CHAPITRE PREMIER : OCRÉLIA
Planète Trexia, an 10 500, vingt--deux oblio
— Où suis-je ? s'écria un Zorskien en essayant de bouger.
— Tu es à Trexia, répondit d'un air las l'Impératrice de l'autre côté des barreaux.
L'inconnu, où de son véritable nom Argolas Meeryn, écarquilla des yeux et fit un bond en arrière où du moins, voulut en faire un. Il était ligoté, chevilles et poignets menottés, et collé contre un mur froid en pierre. Il essaya de s'agiter mais les menottes semblaient être faites de diamant brut ensorcelé, impossible d'utiliser la magie pour s'en défaire. Mais ce n'était pas là son plus gros problème : que faisait-elle ici ? Et pourquoi lui, était-il enfermé?
Argolas était un Zorskien âgé d'un millier d'années à la peau noire comme le charbon. Il était grand et maigre, son corps, plus un amas d'os que de muscles, se contractait dès qu'il essayait de se libérer de ses chaînes. Ses cheveux attachés en une queue de cheval basse étaient d'un bleu aussi clair que ses yeux. Son visage ovale aux pommettes relevés la narguaient d'un air supérieur, presque hautain. Ses deux iris de cette même couleur, à la limite du blanc, était entourés de longs cils noirs à la courbature vertigineuse et sa bouche, d'un azur pâle, était pulpeuses et sa longue langue noire léchait sa lèvre supérieur à intervalles régulières.
Il aurait presque pu avoir l'air réellement arrogant si un tic nerveux ne venait perturber l'harmonie de son visage. Ses sourcils se fronçaient toutes les deux secondes et les plis soucieux de son front montraient son anxiété. Il savait à qui il avait à faire et il savait aussi qu'il ne s'en sortirait pas aussi facilement.
Elle se promena de l'autre côté de la cellule en regardant autour d'elle. L'atmosphère glaciale de la pièce contrastait avec la chaleur de la peau du Zorskien qui était à quarante degrés. Il faisait sombre et les murs noirs se confondaient avec l'obscurité de la pièce. La cellule, entièrement construite avec un alliage de béton et de diamant, était froide et l'odeur de renfermée qui émanait d'elle donnait le vertige. Elle était chanceuse de ne pas ressentir la température extérieur car il devait faire moins trente degrés au plus. La cellule était petite et les barreaux qui la séparait de l'extérieur était entièrement en acier blanc, un acier mille fois plus résistant que l'acier gris, d'habitude utilisé pour les prisons habituelles. Mais ce centre pénitencier n'était pas comme les autres. Il avait été conçu spécialement pour ceux possédant une Aptitude. Elle était plus résistante et plus éloignée. Elle était très bien située.
Elle retint un frisson de dégoût. Il n'y avait rien qui ne la dégouttait plus que de voir le visage d'êtres faibles.
— Tu sais pourquoi tu es là n'est-ce-pas ? demanda Ocrélia en s'approchant du prisonnier.
Le concerné redressa la tête et la regarda droit dans les yeux. Elle soupira d'ennui. Essai pitoyable pour ne pas céder à la peur et pour tenter de l'impressionner. Tentative désespérée de sa part de faire comme s'il n'était pas en situation de désavantage.
— Tu sais, au début, je n'était pas pour, fit-elle remarquer d'un ton détaché.
— Pas pour quoi ? osa demander Argolas en fixant la déesse dans les yeux.
— Et bien, pour te laisser en vie bien sûr ! Je veux dire, tu ne me sert à rien vivant, pourquoi prendrais-je la peine de te laisser en vie ? répliqua l'Impératrice, un sourire perfide aux coins des lèvres.
— Vous avez besoin de moi ! s'exclama le Zorskien en levant son regard bleu vers elle.
— Non, j'ai besoin de ton âme. Pas de toi. Ne confonds pas les deux, si je veux ton âme, je n'ai qu'à la prendre, je n'ai pas besoin de ton corps vivant, répondit-elle, son sourire s'agrandissant au fur et à mesure qu'elle lisait la crainte dans l'esprit de l'adversaire.
Rien ne la satisfaisait plus que de voir la panique dans les yeux de l'ennemi, d'observer la terreur s'emparer des esprits, d'admirer la crainte se faufiler dans les corps et de voir la panique contrôler leurs mouvements. Elle se délectait de la peur des autres parce qu'elle savait que leur peur à eux signifiaient sa victoire à elle.
— N'essaye même pas, menaça Ocrélia en se retournant vers lui.
— Pardon ? répliqua Argolas en faisant comme si de rien n'était.
