueur au front et les mains rouge, debout, haletantes et transpirantes qui soufflaient, comme pour reprendre leur souffle.
Il ne comprit qu'en la voyant qu'elle était sans doute à l'origine de cette victoire. Leur cheffe, toujours aussi froide et impassible, secouait la poussière de ses manches, visiblement peu affectée par la cinquantaine de morts supplémentaires. Iros se demandait d'ailleurs pourquoi, comme lors de la dernière fois, elle n'était pas venue les sauver avant. Si elle était arrivée avant, peut-être Merys serait-elle toujours en vie. Iros secoua la tête, cela ne servait à rien de remuer le couteau dans la plaie et d'accuser un autre de son propre malheur. Le plus dur restait à venir. Il vint d'ailleurs assez vite.
— Où est..., le reste de sa question mourut dans sa gorge lorsque son compagnon, chancelant, se laissa tomber devant le corps désormais inerte de sa sœur.
— Elle est pas morte hein ? Dis moi qu'elle est pas morte ! Supplia Esteb, la voix brisée par l'émotion.
Iros baissa les yeux, il ne savait pas quoi dire. Où plutôt, il ne savait pas comment le dire. Bien sûr qu'elle était morte ! Il n'osait pas affronter le regard vibrant de colère et de chagrin de son ami. Le jeune homme croyait être le plus touché mais, comme à chaque fois, en voyant le visage de son ami, ses yeux rouges comme s'il était drogué, sa peau blanche comme s'il avait vu la mort. Iros resta un instant figé : « comme s'il avait vu la mort » parce qu'il venait de la voir. Dans le corps de sa sœur. Esteb pleurait et ses larmes salées se mêlaient au sang encore chaud de sa sœur. Son âme souffrait tant que cela se voyait sur son visage. Sa peau n'était pas blanche, elle était livide. Ses yeux ne pleuraient pas, ils criaient. Ses yeux criaient pour son âme. Ses yeux d'un gris clair n'avaient jamais paru aussi sombre qu'à ce moment et Iros savait qu'ils ne le seraient plus jamais autant. Sa sœur était morte, plus jamais il ne souffrirait autant car lorsque tout s'effondre, il ne reste plus rien.
Iros retint ses larmes, il ne pouvait se permettre devant lui. Pas devant celui qui avait le plus besoin d'être consolé, devant celui qui venait d'assister à la mort du dernier membre de sa famille. C'est pourquoi, avec le pressentiment de faire quelque chose qu'il regretterait plus tard, il prit la parole.
— J'ai essayé de la sauver, balbutia-t-il.
Le jeune homme savait que ce qu'il faisait était mal, que ce n'était pas la bonne décision. On ne construit pas une relation sur un mensonge. Seulement, il ignorait quoi faire d'autre et il était aussi trop lâche pour avouer que c'est lui qui avait été sauvé et non l'inverse.
Lorsqu'il sentit qu'Esteb le prenait dans ses bras, il soupira de soulagement parce qu'il l'avait cru. Il sentit aussitôt son cœur battre plus fort et plus vite parce qu'il se rendit compte qu'il venait de trahir la confiance de son meilleur ami, de son seul ami. Iros comprit aussi qu'il avait fait le mauvais choix parce qu'Eteb l'avait directement cru, il n'avait pas douté un seul instant de sa parole. Il avait une confiance aveugle en Iros, confiance qu'il n'avait pas hésité à trahir par lâcheté.
Ainsi, lorsqu'Iros referma les bras sur son camarade, il était à la fois soulagé de ne pas avoir à mentir plus longtemps mais son cœur, lui n'avait jamais autant pesé. Il savait qu'il devrait dorénavant toujours faire attention à ses paroles et qu'il ne pourrait plus jamais être lui-même en sachant ce qu'il venait de faire.
— Je sais, merci d'être toujours là pour moi, remercia, la voix vacillante, Esteb en souriant tendrement à son ami.
Ce dernier ne répondit rien et se contenta de répondre par un sourire pitoyable puis se leva et entraîna Esteb à la suite. Celui-ci ne résista pas, encore sous le choc du décès de Merys. La voir morte était une chose, l'admettre et la considérer comme telle en était une autre. Il ignorait s'il était prêt. On n'était jamais pour ce genre de choses.
Il avait toujours organisé sa vie en fonction de sa sœur et d'Iros. Ils étaient trois et aucun d'entre eux n'avait prévu de n'être que deux. Ils étaient trois et le seraient toujours. Mais aujourd'hui, ils étaient deux. Ils n'étaient plus que deux. Et ce n'était plus pareil. L'équilibre s'était effondré. Car Merys était leur lumière. Elle était celle qui souriait quand tout allait mal, celle qui avait toujours le mot pour rire quand chacun voulait pleurer, elle rassemblait les solitaires et elle réunissait les âmes esseulés qui avaient besoin de joie dans leur vie.
Mais elle n'était plus là et c'est comme s'ils étaient seuls car elle était tout.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top