CHAPITRE NEUF : IROS

Planète Terre, an 2501, vingt septembre 

Lorsqu'Iros et Esteb arrivèrent au camp, leur retour ne fut pas salué comme ils l'espéraient.

Les hurlements qu'ils entendirent n'étaient pas des cris de joie mais des cris de colère, de rage, et des plaintes. Le reste du Clan, en grande majorité des femmes, des enfants et des personnes âgées. Les femmes pleuraient leur mari, les enfants leur père et les grands-parents leur enfant. Chacun était perdant dans ce combat. Il avait l'impression que chacun avait perdu une moitié de lui-même et c'était sans doute la réalité.

Lui-même avait l'impression que son cœur avait été troué et les vingt jours passés à marcher dans le désert n'y avaient rien changé. Il sentait toujours comme un pieu dans son cœur qui lui massacrait son organe vital à chaque mouvement, à chaque respiration, à chaque battement de cœur, la douleur s'intensifiait et l'écrasait sous le poids de la culpabilité. C'était ridicule, il n'avait pas à se sentir coupable d'être en vie. Il n'avait jamais souhaité la mort de tous les autres membres du Clan, il n'avait jamais souhaité vivre à la place de Merys et à la place de tout le reste du Clan. Il savait que beaucoup ne l'aimaient pas : il avait une tête d'espion. Dans le clan, il était le seul à avoir les yeux aussi bleus et les cheveux aussi blonds, il avait beau être né ici et n'avoir jamais quitté le domicile fixe avant cette fois-ci, ils n'avaient cessés de le soupçonner. Avec le temps il avait fini par s'habituer mais parfois, lorsqu'il oubliait que beaucoup ne l'aimaient pas, et qu'il revoyait leurs visages et leurs yeux hargneux, plein de haine à son encontre, cela lui faisait toujours un coup au cœur. Il ne savait pas d'où provenait cette méfiance maladive, cette paranoïa malfaisante et cet aura de méchanceté qui s'emparait de lui lorsqu'ils le regardaient tel un étranger.

Il ne savait pas ce qui était le pire : être un étranger aux yeux de son propre Clan où avoir survécu quand tant d'autres étaient morts ?

Iros ne savait pas d'où lui venait cette couleur d'yeux, d'un bleu azurin si clair qu'il paraissait presque blanc en plein soleil et cette couleur de cheveux, d'un blond si doux et si brillant. Il n'avait jamais souhaité naître ainsi, il avait toujours été comme ça et n'avait jamais pensé que ce serait un problème. Et lorsqu'en grandissant, il s'était rendu compte qu'il était toujours aussi différent et que les autres humains le regardaient toujours aussi mal, il avait du se rendre à l'évidence : il serait rejeté toute sa vie.

L'Amiral Clerc, le premier à l'accueillir comme son fils, avait commencé à soigner la plaie de sa solitude, à adoucir sa vie mais rencontrer les deux frères et sœur avait été le pansement à son isolement.

Sa rencontre avec Merys et Esteb avait été une vraie délivrance, un vrai miracle. Ils lui avaient apportés tout ce qu'il n'avait pas eu auparavant : amitié, rire, joie, complicité et solidarité. Il ne s'était jamais senti aussi bien qu'avec eux car son univers à lui c'était eux. C'est pour ça qu'il avait du mal à accepter la mort de Merys et surtout à assumer son mensonge. Il n'arrêtait pas d'y penser. Dès qu'il le voyait il ne pouvait s'empêcher de penser que sa trahison se voyait sur son visage mais son ami ne remarquait rien. Il ne voyait pas l'air torturé d'Iros qui hésitait entre dire la vérité, enfin se libérer de ce poids, et continuer à mentir. Cependant, il ne se faisait pas de faux espoirs. Il savait qu'il n'aurait jamais du commencer à mentir, maintenant que le mal était fait, il était trop tard pour revenir en arrière. Il en voulait à Merys de l'avoir obligé à mentir, sans ça, il aurait dit la vérité, peut-être se serait-il disputer avec Esteb mais il était persuadé que ce dernier comprendrait. Alors pourquoi Merys lui avait-elle demandé ça ?

— Où est mon fils ? demanda une femme âgée d'une cinquantaine d'années en l'implorant et en s'agrippant à lui.

Iros baissa le regard pour l'apercevoir et ne sut quoi répondre. Les yeux de l'humaine étaient rouge comme si elle avait trop pleuré et qu'elle n'avait plus de larmes.

— Je...je ne sais pas, balbutia Iros en essayant d'enlever les mains de l'étrangère sur son corps et en tentant de s'écarter.

— C'est toi qui l'a tué hein ? l'accusa-t-elle en approchant son haleine fétide de son visage et en lui crachant dessus.

— Je vous prierais de ne pas importuner ce jeune homme, s'interposa Rintus en dégageant brutalement la main de la femme et en prenant Iros par le bras pour l'entraîner plus loin.

Ils partirent tous les deux plus loin et se retrouvèrent dans la case de Rintus où ils s'assirent pour parler.