— Tu as l'Âme Mauve. Tu as l'Aptitude du vol. C'est-à-dire que tu peux tout voler : les aptitudes, les sorts, les souvenirs, les âmes, tout. Mais ça ne marche pas avec moi, expliqua-t-elle d'une voix neutre et détachée.
Malgré la pénombre des lieux, elle aperçut sans mal sa queue apparaître pour détruire les chaînes qui l'entravaient mais c'était en vain. Il avait déjà perdu. Elle le savait. Comme tous les autres : il était faible. Elle avait presque envie de le tuer pour lui montrer qu'elle, elle s'en fichait réellement de la vie des autres. Qu'il n'avait aucune importance, qu'il ne valait rien. Elle détestait ceux qui se croyaient irremplaçables car la vérité c'est que personne n'était irremplaçable. Tout le monde était remplaçable.
Argolas se mit à trembler de plus en plus fort et Ocrélia comprit qu'il essayait de s'enfuir, où plutôt, qu'il essayait d'appeler à l'aide. C'était peine perdue, aucun garde ne viendrait l'aider. Aucun soldat ni aucun être vivant sur cette terre ne viendrait à son secours. Il avait beau être entouré de monde, il n'avait jamais été aussi seul. Elle décida de ne pas attendre plus longtemps, elle détestait le bruit et rien n'était plus bruyant qu'un Zorskien appelant à l'aide. Les bruits qu'ils émettaient étaient insoutenables pour ceux ayant l'ouïe ultra-développée comme elle. Leurs appels à l'aide envoyaient des ondes ultra-sonores.
Sans se retourner, elle se mit à arpenter les longs couloirs aux murs noirs. Tout était morne sur cette Terre, sur cette planète maudite. Elle ne mit pas longtemps à sortir du bâtiment car la prison était petite et avait été construite pour n'accueillir que très peu de détenus. Trexia était abandonnée. Déchue. Elle n'avait plus rien de son éclat d'antan.
Elle leva les yeux et put observer l'étendue noire qui lui faisait face. Soupirant, elle se remémora l'époque où, lorsqu'elle venait ici, ce n'était pas pour des affaires mais pour le plaisir. Ocrélia était orgueilleuse, elle était déterminée et elle obtenait toujours ce qu'elle désirait. Quitte à y passer sa vie pour l'obtenir, rien ne lui résistait. Il fut un temps où les choses étaient plus simples. Aujourd'hui, c'était différent : elle était la détestable Impératrice qu'on prenait plaisir à critiquer. Elle ne s'en plaignait pas, elle préférait que les gens la craignent plutôt qu'ils l'aiment. Il n'y avait rien de plus insupportable pour elle que de devoir se justifier de ses actes. Elle faisait comme elle l'entendait, si cela ne convenait pas aux autres, tant pis, ce n'était pas son problème. Elle n'avait jamais prétendu monter sur le trône pour sauver l'univers, peu lui importait que ce dernier soit sauvé ou qu'il périsse.
Après tout, elle n'était pas devenue Impératrice pour les autres mais pour elle-même.
Elle jeta un coup d'œil sur le paysage. Les alentours étaient vide. Il n'y avait aucun bruit et il n'y avait aucune odeur. La planète était morte. C'était un déchet, une terre dont plus personne ne voulait car il n'y avait ni ressources naturelles, ni main d'œuvre et surtout, elle était très éloignée de toute civilisation. Le taux d'humidité était de quatre-vingt-dix pour cent toute l'année, l'air ambiant était remarquablement froid, peu importe les saisons, avec une variation allant de moins trente degrés à mois vingt degré et surtout l'odeur, une senteur immonde, un mélange entre de la moisissure et de l'huile de tournesol ressemblait fortement à l'émanation qu'on retrouvait près d'usines abandonnées.
En somme, l'endroit idéale pour accueillir tous les prisonniers politiques qu'Ocrélia souhaitait voir disparaître. Et ils étaient nombreux.
Elle se leva et, toujours en regardant autour d'elle, elle fit demi-tour puis appela une connaissance.
— Allo, c'est Ocrélia, tu arrives quand ? demanda calmement la déesse.
— Je ne devrai pas tarder, je serais là d'ici cinq minutes au plus, répondit une voix extrêmement grave.
Sans plus attendre, elle raccrocha et continua son chemin vers la prison.
Elle avait souvent tendance à oublier qu'ici, le temps passait très vite.