Iros regarda autour de lui, l'air était toujours aussi sec et étouffant, encore plus à l'intérieur. Une légère odeur de sueur et de renfermé flottait dans l'atmosphère et la sueur mêlée au sang et au sable qui parcourait son corps commençait à le rendre nauséabond.

— Je ne serais pas long, le rassura Rintus en esquissant un léger sourire, je vais aller droit au but car nous avons tous les deux mieux à faire. Moi à m'occuper des survivants et du village qui ont plus que jamais besoin de mon soutien et toi, te doucher et t'occuper de ton ami, expliqua-t-il.

— J'ai deux choses à te dire, la première c'est qu'Esteb va survivre mais il sera toujours malade. Il y a un virus dans son corps. On ne peut rien faire pour lui. Cependant, il semble qu'il ait de la chance. Le virus qui est en lui semble n'avoir pas réussi à évoluer, il a peut-être une chance de s'en sortir mais il devra toujours ménager ses efforts. On ne sait pas s'il a plus de chance de s'en sortir que de mourir, confessa la quarantenaire en posant sa main sur l'épaule du jeune humain.

Iros déglutit et hocha la tête. Il s'y attendait. Au fond de lui, il savait que tout ne pouvait pas se terminer comme prévu.

— Et la deuxième chose ? osa-t-il demander en redoutant la réponse.

— Ton père savait qu'il allait mourir, il m'a donné cette enveloppe pour toi. Je n'étais censé te la donner que le jour de tes vingt-et-un ans mais nous ne sommes plus à quelques jours près. Il m'a aussi précisé qu'il faudrait que tu la brûles dès que tu l'aura lu, annonça l'Amiral en lui tendant la fameuse lettre.

Iros s'en saisit, l'émotion le saisissant à la gorge si fort qu'il eut l'impression, durant une fraction de seconde, d'étouffer.

Cela faisait plus de sept ans qu'il n'avait pas été confronté aussi brutalement à cette nouvelle. Il savait que ces parents étaient morts mais il n'avait pas l'habitude d'y penser. Il parvenait même, lorsqu'il était avec Merys et Esteb, à oublier la mort de son père et celle de sa mère, morte quelques semaine après ce dernier. Il n'aimait pas se souvenir de leur mort, il gardait en lui les bons souvenirs et jetait les mauvais, presque inconsciemment. Il faisait un tri sélectif dans sa mémoire. Il ne gardait que ce qu'il voulait et oubliait le reste. Il avait toujours fonctionné ainsi et c'est pourquoi, beaucoup de moments douloureux du passé avaient disparus dans les méandres de sa mémoires, là où il ne pouvait accéder. Là où il mettait tous ses soucis, tous ses tracas et toute sa peine.

C'est pourquoi il ne fut pas étonné lorsque, à nouveau, les larmes s'écoulèrent de ses yeux bleu ciel et qu'elles tracèrent leur chemin sur ses joues et qu'elles s'écrasèrent sur le sol. Il avait l'impression, ces derniers temps, qu'il passait sa vie à pleurer. Qu'il ne faisait que se lamenter alors qu'il n'avait pas de quoi. Il écarta d'un geste rageur les gouttes d'eau qui continuaient inlassablement de tomber de ses pupilles mais Rintus l'arrêta.

Iros releva ses yeux vers son second père.

— Tout le monde a le droit de pleurer, même les hommes, déclara Rintus en accrochant son regard dans celui du jeune homme.

— Mais... je ne devrais pas pleurer alors que certains souffrent plus que moi, protesta Iros.

— Tout le monde souffre, certains plus que d'autres, mais c'est important de laisser la douleur sortir de ton corps et de ne pas la garder au fond de toi. La plus grande maladie, c'est la solitude et la souffrance morale. Ce n'est ni la maladie ni la guerre qui tue les hommes, c'est la douleur, c'est le manque, c'est ce qu'il y a à l'intérieur d'eux qui les détruit parce qu'ils n'ont jamais su expulser leurs maux à l'extérieur d'eux. Il y a plusieurs manière d'expulser les émotions, par les coups, par les mots et par les pleurs. Tout le monde ne sait pas parler et les mots ne suffisent pas toujours, il vaut mieux pleurer que frapper, affirma Rintus d'un ton doux et amical.

Iros sourit tristement, le goût du sel pénétrant dans sa bouche et dans son palais. Il ne savait pas quoi dire, il pensait juste que c'était son rôle de soutenir les plus faibles. Il avait toujours été aidé, par ses parents lorsqu'il était enfant, par Rintus, Esteb et Merys plus tard. Il n'avait jamais été seul. Il y avait toujours quelqu'un pour le rassurer, pour lui dire quoi faire et comment le faire, il n'avait jamais eu à faire de choix. Et aujourd'hui, il ne savait pas quoi faire. Il hésitait à lire cette lettre, il hésitait alors qu'il n'aurait pas dû. Il savait qu'en l'ouvrant, il se replongerait dans un passé, dans une période de sa vie qu'il avait mit du temps à oublier. S'il l'ouvrait, il détruisait toutes ces années à essayer d'oublier, il rouvrirait toutes les plaies du passé, toute la tristesse et la douleur qu'il avait en lui s'échapperait et il ne pourrait pas la rouvrir.

— Je vais te laisser, annonça d'une voix claire Rintus en se levant et en sortant de la case.

Iros ne répondit rien et resta là, sans bouger, les yeux dans le vague, fixant l'enveloppe qui l'effrayait et l'attirait à la fois. Que devait-il faire ? C'était la lettre de son père, il devait l'ouvrir mais d'un autre côté, il était mort, il ne saurait jamais si son fils ouvrirait la lettre. Il n'y avait personne lui dire quel choix était le bon parce qu'aucun choix n'était le bon. S'il ne l'ouvrait pas, il s'en voudrait à vie. Il regretterait et vivrait avec la certitude d'être passé à côté de quelque chose d'essentiel. Mais s'il l'ouvrait, et bien, il se prendrait toute son enfance en pleine visage, il se retrouverait face à son passé, il devrait l'affronter et Iros n'était pas sûr d'en être capable. Il était lâche et il avait peur.

Cependant, il savait que si son père lui avait laissé cette lettre, cela devait être très important car jamais auparavant il ne lui en avait laissé une. Et la peur de ce qu'il pourrait y lire, y découvrir, le paralysait, le statufiait. Il avait l'impression que peu importe le choix qu'il ferait, ce serait toujours le mauvais.

Il posa sa tête sur ses mains et ferma les yeux un instant. Après tout, rien ne l'obligeait à lire la lettre maintenant, il pouvait très bien la garder précieusement dans sa poche et l'ouvrir plus tard, quand il se sentirait prêt.

Oui, voilà ! Cette lettre était pour ses vingt-et-un ans, il n'avait qu'à attendre d'avoir cet âge là pour l'ouvrir. Ainsi il respecterait le souhait de son père et il aurait le temps de se préparer à ce qu'il pourrait y découvrir.

Maintenant sûr de faire le bon choix, il enfourna la lettre dans sa poche et sortit de la case pour aller voir Esteb. Il se doucherait après, son ami, lui, ne pouvait pas attendre.

Il se dirigea vers l'infirmerie, une case plus grande que les autres et mieux aérée qui servait de minuscule hôpital aux plus blessés.

C'était la seconde fois qu'il y allait. La première c'était lorsque son père était mort. Il espérait juste que cette fois-ci tout serait différent. Après tout, si Rintus disait qu'il pouvait s'en sortir, il s'en sortirait. Esteb était fort et il vaincrait la maladie.

Lorsqu'il franchit la porte, l'odeur du sang, les plaintes des malades et des blessés, l'odeur infecte des médicaments et du désinfectant lui sauta au nez et il dut se retenir pour ne pas faire demi-tour.

L'intérieur était vaste mais rempli, pleins de lits, même s'ils ressemblaient plus à des brancards immobiles, abritaient une trentaine de victimes, les rescapés de l'expédition et les autres malades. Ils étaient tous allongés, dans un état allant de la simple fièvre à la jambe coupées. La médecine et les techniques utilisées étaient barbares, il n'y avait pas d'anesthésie et les souffrants étaient obligés de rester éveillés tout le long de l'opération.

Il vit tout de suite Esteb car il était recouvert de draps blancs humides et son corps tremblait en permanence. Ses yeux fermés se convulsaient et sa bouche se tordait dans tous les sens. Tout son visage et son buste était trempé de sueur et les médecins aux alentours ne pouvaient rien faire si ce n'est lui tenir les bras pour qu'il reste immobile le temps de lui administré les calmants.

Lorsqu'un docteur lui enfonça une seringue dans le bras droit, Esteb cessa immédiatement de s'agiter et tout son corps retomba d'un seul coup sur le matelas.

Lorsqu'il fut sûr que son ami soit bien endormi, il s'approcha et posa sa main sur son épaule puis déposa un bisou sur son front.

— Ne t'inquiète pas, avec la dose que nous lui avons injecté, il va dormir très longtemps. Il va pouvoir récupérer ses forces et combattre ce qui l'affaiblit, expliqua un des hommes qui s'occupait d'Esteb en se retournant vers Iros.

— Combien de temps va-t-il dormir ? S'enquit Iros qui imaginait toujours le pire.

— Deux à trois jours, le retour l'a épuisé, aussi bien physiquement que mentalement, répondit calmement le médecin en souriant gentiment à Iros.

Ce dernier, rassuré, remercia le médecin et sortir rapidement de la salle car il détestait se trouver ici. L'odeur putride et l'atmosphère morbide qui traînait dans la pièce lui donnait envie de vomir.

Aussitôt dehors, il s'empressa de prendre de grandes bouffées d'air, malgré la chaleur d'autant plus importante à l'extérieur, il avait l'impression d'enfin de respirer.

Il se dirigea rapidement ensuite vers la douche pour aller se laver.

Uns fois sortit de la douche, sans oublier de prendre la lettre de son père, il s'en alla pour dormir parce qu'il avait la désagréable impression que le lendemain ne serait pas de tout repos.

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