Elle ouvrit la porte bétonnée du grand bâtiment et s'engouffra dans la pénombre des couloirs. En chemin, les rares Trexiens qu'elle croisèrent lui firent un salut militaire et restèrent à leur place. Convaincue, elle marcha tranquillement jusqu'à arriver à la cellule du cher Zorskien. La cellule, déjà sombre à son arrivée, était dorénavant dans une obscurité totale et si ses yeux lui permettaient une vision aussi performante de jour comme de nuit, elle savait que ce n'était pas le cas de son espèce. Bien sûr, elle savait qu'il l'entendait marcher, leur ouïe à eux était beaucoup plus développée et ils pouvaient entendre tous les bruits, allant du simple courant d'air à une porte s'ouvrant en grinçant. Elle le vit sans mal, toujours attaché au mur dans une position peu confortable. Elle plissa les yeux et put voir quelques gouttes d'eaux dégouliner de son corps. Les multiples éraflures de son dos provenaient du contact qu'il avait du avoir, en essayant de se soustraire aux chaînes, avec le mur rugueux. Sa peau d'un noir envoûtant était grise, recouverte d'une fine couche de poussière qui collait avec la sueur. Ses cheveux, dorénavant détachés, tombaient jusqu'aux épaules et recouvraient le haut de son torse. Il était habillé d'un simple pantalon noir et d'une chemise verte bouteille ouverte en grand. Il mesurait environ deux mètre cinquante et malgré mais avait la taille fine. Ses grands yeux d'un blanc très clair la fixaient avec une expression, à la fois colérique et effrayée.
C'est dommage qu'il soit stupide, pensa Ocrélia, il aurait pu être mannequin s'il n'avait pas joué avec plus forts que soi.
— Qu'est-ce-que vous leur avez fait ? s'écria-t-il d'une voix éraillée par la peur. Sa voix, habituellement grave, était très aigu et ses yeux, presque convulsés, fixaient l'Impératrice comme il aurait fixé la mort.
— Pardon ? répliqua Ocrélia en feignant l'innocente, un sourire mauvais aux lèvres.
— On dirait des robots ! bafouilla Argolas en mordant sa lèvre bleue supérieure.
La déesse ne répondit rien et se contenta d'afficher un sourire plus large. Il allait forcément finir par comprendre. Il était si prêt du but de comprendre pourquoi ils ressemblaient autant à des robots. Elle le fixa du regard et son sourire grandit par lui-même. Elle sut immédiatement quand il comprit. Ses yeux s'écarquillèrent d'horreur et sa bouche se convulsa.
— C'est ça n'est-ce-pas ? demanda-t-il en butant sur tous les mots.Vous les avez transformé en robots ?
— Pas totalement, même en les transformant en robots, il aurait été difficile de passer outre leurs besoins primaires comme manger, dormir et boire. Cette méthode aurait fonctionné, mais elle n'aurait été que temporaire. Il me fallait une solution finale. Alors j'ai fait ce qu'il me semblait judicieux, je les ai tous tué. Où du moins, pas directement, j'ai provoqué un virus qui les a tous tué. Ensuite, il m'a suffit de recréer des robots à leur image. Un millier suffisait. J'en avais juste besoin pour protéger et s'occuper de la prison, répondit Ocrélia d'une voix lascive.
— Vous avez provoqué la mort d'une espèce entière et ça ne vous fait rien ? hurla-t-il en la dévisageant avec terreur.
— Non, ce ne sont que des êtres vivants comme les autres, répliqua froidement l'Impératrice en scellant son regard dans celui du prisonnier.
— Mais ils étaient innocents !
— Ce sont toujours les gentils qui meurent en premier dans les histoires, répliqua Ocrélia dans la plus totale indifférence.
— Et qu'allez-vous faire de moi ? Je sais des choses que vous ne savez pas, vous avez besoin de ce qu'il y a dans ma mémoire et vous ne pouvez pas lire mes pensées.
— Moi ? Je ne vais rien te faire, mais je connais quelqu'un qui s'occupera très bien de toi, ricana-t-elle d'un air sombre.
En entendant des pas résonnants dans la prison, elle sut que l'invité était là. Elle avait bien fait de faire appel à lui, il remplirait son contrat sans opposer la moindre résistance. Lorsque la gigantesque silhouette arriva devant elle, elle retint un rictus inquiétant.
— Je te présente Igor Sarvetus, plus connus sous le pseudonyme de l'Arracheur dans votre milieu, annonça Ocrélia en se retournant vers le Zorskien qui, sous le coup de l'affolement, sortit sa queue et recommença à fouetter l'air autour de lui.
— Je vais vous laisser, sa présence sera sans doute plus appréciée que la mienne, ironisa l'Impératrice en levant son sourcil gauche.
Lorsqu'elle croisa le regard livide du détenu, elle sut qu'il avait compris que son heure était venue.
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